Grèce : Révolte populaire sans précédent

, par  Charles Hoareau , popularité : 2%

Depuis plus d’un an la Grèce bouillonne car le peuple refuse l’austérité que les institutions capitalistes internationales veulent lui imposer. Quel avenir, quelle organisation de ce mouvement ? Quel rôle du politique et du syndical ?
L’article ci-dessous renvoie à d’autres écrits déjà publiés sur ce sujet dans diverses rubriques.

Jour après jour, (et certains jours, heure après heure) les nouvelles qui nous parviennent de Grèce après avoir franchi le mur du silence des médias occidentaux ou malgré les filtres déformants de celui-ci, nous démontrent que l’on assiste à un mouvement populaire de très grande ampleur, sans doute encore plus fort que celui de l’an dernier.

Pour dimanche dernier, le 5 juin, on parle de 250 000 manifestants sur la Place de Syntagma (place de la Constitution) au centre d’Athènes, juste en face du Parlement.

Loin de se cantonner à la capitale, des foules « historiques » se sont aussi rassemblées aux places centrales de dizaines d’autres villes grecques.

Comme le disent de trop rares observateurs qui relaient correctement ce qu’ils entendent et voient, il ne s’agit pas d’une simple protestation ni même d’une mobilisation d’ampleur contre les mesures d’austérité, mais d’une révolte contre un système tout entier remis en question par des centaines de milliers de manifestants. Si le nouveau monde auquel ils aspirent est encore flou, si ses contours ne sont pas encore gravés dans le marbre il se dessine en haut des drapeaux grecs, mais aussi tunisiens, égyptiens, espagnols, portugais, irlandais ou argentins qu’ils brandissent au nom d’une internationale des luttes qu’ils sont en train de découvrir à défaut de la construire et la structurer.

La gauche en France ou le syndicalisme européen, qui en sont encore à essayer de définir ce que serait un « bon » FMI ou une « Europe sociale », feraient bien de réfléchir aux slogans qui fleurissent sur les place grecques et disent non à la Troïka (FMI, Commission européenne et Banque centrale européenne).

Ici il n’est plus question de réformer mais de balayer.

FMI et BCE ce sont des voleurs qu’il faut chasser crient les manifestants. Et les slogans sont plus éloquents les uns que les autres « On ne doit rien, on ne vend rien, on ne paye rien », « On ne vend et on ne se vend pas », « Qu’ils s’en aillent maintenant tous, Mémorandum, Troïka, gouvernement et dette » ou « Nous restons jusqu’à ce qu’ils s’en aillent »

Le peuple dans la rue manifeste son refus d’assumer et de payer la dette publique, dette jugée plus illégitime que jamais, alors qu’en France on n’a encore entendu aucun dirigeant de gauche dire que si son parti venait au pouvoir la France refuserait de payer une dette qui est la conséquence du racket des monopoles capitalistes.

Dans ce mouvement, l’auto-organisation progresse et la conscience aussi. A Athènes chaque soir une assemblée populaire rassemble plusieurs centaines de participants devant quelques milliers d’auditeurs très attentifs.

Ce qui est frappant aussi c’est le lien que font ces manifestants avec ce qui se passe de l’autre côté de la Méditerranée. Pourtant ici, en Europe on a la démocratie nous disent les mêmes qui naguère vantaient un Ben Ali ou un Moubarak. Ils n’auraient donc pas de raison de s’indigner si l’on en croit nos dirigeants. Un sou c’est un sou, une dette c’est une dette et les grecs n’avaient qu’à pas être « laxistes » par le passé et s’ils ne sont pas contents qu’ils aillent se faire voir…chez les grecs !

Pourtant à l’évidence, sourds aux arguments du directeur de la BCE, d’une Merkel ou d’un Sarkozy, les grecs comme les espagnols nomment leur mouvement « Démocratie directe ou réelle » : le vote ne leur suffit donc pas ?

La dictature du capitalisme

Si, dans leur grande majorité, les indignés grecs ou espagnols rejettent les institutions, les partis traditionnels qui se partagent le pouvoir depuis tant d’année, c’est que non seulement ils n’entendent pas le discours radical qu’ils attendent et des pratiques qui garantissent leur capacité d’intervention, mais c’est qu’en plus ils ont le sentiment que dans le jeu électoral actuel ils ne pourront pas inverser le cours des choses. Qu’ils le disent ou le perçoivent clairement ou non, la dictature qu’ils rejettent ce n’est pas celle d’un président ou d’une assemblée, mais celle d’un capitalisme qu’aucun élu ne veut renverser

Le KKE [1] a bien raison de déclarer que « le mouvement populaire doit prendre pour cible le capital ». C’est même la clef de l’avenir d’un mouvement qui cherche encore ses voies. Et le KKE de poursuivre : « Il est encourageant que des gens du peuple et de la jeunesse soient dans les rues manifestant leur colère accumulée. Un esprit militant plus fort peut s’enraciner, si le mouvement évolue vers une participation décisive dans le mouvement populaire organisé sur des positions de classe, celui qui lutte pour repousser et inverser cette brutale politique anti-populaire et non pour changer les personnes au gouvernement, ou pour de petits ajustements à réaliser sur le mémorandum des monopoles(…)

Pour que les luttes ouvrières, populaires et de la jeunesse soient effectives et aient la force de dresser des barrières contrant l’escalade de ces mesures barbares, il faut qu’elles prennent pour cible ceux qui sont responsables des problèmes du peuple, qui sont les grands groupes économiques, l’UE et les partis qui les servent »

De son côté, la KNE [2], qui a organisé des manifestations à Salonique et Athènes le 7 juin a déclaré vouloir combattre « la propriété capitaliste des moyens de production et de la terre qui empêche une utilisation des richesses produites par la classe ouvrière et les couches populaires en vue de la satisfaction de leurs propres besoins. Pour cette raison, tout commerce, tout lieu de travail, toute ferme, tout port, aéroport, hôpital, quartier populaire, école et université doit devenir une forteresse de la lutte implacable contre le capital et ses partis, contre ces mesures brutales, avec comme objectif qu’ils deviennent propriété de la société.

Nous appelons à un soulèvement, à redoubler d’efforts pour intensifier la lutte de classe. (…) Nous lançons un appel aux armes afin que le peuple s’organise, changeant partout où cela est nécessaire le rapport de forces, par une participation de masse et combative. Nous devons mener la lutte partout pour défendre les chômeurs, les jeunes travailleurs, les jeunes dans les universités et les instituts de formation, les jeunes des familles populaires avec comme objectif un renversement radical du système capitaliste. (…) Nous luttons pour que la classe ouvrière et leurs alliés deviennent les patrons dans ce pays et dans leur vie. »

Un appel aux armes ? Que leur répondrait la "gauche (française) de gouvernement" ?...

Une lutte populaire organisée est nécessaire

De son côté le PAME, dans l’action avec le Rassemblement militant des agriculteurs (PASY), le Rassemblement anti-monopoliste national des travailleurs indépendants et des petits commerçants (PASEVE), la Fédération des femmes grecques (OGE) et le Front militant des étudiants (MAS) a rappelé que si les rassemblements sur les places sont des mouvements à soutenir ils ne peuvent constituer la seule forme de lutte ni remplacer la grève : « par laquelle le travailleur peut démontrer sa force car il doit surmonter sa peur du patron. Il est beaucoup plus facile de se rassembler sur les places des grandes villes. » mais la grève est décisive d’où l’appel à la grève générale de ce mercredi 15 juin.

Le journal du KKE précise :« L’ennemi a une stratégie, une organisation et un nom. Le mouvement populaire doit faire la même chose pour gagner la guerre qui a été déclarée contre lui. »

La déclaration commune du PAME, du PASEVE, du PASY, du MAS et de l’OGE affirme que : « Dans le cadre du développement capitaliste, il ne peut y avoir d’avenir ni de perspectives favorables au peuple. Les sacrifices, qu’ils nous appellent à faire, n’auront pas de fin. Vous n’avez pas de responsabilité dans la crise capitaliste. La dette et le déficit appartiennent à la ploutocratie. Ne les reconnaissez pas. Pas de consentement, aucun sacrifice, la ploutocratie doit payer pour la crise. »

C’est du « syndicalisme rassemblé » que l’on a plaisir à lire…

Merci à Linsay pour les éléments qu’elle a transmis et qui ont aidé à la rédaction de cet article


Réaction de Eleni, qui participe aux rencontres internationalistes du Rhône depuis plusieurs années, artiste et militante d’origine grecque.

Je ne savais pas trop quoi dire sur les "indignés" auxquels j’ai du mal à m’identifier.

Je sais, par des sources proches, que des personnalités qui se prennent pour des porte-paroles de ces mouvements, bien souvent des universitaires, font partie de ce même système qu’ils font semblant de dénoncer mais qu’ils cultivent soigneusement (du type Ferry). A se faire payer, par des universités et des écoles sans jamais y mettre les pieds, initiant des lois en leur faveur et posant leur véto de « savant ».

Comme tu dis dans ton article, il y a un mouvement organisé par les syndicats, mais qui est passé complètement sous silence. La priorité de l’information, est donnée aux gens « qui ne veulent pas être sous une étiquette », qui n’ont souvent pas en réalité des revendications concrètes pour un changement de société, qui prônent le changement de gouvernement, mais pour mettre quoi à la place ???
Les mêmes, sous un autre nom ?
Ou même pires, je le crains.

Quand les syndicalistes sont chassés de la place publique, il y a détournement de cible. Je ne peux pas par ailleurs m’identifier, à des slogans du type "va te faire enculer, Pagkalé" (président du pays). Disons, c’est marrant, mais après ? "Voleurs, voleurs", d’accord. Mais après ?

Il est tout de même curieux que le jour de la grève générale, où des usines, tous les services publics, des écoles, des hôpitaux, des transports, s’immobilisent, et que plein de monde sort dans les rues, en sacrifiant une journée de salaire, pour être entendu, toute la place dans les infos, est donnée à quelques cagoulés ( en partie provocateurs) qui ont jeté des projectiles et des flics qui ont lancé des bombes lacrymo.

En réalité il y a un blackout sur l’information sociale en Grèce, par les médias européens. Tu ne trouves pas qu’un mouvement des indignés non organisés, ça arrangerait pas mal les affaires du capital ?
Le capital, est bien organisé lui, et il n’a aucun intérêt à faire face à un peuple organisé qui saurait où il va.

Le risque que les soirées pour faire du « havalé », (se défouler) ne durent qu’un temps.

Parmi les indignés il y a beaucoup de monde exacerbé qui ne sait comment lutter. Il faut quand même se rendre compte que l’organisation des chômeurs n’existe quasiment pas en Grèce. Ils sont littéralement à la rue. Abandonnés par les organisations, ils n’appartiennent à aucune structure. Donc, eux, ils y croient. La rue c’est leur voie(x). Mais si la fièvre retombe, ils se trouveront seuls avec les mêmes problèmes, sans que personne ne se soucie de leur désarroi. Comment faire sans organisation ?

Le gouvernement va probablement se remanier. C’est ce qui se cuisine entre la « nouvelle démocratie »(droite) et le « pasok »(socialistes). Et c’est d’ailleurs ce qui est dicté par l’Europe et le FMI. Ce n’est pas la peine d’évoquer ma source d’information, c’est évident, ça ne se cache plus. De toute façon, la Grèce, n’a plus de gouvernement indépendant (si jamais tel était le cas… ). Les banques en font ce qu’elles veulent, les multinationales sont incontrôlables. Les petits malins se faufilent dans les postes décisifs, à pourvoir. Ou pire, ils créent des postes décisifs à leur mesure. Comme ça personne ne peut les atteindre. Ils sont couverts par la loi.

La solution, comme nous disons si bien, viendra par le peuple. Mais la rue doit être organisée, elle doit être prête à prendre les affaires en main. Pour mon pays, je ne sais pas quand cela se fera. Les grecs sont un peuple combatif et brillant, mais trop endormi par la pilule de la réussite immédiate. Ils font facilement confiance à ceux qui se présentent comme amis, philhellènes, qui les caressent dans le sens du poil en évoquant le rôle de la Grèce « berceau de la démocratie » dans l’histoire universelle.

Pour ma part je crois aussi très fort, que ce n’est pas un peuple qu’on piétine, et qui courbe l’échine dans la défaite. En se penchant, il cherche l’appui pour rebondir, et donner un coup de poing aux requins qui veulent l’exterminer, lui, ses luttes et son histoire.

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