Emprunts toxiques.
Dettes publiques, collectivités locales. L’exemple de Béziers. Comment les banques nous saignent.

, par  Aimé Couquet , popularité : 3%

Un débat national a été lancé en particulier par ATTAC dans le cadre d’un "Collectif pour un audit de la dette". A Béziers la section du PCF a décidé d’y participer. Vous trouverez ci dessous le texte intégral, un peu long (mais il explique !), d’une conférence présentée par notre camarade Aimé Couquet. Nous réfléchissons à la publication d’un résumé dans le journal de section, si cela se fait nous le mettrons aussi sur le site. Beaucoup de citoyens s’interrogent sur ce qu’est un "emprunt toxique", comment des milliers d’élus, hélas parfois aussi des communistes se sont laissés prendre. Genèse nationale et internationale de ce processus, responsabilités gouvernementales. Le vécu dans une ville de 70.000 habitants. Quelques perspectives de débat et de luttes. Et pour finir Marx, le capitalisme usuraire.

Paul Barbazange


Collectif pour un audit citoyen de la dette publique. Béziers.

Réunion du 16 février 2012

Introduction au débat par Aimé Couquet, Conseiller Municipal d’opposition PCF, NPA et Citoyen au Conseil Municipal de Béziers. Conseiller Régional Honoraire. Directeur Général des Services Honoraire.

Il y a 15 jours dans cette même salle, nous avons analysé et débattu de la dette publique de la France. Aujourd’hui, est à l’ordre du jour, la dette de la ville de Béziers et de la Communauté d’Agglomération Béziers-Méditerrannée.

Je vous propose d’introduire le débat en abordant succinctement sept points :

1) Les données essentielles nationales.
2) Qu’est-ce qu’un prêt toxique ?
3) Qui est responsable ?
4) Qu’a fait le législateur ?
5) La dette de la ville et de la Communauté.
6) Les répercussions sur la gestion. La banque Dexia.
7) Proposition d’un vœu à la séance du Conseil Municipal du 28 février 2012.

1 - Quelques données essentielles nationales  :

A la fin de l’année 2010, l’encours de la dette des collectivités territoriales s’élevait à 163 milliards d’euros, soit environ 10% du total de la dette publique française estimée àenviron 1700 milliards d’euros dans le courant 2011. Le financement de ce secteur était assuré par trois gros prêteurs : DEXIA (32%), BPCE (24%) et CRCA (16%). La Société Générale (10%) et la CDC (6%) étant de second plan. Dans un rapport de 2011, la Cour des Comptes a estimé que « l’encours de la dette locale intègre environ 30 à 35 milliards
d’euros d’emprunts structurés (toxiques) dont 10 à 12 milliards d’euros présentent un risque potentiellement élevé ».

2 - Qu’est-ce qu’un prêt toxique ?

Jusqu’à l’année 2000, les collectivités territoriales et les établissements publics
souscrivaient pour l’essentiel des prêts à taux fixes ou révisables. Le prêt à taux révisable voyait le montant des échéances évoluer, à la hausse ou à la baisse, en fonction de l’évolution de l’indice. Mais à chaque échéance l’emprunteur disposait de la possibilité de sortir du taux révisable et de consolider son capital restant dû sur un taux fixe pour la durée résiduelle du prêt. A côté de ces prêts classiques, les collectivités ont eu la possibilité de souscrire des produits dérivés (les options, les contrats à terme ou futurs et les contrats d’échange de taux appelés swap) supposés les garantir et optimiser leurs gains. Ces produits dérivés ont ensuite été directement intégrés dans les offres d’emprunts sous forme de produits encore plus sophistiqués, appelés emprunts structurés.

Ces prêts offrent au départ des taux alléchants mais la plupart du temps cela ne dure pas, car les taux sont indexés sur les évolutions de monnaies (franc suisse, yen, dollar..) soumises à des mouvements spéculatifs incontrôlés et peu prévisibles. En fait ce sont des prêts « léonins » car ils permettent au créancier d’exiger de son débiteur le remboursement d’une dette « illégitime ».

3 - Qui est responsable ?

L’Etat, responsable de ne pas avoir réglementé le mode de financement des collectivités et des établissements publics, et de ne pas avoir su adapter son rôle de contrôle à une nouvelle réalité qu’il ne pouvait que constater. La Cour des Comptes dans son rapport de novembre 2011 relevait que « pour le recours aux emprunts en devises, les défaillances techniques s’ajoutent aux déconvenues liées au risque de change ».

Les banques. Un rapport de Ficht Ratings de juillet 1998 intitulé « La dette structurée des collectivités locales : gestion active ou spéculation ? » faisait ce constat : « les prêteurs ont donc réussi à imposer une situation paradoxale où, au lieu d’être rémunérés pour prendre un risque (de crédit) supplémentaire, ils l’ont été pour faire prendre un risque (de taux) à leurs clients ».

Les élus, du moins certains d’entre eux, portent une part de responsabilité pour avoir succombé au miroir aux alouettes des prêts toxiques. Payer moins d’intérêts les trois premières années du prêt leur permettant de limiter les charges financières au cours du mandat et faciliter leur réélection, ou en cas de problème reporter sur les successeurs l’augmentation des charges. Il est d’ailleurs savoureux que ce soit le rapporteur général du budget à l’Assemblée Nationale, Gilles Carrez (UMP) qui a précisé à l’encontre de ses collègues : « Et quand on signe un contrat auquel on ne comprend rien, on est pas un bon
gestionnaire ».

4 - Mais qu’a fait le législateur ?

Je rappelle que dès 1991, la Cour des Comptes avait attiré l’attention sur ce problème. Une circulaire du 15 septembre 1992 relative aux contrats de couverture des taux d’intérêts offerts aux collectivités indiquait que si les actes contenaient des mesures spéculatives, ils devaient être déférés par le représentant de l’Etat au juge administratif. Il a fallu attendre le 7 décembre 2009 pour mettre en place une charte, dite charte Gissler, qui prévoit six engagements, notamment le fait pour les banques de renoncer à proposer aux collectivités des produits exposant à des risques sur le capital et des produits reposant sur certains indices à risques élevés, ou l’obligation de présenter leurs produits selon une classification normalisée faisant ressortir leur degré de complexité et leur niveau de risque. De leur côté, les collectivités s’engagent à faire un effort de transparence et d’information sur leur politique de recours à l’emprunt.

Le 25 juin 2010, les ministres de l’intérieur, de l’économie et du budget pondaient une circulaire ayant pour objet « d’appeler l’attention sur les risques inhérents à la gestion active de la dette par les collectivités territoriales et de rappeler l’état du droit sur le recours aux produits financiers et aux instruments de couverture du risque financier ». En fait, la réglementation n’ayant pas prémuni à temps les collectivités territoriales crédules ou irresponsables contre les risques des prêts structurés, n’ont d’autre voie que le recours en justice.

J’ajoute que le 8 juin 2011, l’Assemblée Nationale a créé une commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux. Il serait trop long de reprendre tout le contenu de ses travaux mais un exemple. Il a été relevé la réponse de M. Marc Larue, président de section à la CRC PACA : « Le fait que les responsables financiers et commerciaux des banques ne comprenaient parfois pas eux-mêmes les caractéristiques de ces produits nous a confirmé dans la conviction qu’ils posaient problèmes ». Il a ajouté « La logique des emprunts structurés est d’échanger une bonification des taux à court terme contre un risque important. Le vice de départ de ces produits, c’est le taux bonifié inférieur au marché qui a été affiché, et a anesthésié la perception du risque ». Au delà du recours en justice, il y a parfois la possibilité de renégociation mais prudence  !

Le réaménagement des emprunts, ou dans le langage des banquiers « la G2D », la gestion de la dette. La recette est simple : l’emprunteur rééchelonne sur une durée plus longue le remboursement du capital restant dû. La charge des intérêts annuel baisse, les élus sont contents... mais pour les administrés cela va générer une augmentation de la charge des impôts locaux puisque, au final, le rallongement de la durée des prêts va se traduire par un surcoût au niveau des intérêts.

5 - Endettement de la ville et de la CABM

A la fin de l’année 2011, la ville de Béziers est endettée pour un montant total de 120 millions d’euros environ. La Communauté d’Agglomération Béziers-Méditerranée a une dette de 50 millions d’euros. Un chiffre révélateur, c’est le ratio de l’encours de la dette sur la population (compte administratif 2010) : Ville, 1.611 euros/habitant ; CABM, 659 euros/hab. Soit au total, 2.270 euros/hab. Cela en fait une des villes de France de cette strate (75.000 hab.) les plus endettées. Alors qu’en 2009, au cours d’un Conseil Municipal, Raymond Couderc, Sénateur-Maire avec à sa droite, Elie Aboud, Député-1er Adjoint, a nié avoir contracté dans les années précédentes des prêts qui pouvaient s’avérer « toxiques ». Par la suite, j’ai démontré, documents à l’appui, qu’il avait emprunté en août et octobre 2007, soit un an avant les élections municipales, trois prêts dits « structurés » auprès de la Société Générale (15.000.000 €) et de la Banque Dexia (26.000.000 €). Il faut aussi savoir que Dexia a cédé ses prêts aux banques américaines de contrepartie que sont Goldman Sachs et Citibank  ! Il a donc été obligé de reconnaître le fait.

Depuis, il est obligé de respecter la transparence recommandée par la circulaire
ministérielle. Nous apprenons enfin par son rapport pour le débat d’orientation budgétaire de 2012 la situation exacte : la ville a contracté 37 millions d’euros de prêts toxiques soit 32 % de son endettement total. Ces prêts non renégociables à l’heure actuelle porteront leurs effets nocifs jusqu’en 2026. Par exemple, pour l’année 2011, le Maire de Béziers a demandé à la majorité de son Conseil Municipal d’approuver la mise en place d’une provision (supplément de remboursement des intérêts) d’un montant de 750.000 euros. Cette provision pourrait s’ajouter aux 4.300.000 euros annuels (année 2012) d’intérêts que produit la dette actuelle.

6 - Les répercussions sur la gestion - La banque Dexia

Cela nous ramène à la CABM, établissement public de coopération intercommunale créé en 2007. Cette communauté n’avait aucune dette mais depuis celle-ci est montée rapidement en puissance dans l’affaire de quatre ans, avec les transferts de compétences et de charges mais aussi avec des dépenses dispendieuses. Cela a obligé le Président de la CABM (qui n’est autre que le Maire de Béziers) et l’unanimité de ses membres de créer une fiscalité nouvelle (taxe additionnelle) pour faire face aux remboursements. Le montant
de la feuille d’impôt local pour les biterrois s’est envolé d’environ plus 11 % !

Pendant ce temps, le Maire de la ville augmentait une partie des impôts locaux par un subterfuge, la suppression de certains abattements à la base. Cette situation fiscale locale, vaut à Béziers de paraître dans le mensuel Capital de novembre 2011, dans la rubrique spécial impôts de « La fiscalité galopante des villes les plus dépensières » au 5ème rang des villes les plus imposées de France. En 2011, Raymond Couderc a récidivé, profitant du transfert
de la compétence de la filière du traitement des déchets à la CABM prévu pour le 1er janvier 2012, pour augmenter la Taxe d’Enlèvement des Ordures Ménagères de plus 37%. Voilà une des répercussions de la pression de la dette : transfert vers la pression fiscale, puisque entre temps l’Etat diminue les dotations qu’il fournit aux collectivités territoriales. J’ajoute un mot sur la situation de la banque Dexia qui a fourni le plus gros des prêts toxiques aux collectivités. Cette banque est bien la caricature des dégâts que peut entraîner la course vers toujours plus de rentabilité financière où toutes les méthodes sont bonnes. Toutes les turpitudes du capitalisme existent quand ils ont l’assurance que l’Etat et le contribuable seront toujours là pour éponger les dettes. Déjà en 2008, le groupe avait été sauvé in extremis par les gouvernements français, belge et luxembourgeois qui avaient mis 6,4 milliards d’euros sur la table. Cela n’a pas empêché, la même année, Didier Mariani, ex-directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, devenu entre temps PDG de Dexia, d’augmenter son salaire fixe de 30%, soit un total de 1 million d’euros auquel il faut ajouter 2,25 millions de bonus ! C’est la Caisse des Dépôts et Consignations qui a été sollicitée pour acheter des actions de Dexia à 9,90 euros, au bord de l’asphyxie et qui valent aujourd’hui moins d’un euro.

Maintenant, un nouvel établissement de crédit est créé pour chapeauter Dexia, Municipal Agency (Dexma), société de crédit foncier. L’Etat français, la Caisse des Dépôts et Consignations et Dexia Credit Local détiendront chacun 31,7% du capital et La Banque Postale le solde de 4,9%. On assiste bien à une nationalisation cachée des pertes qui fera payer une partie de la facture de ces dérives financières et des emprunts toxiques (environ 10 milliards d’euros) aux contribuables, aux collectivités territoriales (encore les contribuables) et aux personnels. L’addition est salée.

7 - Proposition de vœu au Conseil Municipal du 28 février 2012

A la demande du Collectif pour un audit citoyen de la dette publique, je propose de demander au Sénateur-Maire de Béziers, Président de la CABM, l’inscription à l’ordre du jour de la séance du Conseil Municipal du 28 février 2012 un vœu comportant les stipulations suivantes :

Le Conseil Municipal,

- Affirme publiquement que sa politique d’endettement est mise exclusivement au service de l’amélioration des conditions de vie de tous ses citoyens et rejette toute forme d’endettement à caractère spéculatif ;
– Décide de ne contracter que des prêts classiques à taux fixes ou à taux variables, avec des marges et des conditions de sortie correctes ;
– Demande solennellement aux autorités de l’Etat de mettre en demeure les banques de transformer les prêts « toxiques » en prêts classiques, sans surcoût, sans soulte, sans allongement de durée et sans clause léonine ou abusive, les banques devant supporter la totalité des surcoûts que leurs produits ont générés pour les emprunteurs ;
– Demande à l’Etat de mettre en place un véritable service public de financement des collectivités locales ;
– Adopte le label « Collectivité pour un audit citoyen » initié par le Collectif pour un audit citoyen de la dette publique, dont il approuve la démarche, pour lancer un vaste débat public sur la question.

Pour conclure, je ne peux m’empêcher de citer, à nouveau Karl Marx. En 1850, dans son livre « La lutte des classes » consacré à la révolution de 1848, il faisait une description de la France sous Louis-Philippe en 1847 qui à conduit à la révolution. Il écrivait : « Chaque nouvel emprunt fournissait à l’aristocratie une nouvelle occasion de rançonner l’Etat ». « L’endettement de l’Etat était, bien au contraire, d’un intérêt direct pour la fraction de la bourgeoisie qui gouvernait et légiférait au moyen des chambres. C’était précisément le déficit de l’Etat qui était l’objet de ses spéculations et le poste principal de son enrichissement ».

Je pense que cette réflexion est toujours d’actualité.

Aimé Couquet

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