Dépasser la démocratie bourgeoise (2/2)

, par  Gilles Questiaux , popularité : 2%

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- 6) Plonger dans l’inconnu pour trouver du nouveau

Je ne vais pas résoudre en quelques lignes de bonnes idées le problème central de toute Révolution depuis 1789 ou même depuis Spartacus, ni trouver une solution miracle pour faire une révolution sans tragédie, et je compte plutôt pour éviter les rechutes dans la pratique de l’extraordinaireté policière sur l’expérience intériorisée des révolutionnaires d’aujourd’hui, et même des derniers dirigeants socialistes de la planète. On ne va trouver un talisman sur papier pour se protéger du retour de sanglantes erreurs, mais l’histoire ne se répète pas et le pire n’est jamais sûr.

Mais si nous pouvions retrouver une certaine légèreté, ce ne serait pas si mal pour envisager l’avenir. Le problème des « valises de plomb » bien lourdes à porter du passé du mouvement communiste a été mal posé, en termes de morale universelle et abstraite, et encore plus mal résolu au PCF à l’occasion des congrès depuis celui de Martigues en l’an 2000. Les héritiers embarrassés et honteux de la tradition communiste de la IIIème internationale ont cherché à introduire dans les statuts du parti des « gardes-fous », avec pour effet de doter le PCF des statuts d’un parti impuissant. Ils ont cherché à éliminer de la théorie et du programme communiste tout ce qui présente un risque de dérive autoritaire (prise du pouvoir, rôle guide du parti, lutte de classe, nationalisations et réquisitions, dans la ligne de l’abandon dicté par le sommet de la dictature du prolétariat en 1976) sans penser, à supposer que cette démarche de repentance soit faite de bonne foi, que toute action politique réelle, qu’elle émane du prolétariat ou non, comporte justement ce risque. Et que lorsque l’on écrit dans un texte de congrès (en 2006) « nous ne voulons pas prendre le pouvoir », on passe ou bien pour naïf, ou bien pour pas très sincère, et même pour les deux à la fois ce qui est le comble.

Il ne faut pas prendre « les gens » (c’est ainsi que l’on désigne les prolétaires au PCF depuis au moins 30 ans) pour des imbéciles : tout le monde sait que si on s’est donné le pouvoir de faire, on s’est donné en même temps le pouvoir de mal faire. Ce choix du repentir et de la contrition est d’autant plus stupide que le public si tant est qu’il l’ait jamais demandé s’en moque maintenant complètement, 21 ans après la fin de l’URSS, et que même pour jouer correctement son rôle d’opposant tribunicien et récolter des suffrages, le PCF a besoin d’avoir un minimum de cette mauvaise réputation qui prouve aux prolétaires (environ 50% des français le sont) qu’il ne participe pas du consensus démocratique bourgeois qui se forme sur son dos. « Les gens » ne nous reprochent pas Katyn, mais d’avoir participé au gouvernement Jospin. Notre parti trop épris de respectabilité républicaine et humanitaire préfère laisser au FN le rôle de représenter le négatif. C’est pousser bien loin la haine de la dialectique. Et ce n’est pas bon pour la République non plus, si on accorde de l’importance à cette dame.

Bref il nous faut retrouver suffisamment d’innocence pour recommencer la révolution. La révolution n’est pas un diner de gala. On ne fait certes pas la révolution pour faire la guerre civile et étrangère, rationner les vivres, ouvrir des camps, recueillir des dénonciations, fusiller des ennemis politiques, y compris à l’intérieur de son propre parti, si on reprend le bilan horrifié des bien-pensants. Mais si on fait la révolution, on prend le risque d’avoir à faire tout ça, parce qu’il y a une chose qui est pire que toutes les horreurs attribuées à la Tchéka, et c’est la victoire de la contre révolution. Mussolini. Franco. Hitler. Pinochet. Bush. Parce que le critère de la vraie révolution, c’est en définitive la contre-révolution qui le décerne.

Une révolution qui ne se défend pas avec tous les moyens dont elle dispose n’est pas digne de ce nom, et répond du sang gaspillé des peuples et des espoirs brisés. Salvador Allende mérite le respect dû aux martyrs mais il n’est exemplaire que par ses erreurs. Il eut le courage de mourir mais pas celui de mener la révolution en passant sur le corps de l’oligarchie. Soyons clair : il aurait dû prendre l’initiative, au lieu de laisser venir le coup d’État. Il lui manquait sans doute une « Tcheka ». Ce n’est pas un honneur, mais une faute grave de se rendre désarmé sur le terrain de la confrontation et d’entrainer les camarades à une mort certaine.

Et l’alternative, c’est la domination éternelle du capitalisme, et à courte échéance la destruction de l’humanité par lui. Nous avons de la chance en ce moment, car pendant la phase ascendante du socialisme en URSS, l’alternative était le modèle hitlérien contre lequel l’Occident libéral n’a rien fait de sa propre initiative, quand il ne cédait pas à sa séduction.

Sans doute des gouvernements communistes ont gravement dévié, ont gravement déçu ; mais dans les cas les plus graves, là où le type de société s’éloigne le plus de l’idéal, au Cambodge ou en Corée, faut-il rappeler que ce sont précisément dans ces pays que la contre-révolution à atteint des sommets de violence inégalables ? A l’origine du drame coréen il y a l’annihilation de toutes les villes de ce pays par l’US Air Force, et au Cambodge, il y a la guerre secrète de la CIA, l’invasion de 1970, et un déluge de bombe à préparé le terrain à la dictature Khmer Rouge ; et après son renversement par l’armée communiste vietnamienne les survivants de ces mêmes Khmers Rouges ont été soutenus dans leur gauchisme halluciné et meurtrier par l’Occident, à bout de bras, pendant 12 ans. Le bilan de la dictature KR est sans doute aussi gonflé que celui du Goulag, d’un facteur 10. Mais n’aurait-elle tué « que » 170 000 personnes, la tragédie qu’elle a provoqué reste un avertissement, qui ne doit pas produire repentance misérable et inepte mais réflexion. Les KR étaient des communistes comme nous, qui nous touchent de près, que ça nous plaise ou non. Leurs dirigeants n’avaient pas été formés à Moscou ou Pékin, mais tout comme les situationnistes à Saint Germain des Prés après-guerre « où le négatif tenait sa cour ».

- 7) Comment sortir de l’impasse de la répression policière ?

Il va de soi que la critique du socialisme réel et de sa pratique politique ne peut aboutir si on part du point de vue que l’État de droit bourgeois qui règne actuellement est un idéal, et que l’on prend au sérieux les slogans roublards qui le définissent comme « le plus mauvais système à l’exclusion de tous les autres », comme la « société ouverte » (il est vrai assiégée d’ennemis, on se demande bien pourquoi). Tout au plus concèdera-t-on à la critique d’inspiration libérale que contrairement au capitalisme le socialisme réel a du mal à traiter le négatif sous ses formes variées. L’apparition des manifestations négatives, actives ou passives, ces dernières étant les moins réprimées et les plus dangereuses, suscitait immédiatement l’alerte dans les rangs des partis communistes au pouvoir, et la critique même la plus constructive encourait les soupçons de trahison.

En réalité le socialisme tel qu’ils l’avaient bâti ferait penser à une machine où l’on n’aurait pas prévu l’élimination des déchets de la combustion et de l’usure autrement que sous un mode policier. Une voiture sans pot d’échappement. Une ville, comme Naples, sans enlèvement des ordures.

N’importe quel négatif ne fait pas l’affaire pour dynamiser une formation sociale et l’orienter vers son dépassement révolutionnaire : L’église catholique polonaise et la petite propriété paysanne dans ce pays ne pouvaient pas jouer ce rôle. Quant aux médias privés, depuis toujours alignés sur la classe dominante, et qui sont en voie de perdre rapidement toute déontologie, leur évolution actuelle vers la plus plate servilité devant les puissances d’argent les disqualifie pour le rôle. Sans doute pourra-t-on dire le jour où une presse satirique prolétarienne plus mordante que le « Krokodil » soviétique taillera avec insolence le portrait des grands dirigeants du prolétariat, que le socialisme a triomphé. La satire par voie de presse est en quelque sorte l’indicateur du degré de liberté politique dans une société donnée, mais comme le montre immédiatement la lecture de cette presse, elle n’a pas créé cette liberté dont elle jouit, elle l’exploite comme un filon. La liberté de la presse s’use quand on fait semblant de s’en servir. La presse satirique n’a strictement aucun potentiel révolutionnaire (ni même libertaire). C’est un effet dérivé, voilà tout. Elle offre un exutoire au ressentiment. Elle est le signe de la bonne santé de l’ordre bourgeois. Et dans l’état actuel des choses, la satire politique se prête, comme le reste de l’expression médiatique, à la manipulation par les puissances d’argent, quand elle ne fait pas spontanément le « bruit médiatique » c’est-à-dire la publicité des politiciens qu’elle déchire avec ses ongles de papier.

Si le multipartisme électoral, la liberté de la presse, le droit d’association et de réunion n’ont pas été compatibles jusqu’à présent avec la volonté de lutter contre le capitalisme et l’impérialisme, c’est en général pour de bonnes raisons. Et il faut dépasser cette situation non en procédant à une sorte de dénégation dont la logique bancale est justiciable d’une psychanalyse freudienne (nous n’avons jamais rien eu à voir avec cette histoire, et d’ailleurs nous avons cessé de nous y référer !) mais en le sachant, en sachant que nos prédécesseurs dans cette voie que nous sommes loin d’égaler en audace et en détermination n’ont pas eu dans leur jeu la carte du « soft power ». Il est vrai que la nouvelle donne du XXème siècle aux peuples dans la Grande Guerre de 1914 1918, c’était plutôt du « plomb durci » pour tous, comme aujourd’hui encore à Gaza.

L’un des principaux visés par la critique des excès du socialisme réel, Staline, dans les Principes du léninisme (1924), justifiait la dictature en se basant sur le fait que les moyens d’influencer les masses, dont les médias, sont des propriétés des détenteurs des grands moyens de production qui exercent ainsi leur dictature de classe. Rien n’a changé à cela. C’est même pire encore aujourd’hui car le conformisme bourgeois et le mimétisme moutonnier des faiseurs d’opinion se sont grandement aggravés, et la presse indépendante est maintenant tellement noyée dans une masse d’information et d’image triviales ou insensées qu’elle n’a plus d’effet politique, elle n’a même plus l’influence indirecte que l’on obtient à travers les réactions indignées de ses adversaires.

A cette quasi dictature médiatique se rajoute la menace fasciste. La bourgeoisie aura toujours la ressource, comme Rosa Luxembourg l’avait prédit dès 1899 en pleine époque d’euphorie démocratique, de recourir à la dictature et à la répression directes en cas de péril. La vraie alternance dans le capitalisme n’est pas entre la gauche et la droite, mais entre fascisme et démocratie libérale. L’histoire du Chili est exemplaire à ce titre. Les partis du prolétariat peuvent participer, doivent participer aux élections mais ne peuvent pas et ne doivent pas les gagner, on y veille. C’est ça la règle du jeu de la démocratie bourgeoise. Cela que l’on peut nommer la loi d’Allende. La loi fondamentale de la démocratie de marché.

Jusqu’à présent. Toutefois, il existe aussi une tendance de la bourgeoisie de l’Union Européenne qui voudrait maintenant clore la partie. Elle vise à interdire carrément toute participation politique prolétarienne par la diabolisation légale du communisme et le détournement de la mémoire du XXème siècle. Elle tente d’influencer les programmes scolaires afin d’opérer une sidération politique des jeunes générations, par la théorie du « totalitarisme » et l’assimilation du communisme au fascisme par l’imposition d’une histoire officielle parfaitement falsifiée.

Pour en revenir à notre paradis, la liberté d’opinion dont nous jouissons, égale pour tous, à ce titre ressemble à la liberté de signer un contrat de travail, qui se signale par une égalité formelle de droits qui met en fait le salarié pieds et poing lié entre les mains de l’exploiteur. Ce sont des libertés imaginaires : j’ai en effet le droit d’exprimer des opinions à condition que ça ne serve à rien, dans un contexte tel que leur mise en pratique en soit impossible. Le « cause toujours » remplace « ferme ta gueule », sauf dans les moments de crise du capitalisme où ses défenseurs en reviennent aux méthodes éprouvée, jusques et y compris au génocide. Et la rançon de cette liberté sans contenu, c’est l’extrême médiocrité des créations culturelles dans notre société, ravalées à n’être plus que des critères de distinction sociale dépourvus de contenu.

Mais arrivé à ce point du raisonnement il va falloir faire bien attention car c’est ici que le mouvement révolutionnaire du XXème siècle s’est brisé sur un obstacle apparemment négligeable, causé par l’oubli de la dialectique chez ceux qui auraient dû être au contraire les premiers à savoir s’en servir : il a négligé que le faux est un moment du vrai, et rien n’est plus dangereux que de négliger l’importance réelle des illusions. Le marxiste le plus lucide à cet égard est Antonio Gramsci.

La suppression de droits formels sans contenus effectifs provoque une oppression bien réelle. Il en est de la liberté (factice) du petit bourgeois qui choisit sa panoplie existentielle dans l’hypermarché virtuel des idéologies et des "looks" esthétiques comme de l’insécurité physique (exagérée) ressentie par le prolétaire. Dans un cas comme dans l’autre on peut démontrer, y compris avec des chiffres, que non, tu n’es pas libre de tes choix et de tes désirs, conditionnés par la publicité et le marketing que tu es ! ou que non, tu n’es pas plus en danger de vol ou d’agression, et même plutôt moins, que ne l’était ton aïeul ! Ces raisonnements souvent teintés d’un certain mépris, comme si les savants qui les formulent étaient quant à eux parfaitement dépourvus d’illusions, ratent complètement leur objectif car il ne s’agit pas de la réalité objectivement révélée par les statistiques mais de la réalité vécue des affects et de dynamiques psychosociales d’autoréalisation. En effet, si on ne se sent pas libre, si on ne se sent pas en sécurité, et bien on ne l’est pas, et le ressentiment produit s’accumule comme une toxine mortelle dans le corps social s’il ne trouve pas d’expression légitime.

Ici on m’objectera sans doute que j’utilise (horreur ! malheur !) le concept nietzschéen de « ressentiment ». Mais Nietzsche comme penseur et comme destin individuel, témoin et même symptôme clinique des rêves de grandeur de la petite bourgeoisie montante n’a-t-il pas eu le génie de caractériser avant tous les autres la mentalité agressive et médiocre qui prévaut chez tous les sujets isolés les uns des autres de la « dictature démocratique » de la bourgeoisie ? Sans me rallier en rien à ses opinions antidémocratiques, je trouve qu’il offre une radiographie de la mentalité du « troupeau » post-fasciste que nous formons dans la démocratie de marché qui est précisément composé d’une foule d’individus aliénés à prétentions aristocratiques et tyrannisés par la loi de leur désir. Cette influence de valeurs réactionnaires et individualistes sur la société relayée par l’éducation secondaire et les intellectuels organiques de la bourgeoisie est très profonde. Il faudra longtemps avant que nous choisissions de nous rallier en pleine conscience à l’idée spinoziste et engelsienne de la liberté comme connaissance de la nécessité, et que nous cessions d’adhérer comme des moutons à l’idée de la liberté qui prévaut aujourd’hui, comme pulsion de consommation à assouvir sans délai, comme souveraineté du caprice, et névrose solitaire généralisée. Et ce seront ces humains avec leur aliénation caractéristique, leur individualisme de masse, nous autres en fait, qui feront la prochaine révolution. Il faudra compter aussi avec nos illusions individualistes, comme ont été ménagées parfois les illusions religieuses des masses.

La dictature n’est légitime qu’en face de la subversion active, la contre-révolution, et en observant attentivement le cours des révolutions on constate qu’elles prennent rarement l’initiative de la violence et de la rupture avec le droit et la morale élémentaire. Mais quel que soit l’incident à l’origine de l’état d’exception révolutionnaire, le droit et le pouvoir de s’organiser pour se défendre ne peut pas se muer en un mode de gestion à long terme.

Comment voudriez-vous gérer, c’est-à-dire contrôler efficacement et sans violentes embardées dans une dictature, où le responsable inspecté peut toujours en appeler au pouvoir discrétionnaire qui l’a mis en place ? La gestion suppose le contrôle indépendant (le contrôle qui se croit indépendant, ce qui est rigoureusement la même chose) et la sanction des responsables des erreurs, des fautes, des malversations, des dictateurs locaux ou globaux, bourgeois ou prolétaires qui doivent rendre des comptes.

Il faut donc prendre le temps de codifier le socialisme comme un système gérable, dans la longue durée, se donner la peine d’écrire ses lois et se doter d’une culture du respect de ces lois, pour cela renoncer à l’idée qu’il s’agit d’un système de transition à l’échelle d’un temps court et proposer un modèle de société avec des règles stables sur la longue durée. Noter que de nombreux efforts ont été faits dans ce sens (comme la constitution soviétique de 1936) mais sans succès. Les juristes du socialisme ont échoué sur la réalité de leur temps, à commencer par la Guerre et ses prodromes.

- 8) Quel usage politique du négatif ?

On peut excuser les défauts du socialisme par les turpitudes de ses adversaires, on pourrait prouver sans difficulté que la seule bonne chose à faire pendant 70 ans, pour un vrai démocrate, était de soutenir l’URSS sans conditions contre les menaces venues d’Allemagne puis des États-Unis (sauf dans le cas de la querelle avec la Chine), jusque last but not least, sa présence en Afghanistan. Mais ça ne sert plus à rien, c’est une sagesse bien tardive et bien inutile (je n’en ai pris conscience pour ma part de cette évidence qu’en assistant interloqué et scandalisé à l’assassinat de Ceausescu à la télévision, ce qui m’a réveillé à trente et un ans de mon sommeil de « démocrate » petit bourgeois et d’électeur communiste occasionnel). Cela dit, un réexamen point par point de l’état de la question historique et une mise en perspective de tous les crimes attribués au communisme serait un travail utile, de l’exécution de la famille impériale en 1918 à Tien an Men en 1989. Voyons cela brièvement.

Falsifications : la pseudo « famine politique » en Ukraine, en1932 et 1933 ; mensonges : les bilans de la répression stalinienne établis par Khrouchtchev, Medvedev, et Soljenitsyne ; délires : la définition du "Goulag" comme système esclavagiste ; affabulations, l’antisémitisme soviétique ; idiotie, la transformation du pacte de non agression de 1939 en alliance Hitler Staline ; hypocrisie, l"inexistence des complots et des oppositions internes …, et bien autre chose encore, le silence sur les opérations de déstabilisation occidentales, les calomnies sur la RDA, la Révolution Culturelle chinoise et sur Cuba, et la complaisance pour cette organisation criminelle, au sens donné à cette expression par le procès de Nuremberg, qu’est la CIA.

Mais c’est une chose plus difficile qu’il s’agit de faire aujourd’hui, il faut sortir de l’impasse de la dictature sans se priver d’emblée d’armes nécessaires pour combattre le capitalisme. Comprendre que la dictature n’est qu’un procédé temporaire, et se souvenir que pour les romains qui l’ont inventée, c’était une magistrature d’exception pourvue en cas de danger gave pour l’État dont l’efficacité réelle se borne peut-être à la période d’exercice prévue par leur loi : six mois.

Parce que c’est le traitement policier qui en définitive aboutit à cette incapacité à recycler le négatif qui ronge de l’intérieur le socialisme réellement existant. Il est vrai qu’on peut aussi considérer que l’action continue de l’impérialisme et de la contre-révolution, sous des formes diverses (y compris celles de la surenchère gauchiste) accélère certainement l’usure du pouvoir et de la structure sociale qui en est la cible. Mais l’hostilité de la société de classe mondiale est une donnée de la réalité objective qu’il s’agit de transformer, et non une excuse extérieure que l’on peut invoquer pour atténuer l’amertume de la défaite. D’autant plus que l’échec technique du socialisme n’est pas un fait avéré, d’autant plus qu’il a su triompher militairement, de Stalingrad au Viêt-Nam, sur le principal terrain d’affrontement que lui imposèrent ses adversaires successifs en créant de formidables armées populaires à partir de zéro, précisément parce que ces adversaires endossaient le rôle du négatif. Mais la gravité des défaites politiques qu’il a subi entre 1970 et 1995 environ ne fait pas de doute.

Peut-être le hasard, la malchance y ont-ils joué leur rôle : un ou deux grands États industriels, deux ou trois grands pays pauvres de plus, et le socialisme aurait gagné la partie, sans doute, ou au moins existerait-il toujours un vrai camp socialiste, avec ses contradictions. On peut rêver que si l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie, La Corée, l’Indonésie, l’Amérique Latine, l’Iran, etc. avaient construit le socialisme, les choses auraient été différentes. Mais cela ne s’est pas produit. Peut-être est-ce une bonne chose lorsqu’on pense que le socialisme avait à faire face à une démocratie libérale militarisée prête à faire Hiroshima après qu’il ait du combattre et vaincre dans la plus cruelle des guerres de l’histoire, la contre-révolution qui avait fait Auschwitz. Un ou deux États socialistes de plus auraient sans doute fait l’objet d’une guerre d’extermination nucléaire auprès de laquelle l’opération Barbarosa de la Wehrmacht contre l’URSS aurait paru une plaisanterie. Mais à supposer qu’un camp socialiste plus solide ait existé et subsisté, la dynamique interne, la lutte des classes interne aurait prévalu sur la dynamique externe, sur l’opposition aidée et manipulée de l’extérieur. La perestroïka n’aurait pas viré au sabordage. Le grand pays socialiste dont l’évolution a été la moins négative, la Chine, doit à sa masse la relative inefficacité des tentatives de déstabilisation des services occidentaux.

- 9) Opprimer sans tuer : douceur de la bourgeoisie

Mais de manière générale nous vivons depuis 1989 dans un « meilleur des mondes » (où Huxley s’avère avoir été un meilleur prophète qu’Orwell) où la douce gouvernance des experts et des humanistes diplômés en sciences politique exerce avec un certain doigté un pouvoir « soft », et fomente ces coups d’États à peu près non violents que sont les « révolutions colorées », ou encore le vote du traité de Lisbonne. Il ne sert à rien d’ironiser : en attendant qu’ils montrent à nouveau de quoi ils sont capables (comme entre 1914 et 1945) à la prochaine crise globale les pouvoirs en tant que tels font de moins en moins d’abus caractérisés, et tuent de moins en moins de gens, même dans la « périphérie » colonisée où Aimé Césaire faisait savoir qu’à l’époque d’Hitler, c’était le régime hitlérien pour tout le monde, même pour les sujet des démocraties. Mais aujourd’hui les États sont « doux », édulcorent leur langage, répudient le racisme, prônent l’égalité des genres, présentent leurs excuses et témoignent de leurs repentirs à tout bout de champ même quand on ne leur a rien demandé, développent les armes non létales et font la morale et fournissent l’aide psychologique à leur victimes.

Dans cette ambiance ouatée la protestation antisécuritaire des gauchistes de tous poils s’épuise dans son expression, car elle prouve en quelque sorte dans l’instant son inanité : si c’était vrai qu’une tyrannie orwellienne se mettait en place, et bien, il serait interdit de le dénoncer, et le moins qu’on puisse dire c’est que ceux qui critiquent le Léviathan n’ont pas l’air de souffrir beaucoup de leur protestation. Et lorsque cela se produit vraiment dans une lointaine contrée comme la Thaïlande, ça n’intéresse personne. Au char chinois qui est stoppé par un manifestant solitaire en 1989 répond l’image atroce et cynique de ce manifestant Thaï au crâne écrasé par une roue de camion, en juin 2010, dans le silence assourdissant de la sphère des défenseurs patentés des droits de l’homme.

Il est vrai qu’il faut protester contre les petits abus de l’État en pour éviter de plus grands contre lesquels il serait peut-être impossible de protester plus tard. Mais on dit ça depuis un demi-siècle durant lequel la puissance des États et leurs prérogatives n’ont pas cessé de s’amoindrir et en attendant le jour fatal de la tyrannie totalitaire et cybernétique qui n’arrive jamais, cette protestation nécessaire à l’hygiène du capitalisme renforce son spectacle démocratique en faisant croire en la bénignité de ce meilleur des mondes. Sans compter qu’elle alimente les théories du complot qui tendent à discréditer les contestataires radicaux de la démocratie de marché. C’est pour cela qu’on ne me verra pas militer, par exemple, ni contre la vidéo surveillance ni contre le vaccin de la grippe H1N1, et surtout pas pour « Reopen 911 » : je pense que les fascistes que les impérialistes ont couvé dans le monde musulman se sont tout simplement retournés contre eux. Ce genre d’accident sans importance à l’échelle historique se produit tout le temps !

La brutalité la plus crue et la violence de classe sont toujours là dans ce monde. Mais, sauf au Moyen Orient, et au voisinage des puits de pétrole, la violence n’est plus violence d’État, ou bien moins qu’avant, c’est maintenant un produit du chaos, de l’anomie, des mafias, de mercenaires et de paramilitaires, de criminels de droit commun, bref des suppôts de base et des enthousiastes du capitalisme comme système. La violence, monopole d’État, comme le reste, a été privatisée. Ainsi ce n’était plus nécessaire que se fussent des nervis organisés par le patronat et bénéficiant de l’appui de la police, comme les bandes fascistes de l’Italie des années 20, qui s’attaquassent aux jeunes manifestants français en 2005 et en 2006, ce n’étaient que des jeunes du lumpenprolétariat aveuglés par la consommation marchande et menés par des voyous, spontanément prêts à « bolosser » c’est-à-dire à lyncher, tout comme les fascistes de 1919, les « intellos » et les juifs, les filles et les homosexuels. Les provocations du pouvoir ont germé sur un terrain propice qu’il avait soigneusement travaillé. Mais c’est un fait : l’élection du regrettable avant-dernier président français, il faut en remercier les émeutiers de novembre 2005. Qu’on ne dise pas qu’il s’agissait d’une révolte sociale ! Ils savaient très bien ce qu’ils faisaient en brûlant des écoles ou des autobus avec leurs passagers, et les gauchistes qui tentent de les récupérer les croient plus bêtes qu’ils ne sont.

D’autres "démocraties" émergentes reposent sur un usage plus direct et plus grave de la violence, les démocraties mexicaines et colombiennes reposent sur des fosses communes où les victimes des escadrons de la mort des paramilitaires, des militaires et des trafiquants de drogue sont confondues.

Bref, la violence a été rejetée du politique et s’est logée dans le droit commun. Mais c’est une violence politique quand même. Le refoulement de la violence de l’espace public au domaine du vécu privé est un fait : et la dictature de la bourgeoisie américaine se lit dans les chiffres affolants d’incarcération. Il n’empêche, sauf exception, comme celle des Black Panthers qui sont encore en prison des dizaines d’années après leur condamnation, les enfermés prolétaires américains ont réellement été condamnés pour des délits réels, non politiques, commis dans l’immense majorité des cas au détriment d’autres prolétaires.

Il faut que ce cercle infernal soit rompu, et je ne parierais pas que cela se fera sans violence. Fidel et le Che ont su mettre fin à la tyrannie du président-gangster Batista. Deux ou trois milliards de prolétaires dans le monde attendent toujours que des communistes déterminés apparaissent à nouveau et viennent faire le ménage, comme aux portes du paradis de la démocratie libérale à Juarez et à Tijuana.

- 10) La dissidence en Chine et à Cuba et ses buts

Voyons maintenant le cas des opposants soutenus par l’Occident, les dissidents cubains et chinois : ils revendiquent le droit de dire ce qu’ils veulent sans conditions, ce qui semble inattaquable mais tout en proposant immédiatement après un agenda bien plus précis en petits caractère de contrat d’assurance, à l’intention de leurs protecteurs internationaux : retour accéléré au capitalisme. Tous comme les dissidents de l’Est européens qui n’ont jamais annoncé franchement le type de société qu’ils voulaient importer, et dont les peuples s’ils l’avaient su n’auraient jamais voulu, à l’instar des métallos des chantiers navals de Gdansk, manipulés par Walesa, et dont le nouveau régime bien ingrat mais bien avisé supprima l’entreprise.

Bref ces candidats à la reformation de la bourgeoisie proposent à leurs peuples, sans leur dire franchement, les bidonvilles, le crime, la prostitution, le fanatisme religieux, le racisme, le crétinisme culturel, le hooliganisme, le chômage, la mendicité et la disparition de la couverture sociale, entre autres bienfaits du capitalisme. Ils ne représentent donc pas le négatif endogène de leur société, mais la tendance annexionniste du capitalisme globalisé. Ils ne sont pas illégitimes parce qu’ils sont une opposition, mais en tant qu’ils usurpent avec l’appui matériel de l’impérialisme la place de toute opposition. Il faut noter, avec le philosophe marxiste slovène Zizek, ancien dissident, que dès la première alternance, les citoyens de ces pays ont voulu le retour au socialisme, et qu’ils ont été trahi par le personnel dirigeant des partis postcommunistes, empressés de prendre part au pillage général des privatisations.

Mais le retour au capitalisme a été avancé et obtenu dans l’Est européen sous couverture de la revendication de la liberté individuelle et de la démocratie multipartite, et il faudra rendre à l’avenir ce genre d’escroquerie impossible. Ce n’est pas sans difficulté, malgré le signe positif qu’est la force électorale du chavisme. A l’expérience, on voit maintenant que si ces élections avaient lieu dans les derniers pays socialistes dans les conditions imposées par l’impérialisme au niveau global, il y a un risque de sortie irréversible du socialisme, et que la partie ne soit pas égale entre les forces extérieures financées à volonté par les services secrets occidentaux et les firmes transnationales et leurs ONG, et celles défendant la société socialiste, et que dès la deuxième élection la possibilité du retour à la situation antérieure soit aboli. Le rouleau compresseur du « village global » s’abattrait sur ces pays et exercerait sa force de normalisation et de destruction, comme il a fait en Union Soviétique ou en RDA, en commençant par le contrôle financier des médias, puis la subvention massive des partis favorables à la transition réactionnaire, et par l’usage massif de moyens de corruption qui peuvent aller, dans le cas d’un petit pays, jusqu’à l’achat du résultat électoral et la mise en place de politiciens formés en Occident qui sont autant de proconsuls. Exiger de ces pays dans ces conditions l’instauration du pluralisme politique est pure hypocrisie.

Dans le cas d’un grand pays, un tel procédé ne fonctionnerait pas, mais cette forme factice de pluralisme deviendrait un moyen facile de l’affaiblir, et le cheval de Troie des troubles intérieurs. Car si le gouvernement des États-Unis veut absorber Cuba pour rendre ses richesses à ceux qu’il considère comme ses légitimes propriétaires, la mafia dépossédée en 1959, (comme le Salvador, sauvé du FLNM en 1992 a été livré aux escadrons de la mort et au capitalisme à visage humain des gangs « mara ») et pour faire cesser le défi qu’il représente dans l’arrière cours de son Empire, pour la Chine il s’agit plutôt de la faire revenir à la faiblesse où elle se trouvait devant les empiètements occidentaux depuis le début des guerres de l’opium en 1840.

Sauf à considérer que leur tâche se complique maintenant du fait que les peuples du socialisme réel ont de quoi méditer sur le sort des Russes ou des Polonais, en matière de transition au capitalisme. Et ce n’est pas un jeu. Chilien, Argentins, Indonésiens, et bien d’autres s’en souviennent encore. Il n’y a pas de raison d’être « fair play » avec les forces de la restauration du capitalisme car ce sont les forces du terrorisme, direct ou manipulé. Ce sont elles qui ont rempli la fosse de la Macarena. Les dissidents cubains ont bien de la chance de ne pas être dissidents en Colombie.

- 11) De la dictature à l’hégémonie

Il reste que la dynamique du socialisme doit maintenant dépasser ces systèmes où la répression des contre-révolutionnaires potentiels joue un rôle crucial et entrer dans le domaine de la stabilité dialectique : il faut que le socialisme se mette à l’école de ses ennemis, et qu’il mette en scène à son tour son hégémonie, qui implique l’apparition de l’adversaire sur un terrain faible, où il est d’avance battu. Pas tout à fait d’avance, sinon le négatif ne joue pas son rôle. Il faut que l’opposition bourgeoise croie à sa chance, même quand elle n’en a que peu, comme au Venezuela !

Chavez fut grand pour cela : un des premiers dirigeants révolutionnaires sachant utiliser la force de l’adversaire et le réduire à pleurnicher sur la déloyauté du mode de scrutin. Pour y parvenir partout, il faudra que le prolétariat à travers les partis et les hommes politiques qui le représentent se saisissent des moyens de façonner l’opinion publique que sont les grands médias et les confie à des commissions associant les travailleurs et usagers, comme au Portugal en 1974.

La défense "pro domo" des droits de la presse par la presse est devenue maintenant la défense des droits des propriétaires de médias et des intérêts corporatistes des journalistes de la jet-set. La presse est un moyen de production et une arme dans la bataille idéologique, en quoi peut-elle s’arroger un statut dérogatoire ? Des médias pour qui la guerre en Colombie se résume aux lamentations sur le sort d’Ingrid Bettancourt ont tellement démérité par rapport aux critères d’une information honnête qu’il vaut mieux quoi qu’on en dise les exproprier et en confier la responsabilité aux travailleurs. Il faut que le prolétariat ni plus ni moins que la bourgeoisie et les institutions financières actuelles contrôle à son tour la communication, sans proscrire l’expression du négatif, mais en triant pour séparer le faux négatif annexionniste du vrai qui reflète les contradictions internes de la société socialiste en construction. Dans un conflit emblématique des années 1970, la révolution portugaise s’est jouée et perdue dans le contrôle autogestionnaire de la presse. Les révolutions berlinoise de 1919 et madrilène de 1936 se sont emparées d’abord des journaux. Et les soixante-huitards français les plus sincères et les plus naïfs ont été mis au pas par la confiscation de leur presse, « Libération », par July et sa direction de repentis du maoïsme.

Il n’est pas toujours facile de distinguer à l’origine la nature du négatif à l’œuvre dans une situation donnée. Certains dissidents soviétiques avaient plus ou moins consciemment des intentions progressistes, ils ne voulaient pas le retour en arrière mais le dépassement des contradictions du socialisme (comme Alexandre Zinoviev, qui avec le recul tout en méprisant toujours autant la société brejnévienne qu’il avait fustigée dans ses romans, regrettait les résultats de son activité, après la transition qui avait ruiné son pays).

Gramsci avait théorisé cette dictature douce dans le concept d’hégémonie. Une lecture droitière du dirigeant communiste italien emprisonné par Mussolini a pu faire croire qu’il s’agissait d’un euphémisme pour prôner le ralliement à la démocratie libérale à la manière du parcours du PCI vers le reniement, de 1960 à 1990. En réalité il s’agit d’une précieuse réflexion sur la nature de la domination de classe, sur le rôle des intellectuels dans la consolidation et le maintien de cette domination, et des moyens à employer pour le prolétariat pour conserver le pouvoir, sachant que les anciennes classes dirigeantes ne disparaissent pas du jour au lendemain. Loin d’aménager une misérable alternance avec les forces politiques stipendiées par le capital, il voyait le parti communiste comme équivalent moderne du mythique « Prince » de Machiavel.

On a pu imaginer que les syndicats auraient pu devenir en URSS une sorte de contre-pouvoir socialiste. Certainement auraient-ils dû mieux représenter leurs mandants. Mais le syndicat s’il est une garantie contre la sclérose bureaucratique (à condition qu’il n’en soit pas affecté lui-même) au niveau de l’entreprise, dans le socialisme se voit attribuer un rôle de contributeur positif à la planification, et non de force dialectique d’opposition. Ce n’est donc pas là qu’on va loger le négatif. On peut aussi noter que la notion de « contrepouvoir » est bourgeoise, elle masque le fait que ces contre-pouvoirs sont basés sur la complicité implicite des classes dirigeantes qui en fournissent le personnel. Lénine qui voyait loin avait tenté de mettre sur pied un contre-pouvoir prolétarien en créant un service d’inspection prolétarienne aux tâches contradictoires : elle devait stimuler l’efficacité technique de la bureaucratie, mais aussi lutter contre ses abus politiques. Il semble qu’elle échoua et ne fit en définitive que qu’aggraver les choses. Il n’y a pas en définitive d’autre contre-pouvoir au sens institutionnel, dans tous les régimes, que le choc des ambitions dans la lutte pour le pouvoir.

Et le socialisme doit inventer des formes de renouvellement des équipes dirigeantes où les rivalités pour le leadership peuvent se déclarer. La cooptation collégiale qui reproduit l’appareil des partis institutionnalisés empêche la manifestation du négatif. Là où le négatif se manifeste le mieux, chacun le voit, c’est dans le jeu effréné des ambitions pour le pouvoir, et c’est là qu’il mobilise les passions. Il faut renforcer la culture socialiste du débat politique, et même de l’affrontement. Pas d’angélisme ! L’objet du jeu politique qui suscite la passion se résume à ceci : qui aura le pouvoir, et pour faire quoi ? Lorsqu’on entend dans le parti des phrases du genre « le candidat n’a pas d’importance, c’est le contenu qui compte », où leurs auteurs se croient parvenus au summum de la démocratie, on est précisément dans l’opposé : le plus beau programme n’est que mensonge et poussière de signes morts sans indication de ceux qui vont l’appliquer.

C’est ce jeu-là qui doit se jouer en public, au risque du public, au risque de la manipulation hostile. Il fait partie de la réalité effective de la pratique de tous les pouvoirs depuis l’aube des temps historiques. Régler le jeu des ambitions personnelles et le faire servir au bien commun est l’affaire de la technique politique, et c’est ça que le socialisme réel n’a pas su faire, sauf peut-être dans ce surprenant pays, le Népal, où les luttes de lignes à la direction du parti se déploient en public, et qui nous fera notre conclusion provisoire. Mais quand le doigt montre la révolution dans l’Himalaya, l’idiot regarde le Dalaï Lama.

Il y a une "droite" et une "gauche" réelles dans le socialisme réel. La droite des experts économiques et qui représente l’intelligentsia-bureaucratie planificatrice, et la gauche des prolétaires autogestionnaires, qui allège la charge du travail. Ce sont elles qui doivent jouer le jeu politique. Leur contradiction n’est pas antagonique, sauf lorsque l’ennemi extérieur s’en mêle.

Le monde a beaucoup changé depuis l’époque où des dictatures bourgeoises (les fascismes) et la dictature prolétarienne se sont affrontées, avec un projet radicalement opposé, dans la première moitié du XXème siècle. D’une certaine manière la mise au pas autoritaire de peuples entiers par des moyens policiers a cessé d’être une option crédible, malgré le perfectionnement des moyens techniques de contrôle. La dictature sans limite s’épuise elle-même, s‘étouffe dans ses contradictions, en dehors du réel, tandis que le consentement des masses est obtenu bien plus aisément par les médias démocratiques dont la puissance est infiniment plus grande que toutes les polices. Ni les prolétaires ni les bourgeois, qui continuent à s’affronter dans un combat confus mais sans merci ne peuvent songer à s’imposer définitivement par la force. Ce n’est pas par humanité que le capitalisme s’est converti, mais par la conscience de la faiblesse politique de la dictature violente comme système durable. Il lui faut simplement faire croire que la violence est du côté de son ennemi qu’il combat avec la fermeté et la modération nécessaire. Les vrais ou faux terroristes qu’il suscite servent à corroborer ce discours de preuves apparentes.

Contre lui et ses suppôts il nous faudra rappeler que dans cette période maintenant close le recours à la violence pour défendre la révolution était justifié en dernière analyse, même si tous les actes qui ont été accompli au nom de cette cause ne le furent pas. L’histoire du mouvement communiste de la IIIème Internationale et de toutes ses ramifications doit se juger à l’échelle des changements de civilisation, à l’échelle millénaire, et avec la conscience des changements majeurs qui s’annoncent au XXIème siècle, où il va falloir s’atteler à la tâche effective de rendre à 8 ou 9 milliards d’humains la pleine jouissance de leurs droits réels, prévus dans une Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 promulguée, et ce n’est pas un hasard mais l’indication d’un rapport de force, quand Staline gouvernait encore l’URSS, cinq ans après Stalingrad. L’histoire du mouvement communiste issu de la IIIème internationale est l’histoire de la Révolution prolétarienne : rien ne pourra la rendre mauvaise !

La seule faute majeure des communistes et des gouvernements qu’ils ont dirigé fut d’échouer, de peu, à sortir l’humanité de sa préhistoire. Tout le reste ne sont que les jugements provisoires des vainqueurs provisoires, de moins en moins sûr d’eux d’ailleurs.

Conclusion :

Le bilan du socialisme réel doit être défendu et les critiques de la bourgeoisie doivent être réfutées. La critique du socialisme ne doit pas se faire en endossant les discours de l’adversaire.

Le mouvement communiste doit pratiquer la dialectique, qui n’est pas un discours métaphysique sur la nature, mais une logique, la logique de la vie où l’erreur produit la vérité.

La dictature du prolétariat doit être reformulée à la lecture de Gramsci, à la lumière de la notion d’hégémonie, et du parti communiste définit comme « Prince » moderne collectif. Le but politique du parti au prolétariat est de se hisser au pouvoir et d’y rester, et il l’assume.

Les prolétaires doivent contrôler leur organisation, enjeu de prime importance car son pouvoir est virtuellement illimité, et pour cela les congrès réguliers (ni trop rapprochés ni trop éloignés) doivent consister pour moitié dans l’évaluation de la ligne en cours, de son adéquation, de ses résultats, et dans celle des dirigeants. Les statuts doivent être très simples, connus par tous, et appliqués par tous. Les dirigeants doivent redouter de les enfreindre. Toutes les exceptions doivent être prévues. Les instances dirigeantes, s’il y a plusieurs lignes non conciliables, doivent être pourvues à la proportionnelle.

Observations sur les sources : ceux qui auront reconnu en plus de l’inspiration de Gramsci, celles de Domenico Losurdo, de Michel Clouscard, et d’Henri Lefèvre (via Guy Debord) auront bien raison.

Gilles Questiaux, 7 novembre 2010, au 93ème anniversaire de la Révolution d’Octobre

Post-scriptum :

Revenons en passant à ce qui nous concerne directement au PCF, où face au jeu des ambitions occultes nous sommes si facilement désarmés. C’est important d’en prendre conscience car les partis communistes d’opposition actifs des démocraties libérales sont les embryons des structures politiques qui doivent diriger la société socialiste après expropriation des structures de pouvoir de la bourgeoisie.

Depuis la mutation, la tendance postcommuniste gouverne le parti avec sectarisme et interdit l’expression des courants marxistes dans l’Humanité.

Il est anormal que les communistes français qui réclament depuis longtemps (50 ans !) la proportionnelle pour l’assemblée nationale se la refusent à eux-mêmes. Trop souvent ils acceptent des débats verrouillés, et même de voter sur des textes qui n’ont pas été discutés ! Ni présentés et débattus dans le journal du parti ! Depuis la mutation de Martigues (2000) loin de se démocratiser, la discussion s’est figée, la représentativité sociologique du parti s’est réduite, et la fonction critique des cellules où tous les militants pouvaient s’exprimer a quasiment disparu. En supprimant le centralisme démocratique, la mutation n’a certes pas supprimé le centralisme !

On dirait que les militants de notre parti, toutes « sensibilités » confondues d’ailleurs, cherchent le plus souvent à se débarrasser au plus vite de leur encombrante souveraineté politique, et ne peuvent se donner un dirigeant sans entrer aussitôt dans un rapport masochiste et puéril de déférence et d’affection. Comment concevoir qu’ils rechignent à ce point à remplacer les cadres incompétents, est-ce un traumatisme postcommuniste qui conduit à vivre toute remise en cause comme une purge tyrannique ?

La démocratie interne dans un parti communiste ne doit pas dégénérer en divisions et lutte de tendances, mais les différences de lignes existent et doivent pouvoir se dire clairement. Sinon, on va à la fois la paralysie et la désunion.

Gilles Questiaux, PCF XXème Paris, membre du CE, 2 décembre 2010, revu en mars 2013

Tiré de Réveil communiste

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