Depardieu : hélas pour moi

, par  Danielle Bleitrach , popularité : 1%

Sur le fond de « l’affaire Depardieu », il y a effectivement quelque chose d’intolérable dans ce qui est devenu le privilège des riches à ne pas avoir le même traitement que les autres, confondre le talent avec la boulimie… et peut-être ce qui m’a le plus choqué est cette simple phrase : « je fais travailler 80 personnes » ; jadis on aurait parlé peut-être d’exploitation, mais désormais, pouvoir licencier un nombre X d’individus est devenue la valeur suprême, celle qui justifie le droit de s’abstraire de tout effort collectif en matière de santé, d’éducation, et même d’aide à la création… Le chantage à l’emploi du capitalisme… C’est la logique de Mittal…

La mesure de l’art, de la création, du talent n’est plus alors que la capacité de gain. Le lien de cet être à l’avoir, puis au paraître, devient le spectaculaire, les blockbusters, l’équipe de France de foot où des débiles gagnent tous les mois au loto, la vedette de cinéma et de télévision exige le prix du tour de taille d’Obelix… cruauté infantile, caprice permanent, la relation entre le travail et le gain a disparu dans un gouffre narcissique…

Le capital, l’impérialisme, c’est encore autre chose, mais ces « minables » sont sa vitrine, ses jeux du cirque.

Sur le fond, les bouffons parodient l’outre Achménide dont parlait Lénine à propos de l’impérialisme, stade suprême du capitalisme. Il décrivait ainsi le supplice qu’infligeait Darius : on bâtissait autour du condamné une outre de peau et d’argile, seuls les membres et la tête sortaient, on le nourrissait des plats les plus exquis et il nageait dans ses déjections jusqu’à en pourrir. Lénine disait que le capitalisme ressemblait à cela.

Ses bouffons aussi… Mais cela dénoncé, il faut considérer qu’il n’y a pas que Depardieu pour s’expatrier. La famille « Auchan » (les insupportables supermarchés et zones d’abrutissement consumériste dont ils sont les vampires ont-ils perdu un seul client ?) a fait le même choix, Christian Clavier qui lui, après avoir passé des lingots d’or en Suisse en mai 68, se passe lui-même devenu sa propre caricature. Pourquoi Depardieu seul est-il devenu ce scandale ? Pourquoi s’est-il offert christique à la meute ?

Godard quand il a fait tourner Depardieu sur les bords de Léman, l’a confronté à lui-même, et le film avait un titre qui disait tout : « Hélas pour moi ! ». « Où commence l’amour ? Comment naît la création ? Comment l’amour envahit-il vos doigts, votre poitrine, monte au front et dans les yeux, quel est ce charme éternel et puissant qui s’achève presque immanquablement par des querelles, des pleurs, du sang et des guerres ? » Godard. Depardieu ne créera rien. Il y a eu de la haine entre eux, et Depardieu le poursuit encore récemment au Canada en 2010 : « Je ne sais pas si Godard est un metteur en scène ou un professeur. Il théorise tellement, le bus a roulé sur ses couilles. Ça ne me gêne pas de le dire parce que je le lui ai déjà dit ». Tout est là, (De par)dieu : Hélas pour moi !

Il y a de l’enfantillage dans toutes ses sorties, celle de l’enfant qui fait un caprice dans l’avion, pisse, rote et pète quand cela lui convient, celle de cet homme blessé parce qu’on n’a pas élu celui qu’il avait désigné comme son ami dans un brouillard éthylique… C’est le même qui s’offre aux coups de tous par une lettre insensée, déchiré par un mot « minable » qui le ramène à la condition paternelle…

L’outre achménide gorgé de publicité, de notoriété mais qui se voit refuser le génie, l’amour et qui ne sait pas le donner, perd, enfants, amis, compagne et renonce à la patrie, alors il se replie comme un foetus sur l’enfance pauvre. L’obésité est souvent une terrible protection et sa lettre au gouvernement me rend triste pour lui, elle est si douloureusement puérile. Cette plainte de l’avare qui a mal digéré son parcours du jeune loubard appartenant à un monde ouvrier, jusqu’à l’enrichissement sans limite, m’émeut. L’enfant mort comme une transmission impossible entre deux mondes entre lesquels il demeure écartelé. Un jour Depardieu a dit : « Pour être communiste, il faut être aussi con et illettré que mon père ». De quelque côté que l’on prenne cette phrase elle est atroce. Relisez pourtant dans sa lettre au gouvernement la plainte douloureuse de l’adulte qui perd la tête et qui affirme qu’il est européen, internationaliste comme le lui a appris son père. Peut-être sommes-nous tous comme lui les enfants dévoyés d’une France communiste ?

Alors je ne peux m’empêcher de penser à son immense solitude… Il va fuir jusqu’où… Je me sens tout à coup si proche de lui. Hélas pour nous…

Danielle Bleitrach

Lu sur son blog

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