A propos de la défaite du socialisme soviétique et de son analyse par des communistes chinois

, par  Jean-Claude Delaunay , popularité : 1%

Réaction très argumentée de Jean-Claude Delaunay aux commentaires faits par le camarade Gilles Mercier sous l’article relatif à la défaite de l’URSS analysée par des communistes chinois (publication du 31 décembre 2022 sur le site Lepcf.fr).


Je connais Gilles Mercier depuis un certain temps déjà. J’ai toujours apprécié ses analyses et même s’il me semble qu’il y a, chez lui, une certaine tendance à céder à la polémique de manière un peu débridée tout en déroulant son argumentation en des termes non nécessairement modestes, je crois qu’il faut, avec lui, passer outre à ces défauts, car il est trop âgé maintenant pour les corriger. Et puis les comportements sont différents selon que l’on parle à une personne, ou à des personnes, en face de soi ou que l’on écrit un texte. Cela dit, c’est un scientifique, et en plus c’est un scientifique honnête. Enfin c’est un communiste. Nous avons là tous les ingrédients pour avancer.

Je dois quand même faire deux remarques préalables à ce que je vais développer. Dans toute discussion, dans tout message, il risque d’y avoir des "bruits", des interférences, qui gênent la communication. Essayons de les éliminer ici. J’espère que je vais être convaincant, car rien n’est plus stupide que de débattre sur "les bruits" qui accompagnent un sujet, au lieu de discuter sur le sujet lui-même.

Filtrer "les bruits"

Le premier de ces bruits est celui selon lequel « Jean-Claude Delaunay sous-entend(rait) une parenté entre le socialisme de la Chine de Xi et celui de l’URSS de Gorbatchev ». Je crois qu’il suffit de relire mon texte pour comprendre que je n’ai rien écrit de tel et que j’ai simplement écrit les deux choses suivantes :
1) Le texte proposé à la connaissance des lecteurs du site Histoire et Société (aujourd’hui du site Faire Vivre le PCF) est une contribution à l’analyse de la faillite de l’URSS. Ce que je prétends, en effet, est que nous ne perdons pas notre temps, nous communistes français, en cherchant à clarifier nos idées sur les causes de l’effondrement du socialisme de type soviétique. Je salue au passage le travail effectué par Michel Aymerich pour améliorer la forme de ce texte, qui n’était pas au mieux dans sa première édition. Le texte de Cheng Enfu et Liu Zixu (qui, revu par M.A. a été repris dans l’une des revues électroniques du PRCF) est une contribution. Il y en a d’autres.
2) Cette contribution de Cheng Enfu et LiuZixu n’est toutefois pas n’importe laquelle. C’est la contribution de marxistes chinois occupant un rang certain dans la société chinoise. Compte tenu de ma compréhension de la façon dont fonctionne le marxisme en Chine, je me suis dit que ce texte, bien que signé par des individus, dont l’un fut académicien, avait toutes les chances de réfléter une opinion plus large, et que cela valait d’autant plus la peine de le lire. Bref, à mon avis, c’est un texte ayant valeur de document dans un pays socialiste dont les gouvernants réfléchissent précisément à ce qu’est et à ce que doit être un parti communiste. Je ne choisis pas les documents que je crois devoir lire pour m’informer. De certains, je pense qu’ils sont "bons", et pour d’autres, je pense qu’ils le sont "moins". Mais ce qui compte est à la fois leur contenu et leur valeur documentaire.

A mon avis, on peut très bien juger qu’un texte est insuffisant, voire très insuffisant. Cela ne me fait pas problème. Je pense, en revanche, que les commentaires polémiques accompagnant un tel jugement sont superflus, surtout quand il s’agit de textes d’auteurs étrangers auxquels nous accordons l’hospitalité de notre discussion. Cela n’ajoute rien, et, lorsque les auteurs en question sont des marxistes et des communistes, cela révèle surtout que nous manquons de courtoisie à leur égard. Cela révèle également que nous manquons de lucidité sur nous-même. Si nous nous comportons de cette manière, cela signifie que nous sommes très certains de détenir la vérité. Je pense que, dans une discussion scientifique, il faut être plus modeste et prudent.

Le deuxième bruit qu’il convient à mon avis de neutraliser avant même de commencer la discussion, a trait, précisément, à la façon que Mercier a de juger Cheng Enfu et Liu Zixu. Un certain nombre de marxistes français, que je ne citerai pas ici, pensent que Cheng Enfu est un bureaucrate doublé d’un imbécile. Il se trouve que je le connais, que j’ai discuté avec lui et j’affirme, on me croira ou on ne me croira pas, peu importe, que ce n’est ni un bureaucrate ni un imbécile. Il est d’un niveau supérieur à celui d’autres marxistes chinois, travaillant par exemple dans ce qui fut le Bureau des Traductions et Compilations auprès du Comité Central. Il a fait connaître à la direction du PCC, et donc à son Secrétaire, que selon lui, le nombre des entreprises privées commençait à être excessif en Chine. Il est intervenu personnellement pour faire savoir que, selon lui, les inégalités de revenus devenaient trop fortes en Chine et qu’il fallait corriger. Ces deux interventions témoignent de sa part d’un certain courage politique. Je ne suis pas en adoration devant ses travaux, pas plus que je ne suis en adoration devant n’importe quel texte, sauf peut-être les oeuvres de Stendhal, de Proust et de Victor Hugo, mais je les lis. Je cherche à en comprendre les thèses principales et ce faisant, je cherche à comprendre comment fonctionne la Chine et le marxisme en Chine. Bref, je m’abstiens de ces plaisanteries plutôt vieillottes sur le marxisme façon Groucho, ou sur « et voilà pourquoi votre fille est muette », qui m’ont fait rire une fois mais pas deux. Je dois ajouter que je ne tire aucun bénéfice de ma connaissance de Cheng Enfu. Je vis bien tranquillement dans mon coin à Nanning et personne ne vient me solliciter de manière intempestive. Je dirai également que l’un des mérites de Cheng Enfu est d’avoir contribué à maintenir le lien avec les "marxistes occidentaux", d’où ses relations avec les marxistes japonais, américains, européens, russes, africains, indiens actuellement. On peut considérer que tout ça, « c’est de la merde ». Moi, je pense qu’une telle opinion est bien légère, et qu’elle est fort éloignée des exigences de Gilles Mercier qui sont, me semble-t-il, d’être un scientifique.

Enfin, pour en terminer vraiment sur ce dernier point, je tends de plus en plus, au fur et à mesure que je vieillis, à éviter les jugements péremptoires. Je confesse que j’ai de la peine à agir ainsi, car il est beaucoup plus facile de dire que tel ou tel est « un pauvre con », voire même « un sale con », plutôt que de comprendre ce qu’il, ou elle, raconte. Cela prend moins de temps et demande moins d’effort. Et puis, c’est vrai, il y a des fois où on ne peut faire autrement que de « rentrer dans le lard » de son interlocuteur. Je suis un communiste et je suis donc un homme de combat. Mais quand même, en moyenne, je m’efforce de me calmer. J’essaie de ne pas confondre les genres et d’être modéré et modeste avec des personnes qui partagent le même idéal que le mien, mais qui ne pensent pas comme moi.

Le débat, essai de clarification et ce que je vais faire

J’en viens maintenant au fond du débat : l’effondrement de l’URSS et plus généralement du socialisme de type soviétique. Je vais présenter mes convictions plus que développer une argumentation fondée sur de la documentation, des références, des livres, des articles. Mon raisonnement prend place à l’intérieur de deux distinctions et sur leur articulation. Je vais donc d’abord en faire état.

La première distinction est de nature chronologique. Elle conduit à repérer deux périodes dans l’histoire de l’URSS.

La première est celle de la mise en place et de la défense de la révolution dans ce pays sous-développé qu’était la Russie dess années 1920. Cette période s’identifie à Staline. Elle prend fin en 1953.

La deuxième est celle qui va de 1953 à 1991. C’est la période de la recherche d’un fonctionnement régulier pour une révolution consolidée. Cette période s’est terminée par un échec. Pourquoi ?

La deuxième distinction est de nature explicative. Quels sont les facteurs permettant de comprendre cet échec ? Il en existe au moins deux.

Le premier est d’essence politique. Il fait reposer sur le Parti communiste et ses dirigeants la responsabilité de l’échec du socialisme. C’est l’explication que reprennent et valorisent Cheng Enfu et Liu Zixu, et c’est, je crois, l’explication qui prévaut chez les dirigeants chinois : si le socialisme soviétique a fait faillite, c’est parce que les dirigeants de l’URSS n’ont pas été à la hauteur et, même, pour certains, ont trahi la révolution.

Le deuxième facteur explicatif est d’essence économique. Il consiste à dire : si le socialisme a échoué en URSS, c’est parce que les dirigeants de ce pays n’ont pas su résoudre les problèmes économiques qu’ils rencontraient. Je pense que Gilles Mercier se rattache à cette branche explicative : « Les révolutions et contre-révolutions, écrit-il, ont toujours le même combustible : une crise économique ». C’est la capacité d’une société socialiste à satisfaire les besoins de sa population mieux que le capitalisme, qui détermine si elle est viable ou non, ajoute-t-il en substance.

Ces deux catégories d’explications ne sont pas exclusives l’une de l’autre. Il me semble cependant que Cheng et Liu tendent à privilégier la première alors que Mercier tend à privilégier la deuxième, surtout dans le cas d’un pays sous-développé.

Mercier complète, à l’aide des 3 points suivants, les observations générales auxquelles il procède :

  • L’URSS, écrit-il, c’était le socialisme de la pénurie, du gaspillage, du j’menfoutisme. Pour quelle raison, se demande-t-il ? Réponse : Parce que la société était assujettie au Parti et que ce dernier lui disait ce qu’elle avait à penser.
  • On ne peut passer d’une économie arriérée... directement au socialisme sans passer par une phase capitaliste du développement de la société.
  • Si le socialisme ne s’est pas effondré en Chine, c’est pour des raisons économiques et non (pour des raisons, JCD) idéologiques.

J’espère avoir correctement résumé le point de départ de la discussion. Je vais d’abord déduire de ce résumé ce que je crois pouvoir en tirer sans déformer la pensée de Mercier. Ensuite, je vais indiquer la trame de ma propre argumentation.

Mes déductions

- Ma première déduction est paradoxale. En effet, il m’apparaît que le premier des 3 points avancés par Gilles Mercier pour critiquer Cheng Enfu et Liu Zixu rejoint finalement ces derniers. Je ne sais pas si Mercier a fait attention à ce détail. Mais je crois bien ne pas me tromper. Pour Cheng Enfu et Liu Zixu, le PCUS a merdé. Peu importent les explications qu’ils en ont données. La conséquence en fut que le PCUS, au lieu d’être au service de la révolution s’est retrouvé, au service de la contre-révolution. Pour Gilles Mercier, le PCUS a aussi merdé, quoique pour d’autres raisons. Ce premier constat me suggère que Cheng/Liu et Mercier considérent que le Parti communiste fait partie des conditions du succès du socialisme, avec cependant une différence. Pour Mercier, les défaillances de l’instance politique ne seraient que l’une des conditions explicatives des échecs du socialisme. Il y en aurait d’autres, plus importantes. Pour Cheng et Liu, ce serait la seule importante. Les autres seraient de second ordre.

- Ma deuxième déduction est que, selon Mercier, la transition vers le socialisme nécessiterait, dans une société arriérée, de passer par une phase capitaliste. Le capitalisme serait un moment nécessaire non seulement de l’histoire humaine en général mais de toutes les sociétés humaines en particulier. Ainsi (c’est moi JCD qui commente), l’Afrique socialiste devra passer par une phase capitaliste si elle veut vraiment se développer. Cela soulève tout un ensemble de questions, que Mercier n’a pas eu le temps de traiter, et qui étaient "hors sujet". Il vaut peut être la peine, néanmoins, de se les poser. Qu’est ce qu’une société développée ? Est ce que la France, les Etats-Unis, l’Allemagne, sont des pays développés au point de ne plus nécessiter de capitalisme quand ils deviendront socialistes ? Faut-il que l’Afrique ou l’Asie passent par le capitalisme pour se développer ? Et ainsi de suite.

- Troisième déduction, découlant naturellement de ce que Mercier écrit, me semble-t-il : Si la Chine n’est pas tombée dans les erreurs commises en Union soviétique, c’est au fond parce qu’elle serait capitaliste. Cela se déduit du point précédent. Je sais bien que nous, marxistes et communistes, nous sommes des dialecticiens hors du commun. Mais là, je trouve que l’auteur fait fort.

- Enfin, dernier point : Mercier ne dit rien de Staline et du so-called "stalinisme". Sans doute est-ce pour la raison que, pour lui, Staline n’est pas ce qu’en disent les ennemis du socialisme. Je crois qu’il faut quand même en parler. Moi, militant communiste, je ne cherche pas à me documenter sur la chute de l’URSS pour la connaissance pure mais pour contribuer à faire avancer la cause du socialisme en France, aussi peu que ce soit et aussi faibles que soient mes moyens intellectuels. Je pense que Mercier partage cette conviction. Nous ne pouvons éviter de lever l’hypothèque stalinienne, qui fait partie de la lutte des idées. Nous n’avons aucune raison d’avoir peur de cette partie de notre combat.

Mes propres convictions

Après l’exposé de ces éléments, je vais mettre au clair mes propres convictions. Je n’ai, malheureusement, ni le temps ni les connaissances qui me permettraient de faire un exposé me satisfaisant vraiment. Ce qui suit est en partie une "opinion". Elle n’a rien d’original et d’autres ont dit, sur le fond, la même chose que ce que je vais dire. Je prétends néanmoins à quelques points d’originalité.

Staline, le stalinisme

- Staline, pour moi, n’est ni un monstre ni un criminel. C’est un homme dont l’Histoire a fait qu’il est devenu un "grand homme" et qu’il a sauvé de la destruction non seulement son pays mais une partie de l’humanité. Les puissances impérialistes ont fait tout ce qu’elles ont pu, dès le début de la révolution soviétique, pour la faire capoter. Lui, Staline, a résisté. Lénine à dirigé la révolution pendant 7 ans, et sans doute un peu moins en raison de sa maladie. Staline en a assumé la charge pendant 29 ans (quatre fois plus longtemps). Il a commencé par conduire une équipe pour « réaliser le socialisme dans un seul pays » avec la conviction que s’il n’agissait pas ainsi, s’il attendait que le socialisme se propageât dans le monde entier pour finalement advenir dans la Russie antérieurement tsariste, il n’y aurait jamais de socialisme. Les bolcheviks ont connu un blocus de la part des grandes puissances impérialistes, tout comme Cuba en connaît un aujourd’hui, et il n’y a pas eu d’autre choix que de construire ce régime dans un seul pays, et qui plus est dans un pays arriéré. La grande crise des années 1930 n’a pu que renforcer cette conviction. Ensuite, quand les nazis ont pris le pouvoir en Allemagne et après avoir expérimenté le procès de Dimitrov ainsi que les lâchetés françaises et britanniques au plan diplomatique, les soviétiques ont compris que, pour que la révolution survive, c’est-à-dire pour que la Russie survive, il leur fallait construire le socialisme en URSS à marche forcée.

- Les paysans de l’URSS ont fait les frais de cette histoire et leurs enfants sont devenus des ouvriers soviétiques, dans la douleur de l’enfantement d’une société nouvelle. Ce qu’on appelle le stalinisme est la mise en place d’une société et d’une économie moderne de guerre industrielle, préparant la guerre avec un pays développé, industrialisé et fortement agressif alors que l’économie soviétique prenait racine dans une population ayant subi « le second servage » et se trouvant dans un contexte de sous-développement mental et matériel général. La construction du socialisme, dans les conditions de l’Union soviétique, ne s’est pas donc pas déroulée dans des conditions idéales. On peut d’ailleurs se demander s’il existera jamais des conditions idéales de construction du socialisme. Quoiqu’il en soit, à ces difficultés intrinsèques s’en sont ajoutées d’autres. Un certain nombre de révolutionnaires ont totalement perdu confiance dans la révolution soviétique, dans sa capacité à se moderniser, dans sa capacité à résister aux nazis. Ils ont alors, avec ces derniers, engagé des négociations parallèles et secrètes, croyant sans doute que cela aurait pour effet de bien les disposer à l’égard de la Russie. Tous ces faits sont désormais prouvés par des archives. Ce ne sont pas des racontars de vieux grand-père ayant forcé sur la bouteille. Ce sont des faits. Staline, qui faisait tout son possible pour industrialiser la Russie et préparer le combat, a fait fusiller ces révolutionnaires qui ne croyaient plus en leur révolution et en leur peuple. Ils mettaient en danger non seulement la révolution mais la Russie et les pays formant, avec la Russie, l’Union soviétique. A-t-il eu tort ? A-t-il eu raison ? Ayant la chance de disposer d’un certain recul, et considérant que l’URSS était en état de guerre bien avant que n’éclate la deuxième guerre mondiale, je pense que Staline a eu raison et que nous n’avons aucune honte à le dire. De plus, de la même façon que les archives sont ouvertes après un certain temps, les faits devraient être "dépassionnés" de la même manière. Comme l’a suggéré Danielle Bleitrach en présentant sur le blog Histoire et Société la littérature relative à ce qu’il faut bien appeler une trahison, les trotskistes, en France notamment, devraient analyser ces faits de manière sereine, s’ils ont vraiment l’objectif de mener le combat révolutionnaire.

Après Staline

- Il est vrai que, même si le sujet que Cheng Enfu et Liu Zixu se proposaient de traiter était celui des causes de la dislocation puis de la disparition de l’URSS, ils auraient pu, sinon traiter de la période stalinienne, du moins indiquer brièvement son incidence sur la société soviétique de l’après guerre, tant au plan économique que politique. En effet, après Staline, que s’est-il passé en URSS ? Le PCUS d’après 1953 a dû gérer l’héritage stalinien. Mais celui-ci n’était pas si mal. L’URSS avait, dans un combat national immense, réussi à se moderniser au point de vaincre une armée puissante. Elle avait accompli sa première révolution industrielle. Son peuple avait, ce faisant, imposé l’existence du socialisme soviétique à un ensemble de pays impérialistes dont les bourgeoisies, quelques années auparavant, ne rêvaient que de le détruire. Cette société nouvelle s’était même trouvé un allié parmi les impérialistes, à savoir De Gaulle, qui souffrait de ce que son propre clan fut mis de côté des affaires du monde aussi grossièrement, aussi brutalement et aussi ouvertement que savent le faire les anglo-américains. Bref, cet héritage n’était pas si mal. La difficulté, cependant, était que cet héritage avait la forme, économique et politique, d’une société et d’une économie de guerre, alors que l’époque nouvelle exigeait que la société soviétique devînt aussi, sans négliger sa défense militaire, une société et une économie de paix. C’est ici que je dois faire intervenir tant l’analyse présentée par Cheng Enfu et Liu Zixu que les remarques critiques de Gilles Mercier. Cela concerne la deuxième période de l’histoire de l’URSS (après 1953). Staline, en quelque sorte, avait fait son boulot. Ceux qui lui ont succédé ont-ils rempli correctement leur mission ?

- Les premiers (Cheng/Liu) mettent en avant une analyse de type politique, idéologique, théorique et culturelle : le PCUS n’a pas su et n’a pas été en mesure de réaliser les évolutions nécessaires. Ses dirigeants n’ont rien compris au marxisme. Ils ont subi l’impact de la puissance culturelle américaine et enfin ils ont trahi la cause du socialisme. Le deuxième (Mercier) insiste sur ce qu’il estime être les causes économiques de ces difficultés. Il insiste sur cette dimension. Elle est, selon lui, centrale, déterminante, avec l’idée suivante en tête, à savoir que le PCUS ne pouvait être l’agent de ce changement. En effet, écrit Mercier, « on ne peut passer d’une économie arriérée essentiellement agricole directement au socialisme sans passer par une phase capitaliste de développement ». Cela signifie, à mon avis, que, pour Mercier, un pays socialiste arriéré doit avoir deux têtes. L’une, la tête capitaliste, compenserait le passé et l’autre, la tête socialiste, prospecterait l’avenir.

- Ce genre d’affirmation soulève quand même de gros problèmes. Si, dans un pays socialiste, il existe, d’un côté, un parti communiste, prospectant l’avenir, et de l’autre côté, « une phase capitaliste de développement », autant dire "le capitalisme", rattrapant le passé, cela veut-il dire que, dans ce pays, qualifié de socialiste, coexisteraient deux formes de gouvernement ? C’est tout à fait intéressant au plan logique, car ces formes sont incompatibles. En tout cas, moi, j’ai toujours pensé qu’un pays était soit socialiste, soit capitaliste et qu’un pays socialiste ne pouvait tolérer en son sein « une phase de développement capitaliste » tout en prétendant être socialiste. Le propos de Gilles Mercier me semble donc obscur, ou, en tout cas insuffisant, même s’il indique que cela est à l’origine de contradictions. Je crois cependant qu’il est possible d’éclairer son propos à condition de le reformuler. Voici comment.

Rapport de l’économique et du politique et détermination en dernière instance

- Au fond, la question soulevée par cette discussion est celle des rapports de l’économique et du politique dans le cas d’uns société socialiste. C’est donc celle du rôle du Parti communiste dans une telle société. Ces rapports sont-ils les mêmes dans les sociétés socialistes et dans les sociétés qui ont précédé ? On connaît la formule d’Engels selon laquelle l’économie est déterminante en dernière instance. Voici un extrait de sa lettre à Joseph Bloch, de septembre 1890 : « D’après la conception matérialiste de l’histoire, le facteur déterminant dans l’histoire est en dernière instance la production et la reproduction de la vie réelle. Ni Marx ni moi n’avons affirmé davantage. Si ensuite quelqu’un torture cette proposition pour lui faire dire que le facteur économique est le seul déterminant, il la transforme en une phrase vide, abstraite, absurde... Il y a action et interaction de tous ces facteurs au sein desquels le mouvement économique finit par se frayer son chemin comme une nécessité... » (cf. Marxists.org. Cette lettre a été publiée dans le Sozialistische Akademiker, Berlin, 1895, 351-353). L’existence de cette explication n’exclut pas de chercher à la comprendre si nous voulons éviter de la rabâcher.

- Pour essayer de bien comprendre la citation que je viens de faire, je suis obligé de passer par "un détour de production" et de me poser la question suivante : Qu’est-ce que l’économie ? Voici ma réponse : l’économie est cette activité humaine témoignant que les hommes ont, depuis le début de leur existence, et comme tous les animaux, lutté contre la nature pour survivre et vivre. Ils ont donc lutté en permanence contre la rareté, car ce dont ils avaient besoin ne leur est jamais arrivé tout cuit dans le bec, sauf peut-être pour quelques habitants vivant à proximité d’un volcan. Mais ils l’ont fait de façon sans doute plus codifiée, plus mémorisée et finalement plus organisée que les autres animaux, en moulant cette activité dans des rapports sociaux déterminés. Et comme, lorsqu’il y a rareté, il y a spontanément lutte pour l’appropriation du produit, toute l’histoire de l’humanité peut être décrite, jusqu’à nos jours, comme étant l’histoire de la lutte contre la rareté en même temps que l’histoire de la lutte pour l’appropriation du produit dans des rapports sociaux déterminés. La lutte contre la rareté, c’est l’économique. La lutte pour l’appropriation du produit, c’est la lutte des classes, c’est le politique. La rareté est donc située au fondement de la séparation entre l’économique et le politique, et puisque le moteur de la vie sociale est la lutte pour l’appropriation du produit, il vient que la lutte contre la rareté, c’est-à-dire l’économique, est déterminante de la lutte pour l’appropriation du produit, c’est-à-dire le politique, dans la mesure où les formes de cette lutte seront différentes selon que le produit sera plus ou moins grand. Une classe peut en remplacer une autre lorsqu’elle est capable d’augmenter le produit, objet de la lutte pour l’appropriation. La lutte des classes concerne le partage du produit et la production du produit. Cette lutte est différente selon la grandeur du produit. Voilà pourquoi, selon moi, l’économie est déterminante. Ce que j’écris ici est une autre façon de dire que « c’est la capacité d’une société socialiste à satisfaire les besoins de sa population mieux que le capitalisme, qui détermine si elle est viable ou non ». Cela dit, il s’agit d’une détermination en dernière instance, car bien d’autres facteurs interviennent « dans l’arbre vert de la vie ».

- Althusser a, me semble-t-il, cherché à clarifier l’analyse relative aux facteurs de détermination de la vie en société en introduisant la distinction entre « forme dominante » et « facteur déterminant » (cf. Lire le Capital). En effet, dans sa lettre à Joseph Bloch, Engels écrit encore : « La situation économique est la base, mais les divers éléments de la superstructure... dans beaucoup de cas, en déterminent de façon prépondérante la forme ». En reprenant cette distinction, on peut dire, me semble-t-il, que le mode de production agro-militaire ayant prévalu dans la Chine ancienne fut un mode de production dont la politique fut la forme dominante étant entendu que l’économique en fut la forme déterminante. En revanche, si je me rappelle bien ce qu’écrivit Althusser à ce propos, car je n’ai pas mes livres sous la main, pour vérifier, il aurait défini le capitalisme comme un mode de production dont les formes, dominantes et déterminantes, seraient économiques. En effet, dans le capitalisme, l’économie serait déterminante, comme elle l’est dans toutes les sociétés de rareté. Mais son apparence, son fonctionnement visible, ses facteurs explicatifs quotidiens, sa forme, seraient également économiques. Tout est censé être réglé, dans le capitalisme, par le marché et l’on n’y fait surtout pas de politique. Je crois que, par différence, Althusser avait défini le socialisme comme étant une société dont la politique était la forme dominante, la structure économique étant, comme dans tous les autres cas, déterminante. En résumé, qu’est ce qu’un mode de production ? Ce serait un système, ou un ensemble de structures, avec une structure dominante, et dont la structure économique serait déterminante du tout ainsi constitué.

- Je crois que la distinction « dominant-déterminant » est intéressante, utile, mais qu’il faut la développer. Comment, par exemple, distinguer entre eux, car il en existe plusieurs sortes, les systèmes à dominante politique dont la structure économique est déterminante ? Quelle surdétermination conviendrait-il de prendre en compte et d’adjoindre à cette double détermination pour que la distinction « dominant déterminant » fut complètement opérationnelle ? Cela dit, ce ne sont pas ces questions que je prétends aborder ici de manière générale. Je vais en rester aux questions soulevées par la définition du socialisme. Ce dernier est une formation sociale transitoire, qui, dans l’hémispère Nord, viendra après des sociétés capitalistes et qui, dans les autres parties du monde, viendra plutôt après des sociétés de type asiatique, il est vrai complétement déstructurées par le capitalisme. Peut-on, pour le socialisme, retenir la définition althussérienne du socialisme comme étant un système à dominante politique (parti communiste) dont la structure économique serait déterminante ? Ou faut-il déjà tenir compte, dans sa définition, de ce que le socialisme est une forme de transition vers une société d’abondance, une société dans laquelle la lutte contre la rareté perdra progressivement toute signification ? Je soulève cette question car il me semble que Danielle Bleitrach s’interroge sur la pertinence de mon propos lorsque je dis que la politique est déterminante du fonctionnement d’une société socialiste. Et, au fond, c’est le même problème qui est soulevé avec le texte de Cheng Enfu/Liu Zixu, ainsi que par les critiques de Mercier. Si Cheng/Liu se satisfont d’analyser la faillite de l’URSS à l’aide simplement de la faillite du PCUS, ce serait que pour eux, l’instance politique serait à la fois dominante et déterminante du fonctionnement socialiste. Je ne pense pas que Cheng Enfu et Liu Zixu aient jamais envisagé leur article sous cet angle. Mais je ne crois pas excessif de faire comme si ils avaient eu cette pensée en tête. Alors que Mercier, de son côté, refuserait cette solution théorique et dirait que l’économie est déterminante du fonctionnement d’une société socialiste, quand bien même l’instance politique (le parti communiste) en serait la forme dominante.

- On pourrait en rester là, et dire que la crise du socialisme soviétique fut à la fois économique et politique, en remarquant que l’article de Cheng Enfu et Liu Zixu est surtout centré sur la dimension politique de cette crise, ce qui ne réduit en rien les mérites de leur analyse, et en disant que Mercier cherche à redresser la barre en insistant sur le caractère déterminant de l’économie, même dans une société socialiste, et sutout dans une société socialiste arriérée. J’ai moi-même, dans les années 1980, participé régulièrement à un séminaire qu’animait Marie Lavigne, alors qu’elle était professeur d’économie à Paris 1, sur les pays du socialisme réel. Dans ce séminaire intervenaient des collègues de haut niveau intellectuel, ayant une connaissance approfondie du socialisme de type soviétique. J’assistais régulièrement à ce séminaire par curiosité intellectuelle. Je n’ai donc aucune qualification particulière pour exprimer "la pensée" ce ce groupe. Mais je crois pouvoir dire que, d’une part, nous n’avions aucun doute que le système socialiste de type soviétique était en crise. Les évolutions démographiques désastreuses de l’époque en URSS ne nous avaient pas échappées. Mais je pense, d’autre part, que la conception très majoritaire que les membres du séminaire avaient de cette crise (c’était aussi la mienne) est qu’elle était de nature principalement économique. Bien sûr, nous pensions (comme tout le monde) que cette société socialiste était empêtrée dans la forme politique stalinienne de fonctionnement du socialisme. Je ne crois pas que nous imaginions que l’URSS était politiquement en train de se dissoudre petit à petit. Nous ne pensions pas que la crise de la politique, et donc du PCUS, était à ce point profonde. C’est précisément ce souvenir qui me fait réagir aujourd’hui. Je crois que nous accordions trop d’importance à l’économique "en soi" et pas assez au politique, en tant que moyen nécessaire de solution des problèmes économiques.

- En effet, si j’avais à refaire ce parcours intellectuel relativement au socialisme soviétique, d’une part, je laisserais de côté tout ce qui a trait à Staline et au stalinisme. Ce sont de purs instruments de propagande. Staline, je le répète, a, selon moi, fait son travail. Il a dirigé cet immense effort et sacrifice dont le résultat fut, tout à la fois, de sauver le socialisme et les peuples dont c’était le régime. Il peut être, à juste titre et sans hésitation aucune, considéré , comme le père de la nation russe et soviétique de la même façon que Mao Zédong est, à juste titre lui aussi, le père de la nation chinoise. Dans l’un et l’autre cas, « il fallait en avoir » pour affronter un ennemi tellement sûr de lui qu’il croyait ne faire qu’une bouchée de celles et de ceux qu’il avait en face de lui. Staline a fait la guerre et il a construit un régime adapté à la guerre. Il a industrialisé la Russie soviétique pour faire la guerre et il a réussi son double pari d’assurer la survie du peuple soviétique et de la révolution socialiste d’une part, tout en industrialisant, modernisant, éduquant, d’autre part. Qu’une forme de société construite pour faire la guerre ait été adaptée à l’époque d’après la guerre, non. Il fallait en changer. Or ce changement, qui était possible sans douleurs insupportables, car la Russie des années 1950 n’était plus la Russie de 1917, contrairement à ce que semble croire Mercier, a été amorcé mais n’a pas réussi. Pourquoi ? C’est à ce niveau que les interprétations divergent. Mercier dit en substance : la Russie soviétique était encore arriérée. Il lui fallait « une phase de capitalisme ». Cheng/Liu disent en substance : c’est le Parti qui a déraillé. Personnellement, je tends à croire que la deuxième explication est la bonne (l’instance politique a été déterminante) pour la raison que Staline avait modernisé la Russie soviétique.

- A cette étape de l’écriture de mon texte, quatre chemins de réflexion s’offrent à moi. 1) Le premier est l’examen de ce qui aurait dû être fait en URSS et ne l’a pas été. 2) Le deuxième concerne les formulations de Mercier. Je les crois "insuffisantes" et peut-être même, parfois, erronées. 3) Le troisième serait de revenir sur ce que je crois être la formulation althusserienne du socialisme, en utilisant la conceptualisation dominant/déterminant, mais de manière que j’estime plus approfondie que la sienne (que le souvenir que j’en ai). 4) Le quatrième serait de se demander quelle peut être l’importance actuelle, pour les dirigeants de la Chine, d’une analyse de l’échec de l’URSS du type de celle présentée par Cheng/Liu. Cela fait beaucoup, et je vais simplifier mon propos au point d’être caricatural.

- Qu’est-ce qui aurait dû être fait en URSS après la seconde guerre mondiale ? Je prends le risque intellectuel consistant à répondre à cette question malgré mon incompétence. Mais je la pose quand même en raison de ma curiosité qui, pour l’instant, n’a pas été complètement satisfaite. J’aimerais bien savoir, de manière synthétique, ce qui aurait dû être fait en URSS après Staline. Je vais donc développer 4 points en réponse à ma question, histoire de provoquer des réponses.
Le premier concerne l’agriculture. Quand j’essaie de comprendre ce qui s’est passé en Chine pendant les années 1950-1980, je me dis que, relativement à l’agriculture, les dirigeants chinois ont d’abord repris le raisonnement d’économie de guerre et d’économie isolée qui fut celui de Staline. Ce raisonnement était bâti sur le postulat suivant : l’agriculture doit financer l’industrie. En Chine, ce postulat a engendré plusieurs catastrophes agricoles. En URSS, ce postulat eut des conséquences également douloureuses mais sa mise en oeuvre était justifiée pour construire une économie de guerre. Il ne l’était plus après la guerre. Les soviétiques auraient dû passer du postulat "l’agriculture doit financer l’industrie" au postulat "l’agriculture doit nourrir la population".
Le deuxième point concerne l’industrie. Puisque l’agriculture n’était plus, dans cette hypothèse, la source du financement industriel, cela supposait que l’industrie trouvât une autre source de financement. Celle-ci ne pouvait être que le marché mondial. Il fallait l’ouverture. Il me semble qu’il a manqué à l’industrie soviétique le stimulant du marché mondial pour se développer et passer pleinement à la révolution informatique, ou à la Cyber-Révolution.
Le troisième point est que cette évolution supposait une remise en cause de la période stalinienne. En réalité, il ne s’agissait pas de la remettre en cause, de la rejeter. Il s’agissait seulement d’en changer. Oui, mais la menace militaire était toujours là, etc... etc...
Le quatrième point aurait été la mise en oeuvre d’une stratégie d’évitement au lieu de la poursuite d’une stratégie d’affrontement dans les relations internationales. Je pense, toutes proportions gardées, que la Chine a rencontré les mêmes problèmes que la Russie soviétique. Elle a connu des échecs comparables. Elle s’en est sortie parce qu’il y eu des individus exceptionnels, tels que Deng Xiao Ping, pour concevoir qu’il fallait changer radicalement de braquet et qui ont oeuvré, malgré de nombreuses oppositions et réticences internes, pour qu’il en soit ainsi. Les individus qui ont suivi n’ont pas été mal non plus. Mais Xi Jinping sort du lot. C’est un homme de grande dimension et la Chine a de la chance d’être dirigée par une équipe ayant Xi Jinping à sa tête. Ma conclusion sur ce point est que le rôle du PCUS et de ses dirigeants a été déterminant car ils n’ont pas su, ou pas voulu, ou pas pu, peu importe, effectuer ce changement. En revanche, les conditions économiques prévalant en URSS à cette époque, de même que la position internationale de ce pays, étaient loin d’être défavorables. La Chine s’en sort non pas, selon moi, parce qu’elle a accepté « une phase de capitalisme », comme le dit Mercier, mais parce qu’elle dispose d’un Parti communiste à la hauteur.

- En quoi les formulations de Gilles Mercier sont-elles insuffisantes ? Je reprends ce que j’ai développé précédemment et je formule 5 points d’insuffisance de sa part, ou de différence avec mon propre jugement.
Le premier est que l’URSS des années 1950 disposait de marges de manoeuvre en raison même de l’industrialisation à laquelle l’avait contrainte la préparation de la guerre.
Le deuxième est que, selon moi, ce qui manque à un pays arriéré est d’avoir une claire vue de ce que doivent et peuvent faire ses paysans. Ce n’est pas le capitalisme.
Le troisième est que, si les dirigeants de ce pays disent : « Les paysans ont pour tâche de nourrir la population », alors il leur faudra mettre en place les rapports sociaux adaptés à cette exigence. Ce seront vraisemblablement des rapports sociaux marchands favorisant la formation de petits capitalistes. Mais l’existence de capitalistes, ce n’est pas le capitalisme.
Le quatrième point est que l’industrie, pour trouver son financement hors de l’agriculture, se devra d’affronter le marché et se rendre en dehors du pays même. L’exigence relative à ce point est donc celle de l’ouverture.
Enfin le cinquième point est que, dans un pays socialiste, existe, au moins en théorie, la dictature du prolétariat. Cela signifie que les entreprises publiques et capitalistes sont sous contrôle. Dans une société socialiste, le capitalisme ne peut être accepté comme mode de production. Il ne peut l’être que comme mode de gestion. Dans une société socialiste, l’instance politique serait donc déterminante du fonctionnement socialiste de cette société. Les facteurs économiques lui seraient subordonnés. Si l’instance politique déraille, la société risque de s’effondrer avec.

- J’en viens au troisième point que je souhaite aborder : la caractérisation des modes de production selon la double caractéristique « dominant/déterminant ». Pour simplifier mon exposé, j’ai réalisé le tableau suivant. Les deux premières lignes reprennent, me semble-t-il, les formulations althusseriennes, les suivantes me sont propres.

Mode de production Politique Economique
Féodal Dominante Déterminante
Capitaliste - Dominante et Déterminante
Socialiste issu de Capitalisme Déterminante Dominante
Communiste Dominante et Déterminante -
Mode de Prod. Asiatique Dominante Déterminante
Socialiste Issu de MPA Déterminante Dominante
Communiste Dominante et Déterminante -

L’utilité de ce tableau est de résumer la discussion que j’ai entreprise tout en la prolongeant. En même temps, il pousse à son approfondissement. Il me semble que la discussion pourrait notamment porter sur les deux modalités du socialisme que j’ai reprises dans ce tableau. J’ai considéré que ces phases transitoires étaient de même nature, qu’elles soient issues d’un mode de production capitaliste ou qu’elles le soient d’un mode de production apparenté au mode de production asiatique, et que, dans les deux cas, l’instance politique était déterminante de l’ensemble et que l’instance économique en était la dominante. Ce qui voudrait dire que, dans une société socialiste, de quelque origine qu’elle provienne, les instances politiques dirigeantes ont un rôle fondamental, mais que les problèmes qui se posent sont encore et avant tout des problèmes économiques. L’économie est la forme dominante du fonctionnement de la société et le rôle des instances politiques est déterminant. Le socialisme opère donc la rupture avec l’époque que décrivait Engels dans sa lettre à Bloch, à savoir les temps de la rareté. Il y a encore rareté sous le socialisme mais cette rareté est sous contrôle démocratique si je puis dire et tout est mis en oeuvre pour la dépasser définitivement en abolissant les relations marchandes qui, par définition de la marchandise, sont la manifestation de la rareté. Le capitalisme a besoin d’éterniser la rareté. C’est le mode de production de la rareté infinie. Alors que le socialisme vise à sortir de la rareté, vise à construire l’abondance. Bref, est-il exact de caractériser de la même manière ces deux versions du socialisme ? Comment les différencier ? Serait-il utile, indispensable même, de s’interroger sur "les agents" de ces instances pour commencer à préciser les différences (et les ressemblances). Par exemple, les agents de l’instance politique sont-ils uniquement le Parti communiste, ici et là ? Je laisse la discussion ouverte, si l’on estime qu’elle présente un intérêt.

- J’en viens au dernier point que je me suis assigné d’évoquer, même si je n’ai aucune information de leur part sur ce point : Pourquoi Cheng Enfu et Liu Zixu ont-ils écrit l’article qu’ils ont écrit ? Qu’est ce que cette étude a pu leur apporter et apporter à leurs lecteurs ? J’imagine très bien la réponse que Gilles Mercier est susceptible de donner à ma question : rien, puisqu’ils n’ont pas traité des problèmes économiques. On ne sera pas surpris de m’entendre écrire que je ne suis pas d’accord avec cette réponse. Pourquoi ? Parce que construire le socialisme, nécessite un parti communiste et un ensemble d’organisations qui soient de choc. Telle est la conclusion que nous pouvons nous-mêmes déduire de ce texte. Foutre à la porte les foutriquets et les quarts de zombis qui nous gouvernent se révèlera étrangement facile le jour où les masses populaires auront décidé de le faire. Mais construire le socialisme sera plus compllqué. En Chine, le climat est totalement différent. Les choses, toutefois, n’avancent jamais aussi vite qu’on pourrait le souhaiter. Elles relèvent d’un combat permanent.

- Le socialisme chinois avance donc pas à pas, dans le grand mouvement de la vie quoidienne mais pas forcément dans le chant des trompettes, avec, en arrière fond des sonates de Bach et les rythmes des cymbaliers. Tout cela pour dire que, dans ce tumulte, un groupe de femmes et d’hommes, les plus nombreux possibles, représentatifs, dévoués, intelligents, capables de travailler ensemble, de contrôler leurs humeurs et leurs pulsions, ayant quasiment dans leurs gênes le sens des intérêts populaires et la fierté de leur peuple, capables d’indiquer à ce peuple les dangers encourus, les menaces, les perversités et les mensonges qui ne manqueront pas d’être déversés sur le socialisme, mais aussi les espérances légitimes, un tel groupe est indispensable. Pour ces deux auteurs, étudier l’échec du socialisme en URSS, leur a sans doute servi à réfléchir, à contrario, aux conditions de sa réussite en Chine. Or l’essentiel des exigences économiques ayant été trouvé dans ce pays au cours des 40 années écoulées, ce qu’il leur faut, maintenant, c’est disposer de l’organisation qui puisse poursuivre le travail en cours sans trembler, sans défaillir. La célébration du 100ème anniversaire de la naissance du PCC a, me semble-t-il, été l’occasion de réfléchir à cette poursuite et de la mettre en oeuvre concrètement, dans la vie.

Il me revient, pour terminer, de remercier Gilles Mercier pour ses textes et Danielle Bleithrach pour ses remarques. J’espère que mon texte les intéressera à leur tour autant que les leurs m’ont stimulé et obligé à réfléchir.

Jean-Claude Delaunay

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