Voila nous y sommes, la lèpre en France comme en Europe

, par  Danielle Bleitrach , popularité : 1%

Attention danger : 250 interpellations après des violences contre la police, 19 policiers blessés. Ils étaient 17.000 selon la police, 120.000 selon les organisateurs à s’être rassemblés sous la pluie pour demander la démission de François Hollande. Et là, c’est clairement les années 30. Le collectif « Jour de colère », rassemblement hétéroclite formé d’intégristes catholiques, d’opposants au mariage homosexuel, de partisans de Dieudonné, d’identitaires et de familles, d’opposants à l’écotaxe, a défilé (le 26 janvier 2014, ndlr) contre « l’action gouvernementale » et pour demander la destitution du président de la République. Dans les manifestants, on a tout : des partisans de Dieudonné, des militants d’extrême droite, des gens écœurés de la liaison Hollande-Gayet, des opposants à la fiscalité trop lourde. Entre autres slogans "Juif, la France n’est pas à toi", "CRS, milice des Juifs".

Le tout bien sûr, avec l’utilisation du Che et d’autres héros de l’Amérique latine... L’amalgame se poursuit, mais nous en sommes déjà au stade où la référence révolutionnaire peut être abandonnée comme d’ailleurs celle au combat des palestiniens : le fascisme peut se présenter sous sa vraie nature…

"CRS, police des juifs" ! C’était en Grèce ou en Hongrie qu’on entendait ça jusqu’à aujourd’hui. Le mal s’étend, en Europe et je suis écœurée de la complicité dont ils ont bénéficié de la part de mes "amis" inconséquents… Je me souviens de ce que j’ai dit en quittant le Comité national du PCF ; j’ai dénoncé la participation gouvernementale qui s’annonçait et j’ai dit qu’un jour ils auraient le Front national comme dernier recours à la fois du capital et d’une masse de voyous encadrant la petite bourgeoisie prise de rage. Nous y sommes.

La débâcle présidentielle

Une unique revendication, la destitution du président ce qui permet de ne rien négocier tout en faisant enfler la colère. Le modèle est bien sûr ce qui se passe à Kiev, mais aussi peut se comprendre dans le contexte d’une stratégie de l’extrême-droite. Celle-ci ne cherche aucune alliance et revendique le pouvoir y compris par la violence pour elle seule, quitte par ailleurs à jouer le cursus électoral pour se gonfler en toute légitimité. Là aussi nous sommes devant un grand classique, nous avons une face d’extrême-droite "respectable", familiale, et des desperados. Le moment est assez bien choisi, le vaudeville qui intervient alors même que le président s’est couché à plat ventre devant le MEDEF… On pousse l’avantage.

On constate dans toute l’Europe la recherche d’une solution autoritaire. La fiction démocratique est de plus en plus inconciliable avec une politique inégalitaire et d’accumulation-exploitation aussi démente.

La manifestation de ce dimanche a bénéficié de la mobilisation des forces conservatrices. En réponse à la politique des sociaux démocrates, qui ne présente plus aucune différence économique et sociale avec la droite et ne fait plus la différence que sur les mœurs, se dressent peu à peu des troupes. Les directions pratiquement anonymes et aisément interchangeables en cas de radicalisation, expliquent aujourd’hui que la jonction des colères est leur but. Les événements de Kiev font référence et ceux-ci n’ont rien de spontanés, ils bénéficient même, malgré leur dimension fasciste et violente contre un gouvernement élu, de la totale mansuétude de nos médias et des institutions en place.

Parce que dans la débâcle de la gauche gouvernementale, le PS, il y a la bouée à laquelle la gauche gouvernementale tente de se raccrocher, celle justement des mœurs, l’homophobie, l’avortement, toutes choses que l’on peut qu’approuver et que je me refuse à considérer comme secondaires, mais qui présentent la caractéristique de soulever la rage des conservateurs sans répondre à la crise française, celle du chômage autant que celle de la fiscalité.

En ce qui concerne la manif "jours de colère", les questions de mœurs, par lesquelles le PS prétend faire l’unique différence avec la droite, ont fourni le socle du rassemblement des conservateurs, avec sa peur fascination face aux sodomites. Mais sur cette peur et la revendication encouragée par l’Église catholique contre le mariage gay et l’avortement, peu à peu viennent se greffer les gros bataillons du mécontentement économique et social. La petite bourgeoisie contre la fiscalité et contre les "cadeaux" aux pauvres et aux étrangers avance bras dessus bras dessous avec les jeunes décérébrés des cités et les identitaires anti-islamistes. Ce mouvement joue avec la violence alors même que le bipartisme européen consacre l’impossible solution en dehors du vote utile. Ce n’est pas l’antisémitisme qui a rassemblé le gros des troupes mais bien l’homophobie et la remise en cause de la famille traditionnelle ou considérée comme telle. Avec le catholicisme traditionnel, la mise en ligne de mire du peuple déicide n’est jamais très loin et la jonction avec les troupes identitaires et de Soral est aisée, ce qui a pour vocation le recrutement des "jaloux" des victimes de la Shoah, africains et maghrébins sous une forme désorganisée ou bourgeoisement guidée par Tariq Ramadam, même si, comme le FN, il prend ses distances… Le caractère hétéroclite et l’inconsistance des revendications fait partie du jeu et commande la violence.

Il reste alors le fascisme pour casser et donner un simulacre de libération, et l’antisémitisme est alors la base commode de l’agrégation de ce qui au départ paraissait inconciliable ; on passe de l’histrion Dieudonné à son maître national socialiste Soral, la quenelle, ce geste qui moque et pratique la sodomie tout en faisant un bras d’honneur au "système", peut devenir la nouvelle Marseillaise. C’est absurde peut-être, mais c’est…

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Et nous avons dans le sillage, l’apparition de l’antisémitisme comme ciment idéologique. L’antisémitisme n’est pas "éternel". Mais son ancienneté, les couches sédimentaires qu’il accumule en font un des meilleurs agrégats des contraires. Il mêle en effet, comme aucun autre racisme, la haine de classe transformée en gigantesque et mystérieuse domination à la répugnance quasi-sexuelle pour la mixité. Il est le ciment pratique qui permet idéologiquement de rassembler les forces les plus hétéroclites qui s’agglutinent en aspirant à la violence. Mais la vraie dangerosité est quand les capitalistes, convaincus de la faillite de la démocratie prennent la tête et offrent les moyens à cette violence de la rue, l’organisent. Nous avions bel et bien une manif très organisée avec un coût et une discipline de fait, quels groupuscules peuvent-il l’assumer ?

La stratégie de l’extrême-droite

Le FN s’est désolidarisé parce que c’est trop, mais il récolte les bénéfices de l’affaire comme dans le reste de l’Europe, en Ukraine où l’on voit le parti ultranationaliste Svoboda apparemment dépassé par des fascistes, mais qui avance derrière eux : le FN en France est crédité d’être à la tête des listes européennes. Hier c’étaient les troupes qui ouvraient les portes. Il y a deux niveaux qu’il ne faut pas confondre, celui des forces qui s’agglutinent et la manière dont l’extrême-droite les vend au Capital et l’idéologie, simulacre de révolution qui en est le ciment : l’antisémitisme est irremplaçable et même si ceux qui viennent au fascisme ont des bases plus diverses que l’antisémitisme, ils y sont pour la plupart convertis.

Rien n’excuse la politique du gouvernement israélien, les provocations communautaristes du CRIF, mais ces faits n’auraient jamais dû engendrer le racisme, le négationnisme et l’antisémitisme. Du moins s’il existait une analyse de classe digne de ce nom ; le vide abyssal qui s’est peu à peu creusé dans la gauche après l’effondrement de l’URSS, a permis la confusion entretenue par les forces réactionnaires et communautaristes. Et c’est cet amalgame permanent que nous devons avaler de tous les côtés à la fois depuis des années, et sur lesquels se recompose l’agrégat. L’idée que les petits enfants de Toulouse avaient été tués par le Mossad, je ne l’ai pas entendu par des fascistes mais par une communiste, une femme qui m’a expliqué dans la foulée que les cubains étaient son inspiration et "Grand soir" sa lecture. Ce n’était pas tellement la confusion entre communisme et fascisme, mais la preuve de l’inconsistance idéologique de certains communistes par rapport à une menace beaucoup plus inquiétante. Un front complètement effondré, sans perspective…

Les jeunes principale cible

Je n’ai qu’un espoir c’est qu’il y ait un sursaut, je me rends compte qu’un certain nombre de gens ont compris, par exemple quelqu’un comme Marc Harpon, parce qu’il enseigne dans une école professionnelle, au milieu des jeunes dits des banlieues, il a parfaitement perçu la manière dont on était en train de décérébrer ces jeunes sans avenir, le rôle joué par l’antisémitisme : les juifs, devenus l’origine mystérieuse de tous leurs malheurs, un univers proche de celui des jeux vidéos. Il y a trois ans, j’ai fait la même découverte que lui, c’était à la fac, des étudiants préparant un master de cinéma. Il y avait des gens qui m’ont fait peur, ça et la découverte de ceux qui gravitaient autour de Soral et Dieudonné avec quelqu’un comme Étienne Chouard.

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Cette pancarte (cf. la photo ci-dessus) illustre mon inquiétude et ce qui m’avait alors poussé à écrire un article sur les "Illuminati", on constate en effet sur la dite pancarte la référence à la pédophilie et au satanisme, cela peut paraître un gag ; pas du tout, j’ai rencontré des jeunes gens extraordinairement fragiles psychologiquement et socialement, les "Illuminati", qui était totalement persuadés de l’existence d’une secte satanique, juive bien sûr et guettant obsessionnellement les "signes". Ils écoutaient les vidéos de Soral. L’occultisme a été une des bases de l’agrégation nazie y compris de la SS. Le fond est le doute sur les faits, on leur ment, ce qui renvoie à la responsabilité des médias mais aussi du mode de vérité qu’ils ont choisi d’exposer, la transgression, la légitimité des doutes les plus délirants devenant le test de toutes les libertés d’expression désormais. Ces jeunes gens m’ont fait réellement peur, l’une d’entre elles s’était mise à me suivre dans un mélange de haine et de fascination. Nous sommes à la limite dépassée d’une paranoïa…

Voilà, nous y sommes et le phénomène est européen mais il a aussi sa dimension spécifique dans le Maghreb et le Moyen orient, plus articulé encore sur le conflit israélo-palestinien, mais déjà comme en Europe celui-ci n’est plus qu’un prétexte pour alimenter des guerres intestines.

Danielle Bleitrach

Lu sur son blog "Histoire et société"

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