Nous n’avons pas peur du socialisme dans un seul pays
Lettre fraternelle et constructive au réseau Faire vivre et renforcer le PCF, à propos du socialisme chinois, de Domenico Losurdo et du 38e congrès du PCF
Pierre-Alain Millet, en dirigeant responsable, a pris la peine de me permettre de répondre à ce que je considère comme une récente embardée malencontreuse dans vos colonnes (« L’Union fait la force au Congrès 2018 du PCF ») où on mélangeait tout : le 38e congrès du PCF, un auteur italien récemment décédé, son éditeur, une librairie indépendante, le PRCF, l’impérialisme occidental, la Chine etc. Et un raton laveur aurait dit Prévert, ou comme aurait dit Sganarelle, noyant le poisson : « Madame, les conquérants, Alexandre et les autres mondes sont cause de notre départ ».
Je vous remercie donc de ce droit de réponse, car j’ai conscience qu’il s’agit d’une décision collective de votre part. J’espère que cette contribution permettra de renouer le débat. Nous faisons de notre côté, au Pôle de renaissance communiste en France (PRCF), de gros efforts en énergie et en temps pour soumettre nos textes à discussion interne, enlever toute polémique gratuite et nous concentrer sur le fond.
Cela fait partie du centralisme démocratique, si caricaturé, alors qu’il est précisément le contenu d’une pratique communiste saine, sinon le formalisme identitaire, le sectarisme, guettent chacun d’entre nous et font de la mouvance communiste en général, qui devrait être un outil au service du peuple travailleur, une coquille vide. Il faut aborder ce problème à bras-le-corps et ne pas être dans le déni.
Car contrairement à ce que pensent certains militants coupés des réalités du monde du travail, c’est le PCF dans son ensemble qui est à la traîne, pas la classe. C’est le PCF qui est une « arrière-garde ».
Récemment, au Rouvray, les soignants ont mené une lutte de deux mois de grève dont dix-huit jours de grève de la faim, pour sauver l’hôpital public.
Quand ces travailleurs sont prêts à risquer leur vie pour l’intérêt général, au même moment où Pierre Laurent, avec le PGE, soutient Tsipras qui interdit le droit de grève, je demande : qui a le plus conscience des enjeux de l’heure ? Ces grévistes anonymes ou ce PCF qui depuis au moins quarante ans fait n’importe quoi ?
Ce n’est pas ce PCF qui est à sauver. Il n’est pas à sauver à n’importe quel prix.
Je ne reviens pas sur nos critiques que nous espérons fraternelles et constructives adressées à votre Manifeste à propos du 38e congrès. C’est à vous d’y répondre à présent.
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Je veux bien qu’on parle de la Chine et du socialisme chinois, comme me l’a suggéré Pierre-Alain pour ce DR, même si je trouve que ce n’est pas là l’essentiel de notre débat, surtout pour le 38e congrès. Je le ferai néanmoins, car je n’oublie pas que les camarades de Vénissieux sont ceux qui ont fait le plus d’efforts pour faire connaître la pensée de Domenico Losurdo en France (trois jours complets de conférences à Lyon) et je comprends que le socialisme à la chinoise fasse partie de leurs préoccupations dans une division du travail militant bien comprise. Comme on le voit, je n’insulte ni l’avenir ni le passé. Et j’approuve en règle générale le souci de replacer la Chine dans son mouvement de libération nationale et votre net refus de cautionner, comme certains le voudraient, sous prétexte d’ouvriérisme, un nouveau Solidarnosc en Chine qui feraient le jeu des Etats-Unis.
Dans cette récente initiative, qui n’a pas eu l’heur de plaire à certains et que j’avais improvisée suite au décès de notre ami Domenico Losurdo, je ne faisais que pointer la nécessité pour la Chine de regarder son histoire depuis 1949 dans sa globalité, sans privilégier leur période de « NEP » (appelons-la comme cela faute de mieux) au détriment des autres périodes. Je demandais aussi, très modestement et très humblement, si ce stade ne risquait pas d’affaiblir la Chine à terme. Non sinologue, non sinisant, je revendiquais alors seulement le droit de poser des questions.
L’un d’entre vous croyait nécessaire de marteler l’oeuvre complète de Xi Jinping pour me prendre en défaut de « losurdisme » alors que je n’étais en fait pas trop loin, je pense, de ce que Samir Amin disait d’ailleurs dans vos colonnes :
« Les moments successifs ultérieurs pour les périodes maoistes et post maoistes ont été marqués par des avancées, et parfois des reculs, qu’il est nécessaire de savoir reconnaître. Il ne peut en être autrement dans le combat historique de longue durée engagée par la Chine depuis 1950. Il revient au 19e Congrès et au Président Xi Jinping l’honneur d’avoir reconnu la continuité de cette histoire et d’avoir rompu avec les discours qu’on entend souvent selon lesquels la période maoïste aurait été tissée d’erreurs continues et fondamentales et que c’est la rupture consécutive à la mort de Mao qui serait seule à l’origine du succès de la Chine contemporaine. »
Il me semble donc irresponsable de noyer la richesse de ces débats et interrogations dans une représentation figée. Ce n’est pas garnir les rayons d’une librairie indépendante (indépendante, et bien plus qu’on ne croit, je tiens à la préciser), comme le proposait ce malencontreux article, d’ouvrages de Xi Jinping qui nous dédouanera de cette tâche. Je ne suis pas libraire, mais je peux garantir que le bon sens veut que nous avons davantage besoin d’analyses éclairées de sinologues, comme J.-C. Delaunay que j’aurai l’honneur de publier à la rentrée et d’autres encore, que de décisions et colloques de partis, qui intéressent d’abord les spécialistes et circulent d’ailleurs en libre accès sur internet.
A ce propos, je tiens à préciser, si besoin était, que la maison d’édition, dont je suis un membre parmi d’autres, a vocation à rendre compte non pas du débat interne aux communistes (ce qui serait trop ambitieux et relève plutôt de la discussion sur internet) mais de la recherche poussée et pluraliste en son sein, et sur ce point elle n’a jamais dérogé à cette tâche. Il y a bien davantage de pluralisme dans cette maison d’édition que dans L’Humanité qui nous exclut presque systématiquement de ses colonnes.
Notons également que les sanctions de la Chine contre la RPDC, mises en place avec les Etats-Unis, n’ont toujours pas cessé. Le commerce bilatéral a même particulièrement chuté cette année (source AAFC). Ces sanctions ne sont pas à l’honneur de la Chine. Nous ne pouvons donc pas compter, pour le moment, sur un véritable internationalisme prolétarien de la part du PCC. C’est précisément pour cela qu’il ne faut pas craindre de compter sur nos propres forces et d’instaurer le socialisme en France (sans oublier, bien entendu les liens que nous pourrions tisser avec Cuba et le Venezuela). L’URSS, choisissant la construction du socialisme dans un seul pays, a trouvé les ressources en elle-même de vaincre le fascisme et d’envoyer ainsi un signal de libération mondiale. Dans l’alternative où nous sommes, nous n’avons pas d’autre choix qu’un socialisme aux couleurs de la France ou la barbarie dans le fédéralisme féodal européen.
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Enfin, en revoyant la vidéo de cet hommage, je me rappelle avoir cité Georges Gastaud, à propos de son refus, par rapport à Losurdo, de l’abandon du dépérissement de l’Etat comme « idée-régulatrice ». C’était le philosophe marxiste et pas le secrétaire national du PRCF que je convoquais alors, contrairement à ce que laissait entendre cet article publié par vous qui parlait de « kidnapping » de Losurdo par le PRCF. Nous avons trop souffert, dans notre histoire communiste, de ce réductionnisme où les décisions politiques et la nécessité de choisir immédiatement son camp sur tout sujet écrasaient tout débat préalable. Il faut veiller à ne pas trop politiser les choses au sens de la politique politicienne, de façon à pouvoir donner tout son sens à la vraie politique, celle qui ne pourra passer que par le rétablissement plein et entier de nos outils de lutte.
La renaissance communiste peut passer par l’opposition interne au PCF qui est une voie parmi d’autres, une voie nécessaire mais pas suffisante, pourvu qu’elle ne transige pas sur l’essentiel : la souveraineté nationale. Ce n’est pas uniquement mon attachement au programme des « Quatre sorties » du Pôle qui fonde chez moi cette ferme conviction. Il y a dix ans, j’écrivais avec deux autres camarades « L’Idéologie européenne » (aux éditions Aden) et je n’ai pas varié. En défendant la souveraineté nationale, je ne pense d’ailleurs déroger ni à la lettre ni à l’esprit de ce dont parlait, pour l’essentiel, par exemple un Domenico Losurdo. Lequel, comme tout grand marxiste n’est pas un oracle mais précisément un « guide pour l’action » et à ce titre un guide parmi d’autres.
Je comprends parfaitement qu’on continue la lutte interne dans ce parti, mais le point essentiel est l’appartenance de la France à l’UE/OTAN, de notre économie à l’euro, comme du PCF au PGE, comme de la CGT à la CES. C’est cette courroie de transmission du grand capital et de l’impérialisme qu’il faut briser.
Cela passe par le refus de l’utopisme de l’alter-européisme abstrait dont le no-border provocateur Etienne Balibar vient de nous donner encore récemment la plaisante expression en agressant Mélenchon sur le site de ce torchon bobo-conformiste qu’est devenu « Regards ». Ce sont les 4 sorties qui constitueront un véritable levier et permettront de converger dans un grand mouvement réunificateur où, me semble-t-il, on ne peut évacuer la question de la souveraineté nationale et de la pratique léniniste : centralisme démocratique, dictature du prolétariat, internationalisme prolétariat, caractère central de la classe ouvrière, approche philosophique marxiste-léniniste.
Comme on peut le voir, nous ne sommes pas du tout indifférents au sort du PCF. Même si nous autorisons la double appartenance au Pôle et audit PCF, nombre d’entre nous en ont été exclus, sans réplique, par l’agression physique pour certains, notamment là où tout est névralgique pour le Parti, à savoir dans le Pas-de-Calais. Je n’ai pas connu ces extrémités, privilège d’ « intello » puisque j’étais pendant de longues années rédac-chef adjoint à « La Pensée » et à Paris, mais j’ai entendu pendant trop longtemps ce jargon autour de la visée communiste et des nouveaux critères de gestion, volapük de la démission du combat de classe et auquel je préférais votre récent votre franc-parler, qui, une fois que vous ne serez plus engagés dans des alliances contre-nature, j’en suis sûr, reviendra.
Notre souci est aussi d’éviter des usines à gaz, marquées par le menchévisme et l’anarcho-syndicalisme, alors qu’il est évident que c’est l’abandon du léninisme qui a détruit le Parti. Nous ne voulons pas de ce que les Italiens ont fait avec « Rifondazione » : une auberge espagnole sans principes. Le remède serait, j’insiste, pire que le mal.
Quant à la FI : c’est moins la volonté d’aider Mélenchon par rapport auquel nous n’avons jamais tu nos critiques (contrairement à ce que vous prétendez à longueur d’articles), que le souci patriotique qui nous animait. Si ce dernier n’avait pas fait, en partie aussi grâce à nous, un score honorable, nous serions sans doute aujourd’hui dans une situation à l’italienne et la France se déshonorerait davantage.
Tant que nous n’avons pas réussi à reconstruire un parti léniniste de lutte, nous assumons nos responsabilités, afin qu’on ne détruise pas totalement notre pays dans le « saut fédéral » et le girondinisme à la Macron, destruction qui ne pourrait être que le prélude à un basculement complet de notre pays dans l’autoritarisme et la fascisation.
Fraternellement,
Aymeric Monville