Morale et pouvoirs : le temps des manipulations

, par  Francis Arzalier , popularité : 1%

Tout a-t-il été dit sur l’affaire des perquisitions de la FI ? En apparence on peut même se dire qu’il en a été trop question. Mais en apparence seulement.

Francis Arzalier, membre du bureau national de l’ANC, nous propose de prendre de la hauteur sur cette affaire révélatrice du fait que "glisse insidieusement en dictature". Cela rend d’autant plus inacceptable et irresponsable le silence, voire l’approbation à peine voilée, de celles et ceux qui se réclament de la "gôche" et des valeurs qu’elle est censée défendre...

Au 18ème siècle, l’idéologue Montesquieu inventa la "séparation des pouvoirs". Selon lui, au sein du Royaume de France, dont il ne remettait pas en cause le caractère alors royaliste héréditaire, les pouvoirs politiques d’Etat (législatif, qui fait les lois, exécutif, qui les fait appliquer, et judiciaire, qui contraint à les exécuter) doivent être distincts, et ne pas être soumis l’un à l’autre, faute de quoi, nait l’arbitraire, que le commun des mortels nomme aujourd’hui autoritarisme ou dictature. Ce juriste, par ailleurs un bourgeois libéral, passe souvent pour être l’un des inspirateurs de la Révolution française d’il y a 230 ans, ce qui est un raccourci discutable. Les grands révolutionnaires républicains de 1793, Robespierre, Saint-Just ou les Sans Culottes pauvres des faubourgs qui les inspiraient, pensaient plutôt que la démocratie citoyenne exigeait un pouvoir absolu du Corps législatif, dévolu à des élus contrôlés par leurs mandants. Mais il est vrai que la bourgeoisie française qui a finalement tiré profit de la Révolution pour accéder au pouvoir politique, notamment sous la IIIème République après 1871, à mis en œuvre la séparation des pouvoirs imaginée par Montesquieu, dans le cadre du régime parlementaire, et de la délégation de pouvoirs au profit d’élus du suffrage universel. Bien sûr, si Exécutif et législateurs ne dépendent pas dans ce système initial l’un de l’autre, si les magistrats y sont en principe totalement indépendants des pouvoirs politiques (à l’exception des Procureurs dits du Parquet, directement liés au Ministre ou Garde des Sceaux), cet édifice étatique est fidèle au dogme libéral : le pouvoir économique y reste libre de ses mouvements, il a tout droit de posséder et contrôler la presse et les télévisions, d’influencer par leur biais l’opinion, et de financer les postulants aux scrutins périodiques.

Les avatars de l’histoire au XXème siècle l’ont fortement amendé. Et notamment, la Constitution Gaulliste de 1958, qui est toujours notre pain quotidien, a beaucoup renforcé le pouvoir exécutif, dans un sens monarchique, au détriment des Assemblées législatives, réduites à n’être élues qu’en tant que "godillots" dévoués du président-monarque. Quant à la justice, si le discours officiel affirme toujours l’indépendance et l’inamovibilité des juges, le poids sur eux des Procureurs s’est fortement accru, par les promotions-nominations, et le choix des magistrats instructeurs. Même si en majorité les magistrats français restent en 2018 fidèles à leur mission de protecteurs des libertés civiles, et nous devons les défendre pour cela contre la démagogie d’extrême-droite, les pouvoirs politiques trouvent parmi eux quand cela leur paraît nécessaire les carriéristes prêts aux plus viles besognes. La proportion de corrompus ou corruptibles est identique en tout métier, à toute époque : ce fut aussi le cas durant l’occupation nazie et le Vichysme. Le problème essentiel aujourd’hui n’est pas d’abord d’ordre moral, mais politique et idéologique.

L’exigence de Montesquieu est toujours d’actualité, le renouveau de l’extrême droite autoritaire en Europe, de la Pologne a l’Autriche, l’Italie ou le Brésil, nous rappelle que le danger de dictature est toujours présent. D’autant que le credo libéral plus que jamais en usage, le renforce, en donnant aux grands intérêts capitalistes, souvent transnationaux, tout loisir d’imposer leurs pouvoirs sans contrôle, aux nations et aux individus. La "séparation des pouvoirs" serait bien une protection contre l’arbitraire, si elle concernait toutes les formes de pouvoir, exécutif, législatif et judiciaire, mais aussi économique, et bien d’autres encore, devenues au XXIème siècle envahissantes autant que la technologie qui les porte.

Pouvoirs, économie capitaliste et idéologie

Les pouvoirs d’Etat ont de tout temps tenté de modeler l’opinion à leur convenance. Nos rois de droit divin il y a quelques siècles le faisaient essentiellement grâce au catholicisme, culte officiel dont le Sacre était un élément premier. Le monarque ainsi adoubé passait même aux yeux de ses sujets pour en avoir reçu le don fugace de guérir des "écrouelles" (maladies de la peau qu’on dit de nos jours scrofuleuses).

Mais ces pouvoirs politiques ont acquis progressivement au XXème siècle une toute autre force, grâce à cette révolution technologique qu’on dit de communication. Orwell nous menaçait en 1949 d’un avenir de cauchemar totalitaire, par opposition à ce qu’il nommait démocratie. En fait, dans notre siècle à peine adolescent, son "meilleur des mondes" est parmi nous, au cœur du capitalisme libéral et des institutions dites "républicaines". Les technologies dites d’information ont acquis une telle présence quotidienne, un tel pouvoir de manipulation, qu’elles permettent à qui en contrôle l’usage de faire croire à la majorité des citoyens-auditeurs n’importe quelle affirmation. Certes ce pouvoir de manipulation ne fonctionne à plein que quelques jours ou quelques semaines, et les yeux se dessillent ensuite. Mais ce cours laps de temps suffit parfois à faire basculer l’histoire.

L’exemple est bien connu par les historiens des médias de ces fausses nouvelles inventées en 1989, de massacres qu’on disait ordonnés à Timisoara en Roumanie par les époux Ceaucescu. Ce qui permit aux télévisions du monde entier, de New York à Moscou et Paris, de les faire passer pour les enfants de Dracula dans un "procès" sommaire avant l’exécution télévisée.

Les Pouvoirs, aujourd’hui, qu’ils contrôlent un État ou aspirent à le faire, sont un édifice complexe et peu lisible, où se mêlent de façon inextricable les dimensions dites "Exécutives", législatives, judiciaires, économiques, et médiatiques. Et ces dernières dimensions sont de loin les plus efficaces pour couronner l’édifice. Les pouvoirs de l’Etat national ne sont pas tout, ils sont même parfois une coquille creuse.

De Rome à Brasilia

Le phénomène est mondial, et s’accélère, de nombreux pays en ont fait les frais récemment.
Le plus proche de nous, l’un des premiers peut être, fut l’Italie. Dans les années 1990, baptisées par la presse "opérations mains propres", eurent lieu de nombreuses enquêtes et perquisitions ordonnées par des juges sincèrement indignés par la corruption endémique parmi les politiciens de la Péninsule.

L’opération en elle-même n’était guère critiquable, jusqu’au jour où elle se transforma en un déferlement d’informations biaisées, de discours ressassés au sein desquels tout suspect devenait un coupable affirmé aux yeux de millions d’hommes, par des médias pour la plupart contrôlés par capitalistes et politiciens libéraux. En quelques années, leur objectif était atteint, par la manipulation de l’opinion : les partis historiques nés de la défaite du fascisme, Démocratie Chrétienne, PSI et PCI, tous convaincus d’immoralité sans preuves, se sont effondrés au profit d’un parti Démocrate de Centre-droit et de la Droite avec Berlusconi, le maitre des télévisions "divertissantes", apte de ce fait à gouverner l’Etat selon les règles ultra libérales. Et quand quelques années plus tard, Berlusconi usé par ses frasques eut rempli son usage, le même scénario de manipulation médiatique utilisant des prétextes judiciaires entraîna le discrédit total de son parti et du Parti dit Démocrate, au profit d’un ectoplasme politicien qui se proclamait "apolitique" (les 5 Étoiles) et des démagogues d’extrême-droite de la Ligue : la coalition improbable de ces deux courants contrôle aujourd’hui législatif et gouvernement. L’objectif poursuivi par les pouvoirs occultes économiques et médiatiques depuis 30 ans est accompli, les organisations communistes italiennes sont réduites à l’inexistence, et les luttes de classe inhibées dans ce pays où elles furent parmi les plus fortes d’Europe.

La plus récente victime d’une manipulation de même nature, organisée par les mêmes pouvoirs économiques et médiatiques, sous le même prétexte de moralisme anti-corruption, est le Brésil. Ce pays avait élu Président Lula et son Parti des Travailleurs en 2003, qui réussit en quelques années à redistribuer aux moins fortunés le bénéfice des exportations et de la croissance économique. Puis vint avec Dilma Roussef qui lui avait succédé à la Présidence, l’érosion brutale de ces subsides trop liés au cours mondial des matières premières, dépendant d’un Marché capitaliste spéculatif dont les décideurs siègent pour la plupart à New York. C’est à ce moment-là que quelques magistrats inféodés généralement à la Droite pro-étasunienne ont lancé des procédures anti-corruption très ciblées contre des politiciens du PT. Ils méritaient de multiples reproches, mais n’étaient certes pas les plus immoraux du pays. Et ces inculpations somme toute normales furent aussitôt amplifiées jusqu’à la démesure, claironnées comme des culpabilités prouvées, par des médias survoltés ressassant jusqu’à la nausée le vieux refrain : "Tous pourris, tous coupables".

Car si le soupçon judiciaire est en principe "à charge et à décharge", et s’effectue normalement dans le secret et la présomption d’innocence, sa mutation en monstre médiatique se répand en flots serrés d’affirmations dont l’abondance se passe de preuves. "L’opération Mains Propres" manipulée à la carioca, ayant discrédité d’abord la Gauche PT, puis la Droite parlementaire, l’objectif réel n’était plus qu’une formalité. Dans un pays traumatisé par l’appauvrissement et l’insécurité des "classes dangereuses", une majorité affolée d’électeurs a élu en octobre 2018 le Zorro viril d’extrême droite libérale, Bolsanaro, champion des pouvoirs coalisés du Capital et des médias.

Le temps des "affaires"

Mais revenons en France, où le même appareil de manipulation sait aussi écrire l’histoire, et réaménager les pouvoirs politiques à sa convenance. Et 2017 en fut un des hauts lieux. Au printemps de cette année-là, se profilait l’élection présidentielle, devenue fait majeur pour la France grâce à la Constitution gaulliste et à ses sectateurs successifs. Le sortant avait piteuse mine, compte tenu de ses dérives maladroites, au point de ne plus postuler. Tous les pronostiqueurs prédisaient au candidat de droite libérale, pour le parti UMP, la victoire dans un fauteuil. Mais l’appareil de pouvoirs occultes, financiers notamment, avait un autre candidat. Une carrière de trader aux dents longues n’avait pas donné à l’obscur ministre Macron une grande expérience en matière étatique. Mais son ardeur à lessiver le pays de tout ce qui gênait le libre jeu des capitaux avait convaincu là où réside la réalité du pouvoir : il était bien "the right man in the right place", comme on dit à Wall Street et dans les salons du CAC40.

En pleine ascension vers le trône, le poulain prévu par les sondages fut providentiellement dénoncé pour des délits connus depuis longtemps par les observateurs de la vie politique, et mis en examen. Avant qu’il en ait pris conscience, le candidat Fillon fut exécuté devant la nation étonnée, qui découvrait ses turpitudes à la télévision durant les repas familiaux. Ce postulant carbonisé avant le scrutin n’était certes pas l’ange blanc du catéchisme catholique qu’il disait, mais on ne peut être naïf au point de croire que ses crimes étaient en pleine effervescence électorale la cause d’une inculpation d’urgence, et d’un tel tsunami médiatique : 18 mois plus tard, l’enquête n’a donné lieu à... rien...

La deuxième partie de cette manipulation de l’opinion par le bruit médiatique, consista à gonfler outrageusement l’impact de la candidate de la xénophobie autoritaire Marine Le Pen et son Front National : le piège électoral était alors bouclé, tel que prévu de longue date par les pouvoirs occultes décideurs. L’outsider libéral Macron, "ni droite ni gauche ", ne pouvait qu’être élu par des Français dont la majorité craignait d’abord et exclusivement l’extrême droite.

Évidemment, ce montage manipulateur est fragile : un an à peine après sa promotion, le président-monarque est plus impopulaire que son prédécesseur Hollande avant lui. Il ne reste plus à l’appareil convergent de pouvoirs (Exécutif, Législatif, Économique autant que médiatique) à perpétuer autant qu’il se peut la déliquescence des mouvements et partis opposants, incapables pour le moment de capitaliser le mécontentement pourtant réel. C’est la raison exclusive de l’inflation médiatique organisée à partir de certaines suspicions judiciaires, alors qu’elles visent des politiciens de toutes les mouvances, y compris des proches de Macron, soupçonnés d’avoir détourné vers leur parti ou vers eux-mêmes des fonds destinés à leur activité d’élu.

Cela n’a évidemment donné lieu à aucune inflation médiatique, quand seulement on a daigné en informer les téléspectateurs. Ce fut au contraire le point de départ de "l’affaire Mélenchon", exploitant à longueur d’antenne les faiblesses du chef de la France Insoumise, et ses dérapages verbaux. Ne nous y trompons pas, ses défauts ne sont que le prétexte des attaques, la cause tient au fait que la FI est le seul mouvement politique jugé à l’Elysée et dans les salons de la bourgeoisie en état aujourd’hui de regrouper les opposants anticapitalistes. Elles s’arrêteront si elles ne fonctionnent pas, et viseront une autre cible, si d’aventure elle se révèle un danger pour les pouvoirs coalisés par l’idéologie libérale. La meute acculant Mélenchon aujourd’hui, alors qu’elle sut faire sa promotion médiatique contre ses concurrents au sein du Front de Gauche, est aussi le révélateur d’un PCF amputé de sa vitalité anticapitaliste de naguère.

Ne nous trompons pas d’adversaires : même si quelques magistrats serviles jouent les utilités à leur service, ils ne sont pas les Pouvoirs, qui tiennent plus du capitalisme que d’une imaginaire "République des juges", inventée par Berlusconi et Le Pen. Les "magistrats couchés", exécutants des basses œuvres des Pouvoirs, ne sont pas la Justice française, ils sont une insulte à son égard.

Pas davantage il n’existe de "République des Journalistes", même si la profession est largement discréditée par ceux choisis pour monopoliser micros et caméras, parce qu’ils partagent les dogmes libéraux du Capital. Ceux-là, par leur veulerie, déshonorent leur mission qui est d’informer honnêtement les citoyens.

Dans tous les cas, ces manipulations sont une indignité, une dérive autoritaire de pouvoirs contraints d’employer des méthodes abjectes, parce qu’ils sont incapables de convaincre l’opinion par leurs résultats ou par l’argumentaire politique. Quelle qu’en soit la cible, elles sont un danger mortel pour les libertés qui nous restent, et peuvent toucher chacun des citoyens, chacune des idées qui ne plait pas aux Princes des Pouvoirs. Rappelons ce mot attribué à certaines victimes allemandes du nazisme : "Quand ils sont venus arrêter mon voisin communiste, je n’ai rien dit. Quand ils sont revenus déporter mon collègue socialiste, je n’ai toujours pas protesté. Quand ils sont revenus pour m’emmener, plus personne n’était là pour me défendre"...

C’est ainsi que l’on glisse insidieusement en dictature. Le danger est au cœur de l’Etat libéral dirigé par Macron, qui a cependant le culot de se poser en héraut du "progressisme" et de la "démocratie", contre le "populisme" et le nationalisme !

Francis Arzalier, ANC
26/10/2018

Voir en ligne : http://ancommunistes.fr/spip.php?ar...

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