Un communiqué commun, signé par plus de cinquante collectifs, syndicats, associations dénonce la répression accrue (...)
Le long chemin de croix des mineurs licenciés de 1948
Aux origines de l’Union Européenne, notamment avec la création de la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier), sont associés le chômage et les régressions sociales. L’annonce de la création de la CECA est faite en mai 1950 et la signature du traité en avril 1951. Cette période verra le développement d’un véritable bras de fer entre les mineurs, défendant leur statut et leurs emplois, et le gouvernement aux ordres du patronat. 25% des effectifs seront pourtant supprimés. Plus de soixante ans après, les mineurs continuent de se battre...
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A l’instar de Norbert Gilmez (en photo à côté de Hervé Poly en juin 2011), les anciens mineurs illicitement licenciés pour fait de grève exigent toujours réparation pour le préjudice subi. Ils manifestent une impatience à la mesure de leur âge avancé…
Il y a quelques jours disparaissait Jean Blondeau, 82 ans, de Flines-lez-Raches. Il faisait partie des 17 anciens mineurs ou leur ayant droit à réclamer « justice » pour avoir été indûment congédiés par les Houillères dans la foulée des grèves de l’automne 1948 mais aussi de 1952. L’embellie n’aura donc été que de courte durée. En mars 2011 en effet, la cour d’appel de Versailles avait condamné l’établissement public Charbonnages de France, à travers son liquidateur, à verser à chacun des requérants 30.000 euros à titre de dommages-intérêts. La Justice reconnaissait ainsi le caractère « discriminatoire » d’un licenciement fondé à l’époque sur un fait de grève pourtant reconnu par la Constitution. « Un premier pas vers la reconnaissance », se félicitait Norbert Gilmez de Grenay, licencié en 1948. L’Etat aurait pu en rester là. Il n’en a rien été. Sa nature de classe l’a naturellement rattrapé. Il a ainsi saisi la Cour de cassation. « Il avait deux mois pour le faire. Il s’est exécuté quelques jours avant l’échéance, comme s’il voulait faire traîner encore plus les choses. Une histoire de fou pour les vieillards que nous sommes », s’indigne Norbert, 90 ans. L’Etat joue-t-il la montre ? Compte-t-il régler ce dossier de la plus cynique des façons en misant sur la disparition des demandeurs, octogénaires pour la plupart ?
Bassins miniers en état de siège !
L’ex-employé au jour du groupe de Béthune des Houillères a donc repris son bâton de pèlerin avec d’autant plus d’entrain que le jugement de Versailles ne lui convenait pas tout à fait. « La cour a reconnu le caractère illicite du licenciement, mais n’a pas ordonné l’application complète de la loi d’amnistie de 1981, avec reconstitution de carrière ». Aussi de colloque sur la résistance en projection cinématographique, de congrès syndicaux en conférences de presse, Norbert se saisit de chaque opportunité pour crier son exigence d’une réparation à la hauteur du préjudice subi. Des cris lancés comme autant de SOS ! Le jeu en vaut d’autant plus la chandelle que la grève de 1948 en réaction aux décrets Lacoste de remise en cause du Statut des mineurs, a laissé des traces indélébiles. Jules Moch, le ministre socialiste de l’Intérieur, l’avait à tort qualifiée d’insurrectionnelle pour mieux la réprimer dans le sang, encouragé par la presse bourgeoise invitant le gouvernement à « bombarder les quartiers généraux de la CGT », rappelle Norbert Gilmez.
« La guillotine pour Jules Moch ! »
Dans le Nord-Pas-de-Calais, depuis soixante ans maintenant, la rancœur à l’endroit de la social-démocratie se nourrit toujours des récits nés de l’expérience traumatisante de 1948, des images du mineur Jansek assassiné à coup de crosses en Moselle, du docteur Versquel de Nœux-les-Mines interdit d’exercer la médecine, de cités minières quadrillées par l’armée, des milliers de grévistes condamnés, emprisonnés ou licenciés dont de nombreux résistants à l’occupant allemand, des Polonais expulsés, des délégués révoqués, des sections syndicales orphelines de leur direction. Et de la misère noire promise aux licenciés à vie dans une région où les Houillères régnaient en maître. « De petits boulots en petits boulots, sans prise en charge ni du loyer, ni du chauffage comme cela se faisait pour les mineurs, ma femme, mes enfants et moi avons connu la grande misère. Deux mois de grève, les dettes, l’amende à payer… Nous vivions presqu’uniquement de solidarité », se souvient Norbert Gilmez. Et ce dernier de fustiger avec toujours autant d’émotion « le terrorisme d’Etat meurtrier et tortionnaire dont nous avons été victimes ». Pour ses crimes, « Jules Moch aurait dû être traduit devant une cour d’assise, avec la guillotine à la clé », lâche Achille Blondeau, ancien dirigeant de la Fédération CGT du sous-sol.
Quelles perspectives ?
Sans doute une entière réparation même bien tardive contribuerait à refermer ces plaies restées béantes ? « Un gouvernement français s’honorerait à réparer le préjudice qu’ils ont subi, en leur appliquant la loi d’amnistie avec reconstitution de carrière », écrivait récemment Dominique Watrin, sénateur communiste, à Xavier Bertrand, le ministre de l’Industrie. Au nom de l’équité et aussi « par souci d’apaisement » ! Comment obliger le gouvernement à renoncer son pourvoi en cassation ? N’est-ce pas désormais aux plus jeunes de relayer sur le terrain de la lutte cette légitime revendication ? Norbert Gilmez ose à peine évoquer cette perspective. Mais quel plus bel hommage pourraient rendre les enfants et petits-enfants de mineurs à ces « héros de 1948 » dont ils laveraient ainsi « l’honneur sali » ?
Jacques Kmieciak, Liberté 62
Sur le blog de Hervé Poly