Elle est arrivée le dernier soir à l’hôpital de la voisine de chambre, avec oxygène et mari vociférant. Elle doit prendre la place libérée le matin. Mais c’est qu’elle ne veut pas ! L’infirmière explique :
– Nous n’avons que 8 chambres seules. Elles sont toutes occupées. Il faudra attendre qu’une chambre se libère, madame !
– Comment ? dit la femme toute ébouriffée de colère.
– Comment ? dit le mari. J’avais demandé impérativement une chambre seule. Mais vous êtes des incapables ! Appelez-moi immédiatement la directrice du service.
La directrice arrive, très calme mais ferme.
– Calmez-vous ! Il n’y a pas de chambre seule ce soir ! Vous allez passer cette nuit dans cette chambre à deux lits en attendant.
Le mari rouge de colère : « Vous êtes une incapable madame ! ».
La voisine de chambre est éberluée, solidaire des soignants venus soutenir leurs collègues agressés, qui font bloc autour. Elle fait des signes de connivence. Mais ferme soigneusement le rideau de séparation : pas question d’être polie avec ces deux personnages !
– Appelez-moi immédiatement le cardiologue des urgences ! Il paraissait plus compétent que vous !
Le cardiologue arrive, il s’assoit, très calme, sur la table en face du lit de la patiente :
– Continuez, madame ! Je vous écoute.
– Eh bien, je dois vous dire d’abord que je déteste les médecins !
Je les ai toujours détestés ! Je ne veux pas voir les radios de mes poumons ! Oui je fume et je n’arrive pas à arrêter ! Et je fumerai encore !
Derrière son rideau, la voisine pense : « Mais alors que fait-elle à l’hôpital ? Elle allait sûrement trouver des médecins à l’hôpital ? Nous, militants, pensons qu’il n’y en a pas assez. ».
Le cardiologue garde un calme impressionnant :
– Madame, vous avez PEUR ! (il appuie sur le mot). Eh oui, c’est un médecin cardiologue avec son équipe qui vous ont sauvé la vie cette nuit ! Vous n’acceptez pas de ne pas avoir de chambre seule. Mais enfin, que voulez-vous que l’on fasse ? Que l’on « vire » un malade pour que vous preniez la place ? Vous devrez attendre qu’une place se libère. Dans votre cas, je crains une embolie pulmonaire. Donc, demain, un scanner.
– Quoi ? Une embolie pulmonaire ? Qu’est-ce que c’est ? Et un scanner ? C’est quoi ?
Le cardio explique longuement, un caillot qui peut se loger partout, dans vos jambes…
– Oh non ! Ça ne peut pas être dans mes jambes ! J’ai des jambes magnifiques !
Là, la voisine étouffe son fou-rire. L’équipe des soignants la voit rire, derrière le paravent. Ils retiennent leurs sourires. Elle décide aussitôt de donner un nom à cette femme qui se prend pour une princesse. Ce sera « Princesse JM », Princesse jambes magnifiques.
Le couple finit par accepter la chambre avec la "manante" (oui de manant y a pas de féminin mais elle en fait un). La "manante" pense que la cohabitation va être difficile. Elle ne s’est pas trompée.
Après lecture et télé, la voisine à 22h 30 voudrait dormir. Or la princesse a exigé la pleine lumière pour lire sur sa tablette. Elle téléphone aussi pour raconter les horreurs subies dans cet hôpital ! Elle a houspillé l’infirmière incapable de prendre correctement la saturation, de placer l’oxygène…
Mais pas le temps de protester, l’infirmière dit avec autorité : « Madame a raison, à 22h30, votre voisine a besoin de dormir ! ».
La "manante" n’a, bien sûr, pas eu un bonsoir, pas un mot. Pensez, une princesse avec une "manante" ?
Il y eut encore la visite musclée du mari, avec le beau-fils, style commando :
– Nous voulons voir le cardiologue ! Changer d’hôpital !
Mais l’interne de service a répondu avec ironie :
– Mais vous savez, messieurs, que les médecins dorment ? Le cardiologue est rentré chez lui ! Et personne ne viendra ! Vous feriez mieux de rentrer vous aussi.
Le lendemain , le cardiologue est venu, changement de ton :
– Madame, vous m’avez presque insulté, j’ai accepté mais je n’accepte pas que vous insultiez mon équipe, les soignants. Savez-vous qu’ils font un travail difficile, avec des salaires trop bas, pour soigner TOUS (il insiste sur le mot) les malades ? Donc vous devez les respecter, ils n’ont pas à supporter vos agressions verbales ! Et si vraiment, vous voulez changer d’hôpital, ce sera à vos risques ! Et dans votre état c’est dangereux ! Vous devez passer un scanner ce matin. L’acceptez-vous, oui ou non ?
Là, Princesse JM est sans voix. Un faible « Oui » sort de sa bouche.
La voisine aurait presque applaudi. Mais elle a réussi à s’exprimer un peu plus tard. L’équipe soignante lui souhaite un bon retour :
– Merci ! Et merci de vos bons soins ! Vous faites un travail magnifique ! Je vous soutiens, vous méritez de meilleurs salaires, et des embauches pour de meilleures conditions ! Je vous dis BRAVO ! ».
Elle en fait des tonnes, et les soignants s’amusent et en rajoutent aussi :
– Ah si tous les patients étaient comme vous !
Nous rions, complices. Princesse JM est muette, résignée... On vient la chercher pour la scanner, « cette horreur ».
Il faudrait envisager des hôpitaux avec des classes supérieures et même « royales » pour les princesses JM, avec scanners spéciaux ?
La voisine n’avait jamais vécu une telle expérience à l’hôpital. La lutte des classes existe même à l’hôpital…
C’est pourquoi il faut reprendre le chemin de la lutte pour sauver l’hôpital, les services publics, l’école publique (avec ces enseignants feignasses, comme dit Sarkozy).
Tous à la manifestation en décembre !
Mireille Popelin