Dépense publique excessive ?

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Trop de fonctionnaires en France ?

Dans le débat public sur ce que représentent les services publics et la fonction publique dans notre pays, un nombre limité de données servent de repères sans qu’il soit fait beaucoup d’efforts pour en dégager la signification : la dépense publique s’élevant à 57 % du produit intérieur brut (PIB) [1], les prélèvements obligatoires en représentant 45 % [2], les effectifs de fonctionnaires s’élevant à 5,4 millions (dont, en réalité, 17 % de contractuels). Il est vrai que ces données représentent des catégories austères difficilement accessibles et parfois peu compréhensibles dans l’opinion publique. Au surplus, les démonstrations sont souvent fondées sur des comparaisons internationales alors que les concepts, les statuts et les nomenclatures varient beaucoup d’un pays à l’autre. Peu de synthèses probantes émanent de ces données disparates et chacun peut trouver dans la masse des informations les chiffres qui viennent à l’appui de sa thèse. On tente néanmoins ici un regroupement aussi significatif que possible de données recueillies.

Une socialisation plus importante des dépenses de service public

On rappellera, tout d’abord, que l’histoire longue est marquée par une sécularisation croissante du pouvoir politique, un puissant développement économique et une extension considérable de l’administration, ce qui a entrainé une forte augmentation de la dépense publique. Les prélèvements obligatoires qui en financent la plus grande part ont quadruplé au cour du XXème siècle à l’appui d’une socialisation objective de l’organisation sociale quand bien même celle-ci reste marquée par des dominations et de fortes inégalités.

En France, en 2014 [3], selon Eurostat, la production des services publics ne représente que 22 % dans une dépense publique qui correspond à 57,5 % du PIB. C’est ce que l’on considère comme le produit des administrations dont, par convention de la comptabilité nationale, on le mesure par… leur coût. Ce taux est nettement supérieur à celui observé en Allemagne (14,6 %) où les services sociaux et de santé sont assurés par les églises, mais il est comparable à celui observé au Royaume Uni (22,2 %).

Si on considère maintenant, non la nature des dépenses mais les fonctions, la France se situe dans la moyenne des pays développés pour les dépenses régaliennes. En revanche, elle présente des taux élevés pour les dépenses de transferts (retraites, chômage…). En Allemagne, les retraites sont regardées comme des dépenses privées.

Le tableau ci-dessous traduit les différences existant selon les fonctions entre la France, l’Allemagne et le Royaume Uni.

Dépenses des administrations publiques en 2014

Nature des dépenses (en points de PIB)Fr Al GB
Services généraux 6,7 6,3 5,4
Défense 1,7 1,0 2,2
Ordre et sécurité publics 1,6 1,6 2,0
Affaires économiques 5,1 3,3 3,0
Protection de l’environnement 1,0 0,6 0,8
Logements et équipements collectifs 1,4 0,4 0,6
Santé 8,2 7,2 7,6
Loisirs culture et cultes 1,5 0,8 0,7
Enseignement 5,5 4,3 5,2
Sous total hors protection sociale 32,7 25,5 27,4
Maladie et invalidité 2,9 3,0 2,8
Vieillesse 13,7 9,1 8,5
Survivants 1,6 1,9 0,1
Famille et enfants 2,5 1,5 1,6
Chômage 2,0 1,8 0,2
Autres 2,1 1,5 3,3
Sous-total de la protection sociale 24,8 18,8 16,5
Total des dépenses publiques 57,5 44,3 43,9

Source : Eurostat

Le renvoi au marché et au financement individuel du service public n’est pas synonyme d’efficacité sociale. Ainsi, aux États-Unis, en matière de santé, il est fait beaucoup plus appel au financement des individus qu’en Europe. Pour un coût relativement plus important, les indicateurs de santé sont moins bons. En 2013, les dépenses de santé aux États-Unis s’élevaient à 16,4 % du PIB contre 10,9 % en France. La part du financement public comptait pour 7,9 % aux États-Unis contre 8,6 % en France (respectivement 48,2 % et 78,7 % du financement total). Pour autant les indicateurs de résultat sont meilleurs en France qu’aux États-Unis : l’espérance de vie y est plus élevée, il y a relativement plus de médecins, plus de lits d’hôpitaux, la mortalité infantile y est presque deux fois moindre (3,8 contre 6 pour mille habitants).

En tout état de cause, l’utilisation de la dépense publique comme instrument de comparaison internationale est très discutable méthodologiquement et ne peut être manié qu’avec précaution. La dépense publique est un indicateur de « socialisation financière objective » de l’économie, mais n’est en aucun cas une part (57 %) du PIB. Elle est composée de quatre catégories de dépenses : de fonctionnement des administrations, de transferts sociaux (prélevés et reversés), d’investissement, des intérêts de la dette publique. La moitié de la dépense publique va à la dépense privée (ménages et entreprises). Christophe Ramaux, chercheur au centre d’économie de la Sorbonne, a montré que si l’on appliquait la méthode retenue pour le calcul de la dépense publique à la dépense privée, celle-ci s’élèverait à un niveau d’au moins … 200 % du PIB [4]. Le ratio de la dépense publique rapporté aux richesses produites annuellement qui mêle au numérateur des dépenses de transfert et des dépenses d’investissement n’a pas de sens économique.

Effectifs : dans la norme

En adoptant le statut général des fonctionnaires de 1946 la France a choisi de traduire sa conception de la fonction publique sur la base du principe statutaire pour les agents publics. Le fonctionnaire est, vis-à-vis de l’administration, dans une situation statutaire, réglementaire et non contractuelle. Les adversaires de cette conception, qui retient les principes d’égalité, d’indépendance et de responsabilité, en tirent argument pour affirmer que les effectifs de fonctionnaires en France seraient pléthoriques, confondant position statutaire et qualité d’agent public, faussant ainsi toute comparaison internationale des effectifs d’agents publics dans les pays développés.

Des études ont entrepris de surmonter de telles présentations fallacieuses en considérant que l’on ne peut réaliser de comparaisons significatives qu’en faisant abstraction des situations juridiques et en définissant l’agent public comme le salarié rémunéré sur fonds publics. Un étude ancienne – mais qui peut encore être considérée car il s’agit là de données structurelles qui n’évoluent que lentement – a été publiée en 2008 par le Centre d’analyse stratégique [5]. Elle montre que, sur la base de la définition précitée, le « taux d’administration » (nombre d’agents publics pour 1000 habitants) serait en 2006 dans les pays de l’OCDE compris entre les extrêmes de 41 au Japon et de 154 au Danemark. La France se situerait à 93 au même ordre de grandeur que la Royaume Uni, les États Unis, en-deçà du Canada. La France serait à un niveau plus élevé en ne retenant que les administrations les plus centrales (services généraux).

L’actualisation de cette étude devrait être réalisée par France stratégie, mais des éléments nouveaux sont apportés par Xavier Timbeau, directeur principal de l’OFCE, dans un article récent [6]. Selon ce chercheur, en 2015 en France, 126 personnes pour 1000 habitants – contre 131 aux États Unis avec un maximum à 186 en Norvège – travaillaient dans le secteur non marchand dont 83 dans la fonction publique. Au sein de celle-ci il y en avait 37 dans la fonction publique de l’État, 30 dans la fonction publique territoriale et 18 dans la fonction publique hospitalière. Il souligne la faiblesse de l’emploi dans le secteur de l’éducation en France qui ne devance, au sein des pays de l’OCDE, que l’Italie, la Grèce, l’Espagne et la Hongrie. Le problème, selon l’auteur, est plutôt celui de la qualité du service public. Il rappelle que le Royaume Uni après des privatisations de grande ampleur a du recruter quelque 800 000 agents publics de 1997 à 2007, essentiellement dans l’éducation et la santé.

En France, les deux-tiers des emplois non marchands sont des emplois publics contre la moitié en Allemagne et le tiers au Royaume Uni. La sous-traitance et l’externalisation des services réduisent statistiquement le champ public en faisant de ces services des consommations intermédiaires à des coûts généralement supérieurs à ceux des services intégrés.

Menaces contradictoires sur les services publics

Le service public est contesté sur le terrain idéologique. Le manager serait la figure accomplie du citoyen des temps modernes et le libéralisme l’horizon indépassable de l’histoire des sociétés. La mondialisation serait réduite à celle du capital alors qu’elle se développe sous de multiples dimensions. À l’évidence ce XXIème siècle sera celui des interdépendances, des coopérations, des solidarités qui se condensent en France en un concept : le service public. Il convient donc de répliquer sur ce terrain mais également sur celui de l’objectif affiché par la droite : la nécessité de réduire la dépense publique par la diminution du nombre d’emplois de fonctionnaires : 500 000 pour François Fillon soit environ 10 % des effectifs de l’ensemble des fonctionnaires, ce taux de réduction de la dépense publique avait également été envisagé par le gouvernement précédent.

Cette réduction doit d’abord être examinée sois l’angle du réalisme. Olivier Passet, directeur des synthèses de Xerfi, raisonne ainsi [7] : il n’est pas possible d’opérer des coupes dans la fonction publique hospitalière (1,15 million de fonctionnaires) ; il en est de même dans l’éducation (1,3 million) ; de même en ce qui concerne la sécurité et la justice (0,5 million). Non seulement ces secteurs apparaissent incompressibles, mais il sont appelés à se développer en fonction de la croissance des besoins correspondants. Ajoutons que la réduction des effectifs des administrations centrales au sens strict parfois évoquée, ne pourrait avoir en tout état de cause qu’une portée limitée car ces administrations ne représentent que quelques dizaines de milliers d’agents. Reste donc, selon l’auteur, un champ de 2, 3 millions de fonctionnaires qui doit être amputé de la croissance des secteurs précédents dont l’essentiel (81 %) est constitué par la fonction publique territoriale représentant 1,8 million de fonctionnaires. C’est donc celle-ci qui devra par application de la réduction envisagée par la droite et son candidat François Fillon. Or, outre les réactions de toutes natures qu’une telle politique pourrait provoquer se dresse alors un obstacle de taille : le principe de libre administration des collectivités territoriales posé par l’article 72 de la constitution qui ne permet pas à l’État d’intervenir directement dans les délibérations des collectivités territoriales.

Pour contourner cette difficulté, les représentants de la droite ont avancé l’idée de la conclusion de contrats entre l’État et les collectivités territoriales pour opérer les réductions drastiques des effectifs envisagées. La réussite de cette démarche n’est donc pas acquise car les élus locaux de toutes obédiences sont pris dans une contradiction : si beaucoup d’entre eux partagent le discours général sur la baisse des effectifs de fonctionnaires, ils protestent avec leurs collègues de toutes obédiences contre les réductions de moyens qui ne leur permettent pas de répondre aux besoins croissants des populations qu’ils administrent. Une contradiction et des contrepouvoirs qui peuvent mettre en échec la politique de réduction des services publics de proximité et, par là, de l’ensemble des services publics nationaux.

La fonction publique territoriale apparaît bien comme la cible principale des politiques tendant à réduire le champ et la qualité des services publics en France. Les attaques sur le terrain économique se conjuguent ainsi avec celles développés sur le plan statutaire [8].

Voir en ligne : sur le blog de Anicet Le Pors

[1La dépense publique est couverte par les recettes des prélèvements obligatoires, les emprunts, les revenus du secteur public et d’autres ressources non fiscales. Ce n’est en aucun cas une "part" du PIB qui laisserait au secteur privé une "part" de 43 % ! Comme on le verra plus loin.

[2Les prélèvements obligatoires sont constitués de l’ensemble des impôts, cotisations sociales et taxes locales.

[3Les développements qui suivent sont repris d’une note de travail d’une association travaillant sur les services publics qui ne souhaite pas être mentionnée. Les données statistiques sont celles d’Eurostat.

[4« Calculée comme la dépense publique, la dépense privée dépasserait 200% du PIB », Christophe Ramaux, Économiste atterré, Université Paris I.

[5« Quelles évolutions de l’emploi public dans les pays développés ? », Centre d’analyse stratégique, La note de veille, avril 2008.

[6Xavier Timbeau, « Trop de fonctionnaires ? », Alternatives économiques, novembre 2016.

[7Olivier Passet, « Le grand mythe de la baisse massive du nombre de fonctionnaires », Xerfi, octobre 2016.

[8Telle la proposition formulée par Bruno Lemaire pendant la primaire de la droite de supprimer le statut de la fonction publique territoriale tandis que les autres candidats envisageaient tous de réduire le champ aux fonctions régaliennes au périmètre discrétionnaire.

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