Un communiqué commun, signé par plus de cinquante collectifs, syndicats, associations dénonce la répression accrue (...)
"Déficit" de la Sécu : coup de gueule !
Michel Cialdella, ex-administrateur du CHU de Grenoble,
ex-administrateur de la CPAM de Grenoble.
6, rue Joseph Bertoin - 38600 Fontaine
Lettre ouverte au docteur Didier Legeais,
Président du syndicat des médecins de l’Isère
16, bis rue Dr Hermite
38000 Grenoble
Fontaine, le 14 octobre 2014
Monsieur,
Un ami m’a envoyé un e-mail avec un lien à partir duquel j’ai pu vous entendre vociférer, avec des arguments et des chiffres chipés au Front National, contre ces étrangers responsables du déficit de la sécurité sociale ! [1]. Votre discours m’a profondément choqué [2].
Si la fraude n’est pas acceptable, il faut aller jusqu’au bout de la démarche. Personnellement je ne mettrai pas sur le même plan le pauvre qui n’a pas les moyens de se soigner fut-il étranger et des individus du type Cahuzac (tiens... un chirurgien !), ou Thévenoud pour ne citer que les plus récents arnaqueurs...
Vous évoquez un manque à gagner d’environ 1,7 milliard d’euros « à cause » des étrangers.
Or en France la fraude c’est beaucoup plus que cela. Selon un rapport parlementaire c’est entre 20 et 25 milliards d’euros par an, soit plus de deux fois le déficit prévu en 2014 (11,7 milliards d’euros), cela représente 80 % des fraudes à la protection sociale. Et c’est dû essentiellement au travail dissimulé (le travail au noir) et aux fraudes des professions libérales !
En tant qu’administrateur de la CPAM, j’ai siégé dans des commissions, notamment la commission des kinésithérapeutes. Toutes les années, une vingtaine de kinés étaient épinglés et sur la vingtaine quatre ou cinq étaient sanctionnés. Et les sommes n’avaient rien à voir avec les fraudes des assurés.
Toujours au sujet des fraudes, il y a également la fraude fiscale évaluée à 45 milliards d’euros par an, à quoi il faut ajouter l’évasion fiscale estimée à 80 milliards d’euros. Comme on peut le constater, nous ne sommes plus dans le menu fretin et eux, ça n’est pas pour se soigner mais pour s’empiffrer. Et puis il y a tous ces "bons" Français (artistes, PDG, sportifs) qui s’expatrient pour ne pas payer l’impôt républicain, mais qui peuvent très bien se faire soigner en France dans des hôpitaux qu’ils n’auront pas contribué à financer. Il n’y a pas si longtemps que des chirurgiens (peut-être en étiez-vous) ont fait grève, et ont menacé de quitter la France (pour aller où ?). Ils ont eu gain de cause et depuis, l’assurance-maladie finance en grande partie leur prime d’assurance. Pour un chirurgien cela peut aller jusqu’à 15.000 € par an [3]. Et cela coûte plus de 2 milliards € par an à la Sécu.
En ce qui concerne les dépassements d’honoraires, vous prétendez qu’un médecin prend en moyenne 15 € en plus pour une visite, ce qui est une somme pour les 9 millions de personnes qui sont en dessous du seuil de pauvreté (993 € mensuel à 60% du salaire médian) ! Mais c’est bien pire.
En 2007 mon épouse a dû se faire opérer des deux pieds par un chirurgien qui ne faisait que cela. La visite était à 60 € (35 € de plus), et pour le premier pied 500 € de dépassement, et 400 € pour le deuxième, allez savoir pourquoi ?
Un rapport de l’IGAS signalait qu’en 2005 les dépassements d’honoraires s’élevaient à 2,5 milliards d’euros et 7 milliards € en 2013 selon une étude ! [4] Vous dites : « On nous demande de soigner 15 millions de personnes gratuitement ! » [5]. Depuis quand soignez-vous gratuitement ? C’est la Sécu qui paie et elle est financée par les cotisations sociales prélevées sur les richesses créées par les salariés. Même la CSG, censée être plus juste est financée à 90% par les salariés. Et selon la même étude [6], le reste à charge pour les assurés s’est élevé à 13 milliards en 2013. Alors pour la gratuité vous repasserez.
Cela me fait penser à ce qui s’est passé le jeudi 27 novembre 2008 à la CPAM de Grenoble. Alors que nous recevions les prescripteurs de santé, comme le prévoit la loi, un chirurgien a prétendu qu’il faisait du bénévolat parce qu’il passait voir ses patients après l’opération sans leur compter de visite ! Il a toutefois reconnu qu’il gagnait 10.000 € par mois. À ce tarif je crois qu’il y en a pas mal qui ferait du bénévolat.
S’il est vrai qu’il y a des médecins qui de temps en temps font des consultations gratuites, c’est assez rare et il y en a de moins en moins.
Dans notre pays, pourtant très riche globalement (tout va bien pour les actionnaires du CAC 40) puisque de 1950 à 2013, les richesses créées chaque année ont été multipliées par 7,2 ! [7]. Il est plus que normal qu’il y ait un retour pour les travailleurs (qu’ils soient en activité, à la retraite ou privé d’emploi). pour mémoire, le salaire médian est de 1600 € mensuel.
Vous vous lamentez parce que des étrangers se font soigner en France "gratuitement" (ce n’est pas toujours le cas). Songez qu’un petit pays comme Cuba « a décidé d’envoyer un contingent de 165 médecins et autres personnels de santé au Sierra Leone, ravagé par le virus Ebola. L’Organisation mondiale de la santé salue ce geste sans précédent ». Ce n’est pas nouveau car Cuba a toujours fait de la solidarité internationale un pilier fondamental de sa politique étrangère [8].
Le gouvernement français lui, préfère envoyer des bombes. Vous exigez également que les pays d’Afrique payent "leurs dettes". Je vous rappelle que la plupart des pays évoqués ont été colonisés par la France (la France officielle s’entend). Rien que pour l’Algérie pendant 132 ans, dont 7 ans de guerre.
Le colonialisme, ce sont aussi des massacres notamment ceux de Rabat-Salé et Fès en janvier février 1944, de Sétif-Guelma en mai juin 1945, de Haïphong en novembre 1946, de Madagascar en 1947-1948, de Casablanca en avril 1947, de Côte d’Ivoire en janvier 1950 [9].
L’historien Marc Ferro, dans la quatrième de couverture d’un livre de 837 pages, écrit « Les conquêtes, puis les luttes pour l’indépendance ont indéniablement constitué les épisodes les plus meurtriers de la colonisation : extermination de peuples entiers dans un cas, guerre destructrice dans l’autre ; mais la colonisation ce fut aussi la traite et l’esclavage, c’est-à-dire la déportation de 10 à 14 millions d’hommes et femmes ; ce fut, une fois l’esclavage aboli, le travail forcé et les terribles conditions sanitaires qui lui étaient associé. Une exploitation économique que le XIXe siècle industriel accéléra et systématisa. Et tout au long de ces épisodes, les nations conquérantes défendirent une idéologie qui, loin de cacher les excès commis, comme on veut bien le croire aujourd’hui, visait à les justifier. » [10].
Le grand poète Aimé Césaire disait : « On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer. Moi je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leur Dieu, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse.
Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. » [11].
Je ne suis pas très sûr que la France ait payé sa dette du colonialisme qui est un crime contre l’humanité. Alors, cela vaut bien, me semble-t-il, des soins gratuits à des gens dont pour certains, les ancêtres ont combattu l’Allemagne nazie aux côtés de la France. Alors que l’ "élite" de l’époque a sombré dans la collaboration...
Petite anecdote :
Le 11 novembre 1988, j’assiste à une cérémonie du souvenir par respect pour ceux qui ont sacrifié leur vie. J’assiste à une remise de décorations et parmi les récipiendaires : mon voisin du quatrième. J’apprends que ce paisible retraité était un combattant ! Fait prisonnier et déportés par les nazis, il s’évade et regagne l’Algérie. Ensuite il s’engage dans l’armée de libérations et débarque en France pour combattre la bête immonde et du même coup participer à notre libération. À cette occasion j’apprends que pour les "non-français" le gouvernement avait "cristallisé" [12] les pensions en 1971. Ce qui fait que ces personnes perçoivent à l’époque 75 Fr. au lieu de 2200 Fr. Mais lui, parce qu’il est parti quatre ans en Algérie n’y avait même plus droit. Je ne me souviens pas si cette injustice avait été rétablie. Aujourd’hui mon ami Abdelkader n’est plus là et je ne peux donc pas lui demander. Le manque à gagner de 1971 à 1988 n’étant pas négligeable : 460.000 € en valeur 2013 (selon le convertisseur de l’INSEE) et ça c’est sûr, il n’en a jamais vu la couleur.
Lorsque l’ "on" évoque les dettes "on" ferait bien de songer à celles-ci.
Michel Cialdella
Déclaration des conseillers CGT
Lors de la rencontre avec les prescripteurs de santé,
le jeudi 27 novembre 2008 à la CPAM de Grenoble.
Notre rencontre se déroule alors que notre pays connaît une crise sans précédent si j’en crois tous ceux qui n’ont rien vu venir et qui nous expliquaient qu’il fallait jouer nos retraites en Bourse. Pour finalement constater que c’est du jamais vu et que le pire est devant nous.
C’est cette période qu’ont choisie des chirurgiens pour défendre les scandaleux dépassements d’honoraires. Allant jusqu’à faire grève pour défendre ce qu’il faut bien appeler un privilège. Ne se souciant pas que notre pays compte 8 millions de pauvres, que le salaire médian ne dépasse guère 1500 € nets mensuels, que le pouvoir d’achat est en berne, que la Sécu, de « réforme » en « réforme », rembourse de moins en moins et que le chômage progresse.
J’ai pris les chirurgiens en exemple mais la quasi-totalité des spécialistes du secteur 2 pratiquent des dépassements importants.
Je veux rappeler que l’assurance maladie participe à l’assurance responsabilité civile des chirurgiens. Pour la seule caisse de Grenoble cela représente une dépense non négligeable de 520 909,20 € pour l’exercice 2007 en augmentation de 900 % sur l’année 2006.
Je rappelle également que pour l’ensemble des professionnels de santé, les aides conventionnelles versées par la caisse de Grenoble s’élèvent à 25.157.104,35 € (source : les comptes de la CPAM 2007).
Il y en France 128 caisses primaires. Si on multiplie seulement par 100 c’est plus de 2 milliards et demi d’euros qui partent des caisses de la Sécu vers les caisses des professionnels de santé. Il serait bien que ce soit pris en compte lorsque les médecins avancent des revendications. Sachant que les assurés sociaux financent majoritairement l’Assurance Maladie.
Dans son dernier rapport, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) vise la pratique des dépassements d’honoraires qu’elle chiffre à 2 milliards d’euros en 2005. L’IGAS dénonce cette pratique, « contraire aux principes fondateurs de l’assurance maladie (…) qui entend garantir à tous (…) la protection de la santé ». Un milliards et demi d’euros de dépassements d’honoraires sont issus des cabinets médicaux et 5 millions proviennent des interventions pratiquées à l’hôpital ou en clinique, « remettant ainsi en cause l’accès aux soins ». Une enquête de l’IPSOS révèle qu’en 2008, 39% des Français ont déjà retardé ou renoncé à au moins un soin en raison de son coût.
Question : qu’allez-vous faire, pour la partie qui vous concerne pour lutter contre ce scandale. Je n’oublie pas que le gouvernement a autorisé ces dépassements mêmes si « le tact et la mesure » prévues par le Code de la sécurité sociale donne lieu à interprétation et ne rend pas la mesure plus juste.
Pour les conseillers CGT,
Michel Cialdella