Courrier à un défenseur d’« un autre euro »

, par  Le Fraternel , popularité : 2%

Cher camarade,

Je reçois depuis plusieurs années avec intérêt les messages que tu envoies au nom du réseau Action-Novation-Révolution (ANR). Toutefois, tes deux derniers envois, s’ils ne constituent pas une découverte, m’incitent à te répondre. Je considère en effet que la position de la commission économique du PCF en faveur de l’euro n’est pas, ou plus, pertinente.

Votre analyse prétend être réaliste mais, en réalité, elle ne tient pas compte de la réalité la plus évidente, la sur-domination allemande sur l’Europe et sur l’euro. De fait, votre position favorable à un supposé « autre euro » se perd dans l’utopie ; pour l’heure, elle ne profite qu’à l’euro actuel. De la même façon que les partisans de Maastricht, ou du « oui » à la Constitution européenne nous vendaient un avenir meilleur pour, en réalité, consolider les défauts déjà constatés de la CEE ou, désormais, de l’UE, vous imaginez un autre euro qui n’a aucune chance d’aboutir. Vous ne réfléchissez pas en politique, c’est-à-dire sur la façon d’agir concrètement sur le cours des choses pour les faire évoluer. Car, ainsi, vous estimeriez qu’à défaut de revenir aux monnaies nationales, un autre euro, ou une autre monnaie européenne (commune plutôt qu’unique), passe nécessairement par la rupture avec la situation actuelle. Cette rupture peut prendre la forme d’une exclusion de l’Allemagne de la zone euro, ce qui est peu probablement, ou, de façon plus accessible, celle d’un acte politique fort d’un des Etats de la zone euro, exerçant sa souveraineté pour essayer de réorienter l’ensemble. Cet acte de souveraineté, ce n’est peut-être que le retrait de la zone euro.

Au-delà de cette question de méthode, les arguments que vous développez dans le deuxième texte me laissent perplexe. Vous accusez Jacques Sapir de dénigrement. Je ne crois pas que constater la faiblesse politique de la jadis très respectée Commission économique du Parti Communiste Français soit du dénigrement. Et relever que les conditions d’un emprunt ne dépendent pas de la nationalité du prêteur, comme le suggèrent les économistes du PCF, mais seulement du droit, n’est pas non plus du dénigrement : c’est montrer une erreur grossière dans le raisonnement, qui ne fait pas honneur à ses auteurs.

Vous récusez la prévision d’une relance de la production nationale par renchérissement des importations en affirmant que « cela ne pourrait marcher qu’au bout de quelque temps ». Mais précisément, avez-vous une idée du temps au bout du quel vos jérémiades pour « un autre euro » ont une chance d’aboutir ?

Par-delà la plaisanterie, il est évident que la sortie de la zone euro n’est pas une solution miracle qui redonnera de la prospérité à la France en un clin d’œil. En revanche, elle pourrait être le point de départ d’un vaste mouvement de reprise en main du pouvoir par le peuple, et de son destin par la France. C’est précisément parce qu’elle agirait comme un virage historique que la sortie de la zone euro est une position révolutionnaire à défendre ; et, de plus, elle n’obère en rien la possibilité, à long terme, de mettre en place, non une monnaie unique, mais une monnaie commune, comme le préconise Frédéric Lordon. La plupart des nations du monde vivent d’ailleurs sous le régime de monnaies nationales, sans être frappées par les sept plaies de l’Egypte (alors que nous, le sommes !).

Celui-ci a d’ailleurs identifié clairement le principal obstacle, insurmontable, à une quelconque réorientation de l’euro. Il s’agit de l’inconscient allemand considérant, à tort ou à raison, l’inflation comme la mère du nazisme. La culpabilité de l’Allemagne vis-à-vis du nazisme, paradoxalement couplée à une volonté plus ancienne d’hégémonie à l’échelle de l’Europe, font que l’euro, c’est le mark, et défendre l’euro, c’est défendre l’hégémonie allemande sur l’Europe (vous n’aurez d’ailleurs pas manqué de remarquer que le siège de la Banque Centrale Européenne est à Francfort). A cela s’ajoute que les Etats-Unis, par l’OTAN ou par le biais du marché transatlantique dont la discussion s’est ouverte lundi dernier sur insistance de l’Allemagne, voient dans celle-ci son chien de garde sur notre continent. Si nous ne défendons pas, à juste titre, « un autre OTAN », mais bien la sortie de l’OTAN, il n’y a aucune raison de refuser de promouvoir la sortie de l’euro, pour instaurer d’autres relations économiques avec les nations d’Europe et du monde.

Ceci est d’autant plus urgent que la crise dure depuis maintenant cinq ans, et que l’échec des solutions pour « un autre euro » est patent. Aucune des forces de gauche le réclamant n’a gagné la moindre élection, et aucun des gouvernements défendant le maintien de l’euro actuel n’a été remplacé sur ce mot d’ordre.

J’ajoute que la défense d’« un autre euro » prend une place étrange dans le cadre de la politique actuelle du Front de gauche. Nous défendons un projet de Sixième république, fût-il imparfait et incomplet. Mais peut-on sérieusement préconiser un nouveau départ pour la démocratie et pour le peuple de France, prenant la forme d’une nouvelle constitution, en le privant, d’emblée, d’une part fondamentale de sa souveraineté en tant que nation, à savoir de battre la monnaie ?

A quoi sera réduit le pouvoir du peuple s’il ne peut décider de façon souveraine de sa politique monétaire et économique ? Je vous rappelle que la France a perdu tous les attributs de la souveraineté (l’écriture des lois, désormais dévolue à la Commission européenne ; le battage de la monnaie, avec l’euro ; la décision de la situation de guerre ou de paix, avec la réintégration dans le commandement militaire intégré de l’OTAN ; la capacité de rendre la justice, puisque les autorités judiciaires européennes peuvent désormais casser les décisions des cours de justice nationales), et qu’il est de notre devoir de combattre pour que le peuple français se la réapproprie, et puisse, à nouveau, assumer sa fonction universaliste et parler au monde entier ; Emmanuel Todd, à qui l’Humanité a récemment donné une double page centrale, ne dit pas autre chose. Que les nations reprennent voix, voilà une pierre lancée dans le jardin de l’ultra-libéralisme !

Car, en effet, la position du PCF pour « un autre euro » ne traduit que sa normalisation « de gauche », entre un Parti Socialiste favorable à la mondialisation capitaliste, et une extrême-gauche qui imagine, en soi-disant internationaliste, qu’un monde sans nation et sans frontière puisse voir le jour (quitte à rejoindre les pires ultra-libéraux favorables à la libre circulation des biens et marchandises). En outre, elle consacre l’évolution théorique du PCF depuis la Mutation engagée par son ancien président Robert Hue consistant en une utopique « visée communiste » accessible immédiatement, sans qu’une phase de transition historique, jadis appelée socialiste, ne soit nécessaire. Il est évident qu’une telle position relève de l’utopie et qu’en tant que marxiste, comme le rappelait Georges Politzer, une de nos tâches principales devrait être de combattre l’utopie. Le gauchisme de cette position pour « un autre euro » entre d’ailleurs en contradiction avec la nostalgie, savamment et sélectivement entretenue, du Conseil national de la résistance : faut-il vous rappeler qu’il comportait aussi des forces de droite, mais que tous voulaient libérer la patrie de l’oppression ? Je crois que le fétichisme de l’union de la gauche a vécu, et que la fracture qui traverse aujourd’hui le paysage politique sépare ceux qui sont favorables au libéralisme mondialisé, dans lesquels je ne vous range pas encore mais à qui vous rendez un service très précieux (Nicolas Sarkozy, dans sa fausse rentrée politique de lundi dernier, n’a-t-il pas déclaré qu’il fallait à tout prix sauver l’euro et l’Europe ?), et ceux qui, contre le libéralisme mondialisé, voient dans les nations des espaces démocratiques pour bâtir un monde où ce n’est pas l’argent qui est tout puissant. En outre, que les forces de gauche se réapproprient cette belle idée de nation et ne la laissent plus au seul Front national qui la défigure, ça aussi, ça pourrait ré-ouvrir l’horizon de l’espoir !

Voilà, cher camarade, ce que je tenais à te dire. Je crois que les économistes du PCF sont en train de se perdre et, à cette occasion, de jeter le discrédit sur notre parti, à l’heure où le monde et la France en attendent une parole forte.

Fraternellement,

Courrier envoyé à Nicolas Marchand (ANR)

Voir en ligne : sur le blog "au printemps..."

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