A la Bastille une fois encore…

, par  Danielle Bleitrach , popularité : 3%

Je n’aurais jamais pensé que l’enterrement du PCF donne lieu à de telles manifestations de joie. Il y avait pourtant eu la répétition, déjà à la Bastille. Les mêmes célébraient, avec quelle liesse, l’élection de Mitterrand. Juquin hurlait de bonheur et étreignait d’un geste ample la foule rassemblée et invitait le peuple de gauche à manifester sa joie.

Seul le vieil Aragon osa la provocation surréaliste : on lui demanda ce qu’il pensait de "l’événement". Il répondit "j’ai vu un jeune homme flotter dans le ciel nocturne, ça c’est événement, pas ce qui se passe ici". Je me souviens des soirées pré-électorales chez monsieur Boeuf, ce restaurant proche de la Fontaine des innocents où nous nous retrouvions. Jean Ristat le plaisantait en tentant de le convaincre de voter Mitterrand. Jean le prenait à témoin et me demandait de l’aider à vaincre les résistances de cet entêté ; je lui répondais en riant "Aragon est membre du Comité central, que suis-je pour le faire changer d’avis ?".

Aussi sa provocation, ce soir de la Bastille m’est apparue logique. Il n’y aurait pas de Révolution mais une alternance sans vertige dans laquelle peu à peu s’estomperait l’espérance de voir un jour la classe ouvrière monter à l’assaut du ciel. Aragon avait déjà décrit dans la Semaine Sainte, ce retour des rois, la fin de la révolution y compris sous sa forme despotique. Il avait pris comme héros un jeune peintre Gericault dont le portrait conservé au Moulin était frappant de ressemblance avec Jean Ristat. Chez ce jeune homme naissait, sur d’autres bases, une conscience révolutionnaire. Il avait écrit la Semaine Sainte en 1956, après la dénonciation du stalinisme, la révolte hongroise et l’occupation du canal de Suez. Les poètes ont toujours raison... Il attendait ce Géricault, cette résistance, cette renaissance de la France... Et ce soir de mai 1981, elle n’était pas encore au rendez-vous.

Mitterrand le petit ne lui a jamais pardonné, il lui a refusé les funérailles nationales. L’ami de Bousquet, l’homme de l’entente avec Heydrich, pour la solution finale, refusait François la Colère et à travers lui la Résistance des Communistes... C’était ça aussi la Bastille... une recomposition-décomposition dans laquelle la petite juive n’avait plus sa place historique... Un signe parmi d’autres que le nazisme n’avait jamais été éradiqué et que bientôt l’Europe créerait l’ignoble équivalence...

Depuis ce jour le PCF n’a cessé de résister à son propre anéantissement, à sa destruction programmée de l’extérieur et de l’intérieur... Mes amis, ne regrettons rien, ce n’était plus qu’un coma douloureux... Si le grain ne meurt, mais le fruit n’est pas encore là, ni même la fleur...

Le communisme a été un épisode glorieux de l’histoire de France si l’on veut pouvoir chanter à son propos "Non, Nicolas la Commune n’est pas morte", il faut accepter sa fin pour éviter de s’incliner devant un cadavre momifié comme Lénine l’a été pour sacraliser la Révolution dans une icône. J’ai toujours refusé de visiter le mausolée de Lénine ; quand cela m’était proposé, j’exigeais de faire la queue par souci égalitaire, cela décourageait mes accompagnateurs. A la décharge de ce culte pharaonique, Lénine reposait bel et bien dans le drapeau de la Commune comme il l’avait demandé.

Un lien était créé et il faut le récréer aujourd’hui en dépassant les apparences, toutes les apparences, un travail sur soi et sur l’Histoire. Nous n’avons que trop tardé.

Je vois déjà dans la nuit des lucioles, le jeune homme et la jeune fille dont parlait Aragon. Étaient-ils à la Bastille ? Je n’en sais rien, les projecteurs, le discours, les télés m’ont empêché de les voir. Mais ils sont déjà là, j’en suis sûre.

Oui le PCF est mort mais toujours en France remontera le fleuve révolutionnaire, depuis Robespierre, Gracchus Babeuf jusqu’à Guy Moquet. Demain, celui qui prendra la tête de la révolte gauloise aura peut-être la peau brune et le flot de ses semblables qui endiguera le malheur, sera comparable aux héros de l’affiche rouge. Comme je l’espère. Ils verseront peut-être leur sang mêlé, parce que les temps ne seront pas nécessairement à la fête électorale.

Il est là je le sais. Il sont là, ceux qui toujours ont fait la France, pour lutter contre l’exploitation, l’oppression, et je le salue d’avance, je leur tends la main dans le silence de la nuit, cette nuit où nous nous croisons, moi qui suis sur le départ et lui qui va devoir réapprendre tout ce que j’ai cru savoir. C’est peut-être une bonne chose que de savoir que je dois tout réapprendre. Tant qu’existait l’espérance de la survie du PCF, je n’osais pas voir le nouveau, je restais engoncée dans de vieilles certitudes auxquelles je ne croyais plus, l’idée empruntée à dieu sait qui, qu’efficacité et humanité étaient inconciliables, de médiocres ruses, un cynis qui m’a toujours paru imbécile. Tout cela nous a conduit à la Bastille en 1981 et 2012, là où il n’y avait plus rien d’autre à prendre qu’un opéra et des restaurants hors de prix... Désormais le principe espérance se confond avec celui de consolation et je suis disponible.

Oui mon ami, tu réinventeras la France, pas la peur de l’autre, cette identité de la méfiance, celle qui cherche à faire tomber les coups sur plus malheureux que soi, celle qui mène à Vichy, mais celle de Marat qui conseillait aux "nègres des colonies de tuer leur maîtres" lorsque ces colonisateurs réclamaient une représentation à la Constituante.

Alors pourquoi ne pas reconnaître ce qui était là à la Bastille, peut-être est-ce là ce qui cherche à naître ? Je ne sais pas ce qu’est l’insurrection citoyenne, cela me parait comme la chauve souris de la fable, moitié oiseau, moitié rat pour n’être ni l’un, ni l’autre, une formule rouge de l’extérieur, blanche de l’intérieur, et ça merci je connais, déjà en 1981, à la Bastille...

Dans le temps qui me reste il n’y a plus personne en qui j’ai réellement confiance et comme je n’ai plus la foi du charbonnier, il faudra me convaincre. Pour le moment, ce soir de fête à la Bastille, le souvenir de l’épisode mitterrandien m’encombre et ne me dispose pas à voter pour cette pâle reproduction qui achève l’opération. Pour l’homme à la rose fut-il paré de drapeaux rouges, je n’y vois encore pas autre chose que le linceul dans lequel est enveloppé le cadavre du PCF. Je ne veux pas de cette icône insurrectionnelle que l’on agite pour me faire accepter la servitude et le conformisme... Peut-être y a-t-il en moi une exigence éthique avec une dimension esthétique : la Révolution à laquelle j’ai adhéré avec une passion que je ne regrette pas a toujours confondu la foule des opprimés et l’insolence du surréalisme, c’est peu dire que je suis loin du compte... à la Bastille... en 1981 et en 2012.

Donc attendons la suite mais cela ne se fait pas en un jour et le temps me manquera sans doute pour mettre en mai ce bulletin dans l’urne.

Mais je veux battre Sarkozy parce que je pense depuis son discours de Lyon que le fascisme ne se limite plus au Front National, à quelques groupuscules.

J’entends au-delà de la fête ce qui m’est dit : le PS et ses caciques insistent à raison sur la parenté entre l’insurrection et la réforme citoyenne, ce n’est plus qu’une question de forme, un peu d’impatience... Il faut bien changer quelque chose pour que tout reste à l’identique... Je songe au Guépard de Visconti, l’abbé faisait déjà le constat de l’échec de tout mouvement qui n’avait pas le peuple avec lui, de ces tractations de sommet entre ceux qui aspirent à le guider. Il n’empêche, il y a l’urgence, le capital peut décider d’en appeler à une solution musclée... Pour imposer une situation à la grecque, tirer du sang des pierres... Retrouver comme dirait l’ineffable Rocard une dictature militaire qui leur avait si bien réussi dans les années de 1967 à 1974... Tiens Rocard, encore un qui ne nous rajeunit pas, n’était-il pas aux côtés de Juquin sur l’estrade de la Bastille en mai 1981. Il était déjà à Charlety, quand Mitterrand s’offrit à la France en mai 1968, pour éviter le pire, la prise de pouvoir de la Classe ouvrière... Quand Cohn-Bendit insultait Aragon à la Sorbonne, en le traitant de Vieux con, ce à quoi Aragon lui avait répondu "C’est avec les jeunes cons que l’on fait les Vieux cons". Nous y sommes... Et en matière de vieux cons, il est difficile de faire mieux... Souvenirs... Souvenirs comme le dit Cambadelis treize ans après mai 68 : "à 20h, nous marchons vers la Bastille, drapeau rouge en tête... Paul Quilès, Gaston Deferre, Michel Rocard, Pierre Juquin et bien d’autres".

Voilà c’est la fin de la marche sur la Bastille... Le début d’une autre époque...

Voilà l’enjeu : simplement refuser si faire se peut le pire...

J’attends et en espagnol, l’attente se confond avec l’espérance...

Danielle Bleitrach

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