Ce soir, je n’arrive pas à dormir. Témoignage d’une étudiante à Lyon

, par  Gilbert Remond , popularité : 3%

Reçu par mail. Un témoignage précis et qui confirme de nombreux autres...

Jeudi 21 octobre 2010. Témoignage des évènements de la Place Bellecour, Lyon.

J’arrive un peu après 12h sur la Place Bellecour, accompagnée de plusieurs ami(e)s étudiant(e)s. Une
manifestation d’étudiants et de lycéens en partenariat avec la CGT et SUD, est prévue pour 14h Place
A. Poncet, située à l’angle de celle de Bellecour. De nombreux jeunes sont présents, en majorité des
lycéens et collégiens. On franchit un cordon de policiers pour entrer sur la place. Ceux-ci sont placés
par plusieurs dizaines à toutes les sorties de cette place publique, une des plus grandes de France. Ils
sont équipés d’armures des pieds à la tête, casque, bouclier, matraque, pistolet… Se trouvent
également un camion du GIPN (groupe d’intervention de la police nationale, qui eux ont un camion
blindé et sont cagoulés) et deux camions à eau anti-émeute. Un hélicoptère survole le lieu à basse
altitude. Une demi-heure plus tard, suite à quelques pierres lancées en directions des policiers et de
leurs véhicules, les flics se mettent en action et lancent les fusées lacrymogène.
Dispersion de la
foule.

Vers 13h30 nous commençons à nous rapprocher de la Poste, d’où part la manifestation. Le cordon
policier est toujours présent et sépare les manifestants qui sont déjà sur la place Bellecour de ceux
qui sont sur la place A. Poncet. Ils refusent de nous laisser passer. Après une demi-heure de
discussion, les syndicats aidant probablement, ils finissent par ouvrir le cordon et laissent passer une
trentaine de personnes avant de le refermer brutalement, lorsque apparemment la population qui
passe ne répond plus aux critères du « bon manifestant » (la peau claire, pas trop jeune, pas de
survêtement ni capuche). Plus personne n’a le droit de sortir de Bellecour. La tension monte.
Quelques projectiles sont jetés, auxquels les policiers répondent matraques levées par des fusées
lacrymogènes . Pendant plus d’une heure nous essayons, en vain, de rejoindre l’autre partie des
manifestants, qui nous attendent, de l’autre côté. Eux aussi se font gazer. La foule de Bellecour est
dispersée.

A 15h30, finalement, les manifestants « libres » décident de partir en cortège. Nous, on attend. On
est plusieurs centaines sur la Place. Celle-ci est relativement calme. On attend, éparpillés par petits
groupes sur l’ensemble de la place. Les flics disent qu’on pourra ressortir quand la manifestation sera
partie. On attend. L’hélicoptère tourne au-dessus de nous dans un bruit assourdissant. Il y a
quelques mouvements de foule mais la scène reste calme. A vrai dire, on se fait chier. Croyant
seulement partir en manifestation, je n’ai rien pris avec moi, ni eau, ni nourriture, ni occupation.
J’attend, comme tous les autres. Un peu plus tard nous décidons de nous en en aller avec une amie.
Mais les flics refusent toujours de nous laisser passer. Il doit être aux alentours de 16h30, cela fait
trois heures qu’ils nous retiennent. Je leur dit mon envie de pisser et de manger, mais pas moyen. Je
commence à en avoir sérieusement marre, et prend conscience de la rétention forcée que je subie.
Les flics nous disent que c’est un ordre du préfet, et qu’ils ne savent quand ils auront l’autorisation
de nous laisser sortir. A un ami qui demande s’il serait possible d’amener un ballon de foot de
l’extérieur, histoire de s’occuper, le flic répond qu’il n’a qu’à prendre la vessie bien gonflée de la
jeune fille qui vient de demander à sortir pour aller aux toilette, avant de s’esclaffer avec ses
collègues.

Personne ne comprend la situation. Malgré tout la place s’est vidée un peu. Aidés par des habitants
et des propriétaires de magasins, qui leur ont ouvert les portes et arrière-boutique, certaines
personnes ont pu sortir. J’apprends également que les policiers ont laissé sortir certains amis
étudiants, mais qu’en revanche les jeunes typés maghrébins qui étaient à côté d’eux se sont vus la
sortie refusée. Le délit de faciès est systématique. Sur la place, nous ne nous organisons pas. Chacun
reste dans son coin, on est abasourdis, on attend juste de pouvoir sortir. La moyenne d’âge des
personnes retenues ne dépasse pas 18 ans.

Il est environ 17h, et nous apprenons que nous ne sortirons peut-être pas avant 21h. Les esprits
commencent à paniquer. J’entends des collégiens qui essayent de faire comprendre à leur parents,
au téléphone, qu’ils ne peuvent pas rentrer car ils sont retenus par des policiers. Il fait de plus en plus
froid. Je retourne voir les policiers pour des explications. Un d’entre eux m’explique « qu’on a de la
chance d’être en France car si on était en Espagne on se serait déjà fait fracassé la tête par la garde
civile », et que « lorsqu’il y a des troubles de l’ordre public, la liberté de circuler librement peut être
suspendue ». La place, à ce moment et depuis plus d’une heure, est parfaitement calme. Lorsqu’un
peu plus tard des jeunes commencent à se rassembler en protestant au centre de la place, ces
policiers avec qui nous « discutions » pointent sur nous leurs armes (je ne sais pas si c’est des lances-fusées
ou des flash-ball) et nous somment de reculer. Ce qu’on fait. Des lacrymo sont lancées sur
toute la place : des fusées jetées dans le ciel et qui s’éparpillent, en retombant, sous forme
incandescente. Les gens courent dans tous les sens. On essaie de rester sur le trottoir, le long des
façades, pour se protéger le plus possible. Un jeune homme est à terre. Les autres reviennent pour le
secourir, tandis que les policiers, à 10m les menacent toujours de leurs pistolets. J’entends qu’il est
blessé, et des jeunes, mains en l’air, demandent aux policiers de ne pas charger. Finalement les flics
font reculer tout le monde. Ils cherchent à relever ce jeune homme, qui se débat. Ils l’immobilisent à
trois, au sol, puis le traînent par un bras sur 20m, jusqu’à leur camion, derrière lequel il disparaît.
Devant moi, une jeune fille, environ 15 ans, en pleurs, dans les bras d’une amie à elle. Elles vont voir
les policiers, demandent à sortir, elles pleurent, disent ne plus en pouvoir, veulent rentrer chez elles.
Le flic leur dit de dégager. Des détonations continuent de retentir, la fumée recouvre la Place. Il est
dur d’ouvrir les yeux et de respirer. A 30 m à ma droite une jeune fille est étendue sur le sol. Des
gens se regroupent autour pour l’aider. Je ne la vois pas réagir, je ne sais pas ce qu’elle a. Peut-être
une crise d’asthme, peut-être un coup de flash-ball ? (au final je crois qu’aucun tir de flash-ball n’a
été fait). Les gens crient pour qu’on appelle les pompiers. Finalement, au bout de peut-être 10
minutes des policiers repoussent tout le monde et l’entrainent plus loin.

L’hélicoptère tourne, encore, au dessus de nos têtes.

Face à notre incompréhension, un flic nous dit : « c’est une innovation policière ».

Je marche. Un rassemblement commence à se faire au milieu de la place. Tout le monde en a marre.
On commence à avoir peur de ne plus pouvoir sortir. Cris de protestations. Quelques pierres sont
jetées. Ils répondent, encore, par de la lacrymo et des détonations extrêmement sonores.
Finalement ils décident de sortir les camions à eau anti-émeute. Ils arrosent. Les gens sont dispersés.
On attend. Ils renvoient encore une ou deux fois de l’eau. On reste dispersé. On erre. Les gens
marchent. J’en ai trop marre. Je commence à craquer. Il n’y a plus de soleil sur la place. Il fait froid. Je
n’ai pas mangé depuis ce matin. On commence à marcher, plus ou moins en groupe.

Vers 18 heures, les flics nous informent qu’on peut sortir dans l’angle nord. Tout le monde s’y rend.
Ils nous répondent par de la lacrymo. On y retourne. Les gens crient, mains en l’air : « on nous a dit
qu’on pouvait sortir par là ! ». Rebelote. Fusée lacrymo, dispersion. A la troisième tentative, on nous
laisse approcher. Effectivement, les flics nous laissent enfin sortir. Ils font sortir les gens un par un,
relèvent les noms, prénom, adresses, puis font une fouille au corps (palpation disent-ils), et vident les
sacs. Comme nous sommes plus de 200 personnes, cela prend beaucoup de temps. On se serre,
docilement, pour faire la queue, tête baissée. Alignés, ils rabattent tous les prisonniers à l’extrémité
de la place. Ils nous disent qu’on sortira tous, mais au compte-goutte. On attend. Ceux qui n’ont pas
leurs papier d’identité sont mis de côté. On fini par nous laisser passer. Pendant qu’elle me « palpe »
elle me dit qu’elle va faire ça vite. Je suis écœurée. Cela fait presque 6h que les policiers ont reçu
l’ordre de ne laisser sortir personne de la place Bellecour. 6 heures qu’environ 200 personnes (et je
pense dire cela au bas mot) sont privées de leurs liberté essentielles : circuler, manger, boire, aller
aux toilettes. 6 heures que l’on est retenu sur une place publique, sonnés, dans l’incompréhension,
avec plus d’une centaine de policiers qui nous encerclent, pointent sur nous leurs armes au moindre
mouvement de foule et les utilisent… et l’hélicoptère qui tourne quasiment en permanence. Le flic
qui contrôle l’identité de mon amie lui dit « au moins, hein, vous avez plus envie de
recommencer ! ».

C’est dégueulasse…

Les nerfs lâchent, un policier s’aperçoit que je suis en pleurs et se charge de nous amener
rapidement derrière le dernier cordon de flics qui nous sépare de l’extérieur. Ils nous fait passer au
milieu d’un groupe d’une trentaines de jeunes, tous typés maghrébins ou africains, qui sont en train
de monter dans un bus. Ils n’ont pas plus de 18 ans. Je demande où ils vont : au poste, pour contrôle
des identités. Il est 18h45. Les flics disent qu’ils les relâcheront dans la soirée. 2 bus vont ainsi partir
en direction du commissariat.

Une fois passé les cordons de CRS je rejoint les manifestants libres, qui après la manifestation sont
venus au plus près de la place Bellecour pour nous soutenir. On nous propose à manger, nous
réconforte. Les manifestants tentent d’empêcher les bus de partir. La B.A.C. intervient, les bus s’en
vont.
Très mal vécu cette situation, oui. Choquée, oui. Pour terminer je vais au premier bar que je trouve
pour aller aux toilettes. Le propriétaire refuse, il me dit qu’il vient déjà de refuser à 10 personnes, et
qu’il ne fera pas d’exception pour moi. Je pisse dans la rue, sous le regard des passants et des
manifestants.

Humiliée, oui.

On m’a retiré le droit de manifester, on m’a retirer le droit de circuler librement. Nous étions
parqués comme des animaux, parfois rabattus d’un côté ou l’autre de la place par des groupes armés
mobiles. Je n’ai insulté personne, ni levé la main sur quiconque. 6 heures de garde à vue collective à
ciel ouvert avec intimidation policière. Durant ces 6 heures, aucune vitrine de la Place n’a été brisée,
aucune dégradation de biens publics. Je peux vous dire que pourtant, au bout de plusieurs heures,
moi-même qui suis pacifiste, je commençais à nourrir une certaine colère. Besoin de protester. Oui.
Car besoin de dire Non à des « innovations policières » de ce genre. Cette rétention était injustifiée,
anormale. Nous étions sans cesse mis sous pression, et les armes déployées étaient démesurées face
à la population retenue. Je me rendais simplement, comme beaucoup de ceux présents cet après-midi
à Bellecour, à une manifestation, déclarée et autorisée par la préfecture.

Ce soir, je n’arrive pas à dormir.

Lou-Andréa, étudiante à l’Ecole Normale Supérieure, Master Sociologie.

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