Tour d’horizon de la géopolitique mondiale
La rentrée 2024 est marquée par la persistance de l’affrontement EstOuest qui se manifeste en Europe par une guerre par procuration (proxy war), celle de la guerre en Ukraine dont les stratèges évitent tant bien que mal la dégénérescence en conflit nucléaire, et, en ExtrêmeOrient, par une guerre froide, de la Mer de Chine méridionale à la péninsule coréenne, deux menaces majeures pour la paix mondiale, dont o n va aborder brièvement l’impact aux quatre coins du monde, et qui se sourajoutent à l’abcès douloureux de l’hégémonisme israélien au ProcheOrient.
En ce qui concerne le front ukrainien tout d’abord, le gouvernement de Kiev – où Volodymyr Zelensky en théorie n’est plus légalement président – a cru habile de lancer début août une offensive sur le territoire russe luimême au niveau de l’oblast de Koursk, en utilisant, semble-t-il, des troupes d’élite dont une bonne partie de mercenaires de pays de l’OTAN.
L’opération s’inscrit dans la lignée de beaucoup de provocations contre la Russie au cours des derniers mois comme le bombardement de Belgorod (sur le territoire russe), l’attaque du dispositif de radars d’Orsk en mai 2024 et même la destruction d’un bombardier Tupolev par un drone ukrainien dans une base de la péninsule de Kola (près du cercle arctique, qui a pu soulever la question de savoir si la Scandinavie n’a pas servi de base arrière). Bizarrement ces attaques au mépris du droit international ne suscitent pas la même désapprobation au niveau mondial que l’invasion du territoire ukrainien par les Russes en 2022, ce qui tout de même pose la question du deux poids deux mesures. Cela a conduit la Russie début septembre à annoncer qu’elle se réservait désormais le droit de riposte nucléaire dans les cas d’attaque de ses dispositifs stratégiques avant même qu’une première frappe n’ait eu lieu, ce qui est une extension de sa doctrine de défense.
L’objectif de l’attaque de Koursk n’est pas clair au moment où l’armée ukrainienne recule dans le Donbass et où les ministres à Kiev sont poussés à démissionner les uns après les autres. Il a été avancé que le général Syrsky pouvait avoir en tête un échange de territoires avec les oblasts ukrainiens conquis par les Russes, au moment des négociations qu’on croyait voir se profiler à l’automne, mais l’effet immédiat a été plutôt d’accentuer la colère russe (avec à titre de représailles des bombardements sévères sur les villes de l’Ouest ukrainien) et d’éloigner les perspectives de négociations. Il est très difficile de savoir ce qui se joue vraiment dans cette occupation ukrainienne de quelques centaines de kilomètres carrés en Russie, qui, contre l’avis de certains observateurs antiZ elensky , a quand même tenu tout le mois d’août. Y atil des objectifs cachés ? Il a été avancé par exemple que les Ukrainiens avaient peutêtre des vues sur la centrale nucléaire russe de Kourtchatov… mais c’est assez spéculatif, comme le thème des laboratoires militaires biochimiques américains d’Ukraine et de Géorgie en 2022. S’agitil seulement de justifier les livraisons d’armes occidentales à la veille des élections américaines (livraisons auxquelles le candidat républicain, s’il est élu, mettra probablement fin) ?
L’effet auprès de l’opinion publique internationale est assez mitigé. L’image de chars Léopard allemands sur le territoire russe, applaudie par le gouvernement de Berlin aux abois (comme Macron, il a une base électorale de plus en plus étroite) rappelle que l’oblast de Koursk fut le théâtre de la plus grande bataille de blindés de l’Histoire pendant la Seconde guerre mondiale. Le retour des blindés allemands sur le sol russe n’est pas un bon signal, surtout quand, même sur LCI (le 18 août 2024), on voit un Ukrainien portant un casque de SS sur une route russe.
Sur le plan diplomatique, on a le sentiment que la Russie renforce sa position auprès des ex Républiques soviétiques, et même, audelà, au niveau de son ancien glacis stratégique en Asie. Poutine a pu se déplacer, sans être inquiété par le mandat de la Cour pénale internationale contre lui, en Azerbaïdjan (le 18 août), avec escale en Tchétchénie pour remercier son ami Kadyrov de son engagement militaire en Ukraine, puis en Mongolie (le 4 septembre). La Géorgie refuse toujours de devenir le théâtre de l’ouverture d’un nouveau front antirusse : malgré les calomnies occidentales contre le parti ‘Rêve géorgien” et la tentative de “révolution colorée” contre lui (où même des personnalités politiques se sont mêlées aux manifestants) à propos de la loi sur le contrôle des associations financées par l’étranger, et les intrigues de sa présidente ex diplomate française (et – on oublie de le rappeler à l’Ouest – ex soutien du parti “Rêve géorgien”), il reste peu probable que le pays bascule dans le c amp des néo conservateurs otaniens. Par ailleurs le commerce russo kazakh est de plus en plus florissant. Et, comme les Chinois, Moscou s’engage dans un processus de normalisation de ses relations avec les Talibans afghans assis sur de précieuses ressources minières.
La réunion de l’Organisation de coopération de Shanghaï à Astana en juillet où Xi Jinping et Vladimir Poutine ont ensemble plaidé pour un monde multipolaire a permis de mettre en valeur la solidité du bloc eurasiatique.
Il y a quand même des exceptions à ces gains d’influence en Asie : l’Arménie est délibérément sortie du giron russe, l’Abkhazie a su s’opposer (provisoirement ?) à la loi permettant la construction d’appartements pour les Russes (qui menaçait son équilibre démographique), le Tadjikistan a conduit un exercice militaire commun avec la garde nationale américaine en m ai dernier. Les néo conservateurs américains peuvent toujours envisager d’enfoncer un coin ici ou là pour mettre la Russie en difficulté, sans oublier la carte des organisations terroristes qui pourrait être mobilisées (on ne sait toujours pas très bien qui tire les ficèles de l’Etat islamique du Khorasan, responsable de l’attentat du Crocus City Hall de Moscou en mars dernier)

Dernière minute
Israël : Les voix dissonnantes se font entendreDéjà expulsé de force de la Knesset le 3 avril dernier pour avoir dénoncé le bombardement des hôpitaux à Gaza, Ofer Cassif, député communiste israélien a de nouveau pris la parole devant la Knesset fin septembre :
"Depuis que le gouvernement israélien a choisi l’escalade au Liban, nous n’avons plus de paix. Les habitants du Nord ne sont pas près de rentrer chez eux. Les habitants des autres régions risquent de perdre leurs maisons. Quelle sorte de société est celle qui se rejouit du deuil et des massacres de masse au Liban et à Gaza ? Une société malade, militariste, violente et inhumaine qui sacrifie allègrement ses propres fils et filles à commencer par ceux qui ont été kidnappés à Gaza. La destruction à Beyrouth et à Gaza est aussi une destruction morale d’Israël contre l’israél pour lequel nous devrons lutter : un Israël humain, démocratique, égalitaire et libre. Assez de guerre ! Assez de massacres ! Seule une solution politique apportera la sécurité et une garantie pour notre avenir.”
En Europe, la presse russe rêve toujours d’une adhésion de la Hongrie aux BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, élargi à 10 membres depuis novembre) mais cela semble surtout relever du fantasme, du moins tant que l’Union européenne n’a pas explosé. De même la Serbie semble pencher toujours plus vers l’Ouest après que Macron le 29 août et signé à Belgrade divers contrats dont des livraisons de Rafale. Il faut dire que la Serbie est en train de devenir un El Dorado du lithium, avec le soutien de l’Union européenne (et quelques oppositions écologistes dont on ignore quels intérêts elles servent). De même la pauvre Moldavie semble prendre définitivement le large à l’égard de la Russie, au prix d’une répression féroce de toute opposition intérieure, assimilée à l’oligarque israélien pro Kremlin Ilan Shor, qui contrôle notamment la région autonome de Gagaouzie.
A la limite, l’OTAN aurait plus à s’inquiéter du sort de l’Allemagne, en pleine crise industrielle depuis que Washington a plombé son approvisionnement en gaz russe et lancé un Green Deal très protectionniste : les effets s’en font notamment ressentir sur Volkswagen, confronté à un conflit social sans précédent. Les dernières électio ns dans l’Est de l’Allemagne montrent que le parti de pro guerre en Ukraine à Berlin suscite de plus en plus d’oppositions (comme le régime macronien en France) tandis que la percée de la communiste souverainiste Sarah Wagenknecht commence à faire quelques émules (en Tchéquie notamment).
Il est difficile de faire, sur le plan de la prospective, la part des choses de l’équilibre des forces dans ce nouveau bras de fer EstOuest, où tous les protagonistes présentent des atouts et des fragilités. La Chine maintient un bon niveau de croissance (environ 5 % en rythme annuel), mais reste ébranlée par la crise immobilière et pâtit de la guerre commerciale que lui a déclarée l’administration Biden (guerre qui pourrait s’intensifier si Trump l’emportait sur Kamala Harris en novembre – c e qui est incertain pour l’instant). La Russie a bien résisté aux sanctions (avec une croissance à 3 % de loin supérieure à celle des Occidentaux ) en réorientant son commerce (notamment le pétrole, dont le prix reste élevé) vers la Chine et l’Inde. Mais les sanctions secondaires lancées par les EtatsUnis contre les banques qui continuent les transactions avec Moscou pourraient produire prochainement des effets, en s’ajoutant à l’inflation structurelle, dans une économie artificiellement dopée par la dépense publique (notamment militaire, mais pas seulement). En outre il faut toujours rappeler que les BRICS ne sont pas un bloc (et le seront encore moins si la Turquie, membre de l’OTAN, l’intègre, comme en avance l’hypothèse) et l’on peut se demander si leurs initiatives communes telles que leur projet de réseau de paiement alternatif au système Swift n’auront pas pour effet principal de créer une compétition avec l’Ouest dans la mise en place de dispositifs liberticides comme les monnaies numériques, compétition à laquelle ni les citoyens des pays riches ni ceux des pays émergents n’ont rien à gagner.
On remarque aussi qu’en Asie le modèle libéral occidental continue de séduire la jeunesse comme on l’a vu au Bangladesh qui a vu en août la première ministre légalement réélue depuis plusieurs années Sheikh Hasina renversée par un mouvement social, dont certains avancent qu’il pouvait s’apparenter à une « révolution de couleur » pilotée par les néo conservateurs américains (question qui s’était aussi posée à propo s du Sri Lanka en 2022). L’accusation est peut être un peu rapide car on n’y a pas vu (pour l’instant du moins) les preuves d’un développement systématique d’ONG financées par USAID ou la fondation Soro s (Open Society ), mais Sheikh Hasina avait ellemême laissé entendre qu’elle avait subi des pressions et des menaces de l’ambassade américaine qui voulait ouvrir une base navale dans le golfe du Bengale (face à la Birmanie pro chinoise), tandis que Washington voyait d’un mauvais œil la politique de coopération entre Dacca et les BRICS. Info ou intox d’un gouvernement en porteàfaux avec les aspirations de son peuple ? Force est de constater en tout cas que le succ esseur de Sheikh Hasina, Muhammad Yunus, proche de Barack Obama et du Forum économique mondial, récompensé par l’Académie Nobel pour ses innovations en matière de « microcrédit » (des prêts aux pauvres à des taux exorbitants) a tout pour plaire à l’oligarchie occidentale. On ne prête qu’aux riches, et l’on se souvient de la manière dont cette oligarchie s’est débarrassée d’un autre premier ministre du sous continent indien un peu trop pro russe, renversé au terme d’une guerre judiciaire (law fare) et dont il est question d’interdire complètement le parti (qui a pourtant remporté 93 des 265 sièges de l’assemblée nationale en tête devant les autres en février dernier).
Du Pakistan à la France, la crispation des oligarques dans un contexte de guerre permanente entretenue au niveau mondial ne favorise pas le respect des procédures démocratiques, ni des libertés individuelles (comme l’a montré l’arrestation du patron de la messagerie Telegram Pavel Durov le 24 août au Bourget), sans même parler de la justice économique et sociale qui passe totalement à la trappe. Autant le décollage des BRICS sur la scène internationale comporte une bonne part d’incertitudes, autant l’autoritarisme croissant des puissances occidentales est luimême le symptôme d’une crise profonde au milieu de la stagnation économique, des pressions migratoires, et de la vulnérabilité militaire révélée par le conflit ukrainien (à l’occasion duquel l’Europe a pris conscience qu’elle ne pourrait pas soutenir une guerre conventionnelle, notamment du fait de la pénurie de munitions et d’armes lourdes).
L’autoritarisme se constate aussi dans certaines parties de l’Amérique latine où les positions se polarisent. Au Nicaragua les acquis de la révolution sandiniste ne semblent pouvoir se consolider, une génération plus tard, qu’au prix d’un durcissement de l’emprise de la famille Ortega sur le pays, avec l’aide économique de la Chine. Au Venezuela le chavisme perdure en se transformant en une social démocratie très bienveillante à l’égard des investissements privés des BRICS et sévère à l’encontre des mouvements situés sur sa gauche (outre les arrestations arbitraires d’activistes, on a observé l’organisation d’un véritable putsch au sein du parti communiste, sembletil directement piloté par les organisations du parti socialiste). L’opposition de droite incapable de s’unir à l’élection présidentielle qu’elle a vraisemblablement perdue (ce qui est d’autant plus probable que beaucoup de Vénézuéliens de droite ont émigré : un vénézuélien sur quatre vit hors de son pays, à cause notamment des sanctions occidentales très dures imposées à l’économie), comme à son habitude mise sur la désinformation dans la presse planétaire et sur l’agitation dans la rue, ce qui n’est pas de nature à ramener dans le pays les conditions d’une démocratie sereine.
Comme toujours le narco trafic (la culture de la coca qui avait déjà doublé entre 2013 et 2017, a repris de plus belle après le Covid), reste un argument politique pour disqualifier les peuples qui résistent à l’impérialisme nordaméricain. Les gouvernements de Cuba et du Venezuela ont été accusés d’y être associés. C’est le tour aujourd’hui de celui du Honduras montré du doigt par l’ambassadrice américaine à Tegucigalpa, qui accuse celuici de collaborer au commerce de la cocaïne
avec celui de Caracas. La nouveauté est que ce petit pays (10 millions d’habitants) trouve aujourd’hui la force de répliquer en dénonçant en représailles le traité d’extradition qui lie son pays aux EtatsUnis. La même semaine le président du Mexique répliquait par une menace de “suspendre” les relations diplomatiques avec les ambassades des ÉtatsUnis et du Canada après que leurs ambassadeurs ont critiqué sa proposition d’élire les juges au suffrage universel …
La logique de guerre froide rigidifie les régimes d’extraction populaire comme les membres de l’Alliance bolivarienne (rappelons que le président bolivien a été soupçonné en juin dernier de mettre en scène luimême un faux coup d’Etat pour renforcer son autorité). Il en va de même des régimes liés aux oligarques pro américains : au Pérou le président légitime Pedro Castillo est toujours derrière les barreaux accusé de “rébellion”, en Argentine Javier Milei continue de tenter d’appliquer une thérapie de choc économique digne de l’époque de la dictature de Pinochet au Chili jadis (même si heureusement beaucoup de pays d’Amérique latine, au milieu des tensions, parviennent à conserver des options politiques plus équilibrées).
L’Afrique peutelle pour sa part tirer quelque avantage des tensions russo occidentales et sino occidentales pour l’émancipation de ses peuples ?
Les thuriféraires de la Confédération « Alliance des États du Sahel » (AES) créée le 6 juillet 2024 entre le Burkina Faso , le Mali et le Niger sous le regard bienveillant de leur allié moscovite tentent de le faire croire dans les médias alternatifs, mais ce conglomérat de régimes putschistes réunissant des pays pauvres enclavés n’apparaît être pour l’instant qu’un embryon de réplique aux caciques de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), un temps incités par la France macronienne à déclencher une opération militaire au Niger (opération aventureuse à laquelle ils ont heureusement renoncer, car elle aurait pu enflammer l’ensemble de la sousrégion).
Empêtrée notamment dans les difficultés causées par les sanctions économiques et la guérilla islamique sur son sol, l’AES est encore bien loin de pouvoir faire office de nouveau “phare panafricaniste” comme elle le rêverait. Le nouveau président du Sénégal, Bassirou Dio maye Faye, qui a succédé au très pro français Macky Sall, après avoir surfé sur une vague antiélyséenne dans son pays (favo risée par le cynisme de notre président), conserve une attitude prudente en tentant plutôt de jouer les intermédiaires entre la CEDEAO et l’AES et en proclamant qu’il n’y aura pas de “rupture brutale” avec la France (il est vrai par ailleurs que, comme Macron, il n’a même pas la majorité dans son propre parlement). Et les impérialistes occidentaux peuvent aussi miser sur les dissensions entre le Mali et l’Algérie : fin août le représentant d’Alger à l’ONU a dénoncé la présence des mercenaires de Wagner à sa frontière et appelé à l’instauration de sanctions, tandis qu’un chasseur Su30 de l’armée de l’air algérienne décollait le 27 août au matin de la base de Tamanrasset après avoir détecté une menace à la frontière du Mali. L’appareil a lancé des signaux d’avertissement à l’attention d’un drone turc TB2 qui survolait la zone.
Ces tensions profitent au Maroc qui, avec le soutien des EtatsUnis, a pu faire accepter par l’Espagne et la France sa souveraineté sur le Sahara occidental – ne seraitil pas lui-même en mesure de réconcilier l’AES et la CEDEAO, en devenant le nouveau chien de garde de l’oligarchie atlantiste pour le contrôle de l’Ouest africain ?
A l’Est de l’Afrique de l’Est, les perspectives pour les peuples sont aussi peu réjouissantes, avec la guerre par procuration que se livrent l’Ethiopie et l’Egypte au Soudan : les Forces de soutien rapide qui se sont opposées aux Egyptiens (lesquels voulaient empêcher l’Ethiopie de construire un grand barrage sur le Nil) continuent de progresser militairement, tandis que le régim e d’Addis Abeba, nouvellement membre des BRICS (et fournisseur privilégié de café pour la Russie), menace l’intégrité de la Somalie en reconnaissant l’indépendance du Somaliland. Il ne semble pas que l’appartenance commune de l’Egypte et de l’Ethiopie aux BRICS soit pour l’heure une source d’apaisement des tensions régionales. De même le Rwanda continue de jouer sa partition avec une certaine impunité. Paul Kagamé réélu avec 99 % des suffrages sans que cela ne suscite d’indignation dans la “communauté internationale” est accusé de tirer parti de sa place dans les forces militaires d’interposition pour exploiter les ressources de la Centrafrique et au Mozambique comme cela lui a été aussi reproché au Congo . La soif de minerais de l’Union européenne dans le cadre de sa Révolution verte (Kagame a rencontré Ursula von der Leyen dans ce cadre en décembre dernier) tout comme les besoins en cobalt des usines de smartphones chinoises de Taiyuan sont une assurancevie pour les mafias de Kigali dont on ignore les ramifications (certaines mauvaises langues les ont même vues à l’arrièreplan des émeutes antiimmigrés au Royaume Uni, à la suite du meurtre de petites filles par un Gallois d’origine rwandaise le 29 juillet 2024).
On ne peut terminer ce tour d’horizon des points de tension dans le monde sans, biensûr, aborder le ProcheOrient et la Palestine, un point focal symboliquement capital pour l’ordre international actuel. Le gouvernement d’extrêmedroite israélien, en réponse aux massacres du 7 octobre par une coalition militaire organisée autour du mouvement islamique Hamas, se livre sans vergogne à une opération d’éradication de cette force militaire, sans grands égards, c’est le moins qu’on puisse dire, pour la population civile, déplacée au gré des injonctions des Forces de défense israéliennes. En avril Euro Med Hum an Rights Monitor estimait que 70 000 tonnes de bombes ont été déversées sur la bande de Gaza depuis octobre (en 7 mois) sur un territoire de 360 km 2. A titre de comparaison, en presque 3 mois, l’OTAN avait balancé 15 000 tonnes de bombes sur la Serbie en 1999. On est loin des 638 000 tonnes déversées sur le Vietnam en 1966, mais rapporté au nombre de kilomètres carrés, on est à 1,9 au Vietnam , 194 à Gaza (même s’il est vrai que les soidisant objectifs militaires à Gaza sont en théorie plus concentrés).
La plus grande partie des infrastructures d’éducation et de santé ainsi que des logements privés ont été détruits et les déclarations des ministres du gouvernement Netanyahou ont pu laisser croire à la Cour internationale de justice, dès janvier, que l’existence d’un génocide était “plausible“. Parallèlement les Palestiniens de Cisjordanie subissaient aussi une répression militaire.
Israël a bénéficié d’un dispositif médiatique planétaire contrôlé par des oligarques qui lui est très favorable, partagé entre un centregauche historiquement acquis à sa cause, aux Etats Unis et en Europe notamment, et des médias populistes de droite émergents comme le groupe Bolloré en Franc e, Fox News et la plateform e X aux EtatsUnis, en fait acquis au thème d’une alliance “judéo chrétienne“ contre le “péril musulman“. De fait, aucune mesure d’interdiction de livraison d’armes n’a été prise par des grandes puissances (à l’exception récemment par le RoyaumeUni pour une série limitée), ni aucun boycott économique, et, sous couvert de lutte contre l’antisémitisme, ou contre la notion vague d’“incitation à la haine”, des entraves à la liberté d’expression se sont multipliées dans plusieurs pays de tradition libérale, parfois au mépris même des règles de l’Etat de droit (on a même vu en France la cheffe d’un parti d’opposition placée en garde à vue pour avoir appelé à une paix juste en Palestine).
Cependant cette fuite en avant de Benjamin Netanyahou qui, soumis à des poursuites judiciaires, joue son vatout politique, ne trompe personne. Il est de plus en plus visible que le gouvernement israélien au bout d’un an de combat n’obtient ni la libération des otages, ni l’éradication du Hamas tapis dans ses tunnels. Israël semble jouer là sa survie, non seulement parce que son imag e à l’international en sort dégradée (les manifestations dans certains pays du “Sud Global“, l’agitation estudiantine pro palestinienne sur les campus américains et européens en sont la preuve), mais parc e qu’un mouvement d’émigration de sa population paraît enclenché durablement depuis le début de l’opération à Gaza, les organisations comme le Hamas mais aussi le Hezbollah libanais et même les Houthis yéménites qui se sont investis dans le conflit ayant fait la preuve que le dôme de protection aérienne du pays ne fonctionnait plus (comme l’Occident face à la Russie, Israël a du réviser le mythe de son invulnérabilité).
Netanyahou à plusieurs reprises a menacé de transformer l’opération de Gaza en déflagration régionale voire mondiale, mais il semble qu’il ait rencontré des obstacles. Il n’est pas certain que l’administration Biden, dominée par des néo conservateurs, ait joué un rôle modérateur (elle a d’ailleurs reçu en grande pompe Netanyahou au Congrès cet été), mais il se peut que l’armée israélienne, consciente du fait qu’elle a moins de chances encore aujourd’hui de l’emporter face au Hezbollah qu’en 2006, ait freiné l’exaltation des responsables politiques, comme l’armée américaine l’avait fait face aux velléités guerrières de George W.Bush au moment de son second mandat. En outre force est de constater que les différentes opérations de provoc ation israéliennes comme la liquidation de Fouad Chokr à Beyrouth, et d’Ismaïl Haniyeh à Téhéran n’ont fait l’objet que de réponses assez homéopathiques de la part des divers protagonistes (sans qu’o n sache vraiment ce qui a pu se négocier en coulisses).
Il n’est pas certain qu’une éventuelle élection de Trump à la Maison Blanche permette au gouvernement de TelAviv d’aller beaucoup plus loin dans ses projets hégémonistes compte tenu des rapports de force sur le terrain, et du fait que le chef de file de la droite américaine, tout en se présentant comme le meilleur ami d’Israël, a déjà démontré par le passé (dans ses négociations avec Kim Jong Un notamment), à la différence de nos grands médias, sa capacité à intégrer un certain “principe de réalité”.
Frédéric Delorca, 7 septembre 2024