On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans Pour un débat public et citoyen loin des polémiques

, par  Pierre-Alain , popularité : 5%

On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans écrivait Rimbaud. Un jeune de 17 ans est mort, par une balle de police, et la France craque dans 5 jours de violences, d’incendies, de destruction de biens publics, écoles, mairie, de biens privés, voitures, commerces...

Il y a beaucoup de discussions entre amis, militants, voisins sur ces jours d’émeutes. Il est difficile de tenir compte de tous les aspects de ces évènements. La gauche se retrouve divisée. Certains ne veulent parler que des violences policières, parfois même en refusant de condamner les violences qui ont suivies, en les considérant même comme des "luttes de classe" qui auraient un contenu révolutionnaire... D’autres voient au contraire la dégradation du tissu social et des violences qui sont une guerre dans le peuple, bien loin d’une guerre contre la bourgeoisie.

Cela conduit certains à des polémiques insultantes, notamment contre Fabien Roussel, les communistes et leur plan de réconciliation nationale par l’égalité républicaine qui associe propositions de réforme de la police, et propositions pour la justice, contre les inégalités sociales, territoriales, républicaines en les inscrivant dans un projet progressiste de transformation sociale.

Pour sortir de ces polémiques, il faut ouvrir largement le débat sur tous les aspects de cette période.
- d’abord bien sûr, la violence inacceptable de l’intervention de police que confirme le témoignage du passager, violence d’un policier pourtant expérimenté qui s’emporte dans une longue course poursuite face à la fuite en avant de ce jeune sans permis qui croit s’échapper dans une belle voiture de location prêtée par un ami. Le calme et la raison aurait du être du coté du policier. Le jeune ayant abandonné le lycée aurait du être suivi par un éducateur, "l’ami" ayant prêté la voiture aurait du être protecteur. Mais c’est la terrible escalade jusqu’au crime [1].
- les échauffourées qui suivent et qui révèlent encore une fois la fracture entre la police et une partie de la jeunesse prenant tous les risques pour l’affronter, une police de plus en plus marquée par l’américanisation de la société française, dont les tenues et les techniques se sont transformées et durcies depuis 20 ans sans faire reculer le racisme, sans reconstruire des liens solides et républicains avec la population.
- la dégradation des liens sociaux, l’individualisme et la banalisation de la violence qui conduit des jeunes et des moins jeunes à casser les biens publics et privés essentiels à leurs voisins et parents, et parfois même à les agresser, comme dans l’incendie des logements de Villeurbanne, à l’opposé de la marche non violente pour l’égalité des droits et la lutte contre le racisme de 1983
- la nature réelle de ces évènements, semblant mêler des forces diverses, jeunes de quartiers, [2] moins jeunes, ultra-gauche [3], trafiquants... avec cette logistique industrielle des milliers de mortiers utilisés partout et dont il faudrait comprendre le financement, impossible pour un ado de famille pauvre, jusqu’à cette attaque d’un train de marchandises à Givors qui suppose une organisation et des complicités de mafieux, ces 250 buralistes dévalisés, le butin alimentant les réseaux de revente illégale notamment de tabac, ou ces pillages parfois familiaux qui font ressembler la France à un pays sous-développé.
- la crise politique qui conduit à l’instrumentalisation de ces émeutes, présentée par quelques uns comme une crise révolutionnaire mais faisant surtout grandir pour beaucoup l’exigence d’un pouvoir autoritaire, voire militaire, un coup de barre à droite des idées qui peut bousculer la protection de l’enfance, l’éducation, la politique de la ville...
- la crise sociale et les ségrégations territoriales qui sont évidemment le terreau de l’incendie, mais qui n’explique pas pourquoi la violence se tourne justement contre tout ce qui construit des solidarités dans les quartiers populaires, et notamment les services publics, pourquoi les violences ont largement dépassé les quartiers dits "prioritaires" et même parfois étant plus fortes ailleurs.

Partager la connaissance précise et factuelle des évènements est essentiel, en évitant au maximum ses représentations médiatiques pour se concentrer sur les témoignages vécus, entre militants, amis et voisins, identifier et comprendre les contradictions à l’œuvre, dans les quartiers eux-mêmes, et bien sûr entre quartiers. Tout ceux qui sont en première ligne, travailleurs sociaux, éducateurs, enseignants, conseils de quartier, élus locaux ont un rôle essentiel à jouer, en dehors de toute pression médiatique. Cette expérience de terrain est essentielle pour faire la part du réel et de ses représentations.

Ainsi concernant les rapports entre jeunes de quartier et police. Le sociologue du CNRS Olivier Galland confirme que "les jeunes d’origine étrangère et notamment de confession musulmane sont très largement convaincus d’être face à une société hostile en fonction de leur origine ou de leur religion, société hostile dont le bras armé est la police". Mais ce sont évidemment eux qu’on retrouve dans les quartiers où la police réprime des trafics qui ont désormais partout "pignon sur rue". « Il y a une économie parallèle dans beaucoup de ces quartiers, des activités délinquantes et de trafic auxquelles un certain nombre de ces jeunes participent. Cela occasionne des contrôles beaucoup plus fréquents et des tensions avec la police. Et occasionne aussi ce que l’on appelle une discrimination statistique qui fait que chaque jeune est un suspect aux yeux des forces de l’ordre. Ce contexte de quartier où des activités de délinquance font partie de la vie quotidienne favorise la formation d’une sorte de culture déviante, acceptée comme normale et qui permet de survivre en bravant la loi. ». Et pourtant, de plus en plus de jeunes de quartiers réussissent, dans les études, le sport, la culture, l’entreprise... et même la politique. Nous ne sommes plus du tout en 1983. C’est ce que montrait le clip "banlieusard" du rappeur Kerry James.

Ainsi du constat que les jeunes sont d’abord victimes de la route, du suicide, des trafics, de violences familiales, bien avant les violences policières.. Et pourtant, pour le dire brutalement, ces violences, tout le monde s’en fout. Cette année, trois ados sont morts à Marseille tué par des dealers dans l’indifférence générale [4] , le suicide est la deuxième cause de mortalité des adolescents après la route... A Vénissieux, les éducateurs suivent des dizaines de jeunes se retrouvant à la rue après un conflit familial. Comment peut-on imaginer avoir une police non violente dans une société aussi violente ? On ne peut isoler la question de la police de la question de la société toute entière. On ne peut avoir une police républicaine dans une société qui défait la république.

Ainsi de la place de la violence dans notre société. Le risque est toujours d’idéaliser le passé. La police organisant le crime du 17 octobre 1961, ou la rafle du Vel’d’hiv, ou la répression de Charonne était-elle moins violente, moins raciste qu’aujourd’hui ? Le nombre de crimes de sang en France a baissé fortement après 2000, mais la pression médiatique après chaque crime en fait une préoccupation populaire. Pour la première fois sur le marché des minguettes, j’ai rencontré un habitant demandant le droit de porter des armes "pour se défendre", comme aux USA. A l’évidence, le mouvement des gilets jaune a joué un rôle désinhibiteur poussant à considérer que cela paie d’utiliser la violence pour se faire entendre. Les manifestations sociales depuis les années 2010 sont devenues un lieu de représentation de ces violences prenant la tête des manifestations devant des organisations syndicales dépassées. Le nouveau n’est pas dans la violence mais dans la prise en main des têtes de manifestations par ces groupes violents s’imposant aux manifestants.
C’est ce que de nombreux militants constatent dans les quartiers. La grande majorité des habitants des quartiers populaires ont tout fait pour limiter les violences dans leur cadre de vie, protéger leur voiture, repousser un groupe tentant de prendre leur bacs poubelle pour ne pas le retrouver en feu sur la rue. Ils refusent très majoritairement les violences contre eux, contre leur quartier, leur cadre de vie et leurs moyens de transport, contre leurs services publics. Qui ne le comprend pas ?

Un débat nécessaire pour résister à la dérive à droite et à l’extrême-droite

La gauche, le mouvement social, les forces démocratiques ont un besoin urgent d’ouvrir ces débats en toute fraternité malgré les divisions. Car tout le monde sait qui ressort comme le gagnant politique de ces évènements, l’extrême-droite. Or on ne combat par l’extrême-droite dans une bataille de valeurs déconnectée des conditions de vie des habitants. Et on lui laisse le terrain libre quand on n’entend pas la colère populaire contre les violences tournées non contre l’état ou la bourgeoisie, mais contre le peuple. La gauche, et en tout cas, c’est ce que veut faire le parti communiste, doit apporter des réponses à tous les habitants, notamment des quartiers populaires, en montrant que c’est en faisant reculer la violence dans toute la société, à commencer par le travail et le logement, qu’on peut réduire la violence en général, et notamment dans les rapports police-population, donc dans les violences policière en particulier.
Plus on met en avant les violences policières comme un problème des policiers, et pas un problème de politique publique, de tous les services publics, plus on banalise pour l’extrême-droite l’idée qu’il faut bien que la police soit forte face à la violence de la rue, que tant pis s’il y a des excès ou des ratés... L’immense majorité des familles d’origines immigrées dans les quartiers populaires demandent plus de police, d’une police qui sanctionne plus et qui ne laisse rien passer. Dans la société telle qu’elle est, ils peuvent vite considérer comme normal que ça ne soit pas dans le calme.
Pire, la pression mise sur la responsabilité des parents conduit certains habitants des quartiers à mettre en cause une éducation tournée vers l’émancipation, à demander le retour aux sanctions corporelles.
C’est pourquoi il faut resituer l’intervention de la police dans l’ensemble des politiques publiques.
- Il faut dénoncer à propos de Nahel l’absence de suivi de cet ado sorti du système scolaire sans accompagnement par la prévention spécialisée.
- Il faut montrer que la répression nécessaire des trafics dans les quartiers, ne résout rien sans redonner aux douanes françaises les moyens de réduire les entrées d’armes et de stupéfiants, sans une grande politique de santé publique pour faire reculer toutes les addictions, donc sans créer des milliers de postes d’infirmières et médecins scolaires
- il faut monter que c’est l’ensemble de ces politiques publiques qui permettent une politique d’emploi des forces de police tournée vers l’action de justice, l’action réparatrice, celle qui fait reculer les violences dans toute la société.

Les quartiers populaires doivent s’exprimer par eux-mêmes. les tentatives de récupération comme cette banderole surréaliste sur la place des terreaux "soulèvements de la terre et des quartiers" sont un piège qui creuse au contraire la fracture politique au profit de l’extrême-droite.

Les communistes doivent prendre des initiatives pour favoriser un rassemblement qui porte les revendications populaires pour le droit de vivre dans la dignité et la tranquillité. Ce rassemblement a besoin de toutes les forces progressistes, mais il se construit d’abord sur le terrain, à partir de toutes les revendications sociales et politiques des quartiers.

L’adresse originale de cet article est https://pierrealainmillet.fr/On-n-e...

[1il est essentiel que la justice fasse la clarté sur l’ensemble des faits et du contexte, de la chaîne de commandement, de la situation de nahel comme de celle du policier, de son collègue, et des décisions hiérarchiques avant et après le drame

[2dont une part de mineurs souvent commentée, mais qui est difficile à évaluer réellement, et donc plusieurs indications relativise la part, un quart seulement des interpellations dans l’agglomération lyonnaise

[3jusqu’à des manifestants se présentant comme "soulèvements de la terre" aux Terreaux à Lyon

[4pas tout à fait, les communistes de Marseille ont organisé avec quelques familles un rassemblement

Brèves Toutes les brèves

Navigation

Annonces

  • (2002) Lenin (requiem), texte de B. Brecht, musique de H. Eisler

    Un film
    Sur une musique de Hans Eisler, le requiem Lenin, écrit sur commande du PCUS pour le 20ème anniversaire de la mort de Illytch, mais jamais joué en URSS... avec un texte de Bertold Brecht, et des images d’hier et aujourd’hui de ces luttes de classes qui font l’histoire encore et toujours...

  • (2009) Déclaration de Malakoff

    Le 21 mars 2009, 155 militants, de 29 départements réunis à Malakoff signataires du texte alternatif du 34ème congrès « Faire vivre et renforcer le PCF, une exigence de notre temps ». lire la déclaration complète et les signataires

  • (2011) Communistes de cœur, de raison et de combat !

    La déclaration complète

    Les résultats de la consultation des 16, 17 et 18 juin sont maintenant connus. Les enjeux sont importants et il nous faut donc les examiner pour en tirer les enseignements qui nous seront utiles pour l’avenir.

    Un peu plus d’un tiers des adhérents a participé à cette consultation, soit une participation en hausse par rapport aux précédents votes, dans un contexte de baisse des cotisants.
    ... lire la suite

  • (2016) 37eme congrès du PCF

    Texte nr 3, Unir les communistes, le défi renouvelé du PCF et son résumé.

    Signé par 626 communistes de 66 départements, dont 15 départements avec plus de 10 signataires, présenté au 37eme congrès du PCF comme base de discussion. Il a obtenu 3.755 voix à la consultation interne pour le choix de la base commune (sur 24.376 exprimés).