PCF : REDEVENIR LE PARTI DES TRAVAILLEURS ET DES OUVRIERS
Depuis plusieurs décennies, le Parti communiste français a connu un recul notable de sa base ouvrière. Ce recul s’explique en partie par la désindustrialisation, mais aussi par des choix politiques internes, notamment l’abandon progressif d’une ligne révolutionnaire fondée sur les fondamentaux du marxisme. Le résultat : une transformation sociologique du parti, une perte d’influence dans les entreprises et une déconnexion croissante d’avec le monde du travail.
Pourtant, la classe ouvrière demeure centrale dans le processus de production : sans elle, rien ne se construit, rien ne se transforme, rien ne se vend. Toute l’économie repose encore aujourd’hui sur le travail de millions de femmes et d’hommes dans les secteurs de l’industrie, de la logistique, du bâtiment, des services ou de l’agroalimentaire. Même si sa forme a changé, même si elle n’a plus le visage qu’elle avait dans les années 1960 ou 1980, la classe ouvrière n’a pas disparu. Elle évolue, se diversifie, se recompose au rythme accéléré des transformations des forces productives. C’est pourquoi un parti communiste digne de ce nom ne peut ignorer cette mutation, mais doit au contraire l’accompagner, l’analyser, s’y adapter, pour rester en lien avec elle.
Ce lien doit être vivant, permanent : dans les entreprises par la présence militante concrète, mais aussi dans les espaces numériques où s’exprime désormais une part croissante des conflits idéologiques. Le Parti communiste doit former des réseaux actifs sur les réseaux sociaux, se battre sur le terrain des idées et devenir un outil de conscientisation pour les nouvelles générations ouvrières, souvent précaires, isolées, mais pas apolitiques.
Une rupture théorique et politique
Le recul de la présence ouvrière dans le parti ne s’explique pas uniquement par les mutations du salariat. Il découle aussi d’une rupture politique et idéologique. Depuis la fin des années 1960, un courant révisionniste a peu à peu imposé l’idée que le marxisme devait être “modernisé”, allant jusqu’à remettre en cause certains de ses fondements comme la dictature du prolétariat ou le centralisme démocratique. Ces choix ont culminé dans les années 1990 sous la direction de Robert Hue, avec une tentative de mutation du PCF en parti de communication électorale, vidé de son ancrage de classe.
On a alors assisté à une liquidation des cellules d’entreprise, à un abandon de la formation politique des militants issus du monde du travail, à une marginalisation des cadres ouvriers dans les instances dirigeantes. Cette stratégie, fondée sur une lecture bourgeoise de la chute du socialisme réel, a remplacé l’analyse marxiste des contradictions du capitalisme par une vision confusionniste, illustrée par la fable d’un “communisme déjà là” : comme si le capitalisme contenait déjà en germe un monde libéré, qu’il suffirait de laisser advenir.
Or, Marx et Engels sont clairs : le communisme n’est pas un idéal à atteindre mais un mouvement réel, celui de la lutte des classes, qui abolit l’état actuel des choses. Abolir, c’est transformer radicalement un mode de production, remplacer la domination capitaliste par une hégémonie nouvelle, celle du travail libéré, par la conquête de droits, de pouvoirs, de moyens de production.
Une double exigence critique et révolutionnaire
Pour espérer redevenir une force de transformation, le PCF doit impérativement engager un double travail critique. D’une part, il doit analyser de façon rigoureuse, marxiste, les raisons théoriques et pratiques de son propre déclin. Cela suppose de revenir sur les ruptures idéologiques, les abandons programmatiques, les stratégies d’effacement et les erreurs d’appréciation qui ont conduit à la marginalisation du parti. Ce travail ne peut pas se limiter à une démarche universitaire réservée à quelques chercheurs : il doit être un processus militant, collectif, nourri par la mémoire des adhérents et des anciens militants, un effort de réappropriation populaire de notre propre histoire.
D’autre part, il est nécessaire de rompre avec toute vision manichéenne ou moralisatrice de l’histoire du mouvement communiste international. Le rejet du modèle soviétique ou la méfiance à l’égard du socialisme chinois ne peuvent faire l’économie d’une analyse dialectique. Il ne s’agit ni de mythifier ni de diaboliser, mais de comprendre ce que ces expériences ont permis, ce qu’elles ont empêché, ce qu’elles peuvent encore enseigner. Sans ce double regard — autocritique sur le passé du PCF et critique marxiste du socialisme réel — aucune alternative révolutionnaire sérieuse ne pourra émerger. Le communisme n’existe pas indépendamment des conditions concrètes de développement des forces productives et du travail réel. Oublier cela, c’est sombrer dans l’abstraction. Et la faute majeure du PCF depuis des décennies a été précisément de ne pas consacrer 80 % de son activité au travail dans les entreprises.
Le rôle du parti : intellectuel collectif et outil d’émancipation
Privée de cette perspective révolutionnaire, la classe ouvrière est désarmée théoriquement. Elle l’est d’autant plus que le capitalisme a compris, mieux que par le passé, le rôle de la lutte idéologique. Il utilise tous les moyens culturels, médiatiques, numériques pour affaiblir la conscience de classe, entretenir l’amnésie historique et bloquer toute dynamique de politisation. Face à cette offensive, le rôle du parti communiste est d’autant plus essentiel : il doit redevenir un intellectuel collectif, transmetteur d’expériences, de savoirs théoriques et d’outils d’analyse, notamment auprès de la jeunesse laborieuse.
Le marxisme, loin d’être une doctrine figée, reste une méthode pour comprendre le monde et le transformer. Il s’enrichit dans l’action, mais exige une rigueur théorique. Dans les années 1970, les militants communistes étudiaient ensemble l’économie, la philosophie, l’histoire des luttes. Ils formaient une avant-garde capable de porter une contre-culture révolutionnaire dans les entreprises, les quartiers populaires, les syndicats. Ce travail a été brisé par les renoncements de la période eurocommuniste. Il est temps de le reconstruire.
Une nouvelle étape : se reconnecter avec le travail
Cette reconstruction passe par une introspection lucide sur les soixante dernières années. Il ne s’agit pas de regretter un passé idéalisé, ni d’ignorer les erreurs commises avant 1968. Il s’agit de comprendre comment et pourquoi une rupture s’est produite, avec quelles conséquences, et surtout comment y remédier. Le parti doit se fixer l’objectif clair de redevenir le parti de la classe ouvrière, en organisant le recrutement, la formation et la promotion de ses militants issus du monde du travail, en valorisant leur parole, leur expérience, leur analyse.
Cela suppose aussi de produire des propositions concrètes, des alternatives économiques lisibles, et de développer une vision ambitieuse de l’avenir des forces productives en France : réindustrialisation, planification écologique, transformation des conditions de travail, élévation du niveau de vie. Ces combats doivent être portés par des campagnes visibles, dans les entreprises comme sur le terrain numérique.
Une dynamique à encourager, un avenir à construire
On observe depuis quelques années un frémissement positif. L’arrivée de Fabien Roussel à la direction du PCF, en 2018, a marqué un tournant. Il a multiplié les déplacements dans les entreprises, placé le monde du travail au cœur de son discours politique, et tenté de renouer avec une culture militante plus collective même si il y a un immense travail organisationnel à opérer pour recréer des milliers de cellules et promouvoir des travailleurs de l’industrie et des transports dans toutes ses directions départementales et nationale. Est-ce le début d’un renouveau stratégique ou une simple posture électoraliste ? Seuls les actes et les résultats des prochaines années permettront de le dire.
Ce qui est certain, c’est que sans une réappropriation du parti par la classe ouvrière et par des travailleurs de tous les secteurs de l’économie , il n’y aura aucune perspective socialiste sérieuse pour la France. Redevenir le parti des ouvriers et de l’ensemble de la classe du travail c’est renouer avec le projet initial du communisme : une transformation consciente, collective, libératrice de la société, par celles et ceux qui la produisent chaque jour.
Jean-Paul LEGRAND