La Turquie s’est rangée du côté de Daech

, par  Marianne Dunlop , popularité : 2%

Un Su-24 russe a été abattu à la frontière de la Syrie et la Turquie. L’état-major turc a confirmé l’attaque contre l’avion. Selon la partie turque, il a été abattu sur son territoire, selon le ministère russe de la Défense, cela s’est produit en Syrie. Le Secrétaire de presse du président, Dmitri Peskov a appelé à « la patience » : la situation est très grave, mais avant de porter des accusations, il est nécessaire d’étudier l’affaire en détail. Mais certaines choses sont claires dès maintenant.

Il ne semble pas encore possible d’établir la vérité des faits. Bien sûr, les États-Unis en tant que premier pays de l’OTAN, dont la Turquie est membre, soutiendront leur allié. Bien sûr, le Ministère de la Défense de Russie ne reconnaîtra jamais que notre avion a violé la frontière turque, même si les pilotes ont fait une erreur et effectivement sont apparus brièvement dans l’espace aérien turc.

Par ailleurs, le fait que les pilotes catapultés ont atterri sur le territoire de la Syrie, et le fait qu’Ankara avait peu de temps auparavant exprimé sa préoccupation que les forces armées aériennes de Russie frappent les Turkmènes vivant en territoire syrien près de la frontière avec la Turquie, est une preuve indirecte que ceux qui ont commis une « erreur » ( bien sûr, intentionnellement) sont les artilleurs antiaériens turcs.

La position officielle d’Ankara est simple et claire : « Nous sommes un pays indépendant, notre espace aérien est sacré, les contrevenants seront punis, quoi qu’il arrive. » De même, les autorités turques avec à leur tête le président Recep Tayyip Erdogan sont des adversaires de longue date du gouvernement syrien et personnellement de Bachar al-Assad. La Turquie a dès le début exprimé son mécontentement par rapport à l’opération russe contre Daech, dans laquelle Ankara, comme beaucoup d’autres pays de l’OTAN, ne voit qu’un soutien à Assad.

Mais une chose est la protestation verbale, et une autre qu’un pays membre de l’OTAN, pour la première fois dans l’histoire, abatte un avion russe. Quelle sera la réaction de Moscou, nous l’apprenons dans les prochaines heures, sans doute peut-on déjà conseiller aux voyagistes dans tous les cas de suspendre la vente de séjours en Turquie.

L’avion russe abattu est la suite logique de la politique étrangère de la Turquie visant à trouver un équilibre entre les grands centres mondiaux du pouvoir, tout en défendant pied à pied ses propres intérêts.

Après que la Bulgarie, sous la pression des Etats-Unis et de l’UE, a refusé le « South Stream » qui était extrêmement avantageux pour elle, la Turquie a immédiatement pris sa place, en acceptant de construire sur son territoire un centre de distribution de gaz. Mais ayant signé l’accord avec Gazprom, les Turcs ont immédiatement commencé à retarder le début de la construction, exigeant des préférences supplémentaires pour eux-mêmes.

Les relations entre la Turquie et Daech ne sont pas dépourvues d’ambiguïtés. Oui, la Turquie a officiellement condamné les attaques, accueille des réfugiés, et en tant que membre de l’OTAN, partage la préoccupation du monde occidental face à ce régime inhumain. D’autre part, c’est par la Turquie que passe le courant principal des étrangers qui souhaitent se joindre à Daech, c’est la Turquie qui achète leur pétrole, c’est la Turquie qui offre son territoire pour les négociations entre les Etats-Unis et Daech (qui se sont tenues il y a un peu plus d’un an, si quelqu’un a oublié).

En outre, Ankara réprime systématiquement les Kurdes, qui sont activement engagés dans la lutte contre Daech dans le nord de l’Irak et la Syrie.

Par conséquent, même si nous reconnaissons le droit de la Turquie à défendre son territoire, ou les Turcomans syriens qui lui sont proches, en fait, en abattant un avion russe, Ankara a directement soutenu Daech.

La rhétorique des autorités turques est en fait très familière et ressemble aux arguments des avocats de l’UPA. Du genre, Bandera luttait contre l’Allemagne totalitaire et l’Union soviétique totalitaire, alors les appeler complices d’Hitler est impossible.

En fait c’est possible et nécessaire. Dans les guerres mondiales il n’y a pas de troisième côté – soit vous êtes avec ceux qui reconnaissent le droit des peuples au libre choix de leur mode de vie, soit vous êtes du côté de ceux qui veulent imposer leur volonté aux autres. Par conséquent l’UPA a aidé Hitler et la Turquie aide Daech. Sans variantes et nuances.

Il sera curieux de voir après cela comment le président français François Hollande va regarder dans les yeux ses électeurs ? Tandis que lui, président d’un Etat – membre de l’OTAN, parle de la nécessité d’une coalition internationale la plus large contre le terrorisme, un autre pays membre de l’OTAN abat l’avion d’un pays qui s’est engagé dans les opérations de guerre les plus ambitieuses en comparaison avec les autres, contre Daech.

Il est peu probable que l’avion de chasse russe abattu sera l’occasion d’une confrontation à grande échelle entre Moscou et Ankara, comme le supposent maintenant dans « Facebook » quelques blogueurs trop agressifs. Mais certainement il ne faut pas s’imaginer que la Russie pardonnera facilement à la Turquie cet acte manifestement hostile. Il aura des conséquences, et il est peu probable qu’elles paraissent mineures à la Turquie.

Indépendamment de la façon dont la Turquie et l’OTAN se justifieront, et de ce que la Russie entreprendra exactement en réponse, l’avion russe abattu est une confirmation éclatante du fait qu’on ne peut pas encore parler de large coalition contre Daech.

Malgré les déclarations régulières disant que Daech est une menace pour le monde et que c’est seulement en unissant nos forces que nous pouvons vaincre cette menace, aucune mesure sérieuse dans cette direction ne sera prise ni par les pays occidentaux, ni par l’OTAN, ni par les monarchies pétrolières du Moyen-Orient. Les intérêts géopolitiques locaux et la crainte de la renaissance de la Russie en tant que superpuissance sont plus forts que la menace terroriste immédiate.

Ainsi, les attaques continueront, en dépit de tous les efforts de la police européenne. Et la Russie dans la lutte contre Daech ne peut encore compter que sur elle-même et sur les autorités officielles syriennes et, en partie, sur l’Iran.

« La Russie n’a que deux alliés : son armée et sa marine, » – ces mots d’Alexandre III, semblent n’avoir jamais perdu de leur pertinence.

Texte : Anton Krylov

Traduction : Marianne Dunlop

Voir en ligne : Traduction : Marianne Dunlop pour histoire et société

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