Il n’y aura pas de France Heureuse dans un Monde Malheureux

, par  Jean-Claude Delaunay , popularité : 2%

Je viens d’apprendre, grâce à un message de Xuan, les propos tenus récemment par Fabien Roussel sur la Chine, sur son actuel président, Xi Jinping, qui ne serait pas au nombre de ses amis, sur les Ouighours, qui seraient l’objet d’un génocide en même temps que d’une répression culturelle et religieuse intense de la part du pouvoir socialiste chinois. Cette déclaration fait d’ailleurs suite au vote (169 voix pour, 1 contre, 5 abstentions dont 1 communiste, Jean-Paul Lecoq) d’une résolution par l’Assemblée nationale (20 janvier 2021), qualifiant de génocide, c’est-à-dire de crime contre l’humanité, le traitement qu’infligeraient les autorités chinoises à l’ethnie des Ouighours.

Je ne suis pas surpris que Fabien Roussel soutienne l’esprit de cette résolution, car on en trouve une grosse trace dans sa France Heureuse. Je suis scandalisé par ces propos, insupportables selon moi dans la bouche d’un communiste, car dénués de la moindre vérité. Mais ils sont encore plus insupportables dans la bouche d’un dirigeant communiste éminent. D’une part, ils contribuent à nous séparer de la Chine socialiste, dont nous avons et dont nous aurons le plus grand besoin dans nos combats contre l’impérialisme et pour la paix. D’autre part, ils sont en parfait accord avec la lutte à mort que mènent les impérialistes, ceux des Etats-Unis en tête, contre le socialisme en général et contre la Chine en particulier.

Je ne suis pas un spécialiste des Ouighours et de leur histoire. Aussi vais-je renvoyer aux travaux d’intellectuels français ou autres sur cette question, en particulier au livre que Maxime Vivas lui a consacré en 2021 (Ouighours, Pour en Finir avec les Fake News, Editions La Route de la Soie) ou aux articles parus sur ce théme sur les sites Faire Vivre le PCF [1] ou Histoire et Société ou Le Grand Soir ou A Contre-Air du Temps. Je mentionne incidemment l’ouvrage qu’Elizabeth Martens a publié sur le Tibet en 2007 (Histoire du Bouddhisme Tibétain, ou la Compassion des Puissants, L’Harmattan). Mais elle en a écrit d’autres et il y en a d’autres, car, si je puis dire, Tibet, Hong-Kong, Taïwan, et XinJiang, même combat.

Le présent texte est une réaction personnelle. Je ne prétends pas, par cet intermédiaire, convaincre Roussel ou d’autres de ce qu’ils se font manipuler comme des enfants. Seule une réaction collective pourra les faire changer d’avis et de comportement. En attendant cette réaction, essayons d’être raisonnables, c’est-à-dire prudents. Je vais développer quatre points de prudence selon moi nécessaires.

Et d’abord, premier point, d’où vient historiquement le XinJiang, qui, en chinois mandarin, veut dire « La Nouvelle Frontière » ? Eh bien, ce XinJiang vient de la dynastie des Han, qui dura environ quatre siècles, soit deux siècles avant J-C et deux siècles après. On en trouve l’indication dans le Han Shu (Le livre des Han). A cette époque, il n’y avait pas beaucoup de musulmans dans la région. Par ailleurs, la Chine n’a jamais été un pays de marchands. Les empereurs de Chine, leur armée, leur bureaucratie, ne vivaient pas du profit mais de la rente foncière. Pour en bénéficier, il leur fallait étendre le royaume jusqu’à ses frontières naturelles, et le protéger des barbares. Mais au delà, c’était un autre monde, et ce n’était pas leur monde.

L’occident, peuplé de marchands, a eu un autre comportement que la Chine, celui de la conquête systématique en dehors de ses frontières naturelles. La Chine, agricole et militaire, est restée sur son terrain dont elle avait exploré les limites bien avant la naissance de Joe Biden. Voilà, à mon avis, le premier point à considérer. Le XinJiang n’est pas, à la Chine, ce que l’Algérie fut à la France, une extension coloniale. Cette explication est défendue par les Ouighours séparatistes, en particulier par Dilnur Reyhan [2]. Cela se comprend, mais elle est fausse. Le Xinjiang, c’est la Chine, comme Taïwan, ou comme Xiang Gang et Macao, et depuis longtemps. Il fut un temps où l’on pouvait insulter la Chine facilement, lui demander des comptes, lui faire signer des traités après l’avoir mise à genoux. Ce temps est terminé. Le socialisme y a mis fin.

Mon deuxième point a trait à la religion et au comportement brutal que les Chinois seraient censés avoir à l’égard de la pratique religieuse des Ouighours. C’est intéressant de voir que les américains, souhaiteraient en faire « une terre musulmane ». Ces gens sont vraiment à rebours de la civilisation, qui est échange et pluralité. Ils sont obsédés par la religion, qu’ils ont même réussi à placer sur leur monnaie.

La liberté religieuse fut fondatrice des Etats-Unis. Par conséquent, lorsque ces bourgeois se lancent dans leurs mensonges pour dominer un pays, ils n’hésitent pas à l’accuser de porter atteinte à la liberté religieuse. C’est un très bon argument pour entraîner l’adhésion de leur population à leurs crimes.

La Chine n’est pas un pays de culture monothéiste. C’est un pays dont la religion dominante est bicéphale. D’un côté, il y a l’empereur, qui est le représentant du Ciel, notion très vague, et de l’autre côté, il y les paysans, les détenteurs du culte des ancêtres. Le résultat de tout ça est que, en Occident monothéiste, on s’est battu pour le Vrai Dieu, et après on s’est battu pour la Vraie Patrie, puis pour la Vraie Vérité, et ainsi de suite. En Chine, rien de tel. Pas de combats pour la Vérité. Pas de combats pour la Vraie Foi. Pas de combat pour La Théorie. Vous croyez que Dieu c’est ça ? Eh bien allez-y, croyez. Ce n’est pas notre problème. En Chine on est moraliste et empirique. L’un des aspects intéressants du Xinjiang est sa pluriculturalité. On y trouve le Bouddhisme, le Christianisme et l’Islam.

C’est pourquoi, quand Roussel parle de l’assimilation que les Chinois feraient entre un peuple, une religion et le terrorisme, ceux des Chinois qui ont lu, ou qui lisent de tels propos, doivent tomber à la renverse. Car, en Chine, la religion, dans l’idéologie courante, et en raison même de l’histoire de la religion dans ce pays, n’est pas un problème. La religion ne fonctionne pas comme le visage d’autres problèmes. En France, nous avons une culture de l’affrontement des religions et nous pensons, ou plutôt certains pensent, les affrontements sociaux comme des affrontements de religion. Cela fait partie de notre histoire et de nos infirmités. Ce n’est pas le cas en Chine.

Je vais aborder un troisième point, à savoir que, nous, Français, nous disons qu’il y a, d’un côté, les Chinois, et de l’autre, le peuple des Ouighours. Ce langage est étrange pour un Chinois, pour la raison que le Chine est un pays pluri-ethnique. Il n’existe pas d’un côté les Chinois, et de l’autre, les Ouighours. Il existe les Chinois, dont les Ouighours. Nous prétendons avoir une pensée universelle. En réalité, dès que nous sortons de nos 66 millions d’habitants et de nos quatre côtés de l’hexagone, nous raisonnons comme des ploucs.

Les Ouighours, qui ne sont qu’une partie (52%) de la population actuelle du Xinjiang, sont des Chinois, et cela depuis longtemps [3]. Ce sont des Chinois comme le sont les Mongols, avec leurs petits chapeaux, ou comme le sont les Zhuang du Sud, courts en pattes, ou comme le sont les Tibétains, avec leurs habits colorés, ou comme le sont les Thaïs, dans le Sud, ou comme le sont les Miaos du Guizhou, ou comme le sont les Huis, encore des musulmans, ou comme le sont évidemment les Hans. Je peux témoigner, parce que j’en ai vu des « tout nus », que les Chinois que je connais, en réalité des Chinoises, n’ont pas la peau jaune. Je l’affirme, bien que la taille de mon échantillon soit réduit. Je peux également affirmer qu’il y a de bien nombreuses façons d’avoir les yeux bridés.

Mon quatrième point a trait au terrorisme. Eh oui ! il y a le socialisme en Chine et il y a aussi des terroristes ! Cela a commencé en 2009, avec les violentes et meurtrières manifestations d’Urumqi, la capitale du Xinjiang. Puis en octobre 2013, eut lieu un attentat en plein coeur de Beijing. Un nouvel attentat se produisit à Kunming, une capitale du Sud, en mars 2014. Deux attentats ont eu lieu à Guangzhou, en 2014 et 2015. L’attentat de Kunming fut particulièrement spectaculaire et affreux. Il était d’ailleurs destiné au spectacle. Nous sommes, à notre époque, dans la société du spectacle même quand il s’agit de l’horreur.

Il existe donc des Chinois qui haïssent la Chine. Oui, cela existe, de la même façon que l’on trouve des Français qui haïssent la France. Certaines de ces personnes passent au terrorisme, tuant des innocents pour frapper l’opinion. Cela dit, le candidat communiste ne reproche pas au gouvernement de la Chine de lutter contre le terrorisme. Ce qu’il lui reproche est la chose suivante : « Je condamne avec fermeté les persécutions, les atteintes aux droits de l’homme...là-bas, en Chine...contre le terrorisme, contre le peuple ouighour. Quand on lutte contre le terrorisme, on n’assimile pas un peuple, une religion, aux terroristes » (conférence de presse du 24 janvier 2022).

Je ne sais pas où Fabien Roussel et ses conseillers ont pris ces informations. Mais pour ce qui concerne la religion musulmane et les attaques dont elle serait l’objet au Xinjiang, je les mets en doute. Elles sont incohérentes tant avec l’histoire de la Chine qu’avec la société chinoise actuelle, qui comprend bien d’autres musulmans que les musulmans ouighours.

Quant à la dimension génocidaire de la repression ouighour par la Chine, les dirigeants chinois font état de camps de rééducation détenant 300 personnes. Or la population ouighour actuelle en Chine est estimée à 12-13 millions. Peut-on avoir une idée quantitative de la population ouighour engagée dans le terrorisme ? Je lis par exemple un article de Marc Julienne (IFRI), sur « La Chine, Nouvel Acteur de la Lutte contre le Terrorisme International [4] ». Il donne une indication sur le nombre de Ouighours combattant en Syrie sous les drapeaux d’Al-Qaïda ou de Daesch. Voici son texte : « Au printemps 2017, les services de renseignement israëliens avançaient le nombre de 3000 combattants, sans compter leur famille, tandis que l’ambassadeur syrien en Chine évoquait le chiffre de 5000 » (note 5). Les actions terroristes et séparatistes ne sont pas le fait des Ouighours, mais de ce que Marc Julienne appelle, dans cet article, « une frange radicale de séparatistes islamistes au sein de la communauté ouighour ». Les indications chiffrées qu’il donne montrent bien qu’il s’agit d’un très petit nombre.

Et les dirigeants de la Chine feraient la confusion entre cette « frange » et les 13 millions de l’éthnie Ouighour ? Ils diraient, à l’instar d’Arnaud Amalric, ou de Simon de Montfort, parlant des Albigeois : « Tuez les tous, Allah reconnaîtra les siens » ?

En réalité, il a fallu un subterfuge pour passer de la frange radicalisée des terroristes à la population Ouighur et les identifier. Ce subterfuge fut la politique de contrôle des naissances. Au début de l’application de cette politique (années 1980), sa mise en oeuvre au Xinjiang et dans d’autres provinces, fut plus souple qu’ailleurs en Chine. On parlait alors de « la politique de l’enfant et demi ». A un moment donné, cependant, la politique de l’enfant unique devint plus rigoureuse, chez les Ouighours comme ailleurs. Cela a pu provoquer un certain nombre de drames. Le romancier Ma Yan a décrit cette politique dans l’un de ses romans. Telle est la base matérielle de l’argumentation selon laquelle il existerait en Chine une politique génocidaire à l’encontre des Ouighours. Mais c’est une véritable escroquerie intellectuelle que de parler ainsi. La politique de l’enfant unique fut appliquée à tous et pas seulement aux Ouighours. Je signale au passage que cette politique est aujourd’hui relâchée et que la limite actuelle des naissances, qui est de 3 enfants par ménage, sera sans doute encore repoussée.

Les dirigeants de la Chine sont donc outrés par ces allégations, qu’ils jugent diffamatoires. L’an passé, fut publiée une étude portant sur l’évolution de la démographie du Xinjiang entre 2010 et 2018 [5]. Voici l’un de ses résultats.

Tableau : Evolution de la population de la Région Autonome Ouighour du Xinjiang entre 2010 et 2018 (millions)

Population 2010 2018 Variation Structure 2018
Total Xinjiang 21.8 24.9 +3.1 100.0
Han 8.8 9.0 +0.2 36.1
Autres Ethnies 13.0 15.9 +2.9 63.9
dt Ouighour 10.2 12.7 +2.5 51.0
dt Autres non Ouighour 2.8 3.2 +0.4 12.9

On peut évidemment contester la vérité de ces chiffres. On peut tout faire et tout dire pour justifier l’hostilité à la Chine. On peut aussi être prudent et considérer que ce chercheur chinois (vraisemblablement une femme) a fait sérieusement son travail. Si tel est bien le cas, et pour l’instant, je n’ai aucune raison d’en douter, il apparaît qu’entre 2010 et 2018, la population totale du Xinjiang aurait augmenté de 3.1 millions et que 81% de cette variation (2.5 millions) seraient le fait de la population ouighour. C’est curieux, quand même, disent les dirigeants de la Chine. Nous serions en train de massacrer cette population et voilà quelle augmente de 25% en 8 ans (12.7/10.2). Ils ont une sacrée santé, ces Ouighours, vous ne trouvez pas ? Personnellement, je ne peux pas m’empêcher de penser que les membres de l’Assemblée nationale, en votant, le 20 janvier 2022, la résolution sur le génocide des Ouighurs, se sont massivement conduits non seulement comme une bande de politicards dangereux et irresponsables mais comme un troupeau d’imbéciles et d’ignorants. Il est tout à fait normal que la social-démocratie, qu’elle soit verte ou rose, se comporte ainsi. Je regrette que les députés communistes se soient seulement abstenus.

Il y a encore beaucoup à dire. A la fin de son intervention, Fabien Roussel a enfourché son cheval favori de bataille : nous sommes envahis par les Chinois, et nous, dans le Nord de la France, nous en subissons les effets. Conclusion (c’est moi qui commente) : A bas les Chinois, A bas l’impérialisme chinois. Je me refuse à développer ici ce point tout seul. Ce doit être le fruit d’une action collective. Car bien sûr, trop c’est trop, mais la critique qui en sera faite n’aura de sens que dans le cadre d’une intervention de plus large portée que celle de l’individu que je suis.

Ma conviction est qu’il faudrait que nous mettions tout cela au clair, absolument, sans attendre la fin des élections présidentielles. Car l’enjeu est, me semble-t-il, le suivant. La première option est que nous, communistes français, reconnaissions enfin que la Chine est un pays socialiste et que, dans ce contexte, nous prenions toutes les dispositions nécessaires pour rejoindre son combat pour le socialisme et contre l’impérialisme, pour le développement économique généralisé et pour la paix.

La deuxième option est que nous nous obstinions dans notre aveuglement et que, sous le prétexte que ses habitants viendraient jusque dans nos bras, acheter nos ports, nos vins et nos compagnes, nous nous coupions du pays qui devrait être notre allié dans le combat que nous prétendons mener pour le peuple de France.

Il n’y aura pas de France Heureuse dans un Monde Malheureux, c’est-à-dire dans un Monde que, par notre négligence, nous laisserions entre les mains des impérialistes et de leurs trublions, Ouïghours ou autres, qui sont l’un de leurs marchepieds pour attaquer la Chine.

[1A lire, sur ce site, une déclaration de communistes faisant suite au vote de l’A.N. du 24 janvier 2022 (Ouighours :L’Assemblée nationale déshonore la France et prépare la guerre (25/02/2022)).

[2Dilnur Reyhan, « Le Génocide des Ouighurs », Esprit, 7-8, Juillet Août 2021. Cet article est accessible sur Cairn-Info. Selon cette personne, chercheuse à l’ULB (Belgique), enseignante à l’INALCO et présidente de l’Institut Ouighour d’Europe, le Xinkiang aurait été conquis en 1884 par les Qing, ce qu’elle appelle l’Empire sino-mandchou.

[3Les Ouighours ne vivent pas uniquement en Chine. Il existe une population ouighour importante dans le Kyrgyzstan.

[4Marc Julienne, « La Chine, Nouvel Acteur de la Lutte contre le Terrorisme International », Champs de Mars, 2018/1, n°30, p. 273-281. Cet article est accessible sur Cairn-Info.

[5Li Xiaoxiao, « An Analysis Report on Population Change in Xinjiang », Rapport publié dans Global Times du 07/01/2021.

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