Guerre commerciale ou coopération ? Par Robert Kissous, économiste, militant associatif.

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Cet article aurait pu être le résultat de l’analyse géopolitique du PCF, puisque publié dans la tribune du site Internet de l’Humanité. Hélas, il n’en est rien. Il s’agit d’un texte rédigé par un militant associatif, texte qui n’est même pas paru dans l’édition papier du journal. On ne peut que souhaiter que la section internationale du PCF ouvre enfin grand les yeux sur ce qui se passe au niveau mondial au lieu de suivre la propagande de l’OTAN, analyse concrète de la situation concrète, cela permettrait de faire faire un grand pas en avant au PCF.
PB

Selon les projections d’institutions économico-financières, d’ici 2050, sept pays émergents représenteraient 50 % du PIB mondial contre 20 % pour les pays du G7.

Les cinq pays du BRICS ont vu leur poids dans l’économie mondiale croître sans cesse et leur PIB dépasser, en parité de pouvoir d’achat (PPA), celle du G7 : 20 % en 2003 à 32 % en 2023 tandis que la part du G7 a reculé sur la même période de 42 % à 30 %. La part des BRICS+ (élargis à dix États membres au 1er janvier 2024) dans le PIB (PPA) mondial est de 35 % contre 30 % pour le G7. En 2023, le G7 représentait 43,7 % du PIB (nominal) mondial contre 75 % à la fin des années 1990. En une trentaine d’années le recul du poids du G7 dans l’économie mondiale est considérable.

Plus généralement les pays du Sud global sont devenus le lieu où se créent de plus en plus les richesses, développant leur propre dynamique, leur poids dans l’économie mondiale croissant sans cesse. Les pays émergents sont les moteurs du développement économique mondial.

Selon les estimations du FMI pour 2024 les pays émergents ou en développement verraient un taux de croissance moyen de 4,2 % contre 1,7 % pour les pays développés (dont moins de 1 % pour le G7 et près de 4 % pour les BRICS+) avec une croissance mondiale moyenne de 3,2 %. La contribution des pays émergents à la croissance mondiale est incontournable.

Pour autant ils sont loin d’avoir rattrapé le niveau de vie des pays du G7, la valeur moyenne du PIB (PPA) par habitant y est trois fois inférieure à celle du G7.

Les multinationales par leur recherche de taux de profits maximum ont, d’un même mouvement, participé globalement à la désindustrialisation des pays développés et à l’émergence économique de pays qui ont su profiter de cette situation. C’est le cas de la Chine ainsi que de nombreux autres pays qui ont su tirer parti de cette nouvelle dynamique mondiale.

La désindustrialisation

La désindustrialisation fût la règle pour la plupart des pays développés. Elle a commencé à la fin des Trente glorieuses avec la crise économique des années 1970. Reagan et Thatcher en sont les figures emblématiques et en France, Giscard d’Estaing puis Mitterrand et leurs successeurs.

Dans les années 1990 s’affirmait la pseudo-théorie des entreprises sans usine selon laquelle désormais la valeur ajoutée gisait dans le marketing et la conception, la fabrication étant un centre de coût à sous-traiter et à délocaliser. L’histoire a montré l’inanité de cette théorie.

Ce n’est pas l’accumulation de capitaux, ni le casino boursier qui crée les richesses, mais le labeur de centaines de millions de travailleurs qui se battent pour sortir de la misère.

Ce n’étaient plus tant les travailleurs immigrés qui étaient recherchés pour travailler dans les pays développés mais les capitaux qui partaient à la recherche du profit maximum. C’est le capital financier qui a décidé la désindustrialisation. Ni les immigrés, ni les pays en développement n’ont « volé nos emplois ». D’ailleurs selon une étude de l’Insee portant sur 2021, les multinationales françaises ont plus de salariés aux États-Unis d’Amérique (EU) qu’en Chine – y compris dans l’industrie – pourtant personne ne dit que les EU volent l’emploi des Français.

La France est parmi les pays développés celui qui s’est le plus désindustrialisé malgré une assistance de l’État qui n’a cessé d’augmenter (plus de 150 milliards d’euros d’aide publique en 2019). Ce ne fut pas le cas de l’Allemagne bien qu’aujourd’hui des industries chimiques y envisagent de s’implanter aux États-Unis (EU) pour échapper à la hausse vertigineuse du coût de l’énergie.

Aujourd’hui les pays développés cherchent à garder les industries à haute valeur ajoutée et à forte croissance tout en poursuivant les délocalisations dans d’autres secteurs. Une stratégie mise en œuvre aux EU qui leur permettrait, du moins le pensent-ils, de dominer l’économie mondiale.

Le retour du protectionnisme

La bataille tarifaire visant particulièrement les produits importés de Chine a pris un nouveau tournant avec l’élection de Trump. Biden poursuit la même ligne en cherchant à mobiliser l’ensemble de ses alliés et en mettant l’accent sur la hi-tech, l’industrie « verte », les secteurs d’avenir à forte croissance par l’IRA (Inflation Reduction Act) et le « Chip and Science Act ». Ces lois permettent de subventionner grassement les multinationales, européennes incluses, qui investissent aux EU dans ces domaines aussi bien en fabrication qu’en recherche et développement (R & D). On n’entend pas beaucoup de protestations pour ce « vol d’emplois ».

L’Union européenne (UE) suit la même voie mais avec des moyens beaucoup plus faibles.

Trump puis Biden se présentent en défenseur des travailleurs états-uniens, dénonçant une concurrence déloyale des pays émergents, leurs travailleurs ne disposant pas des mêmes droits sociaux que les pays « avancés ». Pure hypocrisie puisque c’est justement cela qui motivait le départ de l’industrie. Pour les EU la « concurrence libre et non faussée » est acceptable seulement si elle leur profite. Suivant leur intérêt ils adoptent le protectionnisme ou le libre-échange.

La fracturation du marché mondial

La fracturation du marché mondial, la « démondialisation », est en marche.

Elle prend différentes formes notamment :

- L’imposition de droits de douane prohibitifs (100 % sur l’importation de véhicules électriques chinois aux EU, 38 % dans l’UE) ;
- Le boycott de certains pays pour des raisons politiques (Iran, Russie, Cuba…) par les EU et certains de leurs alliés ;
- Le droit d’extraterritorialité que s’octroient les EU interdisant pratiquement, sous peine de lourdes sanctions, à toute entreprise quelle que soit sa nationalité et à tout pays de commercer avec les pays boycottés. C’est une atteinte à la souveraineté des pays mais compte tenu de la puissance des EU, peu osent s’y opposer ;
- L’interdiction d’exporter des produits considérés comme stratégiques (semi-conducteurs de pointe par exemple pour l’intelligence artificielle ou l’informatique quantique et les équipements servant à leur fabrication) pour empêcher l’accès des pays émergents, particulièrement la Chine, à la haute technologie ;
- L’interdiction pour les pays sanctionnés d’utiliser le système de paiement international SWIFT ; il convient cependant de souligner que celle-ci pourrait avoir un effet boomerang en poussant à la dédollarisation.

L’ampleur de ces mesures perturbe le commerce mondial et les chaînes d’approvisionnement actuelles dans certains domaines de pointe pour les remplacer par d’autres où les EU joueraient le rôle central. Pour ne pas paraître bafouer les règles du commerce international de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) tout ceci est justifié par des considérations sécuritaires…

Mais par exemple dans les semi-conducteurs, aucun pays, Chine incluse, ne dispose de la chaîne complète d’approvisionnement avec une offre permettant de répondre à l’ensemble de la demande.

Les grands producteurs sont dépendants des grands marchés de consommation donc particulièrement de la demande et de l’offre chinoise.

Quelques chiffres sont éloquents. 60 % des exportations de puces sud-coréennes vont en Chine. Les importations chinoises de semi-conducteurs s’élevaient à 300 milliards de dollars en 2018 dont 25 % par des entreprises des États-Unis.

La perte de chiffre d’affaires pèsera inévitablement sur les capacités de développement des multinationales concernées y compris dans la R & D.

Sans compter les mesures de rétorsion que prendra inévitablement la Chine. Ainsi les grandes entreprises européennes BMW, Volkswagen, Stellantis ont exprimé leurs craintes et désaccords sur les mesures protectionnistes décidées par l’UE. Pour les constructeurs automobiles allemands, la Chine est le principal marché, représentant un tiers des ventes totales.

La fracturation ne s’arrête pas au commerce international. Elle se poursuit dans le domaine financier et monétaire. Les pays sanctionnés ne pouvant utiliser le dollar ni SWIFT sont conduits à utiliser des moyens de paiement alternatifs sans dollar ni SWIFT. Des pays de plus en plus nombreux font désormais une partie de leur commerce en monnaies nationales. Les BRICS envisagent de plus en plus sérieusement de mettre en place une « monnaie commune » pour leurs échanges en croissance.

La dédollarisation, encore loin d’être majoritaire, est néanmoins amorcée et depuis une décennie cette hégémonie du dollar s’effrite. Un quart des bons du Trésor états-uniens vendus en dix ans par la Chine a été remplacé par de l’or. Et ce n’est pas la main basse des pays occidentaux sur les avoirs russes qui encouragerait des pays à maintenir leurs avoirs en dollars.

Coopération ou guerre commerciale ?

Il ne pourra y avoir de réindustrialisation si l’on ignore que les pays émergents représentent 80 à 85 % de la population mondiale dont les besoins insatisfaits sont immenses. Ils ne se laisseront pas voler leur droit au développement. Taxer les importations de ces pays du fait de normes sociales inférieures aux nôtres ne ferait que creuser les inégalités. C’est leur développement qui réduira ces inégalités.

Peut-on ignorer que la classe moyenne chinoise représentera plus de 800 millions de personnes en 2030 et que la classe moyenne indienne en représentera près d’un milliard en 2050 ? Sans parler de l’Afrique (2,3 milliards d’habitants en 2050), de l’Amérique Latine et de l’Asie.

Ce n’est pas en fracturant le marché mondial par une guerre commerciale pour se « protéger » que les pays développés peuvent faire face aux évolutions mondiales. C’est de la rapacité des multinationales et des marchés financiers qu’il faudrait plutôt se protéger.

Développer une production souveraine dans les secteurs stratégiques est nécessaire mais se réindustrialiser en circuit fermé, dans une guerre commerciale pour relocaliser les usines parties en Chine, en UE, aux EU ou ailleurs, est une impasse.

Les pays du sud aussi veulent se développer et non rentrer dans une politique de blocs, dans une guerre économique motivée par des considérations géopolitiques. L’interdépendance est une réalité. L’avenir est dans un projet commun.

Par Robert Kissous, économiste, militant associatif.
Publié dans la tribune du site de l’Humanité (mais pas dans le journal papier)

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