Le Brexit ou la preuve de la réversibilité démocratique

, par  communistes , popularité : 3%

Un texte d’Olivier Nobile paru sur le site de l’Union des familles laïques. A verser dans le débat sur l’Union européenne...

Le peuple du Royaume-Uni a décidé de voter à 52 % pour une sortie de l’Union Européenne lors du référendum sur le Brexit qui s’est tenu le 22 juin 2016. Ce résultat constitue sans aucun doute un événement majeur en Europe dont on peine à envisager réellement les conséquences. Le vote pro-leave fait évidemment l’objet d’un intense traitement politico-médiatique qui vise essentiellement à disqualifier le vote du peuple britannique, à recenser toutes les mauvaises raisons qui ont poussé les électeurs à choisir le camp du Brexit et à effrayer les citoyens de l’UE sur les conséquences désastreuses du départ du Royaume-Uni en matière de croissance.

Cependant, ce scrutin nous rappelle avec force que la délibération démocratique demeure et que le peuple est encore dépositaire d’un droit souverain absolu, celui de remettre en cause des choix politiques et des institutions qui nous étaient présentées comme supra-démocratiques, indépassables et inscrites dans l’ordre naturel des choses et de l’histoire. Le vote britannique, quels qu’en soient les ressorts bons ou mauvais, rappelle à nos élites européennes que le peuple peut avoir le dernier mot et qu’aucun choix politique fût-il inscrit dans un ordre supra-national n’est irréversible. Ce dont le peuple français avait commencé à douter suite au référendum de 2005 sur le TCE, puisque chacun sait que le rejet massif du traité à 55 % par le peuple français s’était traduit… par son adoption parlementaire peu de temps après.

La construction européenne, cette prétendue marche en avant des peuples vers la paix et la prospérité, demeure le dernier rempart mythologique de l’oligarchie capitaliste pour justifier l’abandon de tout projet politique et surtout démocratique. L’UE apparaît au grand jour comme une chimère qui dévoie le mythe de l’amitié entre les peuples et du rejet du nationalisme guerrier pour imposer un modèle anti-démocratique qui a eu pour conséquence d’exacerber les tensions entre les peuples et de renforcer les nationalismes.

Depuis 1957 et le traité de Rome jusqu’au traité de Lisbonne de 2008, le projet européen de l’UE se résume en un vaste plan néo-libéral de dérégulation/libéralisation économique assorti d’une privation démocratique des États et des peuples. Que nous a apporté l’UE concrètement, à nous, peuples européens ? La libre circulation des marchandises et des capitaux, l’ouverture à la concurrence et le démantèlement de tous les secteurs stratégiques des États (énergie, santé, transports, éducation…), un modèle agricole productiviste destructeur des écosystèmes et de la santé, et surtout une mise en concurrence exacerbée des travailleurs sur la base des normes sociales les plus faibles (du travail de nuit des femmes à la directive service sur les travailleurs détachés qui assèchent les protections sociales fondées sur le Droit des travailleurs).

La mise en œuvre de la monnaie unique n’a fait que pousser le processus à son paroxysme en privant les peuples des leviers politiques essentiels sans lesquels la délibération démocratique ne peut qu’être factice : les budgets des États sont désormais mis sous pression austéritaire étouffante et soumis à l’aval de la commission européenne. Quant à la politique monétaire, elle est entre les mains d’une Banque Centrale Européenne indépendante de toute institution démocratique.
Ce prétendu projet européen est en réalité une mise en application méthodique et dogmatique des théories économiques néo-libérales accessibles in-extenso dans tous les manuels d’économie pour étudiants de deuxième année de science économique. Quant au projet démocratique de l’UE il se résume en un mot : néant. Le Parlement européen est une Assemblée impotente qui ne délibère que sur des aspects secondaires de la politique européenne et n’est même pas maître de son ordre du jour parlementaire. En revanche, la Commission européenne est devenue un super-gouvernement technocratique non-élu tirant sa légitimé de traités européens adoptés dans la plus grande opacité. Et Jean-Claude Junker, le Président de ladite commission, de préciser "qu’il ne [pourrait] y avoir de choix démocratique contre les traités européens"… CQFD.

La paix et la prospérité qui devaient être le corrélat de ce projet "européen" ne sont malheureusement pas au rendez-vous : partout en Europe les nationalismes d’extrême droite fleurissent et les tensions inter-étatiques atteignent des sommets, comme le prouve le dramatique épisode grec. Par ailleurs, les peuples européens sont inscrits dans de nombreux pays dans un processus de remise en cause des États-nations non pas en direction d’un modèle supranational européen mais au contraire dans le sens d’une revendication autonomiste à échelle régionale (Flandre, Catalogne, Écosse, Italie du Nord…).

Le mythe de l’amitié entre les peuples et du dépassement des États bat de l’aile, tout le monde en conviendra. Que nous répondent les européolâtres de la classe politique ? Sans surprise que l’on n’est pas allé assez loin dans le projet européen et que l’Europe souffre du "trop d’Etat" pour paraphraser la saillie époustouflante d’Emmanuelle Cosse, ministre écologiste (?) du gouvernement Valls, à l’émission "Des Paroles et des Actes". En d’autres termes, il conviendrait de parachever le dessein européen par un projet fédéraliste transformant les États membres en des circonscriptions administratives intermédiaires, juste au-dessus des Régions. Un think tank européen, l’Union des Fédéralistes Européen (UEF) en a même fait son cheval de bataille.

Ce projet porte un nom : la destruction des États, de leur culture historique, politique, linguistique, institutionnelle et sociale. Ce que ces pyromanes fédéralistes ignorent et feignent d’ignorer, c’est qu’aucune construction étatique ne s’est jamais réalisée en dehors d’un processus historique, long et complexe, souvent empreint d’une extrême violence (en particulier à l’encontre des particularismes locaux, religieux, linguistiques ou juridiques) et que ces constructions n’ont été possibles que parce qu’elles épousaient peu ou prou un ensemble homogène de groupes sociaux d’individus partageant un sentiment d’appartenance collective à une communauté. C’est le modèle de l’État-nation qui demeure le fondement historique des constructions étatiques en Europe. Il n’est certes pas indépassable et comporte des biais évidents, notamment celui d’avoir exacerbé historiquement les tensions guerrières entre peuples ou de s’être structuré autour d’appartenances traditionnelles ou religieuses. C’est vrai tant que l’on n’analyse pas le caractère fondamentalement universaliste, laïque et social du projet républicain qui a structuré la nation française et les institutions politiques et juridiques qui la représentent.

La question n’est pas tant de savoir si l’on est attaché au projet républicain français précisément parce que l’on est français que de se demander ce qu’il en resterait une fois enclenché un projet fédéraliste supra-national. Car oui, il n’est pas impossible que c’est le fait d’avoir fréquenté l’école française, de penser et parler en langue française, d’avoir vécu dans l’organisation spatiale, architecturale et territoriale de notre pays, d’avoir été ému aux larmes devant l’héroïsme des révolutionnaires de 1789, 1848 et 1870, des poilus de Verdun ou des résistants du Conseil National de la Résistance, ou d’avoir un rapport laïcisé par les institutions républicaines à la religion, qui soit à l’origine de mon attachement en tant qu’individu à mon pays et à son ancrage républicain, laïque et social.

Aimer son pays ne signifie nullement détester ses voisins et ne pas respecter les ressorts de leur propre construction nationale. Voire même considérer avec respect que d’autres peuples en Europe se sont structurés en dehors du schéma républicain ontologique de la Nation française.

La question est en définitive de savoir si en tant que Français je suis prêt à sacrifier les institutions républicaines de mon pays, leur contenu universel, leur signification politique, leur fondement historique et le sang de ceux qui se sont battus pour les conquérir, au nom d’une construction européenne qui se réaliserait évidemment par la recherche du plus petit dénominateur commun. Tout simplement, car l’espace public européen n’existe pas et que le sentiment d’appartenance à une nation européenne n’est qu’illusoire. En effet, sur quelle base commune les fédéralistes entendraient-ils fonder leur structure supra-étatique :

  • Quel en serait le régime politique ? un modèle républicain centralisé, fédéral, confédéral ou un modèle de monarchie constitutionnelle ?
  • Sur quelle base linguistique : le français, l’allemand, l’espéranto ou plus certainement de l’anglais international, le global english, novlangue vernaculaire d’une pauvreté incroyable ?
  • Sur quel rapport au fait religieux ? la vision laïque à la française (sachant que le mot laïcité n’existe pas dans toutes les langues) ou plus certainement sur une approche concordataire et communautariste ?
  • Sur quelle base de régulation sociale des enjeux sociaux et économiques ? l’approche socialisée et collective autour d’institutions de Sécurité sociale et des services publics (qui n’existent qu’en France) ou plus probablement sur la base de régulations individuelles fondées sur l’épargne et les services d’intérêts collectifs potentiellement soumis à la concurrence ?
  • Sur quelle base militaire et géopolitique ? le non-alignement et l’indépendance vis-à-vis des États-Unis ou au contraire l’intégration dans l’OTAN ?
    etc…

Sur tous ces sujets, il est évident que les tenants d’un modèle de République laïque et sociale en seraient pour leurs frais. Les européolâtres répondront avec une mauvaise foi consommée que la France n’a qu’à être plus incisive au sein de l’Europe et convaincre ses partenaires du bien-fondé de ses principes politiques et sociaux. C’est évidemment un enjeu mais c’est totalement impossible car c’est faire peu de cas de l’absence de lieux d’expression démocratique en Europe et le fait que les institutions européennes ne connaissent qu’un seul langage, celui du capitalisme transnational dérégulé.

Il suffit pour s’en convaincre de se référer au contenu de tous les traités européens depuis 1957 qui, rappelons-le, ne sauraient être remis en cause par les délibérations démocratiques (dixit Junker)… Mais surtout, c’est nier l’hétérogénéité des constructions nationales européennes et le poids des traumas nationaux qui dans un ensemble à 27 pays rendent l’exercice des plus périlleux ; et cela aussi nous oblige à comprendre et respecter nos voisins. Les pays baltes, la Pologne ont par exemple une préoccupation géopolitique à l’endroit de la Russie liée à leur ancienne appartenance au bloc soviétique et ne peuvent envisager leur sécurité nationale en dehors de l’OTAN.

L’Allemagne quant à elle a un rapport très particulier à la question monétaire, liée à l’idée (discutable) que l’hyper-inflation des années 30 a amené le nazisme. Lui imposer un modèle de soumission de la BCE au pouvoir politique lui serait insupportable et l’amènerait sûrement à quitter l’UE. Quant à imposer l’harmonisation fiscale aux paradis fiscaux que sont le Luxembourg ou l’Autriche, ou la notion de laïcité aux Italiens qui ont un rapport particulier à l’Eglise catholique…
Le référendum britannique doit donc nous amener à envisager la question internationale sur un mode étymologique : inter–national, c’est-à-dire entre les nations. Cela passe bien sûr par le dialogue, les coopérations militaires, économiques et industrielles, l’harmonisation des normes sociales, fiscales et environnementales, les échanges culturels, linguistiques, touristiques, universitaires, la coordination des politiques migratoires et de l’aide au développement etc…
Cela implique de convaincre nos voisins et de diffuser nos principes à vocation universelle précisément pour sortir du carcan national mais pas à n’importe quel prix. Car cela implique qu’en cas de désaccord, les peuples aient le dernier mot et cela ne peut passer qu’en redonnant à ceux-ci les clés de leur souveraineté populaire : des institutions de délibération démocratique réelle, et des armes de politique économique (la question monétaire en particulier). Mais surtout un projet politique fondé sur les enjeux du 21ème siècle : la démocratie, la laïcité, l’écologie et le développement social.

Ce qui implique évidemment de sortir, le cas échéant, de l’Union européenne pour mieux refonder la construction du projet européen sur un modèle de souveraineté populaire … Mais cela suppose également de comprendre que les institutions démocratiques ne peuvent réellement s’exprimer que dans un horizon spatial et politique borné, et que celui-ci ne peut passer outre les contours d’États reposant sur une adhésion collective des peuples aux principes qui le cimentent.

A l’Europe néo-libérale qui nous impose l’alternative composée, soit d’une acceptation de la libéralisation effrénée de l’économie et de la mise en concurrence des salariés européens, soit d’un retour aux solutions de repli national derrière les barbelés, il devient impérieux de faire entendre une voix discordante et littéralement alter-européenne. Un autre modèle d’Europe est possible dans lequel l’objectif poursuivi serait l’amélioration du niveau de vie des peuples et l’harmonisation des droits sociaux.

D’ailleurs, un modèle européen de cette nature existe déjà bel et bien ! J’invite le lecteur qui serait surpris par une telle assertion à s’intéresser au modèle social proposé par le Conseil de l’Europe dont le siège est à Strasbourg. Le Conseil de l’Europe, qui n’a rien à voir avec l’Union Européenne, et dont l’émanation la plus connue est la Cour Européenne des Droits de l’Homme, poursuit depuis 1947 un double objectif : faire avancer les droits de l’homme et améliorer les droits sociaux des populations de ses États Membres. Notons que le Conseil de l’Europe a édicté un Code Européen de Sécurité sociale qui constitue le premier acte d’harmonisation des droits sociaux en Europe. Le Conseil de l’Europe est le seul contrepoids international, avec l’Organisation Internationale de Travail, face à la déferlante des thèses néo-libérales du FMI et de la Banque Mondiale. En voici peut-être un beau, un très beau projet de construction européenne respectueux des peuples et de la démocratie…

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