Après une nuit de résistance... L’humanité a rendez-vous avec sa ré-humanisation

, par  Gilbert Remond , popularité : 1%

Le neuf mars 2010, un collectif regroupant des associations, des syndicats et des organisations politiques organisait dans l’hôpital du Vinatier, une nuit de résistance pour dénoncer la création de la première UHSA et son inauguration annoncée pour le lendemain avec la participation de Nicolas Sarkozy, assisté d’une brochette de ses ministres sécuritaires.

La mobilisation qu’elle occasionnait dans sa préparation et dans sa tenue a eu un retentissement important. Le président de la République a du renoncer à sa récupération politicienne. L’administration fut contrainte de repousser de plusieurs semaines l’ouverture d’une structure qui, de fait, n’était pas légalement en conformité. (absence de décrets d’ouverture, d’autorisation du conseil d’état etc…

Au total, ce sont trois cent personnes qui, malgré le froid, sont venues débattre des rapports qui existent entre folie et société, des origines de la violence, qui s’y révèle, et de la place du politique. Elles ont aussi fait entendre que la sécurité n’était pas affaire de lutte contre la délinquance, mais avant tout question d’assurance : celle d’avoir un travail, un bon salaire, un logement décent et une qualité environnementale.

En conclusion de cette soirée, elles estimaient que la mobilisation devait se poursuivre et se constituaient en collectif du 9 mars, en vue d’autres initiatives.

Depuis la nuit du neuf mars, l’UHSA du Vinatier s’est ouverte, mais dans des conditions qui très rapidement se sont avérées désillusionnantes pour le personnel du point de vue de ses conditions de travail et de rémunération. Il se mettait en grève dès le premier jour de fonctionnement.

Pour autant le débat de société qu’elle avait provoqué reste complètement actuel et sa poursuite nécessaire. La psychiatrie est devenue le terrain expérimental de l’idéologie sécuritaire, un théâtre ou le fou est agité devant l’opinion publique comme un épouvantail dans une visée qui astreint chacun aux couloirs de circulation indiqués par l’ordre libéral.

Chacun est sommé de se conformer sous peine d’être rejeté dans l’anormalité. Pour les élites qui gouvernent le monde, les êtres humains n’ont d’intérêt à exister que s’ils rapportent.
Dans cette optique, tout doit être rationalisé, objectivé afin de permettre aux détenteurs du capital d’augmenter leurs profits. Le sujet n’est plus que l’objet de ce processus, s’il est reconnu, c’est pour être culpabilisé, puni.
Toute démarche de contestation est par avance dénigrée, assimilée à une conduite anti sociale voire d’emblée soumise à la répression.

Dans un tel état d’esprit, le patient est ramené à son symptôme qu’il faut éradiquer. Le soin change de paradigme, il devient une activité mesurable et chiffrable. S’il ne peut pas se conformer aux nouveaux objectifs, c’est lui qui est éradiqué, lui, et dans la foulée, le sujet souffrant.

Il n’a plus de place dans l’entreprise qu’est devenu l’hôpital. Au nom de la rentabilité, des milliers de lits sont fermés. Du coup tous ceux qui sont les plus fragiles, les plus démunis, les plus pauvres se retrouvent mis au ban de la société et une sinistre filière est revenue du fond du XIX siècle pré-industriel, celle qui conduit à la prison ceux qu’il n’y a pas si longtemps, elle protégeait, et qui profitaient de la solidarité du pays. La bataille pour les retraites participe d’ailleurs de ce mouvement.

De la pauvreté à la rue, de la rue à la folie, de la folie à la prison, telle devient l’alternative pour un nombre croissant de personnes car l’état plutôt que d’enrayer la pauvreté par des mesures politiques a décidé de les réprimer. C’est ainsi qu’un quart monde de personnes abandonnées, souvent psychotiques, échappe à tout réseau sanitaire et finit par passer à l’acte pour se retrouver en prison, dernier lieu qui puisse encore l’accueillir.

Le fou exclu de partout renvoie à une démence violente qui « respire la crainte et justifie l’enfermement du fait des vieilles peurs qui travaillent la société et la poussent à la mise à l’écart dans un besoin de séparation »(1) La psychiatrie qui avait un savoir-faire sur la violence ne l’a plus. Elle l’a perdu parce que la société (et la grande majorité des psychiatres, qui d’une certaine façon la représentent), ne veulent plus avoir affaire avec elle quand pourtant elle la développe de façon inouïe dans les rapports sociaux.

La transparence qui, dans tous les domaines, est devenue une ligne de conduite n’en est-elle pas une grande pourvoyeuse ? Rien ne doit lui échapper. Pourtant « plus la part d’ombre est déniée en nous-même, plus l’image du criminel est renvoyée à une lointaine altérité » (2) car l’âme sombre du criminel n’est que l’envers de notre transparence affichée, l’autre image d’un miroir à la Dorian Gray qui se nourrit de notre refus d’en considérer les reflets.

Depuis qu’a été mise en place une politique de « santé mentale » ce n’est plus la souffrance psychique au sens strict qui intéresse l’organisation des systèmes de soins, mais « l’ensemble des troubles relationnels qui caractérisent le comportement d’un individu jugé inapte à vivre en société » (3).

La nove langue libérale ne peut reconnaître « les errances et les impasses du désir, elle n’a que faire des névroses, des poètes et des rebelles ; elle ne connaît que des délinquants et des handicapés »(4).

La politique de santé mentale a fait apparaître des phénomènes où « la prise de conscience du trouble suppose ou fait naître une conscience troublée » (5).
Avec la mise en place de cette politique, les hôpitaux psychiatriques ne répondent plus à leurs missions d’accueil traditionnelles. Ils sont trop occupés à obtenir des résultats tangibles et à guérir selon les normes nouvelles, les patients qui peuvent l’être.

Du coup les patients les plus difficiles, ceux qui ont été criminalisés parce qu’ils sont passés à l’acte n’ont plus qu’un lieu, nous l’avons déjà dit, : la prison. Tout comme l’asile, elle retrouve son visage d’avant le code napoléon.

Tous deux se confondent de nouveau. L’UHSA est l’enfant de cette union reformée (et non réformée). Pinel, au moment de la création de l’institution psychiatrique affirmait chez tout homme fou demeurait un reste de raison sur laquelle s’appuyait le soin et que sa part de déraison l’excluait du champ de la peine.

Aujourd’hui le raisonnement s’inverse et c’est au nom de son reste de raison qu’il se retrouve soumis aux conduites punitives. En effet si l’article 64 du code pénal stipulait : « il n’y a ni crime, ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pas pu résister » et que le non-lieu lui était accordé après expertise, l’article 122-1 qui le remplace, introduit une notion d’altération qui le rend punissable.

La subtilité de ce discernement n’est pas sans questionner la justice qui se retrouve alors à se demander si elle ne va pas chercher ses conclusions du côté de la morale, de la philosophie ou de la clinique.

Nous touchons ici le fond de ce qui fait débat aujourd’hui. En effet on ne peut renvoyer à leurs responsabilités des malades mentaux et s’étonner qu’il y ait dans les prisons d’aujourd’hui un concentré de gens qui ne vont pas bien. Dire qu’ils sont ingérables dans les conditions actuelles de leur détention –hors UHSA- et prétendre qu’il suffirait de leur permettre l’accès aux soins dans des unités spéciales, fussent-elles médicalisées et habillées de blanc, ne changera rien au scandale de leur présence en nombre toujours plus grand dans de tels lieux.

Bien au contraire, « la création d’UHSA scellera la fin de l’irresponsabilité et officialisera la responsabilité pénale, pour motif psychiatrique » et donc la corrélation entre criminalité et troubles mentaux.

D’ailleurs, c’est bien dans ce sens que vont les modifications apportées à la loi de 90, qui vont être soumises au parlement sous le libellé euphémisant de loi relative « aux droits et à la personne faisant l’objet de soins psychiatriques » alors que la contrainte en est l’unique perspective.

Mieux encore, un rapport rendu en 2005 par Jean-François Burgelin, envisageait de défendre la société par des mesures de sûreté pour prévenir les risques de récidive une fois la peine terminée, donnant ni plus ni moins un droit à enfermer, au nom du risque zéro, par l’autorité politique. Cette pratique de privation de liberté non fondée sur des faits n’est plus sécuritaire, elle devient totalitaire.

Rappelons que la dernière fois où de telles mesures ont été prises en Europe, elles l’ont été en Allemagne en 1933 ; on connaît la suite. Or ce n’est pas dans le ton de ce rapport que s’inscrivent les dernières prises de position gouvernementales ?

Nous le voyons l’hygiène sociale devenue une préoccupation majeure à la fin du XIX siècle s’est transformée en hygiène mentale. C’est comme si pour échapper à la dangerosité des uns ou à la mélancolie des autres, il fallait à tout prix encadrer les citoyens, les éduquer au bonheur, suivant en cela les critères définis par l’OMS pour qui la santé répond à « un état complet de bien être physique et mental » qui permette la disponibilité au travail ; définition qui n’est rien d’autre qu’ »un instrument transformant l’homme en instrument ».

La politique se dissout dans la gestion du quotidien et laisse la place au juridique, par le biais d’expertises dans une confusion où il n’est pas rare que s’échangent les places.

Le médecin se prend pour le juge et indique la loi, le juge pour le médecin allant jusqu’à prescrire des soins en guise de peine. Dans ce monde là tout se vaut, tous se valent mais la morale s’y affirme toujours d’avantage, les pratiques sécuritaires qui s’appuient sur elle court-circuitent les approches démocratiques qui sont remplacées par un arsenal à la foi statistique, normatif et protocolisé. Le débat n’est plus nécessaire.

Il se joue dans ces évolutions la question de l’élaboration psychique. « l’univers thérapeutique est de plus en plus sous influence d’un ordre dominé par le consensus, d’un ordre uniforme que les différentes vagues d’accréditation sont chargées d’imposer » (Dana)

Il n’est pas fortuit qu’un tel climat ait lieu ; « les rapports sociaux, techniques et économiques contribuent à recomposer la société industrielle et à imposer un état d’urgence permanent » face aux résistances qui commencent à monter de toutes parts, après l’engourdissement consécutif aux différentes crises que le pays vient de traverser.

Il n’est pas fortuit que l’inflation carcérale actuelle touche surtout les pauvres, les étrangers, les fous. Ceci résulte d’une politique de classes qui est l’aboutissement de politiques réfléchies et concertées de choix économiques et culturels.

Il n’est pas fortuit que soit relancée la fabrique de bouc émissaire à destination de communautés d’émotion que l’on détourne des vraies colères, dans un ultime lien social où elles sont invitées à exulter dans la haine de l’autre.
« plus le fichage s’accroît, plus la liste des suspects grandit. » et un bouc émissaire c’est bien commode pour détourner les colères populaires.

Il n’est pas fortuit qu’un ministre de l’intérieur s’en prenne aux intellectuels hors des réalités, à une certaine presse et s’emporte en citant Maurras pour dire que « la France n’est pas un terrain vague ».

Gramçi nous prévenait « c’est lorsque l’ancien se meurt et que le nouveau ne parvient pas à voir le jour que surgissent les monstres ».

Rester cette nuit, c’est une façon de contribuer à faire venir ce jour attendu, c’est aussi une décision pour barrer la route aux monstres qui nous entourent.

Tous ensemble, nous n’accepterons pas que la question sociale soit escamotée par les chimères sécuritaires.

Jean Darot ( ? ) le disait au cours de la précédente nuit « l’humanité a rendez-vous avec sa re-humanisation » nous voulons en être les forces vives.

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