Revue Unir les communistes nr 3
« le PCF devrait se réapproprier son héritage fondamental » Laurent Santoire (Alstom) :

, par  Laurent Santoire , popularité : 3%

Suite de la publication des entretiens avec des militants d’entreprises commencés dans le numéro 3 de la revue Unir les Communistes..

Laurent Santoire est délégué du personnel chez Alstom. Dans cet entretien à cœur ouvert, il nous confie ses analyses et ses espoirs.

Le projet du numéro est d’abord et surtout de
rassembler des témoignages et des réflexions de syndicalistes en lutte. Mais il s’agit aussi de refléter la réalité du monde du travail, y compris là où la combativité manque.

C’est ce que je pensais. Je craignais le travers de ne prendre que des boîtes en lutte. Je me serais dit : « Moi, je ne suis pas dans une boîte en lutte, ça ne vaut pas le coût ». 90% des boîtes ne sont pas en lutte, dans des contextes où elles devraient l’être. Ce qu’on peut interroger, c’est la situation politique : l’articulation entre le monde du travail et les perspectives politiques, et la réaction des salariés face à la situation politique.

Ce questionnement convient bien à une entreprise comme Alstom. Nous sommes en plein démantèlement d’une entreprise qualifiée (le vocabulaire est souvent dithyrambique), d’un fleuron de l’industrie nationale, liée au TGV ou encore au programme nucléaire français. L’enjeu politique est essentiel. En même temps, nous sommes des salariés, qui sommes là pour toucher un salaire et faire carrière, pour résumer la vision de certains collègues, et qui se disent : « Alstom est un employeur comme un autre. L’important, c’est de gagner sa vie et d’y trouver son compte ».

Peux-tu me parler de toi, de ton parcours professionnel puis syndical ?

Paradoxalement, mon parcours a commencé syndicalement avant de commencer professionnellement. Quand j’étudiais l’électronique et l’informatique, j’ai pris des responsabilités importantes, puisque j’ai été président du syndicat UNEF de la fac d’Orsay. Cela s’est fait un peu par hasard. Comme j’étais déjà communiste, j’avais ma carte à l’UNEF. Mon engagement syndical n’allait pas plus loin : le syndicalisme ne m’attirait guère. Dans l’association où j’étais, il y a eu un suicide, au moment où se tenait un Congrès de l’UNEF. J’avais besoin de changer d’air, quand mes camarades m’ont proposé d’aller au Congrès. Je me suis donc retrouvé dans une ambiance de Congrès, ce qui m’a permis d’approfondir ma réflexion. Quelques semaines après, le responsable du syndicat est parti. Il a fallu se partager les responsabilités. Quand j’ai vu que personne ne voulait prendre la relève, j’ai dit : « Ce n’est pas possible ». On m’a répondu : « Puisque c’est toi qui as parlé, c’est toi qui prends la relève ». Mon implication a été rapide : dans les actes de gestion, comme élu à la fac, mais aussi dans les actes de lutte, puisque c’était l’époque de la loi Devaquet, qui devait rendre les études payantes. La fac d’Orsay, scientifique, est très bosseuse, et a un recrutement plutôt aisé : le militantisme, à l’époque, consistait à distribuer des tracts et à les retrouver chiffonnés à la sortie de la cantine. De plus, en 1986, les facs ne sont déjà plus des foyers d’agitation : le Nouvel Obs avait qualifié les jeunes d’alors de « Bof génération ». La loi Devaquet a provoqué une prise de conscience : avec l’approche des examens, je pensais ne pas m’impliquer énormément dans la grève, mais je me suis retrouvé parmi un millier d’étudiants votant la grève à l’unanimité, dans un grand mouvement d’enthousiasme. J’ai été désigné comme délégué à la coordination nationale. On est passé de la « Bof génération » à un vrai mouvement politique (avec des AG et des facs paralysées durant plusieurs semaines), un mouvement très dur, puisqu’il y a eu un décès, celui de Malik Oussekine, blessé par les CRS. Ce mouvement a provoqué des prises de conscience politique et pourtant il n’a pas perduré : tout est retombé dans le train train habituel et les syndicats ont à nouveau été désertés.
Mon parcours professionnel commence après par une ou deux boîtes de services en informatique. En 1991, pendant la première Guerre du Golfe, ma boîte me propose d’aller bosser à Vélizy pour faire des missiles. Je n’avais pas envie de faire ça. Je voulais un métier qui m’intéresse, dans une entreprise de service public, avec un syndicat. Je suis donc entré dans une entreprise liée au modèle français : Cegelec, une boîte travaillant avec Alstom. A l’époque, il y avait un syndicat encore largement constitué d’ouvriers et surtout de dessinateurs industriels, mais aminci, à cause de l’externalisation, et déjà entré dans la phase actuelle du syndicalisme de représentation, par opposition à un syndicalisme de masses.

Tu évoquais plus tôt l’absence de lutte chez Alstom. Comment expliques-tu que les travailleurs d’Alstom, et d’ailleurs, soient si résignés ?

Il y a deux éléments : 1) le politique est déconnecté de la vie des gens (ils n’ont pas le sentiment de pouvoir influer sur les choix qui sont faits, à cause de choses comme la négation du vote populaire au référendum de 2005) et 2) il n’y a pas de remise en cause des choix en question : « L’Europe, c’est bien, parce qu’on nous le dit. Le logiciel a des bugs et l’Europe prend parfois des décisions sous la pression des lobbys, mais il n’y a pas d’alternative ». Le point de départ c’est qu’on doit aménager sa vie dans un contexte indépassable et inéluctable. Le réel s’impose au citoyen, qui n’est plus un acteur mais un témoin des événements, dont il entend parler à la télévision ou à la radio. Même quand il a un avis, il refuse l’engagement, qui semble ne servir à rien. L’annonce de la vente d’Alstom à General Electric a provoqué des réactions de sidération, quelques manifestations de rejet (par exemple, il y a eu un débrayage quasi spontané), y compris de cadres, mais la mobilisation des salariés n’ira pas plus loin. Même si on reconnaît qu’il est dommage qu’un fleuron de l’industrie nationale disparaisse, on a le sentiment que c’est inéluctable.

Il y a une véritable désappropriation des choix politiques. Les réactions émotionnelles ont remplacé la réflexion politique. Le dossier Alstom est à ce titre exemplaire : les médias l’ont traité sous l’angle émotionnel, en réduisant l’affaire à l’anecdotique cantine de Belfort partagée par les salariés des deux usines voisines de General Electric et d’Alstom.

A Alstom, on a au moins la chance d’avoir un syndicat politiquement engagé, même si tous les militants ne sont pas communistes ou encartés dans un parti. Il y a donc une espèce de connivence entre nous et une base ouvrière qui reconnaît ses représentants classiques. Malheureusement, la masse des salariés, lit les tracts sans se les approprier. Certains par exemple ont été séduits par le fait que chez General Electric, il y ait des éléments matériels immédiats plus satisfaisants : par exemple la prime d’ancienneté prévue par la convention collective de la métallurgie y est déplafonnée. Cela a de quoi séduire des gens qui ont cinquante cinq ans et qui peuvent espérer partir avec du pognon. Les enjeux (la plus-value escomptée par Bouygue, le démantèlement qui se cache derrière la prétendue alliance avec General Electric et qu’on fait passer pour la seule chance de développement) mis en avant par les argumentaires CGT sont mieux compris par des ingénieurs ou des collègues de niveau universitaire qui connaissent le monde des affaires. Ceux qui ont une compréhension complète sont ceux qui sont les plus liés au système (un ingénieur, quand il comprend l’exploitation, se demande quand même comment tirer son épingle du jeu dans une mondialisation tenue pour inéluctable). On est en plein repli individualiste : chacun cherche sa solution individuelle à son problème individuel et la solidarité passe après et se limite aux questions d’injustice immédiate plutôt qu’aux problèmes de fond et de long terme.

Beaucoup de militants syndicaux s’épuisent parce qu’ils oublient les leçons, comme celle que j’ai tirée personnellement de mon expérience de lutte contre Devaquet. J’ai passé trois ans à militer de façon inutile en apparence, au point que je pensais réviser au lieu de manifester contre la loi. Pendant des années, on a jeté mes tracts. Mais, finalement, pendant l’AG, j’ai tendu l’oreille aux interventions : leur orientation politique était exactement celle de mes tracts ! Les luttes sont réduites à des luttes défensives, elles échouent faute de rapport de force adéquat, mais elles permettent d’enraciner un sentiment de classe. Quels que soient ses débouchés immédiats, le syndicalisme est quelque chose de positif. Toutes les prises de positions syndicales ou politiques (comme celle du M’PEP) en faveur d’Alstom ont été utiles, même si elles n’ont pas débouché sur une prise de conscience suffisante.

En tant que syndicaliste, comment vois-tu le Parti Communiste ?

Premièrement, je ne suis pas de n’importe quel parti : je ne suis pas du parti issu du Congrès de Martigue : je ne suis pas engagé dans la constitution d’une large union avec les forces diverses à la Die Linke mais dans un parti de classe et de masse visant à la socialisation des moyens de production et d’échange : le PCF du Congrès de Tours, en rupture avec la social-démocratie va-t-en guerre de 1914.

Il n’y a pas de lutte sans conscience politique. La conscience politique est donnée d’abord par l’exploitation : comme dit Marx, ce sont les conditions matérielles d’existence qui déterminent la conscience de classe et non l’inverse. Mais cela ne suffit pas, parce que nos conditions matérielles ne sont plus celles d’une exploitation forcenée : nous mangeons à notre faim, nos enfants vont à l’école, nous nous soignons tant bien que mal. Il n’y a pas d’espoir de combat sans conscience politique. Par ailleurs, comme je le dis souvent aux collègues, quand tu te bats pour ta retraite, tu fais de la politique : un syndicat est un acteur politique. Un syndicalisme porteur de sens est donc un syndicalisme porteur de repères politiques : sans cela, ce n’est qu’un syndicat d’élus, un syndicat de représentation, juste bon à sauver les meubles dans une phase de régression.

Un syndicat a donc besoin d’être en symbiose avec un parti. La perte de repères politiques dans le parti se traduit donc par une perte de repères politiques dans le syndicat. La rupture entre le Parti et la CGT a conduit à une situation ubuesque où le Parti et la CGT, étant indépendants l’un de l’autre, se font concurrence : sur toutes les questions, il peut y avoir des revendications CGT qui entrent en concurrence avec les revendications du Parti. Cette mise en concurrence, cristallisée avec le Front de Gauche, a été très nette lors de la manifestation du 6 Mai 2013, qui, à quelques jours du premier mai, a été une négation de ce dernier. Le Parti cesse de s’investir dans le premier Mai et choisit le Front de Gauche et ses mots d’ordre « contre l’austérité » déconnectés du monde du travail.

On est dans une situation où le Parti a renoncé à structurer une vision politique de classe et donc se coupe petit à petit de ceux qu’il est censé défendre, car la colonne vertébrale d’un mouvement révolutionnaire, ce sont certes les quartiers populaires, mais aussi et surtout l’entreprise, le lieu de l’exploitation, où il y a un adversaire de classe identifiable. Quand on déplace les questions sur le terrain politique en se demandant si le PS vaut mieux que la droite, on s’éloigne de l’essentiel : on parle de l’austérité au lieu de la création de la plus-value.
Le Parti devrait revenir à des questions comme l’exploitation et penser des sujets comme Alstom autrement qu’en termes de solidarité : engager une analyse globale de la mondialisation, donc de l’impérialisme et des monopoles. Il verrait alors que l’Europe est à combattre, parce qu’elle s’oppose à la socialisation des moyens de production, indispensable pour résister aux monopoles et à l’émancipation des peuples. Le Parti devrait donc se réapproprier son héritage fondamental : Le Manifeste du Parti Communiste de Marx, Que faire ? De Lénine et L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme. A cela j’ajouterai, qu’au sein du syndicat, le rôle du militant communiste, c’est de favoriser l’éveil de la conscience de classe, en revenant par exemple à Salaire, prix, profits de Marx. La lutte des Fralib n’aurait jamais eu lieu sans un syndicat de classe.

Y a-t-il, selon toi, des raisons d’espérer ?

Une raison d’espérer, c’est paradoxalement que la conscience de classe accompagne une détérioration des conditions d’existence : les jeunes ingénieurs, avec leurs salaires, ne peuvent plus accéder à la propriété de leur résidence principale et encore moins d’un pavillon, ce que ma génération pouvait espérer, avec seulement son salaire et sans apport. Les conditions de déplacement des jeunes d’Alstom qui partent à l’étranger sont devenues très difficiles, avec la remise en cause des indemnités d’éloignement : ils ne peuvent plus partir se constituer un capital pour revenir dans de meilleures conditions. Les augmentations récentes, entre 0% et 1%, ne laissent pas envisager un déroulement de carrière avantageux. Les jeunes ont plus de raison de développer une conscience de classe que des collègues quinquagénaires, possédant un pavillon et pouvant, même en étant dessinateur industriel voire ouvrier, offrir des études supérieures à leurs enfants.

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