Une question qui n’a rien de subsidiaire : qui est propriétaire du pétrole libyen ?

, par  Danielle Bleitrach , popularité : 2%

Avant que notre bien aimé président ne s’en mêle, fort de l’assentiment de tout ce que la France compte de politiciens de comptoirs –à commencer par la très basse-cour de l’opposition– la Libye assurait journalièrement au marché 1,6 million de baril de brut léger (2% de la production mondiale). Le pays était le 17e producteur de pétrole dans le monde et troisième en Afrique. Le pétrole représentait plus de 95% des exportations du pays, dont 85% à destination de l’Europe. Le principal acheteur du pétrole libyen en 2010 était l’Italie (28%), suivi de la France (15%), la Chine (11%), l’Allemagne (10%) et l’Espagne (10%). Les États-Unis achetaient à peine 3% de l’or noir du pays.

Quoique l’on pense du Capital, au vu de son petit personnel et de la manière dont la finance s’emploie avec des dents d’écureuil à ronger notre patrimoine national, notre protection sociale, nos retraites, les banquiers savent encore faire leur compte et poser les questions essentielles, du moins quand elles concernent non l’avenir de l’humanité mais le leur.

En ce qui concerne la Libye, la question incontournable est celle de la PROPRIETE… De toute manière quand il est question d’impérialisme ou de capitalisme, on retourne toujours aux fondamentaux.

Seul un propriétaire avec titres reconnus juridiquement et donc politiquement permet d’ouvrir les vannes, d’entamer le pillage. C’est pour cela qu’il faut vite introniser le Conseil National de Transition. Pourtant il semble bien que cette instance entièrement fabriquée par l’OTAN à la va-vite, Paris en particulier sur les conseils éclairés de BHL, va se heurter rapidement à des appétits locaux. Il y a tout à craindre que les snipers politiques se multiplient, que les divisions et les règlements de compte rendent l’exploitation malaisée. Surtout si l’on admet que la guerre civile est née d’appétits attisés par la rente pétrolière, Kadhafi étant accusé de la réserver aux siens.

La production de pétrole était partagée entre une dizaine de grandes compagnies pétrolières libyennes et 35 compagnies étrangères. Les compagnies libyennes, toutes nationalisées, étaient des filiales de la National Oil Corporation (NOC) (qui regroupe notamment Arabian Gulf Oil Company, Sirte Oil Company et Zawia Oil refining Company). La production de la NOC était estimée à 500.000 barils par jour. Selon les calculs du cabinet Evaluate Energy, près d’un quart des sites de production appartiendrait entièrement à la National Oil Corporation, et environ 35% seraient constitués de joint-ventures avec des entreprises étrangères (principalement avec Eni et Repsol). D’autres acteurs, principalement des compagnies pétrolières nationales, avec une production de brut moins importante, étaient également présents sur le sol libyen. Il s’agit notamment de la compagnie chinoise CNPC, des deux entreprises russes Gazprom Neft et Tatneft, et du norvégien Statoil. Selon les analystes, la raison de leur implantation en Libye était plutôt liée avec des projets de développement à long terme.

La Chine a manifesté quelques réticences on le sait, et là encore Sarkozy est allé vraisemblablement proposer un deal aux Chinois : une part du gâteau dans un cadre plus général de partage du monde avec le G20.

Qui est propriétaire ?

La Libye jouissait de quelques atouts ; il y avait eu longtemps une bonne répartition de la rente pétrolière et le pays est l’un des moins endetté du monde (une dette publique seulement de 3,3% du PIB selon l’OCDE), une nation sur cette base s’était peu à peu substitué aux divisions tribales. Mais peu à peu tout les leviers économiques ont été centralisés dans les mains des Kadhafi, cela allant de pair avec un changement de ligne du guide menant à la fois et contradictoirement une intégration au libéralisme occidental et un projet d’indépendance africaine, ce qui explique pour une part importante, comme nous l’avions analysé dans notre article de février sur la Libye, qu’ait surgi des mécontentements et rivalités tribales.

Mais cette situation pose effectivement au moins deux problèmes :

1) Qui est en mesure d’assurer l’exploitation pétrolière, qui est le propriétaire avec lequel s’entendre pour recommencer à pomper et à se partager le gâteau entre alliés ? Question annexe : quels dégâts a entraîné la libération otanesque par voie de bombardements ?

2) La remise en route du pompage dépend ainsi de « la sécurité » du pays et celle-ci s’accommode mal de bandes de braillards incontrôlés. Il reste non seulement des partisans de Khadhafi, mais il est clair que le Conseil National de Transition, hors territoire de Benghazi, risque de se heurter aux rivalités locales et les exécutions sommaires qui ont débuté sont de mauvais aloi.

Tout cela fait qu’après un bref moment d’euphorie à l’annonce de la prise de Tripoli, la Bourse –prise entre la récession mondiale, la chute des activités et les doutes sur la sécurité libyenne– a manifesté quelques troubles quant au prix du baril.

Ainsi Harry Tchilinguirian, expert du pétrole chez BNP Paribas, paraissait bien loin de l’extase qui a saisi madame Aubry devant la « libération de Tripoli ».

« La vraie question qui se pose est juridique » a dit l’expert, il a jouté : « à qui appartient le pétrole libyen ? Les banques ne peuvent financer des opérations, ne serait-ce que le transport de pétrole, s’il n’existe pas de titres de crédit clairement établis à partir de certitudes juridiques », il a rappelé l’exemple de l’Irak où le chaos intérieur a bloqué toute évolution économique longtemps après la chute de Saddam Hussein.

Tandis que le PS, à qui Mélenchon ne cède en rien sur le chapitre, est parti martialement derrière nos rafales et le Charles De Gaulle, saluant chaque bombardement comme les trompettes de la liberté et des droits de l’homme, à la Corbeille on est autrement sérieux quant on parle du fond. Et l’on comprend mieux pourquoi Paris accélère un sommet de l’ONU pour imposer leur créature. Pourquoi Sarkozy est allé faire un tour en Chine ? C’est bien sûr pour accélérer « la transition démocratique » ou pour parler plus clairement accélérer un pillage « sécurisé ».

Certes le combat mené par la France en faveur des droits des pétroliers au sein des forces de l’OTAN devait protéger les actifs de Total. Même l’Italie qui a su si opportunément retourner sa veste et passer de l’amitié avec le guide à l’assaut final devrait conserver les actifs d’ENI. Le grand gagnant peut être le Qatar qui a été dès le début dans l’affaire et qui a fourni ses studios, sa mise en scène comme logistique de propagande. Et ça continue… Même si dans ce domaine, les chaînes et la presse française n’ont de leçons à recevoir de personne, le Qatar est tout de même mieux placés pour la manipulation couleur locale. En récompense la nouvelle Libye pourrait ouvrir ses réserves à la société de négoce Vitol et Qatar Oil (la compagnie nationale du Qatar), qui a déjà fourni une aide logistique pour l’exportation du pétrole libyen durant la guerre civile.

Mais le problème reste entier : qui est propriétaire et quand est-ce qu’on va pouvoir remettre en route le pompage ? Les champs de l’Est, plus proches de Bengazi semblent encore en état mais pour les autres c’est la grande inconnue. Nos vaillantes troupes otanesques en matière de bombardement n’ont pas fait dans la dentelle déroulant devant les folkloriques troupes rebelles un tapis de bombes…

« Autant les dommages ont été légers avant l’intervention de l’Otan, autant on ne sait rien de précis sur ce qui s’est passé depuis le début des bombardements aériens », assure Harry Tchilinguirian. « Si les deux principaux terminaux d’exportation, Es Sider et Ras Lanuf, ont été endommagés, personne ne sait dans quelle proportion. Des mines pourraient par ailleurs avoir été placées sur certaines installations par les forces pro-Kadhafi. Dans le doute, le marché du pétrole s’apprête donc à continuer de se passer de la Libye, d’autant qu’avant la mi-2012, il n’y aura pas de changement fondamental de l’offre », assure Emmanuel Fages, analyste sur l’énergie à la Société Générale. Mêmes inquiétudes sur l’état des pipelines et autres réservoirs.

On mesure bien à la lecture de ces quelques faits, combien l’union sacrée autour de Sarkozy l’Africain manifeste peut-être un optimisme excessif… Il n’empêche, il suffit du son du clairon et visiblement la gauche comme la droite française perd le sens des réalités…

Le coût de l’opération pour la France

Comme on peut le voir si l’on en reste au seul niveau de la rentabilisation de l’expédition coloniale, il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Voici ce qu’on pouvait lire dans le journal financier la Tribune du 23 août 2011 : « Nous en sommes autour de 200 millions d’Euros explique-t-on au Ministère de la Défense, pour déterminer l’ordre de grandeur de l’opération dite Harmattan qui a débuté le 19 mars en Libye. Le mode de calcul est d’une simplicité biblique : "le surcoût du conflit s’élevant en moyenne à 1,2 millions d’euros par jour, le montant sur 5 mois approche 190 millions, les munitions et les salaires des 2000 à 2500 soldats de l’aéronautique constituant l’essentiel de la dépense. L’enveloppe englobe aussi l’utilisation des avions Rafale ou Mirage, des hélicoptères, du porte-avions Charles-de-Gaulle jusqu’au début août, de la maintenance… Entre le 11 et le 18 août, le dispositif militaire français a assuré près de 150 sorties dont plus de 65% sont des missions de frappe au sol" explique un communiqué de l’état-major. A titre de comparaison, le coût de la présence française en Afghanistan est légèrement supérieur à près de 1,3 million. Les opérations de Libye n’ayant évidemment pas été prévues, le budget dévolu en 2011 aux opérations extérieures (les OPEX), de 650 millions d’euros va être largement dépassé ». « Avec l’Afghanistan et la Libye, les dépenses devraient se situer en 950 millions et 1 milliard d’euros », dit-on au ministère de la défense.

Qui financera ce surcoût ? Mystère. Dans le passé, l’État n’avait pas hésité à combler de tels surcoûts en ponctionnant les autres ministères. Lesquels ? La santé, l’éducation ? Pourquoi se gêner quand il ne se trouve pas un opposant à de tels agissements.

De deux solutions, ou les responsables politiques français sont particulièrement idiots quand ils applaudissent cette intervention « humanitaire », ou alors ils nous prennent pour de francs imbéciles… Si monsieur Sarkozy mérite dans ces temps d’austérité de passer en jugement pour forfaiture autant que pour crime contre l’humanité, Madame Aubry, monsieur Hollande et monsieur Mélenchon me semblent soit totalement incompétents, soit corrompus, peut-être les deux…

Danielle Bleitrach

Tiré de son blog Histoire et société

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