Tunis, Le Caire : des « révolutions arabes ».

, par  Francis Arzalier , popularité : 3%

Le discours de nos télévisions sur les mouvements politiques et sociaux dans les « pays du sud » est décidément assez inepte, et déformé. Depuis un mois, les bavards de la « pensée unique » au service de l’occident et du « marché », font tout pour gonfler leur audience en racontant une « révolution arabe » qui serait en train de parcourir tous les pays, de l’Algérie au Yémen, en passant par la Tunisie et l’Egypte. Selon eux, tous ces peuples « arabes » n’en peuvent plus de leurs dictateurs respectifs (qui les a installés, sinon leurs sponsors de Washington, Paris ou Tel Aviv ?), et se soulèvent unanimement pour obtenir enfin le pluripartisme et la liberté de la presse à l’occidentale. Méfions-nous d’emblée quand les porte-parole bien payés de Sarkozy ou de Strauss-Kahn parlent de révolution : ils ne sont vraiment pas qualifiés. Mais ils le sont encore moins quand on se souvient de leur silence il y a à peine deux mois, quand la monarchie marocaine massacrait allègrement les Sahraouis occupés.

Il est bon de rappeler au sujet des mouvements populaires qui ont explosé de Tunis au Caire quelques vérités élémentaires.

1- Les pays « arabes » ou « musulmans » sont d’une extraordinaire diversité, plus encore que ceux d’Europe. La petite Tunisie, à l’économie longtemps « boostée » par le tourisme et les entreprises textiles délocalisées de France, à la recherche de bas salaires (qui repartent plus loin aujourd’hui), est bien peu semblable à une Egypte surpeuplée (Le Caire a 25 millions d’habitants, la Tunisie 9 millions), ou à une Algérie crevant de la destruction de ses industries au seul profit des importations payées par le pétrole…

2- Ces mouvements populaires, contagieux, ont aussi des dimensions communes, sociales et économiques, que nos télévisions ignorent généralement : le chômage massif, y compris des instruits pratiquant internet et la presse, la pauvreté côtoyant la richesse insolente, etc.

3- Ils ont aussi en commun une faiblesse politique que nos « paladins verbeux de l’Occident » se gardent bien de dénoncer, puisqu’ils s’en félicitent : ces révoltes populaires, sociales et politiques des peuples dits « arabo-musulmans », parfaitement justifiées, ne trouvent pas dans leurs pays les organisations révolutionnaires laïques qui pourraient les mener à la victoire : elles ont, presque partout, été démantelées, détruites, dans les vingt à trente ans qui nous précèdent, avec l’aide des puissances occidentales, par l’économie, la diplomatie, l’espionnage, etc.
- Pour certains, ce fut la destruction physique, par la mort ou l’émigration : en Algérie, la terreur intégriste a ainsi débarrassé les gouvernants « ultra-libéraux », de l’opposition progressiste organisée. En Egypte, la destruction des mouvements communistes et progressistes, commencée sous Nasser, s’est poursuivie avec Sadate, Moubarak, dirigeants sponsorisés par les USA, conciliants avec les colons israéliens…
- Pour d’autres, et parfois dans le même pays, ce fut la dérive « gorbatchévienne », carriériste, opportuniste, qui a suivi le désespoir de voir l’URSS s’effondrer en 1991. Cette dramatique glissade des « ex-communistes », les réduisant à la disparition progressive, a été perceptible partout. Les plus flagrantes en sont :
— le Maroc, où le PPS (ex PC) s’est aligné sur le pouvoir royal pour vanter les vertus de la colonisation du Sahara occidental.
— la Syrie, où des « communistes » sans principes n’hésitent pas à collaborer, contre quelques avantages ministériels, à un pouvoir nationaliste autoritaire ; et les « ex-communistes » dévoyés devenus islamistes ne manquent pas, en Egypte et ailleurs…

4- Cette absence à peu près générale de partis révolutionnaires explique et rend obligatoire la résurgence au grand jour des organisations islamistes au sein des mouvements populaires de contestation, Ehnnada en Tunisie, les Frères musulmans en Egypte. Longtemps contraints au silence par la répression et la torture, ils comblent d’autant plus le vide politique qu’ils peuvent se parer d’une auréole de martyr, et qu’ils savent démagogiquement prendre à leur compte des revendications parfaitement justifiées :
- contre l’inacceptable collusion de dirigeants comme Ben Ali et Moubarak avec les USA, l’Occident et les colonisateurs israéliens.
- contre la corruption des « élites arabes », familiers des palaces et des hôpitaux occidentaux : le discours rigoriste, appelant au retour des préceptes moraux de l’islam est, en ce sens, très convaincant.

Cette poussée islamiste au sein des mouvements populaires est d’autant plus préoccupante que, contrairement à ce que disent nos journalistes en service commandé, elle est souvent anti-occidentale en paroles plus qu’en actes. Les idéologues du « fondamentalisme musulman » ne refusent de la société occidentale que les libertés individuelles et collectives héritées des « Lumières » et de la Révolution de 1789. Ils sont, sur le plan économique, des libéraux favorables à la loi du marché capitaliste. Dans bien des cas, ils ont été et sont soutenus par les puissances impérialistes comme le fut Ben Laden en Afghanistan contre les communistes et l’URSS, en Algérie quand les tueurs du FIS égorgeaient les démocrates. Si les USA, et autres sponsors de l’Occident, le jugent possible et nécessaire pour garantir l’essentiel de leurs intérêts, ils n’hésiteront pas à aider les islamistes à grimper au pouvoir, en Egypte, Irak, et ailleurs : nos penseurs télévisuels pourront toujours se donner le beau rôle avec un discours sur les droits de l’homme, et des femmes.

Aucun scénario historique n’est écrit d’avance : les peuples auront leur mot à dire, au Caire, Alger, Tunis, Rabat, etc.

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