1- Les évolutions de la gouvernance de la bourgeoisie
L’électoralisme, un terme souvent utilisé sur lequel il me semble indispensable de revenir, afin d’en cerner efficacement le sens et le rôle dans la situation politique. Car il est essentiel de ne pas le confondre avec démocratie électorale.
La bourgeoisie à partir de sa reprise en main de la révolution française (mort de Robespierre 1793) a recherché le moyen d’asseoir sa domination définitive tout en manipulant les valeurs incontournables issues de celle-ci.
Durant 80 ans, elle a essayé diverses formes possibles : dictature militaire, monarchie, monarchie parlementaire, dictature civile, parlementarisme censitaire, pour accompagner l’explosion de ses forces productives en maintenant le couvercle de l’exploitation sans contraintes.
2- Première rupture : la commune de Paris
Faute de l’avoir trouvé, son refus de toute remise en cause des conditions de la main d’œuvre, lui interdit même à la simple idée de régulation de son exploitation. Elle se trouva confrontée, en pleine ascension du Capital, à une nouvelle révolution sociale. La commune de Paris en 1871, qui allait remettre en cause pour la première fois son pouvoir et faire émerger des idées marxistes. Celle-ci fondée sur la démocratie directe en assemblées de quartiers, dans les pas des révolutionnaires de 92/93, traçait une autre démocratie sociale et imposait une centralité du prolétariat. La bourgeoisie n’hésita pas à l’écraser dans le sang pour se maintenir.
Pour autant, retenant la leçon, elle opéra une mutation constitutionnelle avec installation d’un parlementarisme d’abord élitaire mais avec séparation des pouvoirs législatif et judiciaire visant à contrôler les idées radicales du socialisme montant dans la classe ouvrière.
Les luttes sociales, l’affaire Dreyfus, la bataille laïque et les meurtrissures de la guerre de 14/18 allaient lui imposé des reculs, ainsi que de nouvelles exigences de l’égalité notamment homme-femme. Cela tandis que le développement des forces productives nécessitait des travailleurs mieux formés et plus autonomes.
Elle chercha donc comment contrôler ce parlementarisme prépondérant, en instrumentalisant à son avantage la délégation de pouvoir (issue des assemblées de citoyens de la révolution) et en le régulant avec le sénat et une adaptation du rôle de la présidence de la république.
3- La deuxième rupture : la collaboration
C’est son recours au fascisme à partir de 1938, pour écraser la révolution soviétique qui allait rebattre les cartes de son pilotage « démocratique » en l’obligeant, suite à sa défaite comme à la mise en évidence de sa complicité dans le massacre mondial, et au poids des communistes qui l’amena à devoir céder en France quelques aménagements dans une gouvernance constitutionnelle à la proportionnelle en 1945 et ouvrant enfin le droit de vote aux femmes.
Mais cela ne pouvait durer : les besoins évoluant insatisfaits de profits et de concentration du capital, conduisait cette bourgeoisie à « ronger son frein ». D’autant que subissant les mouvements de libération du colonialisme, alors qu’elle poussait à l’internationalisation des capitaux, comme de la vente/production de ses marchandises, elle avait besoin d’une évolution de l’Etat : celui-ci devait concourir au taux de profit des monopoles en construction.
La mutation du capital vers la financiarisation réclamaient pour elle d’obtenir enfin un pouvoir stable, à son service, pouvant assurer la vente de la nation et la mutation en capitalisme monopoliste d’état, finançant la finance !
4- Aboutissement en phase avec le capital
Le coup d’état de 1958 allait permettre cette ultime mutation constitutionnelle instrumentalisant la délégation de pouvoir.
Il y a maintenant 80 ans la bourgeoisie trouvait ainsi enfin le système électoral verrouillé dont elle avait besoin dans sa forme de démocratie délégataire bourgeoise actuelle. Un système capable de muter, de revenir sur la nation, de marchandiser les droits fondamentaux, d’enfermer débat et espérance dans une délégation vaine, et recelant d’innombrables possibilités de maquillages démocratiques. L’élection de la présidence au suffrage universel lui permit d’accompagner l’illusion d’un respect du choix citoyen, favorisant même celle d’un changement pacifique et démocratique du système capitaliste.
Dans le même temps la concentration des moyens d’information dans ces mains lui permit d’accompagner ses campagnes idéologiques comme sa manipulation des faits. Le collectif fut vilipendé aisément, le citoyen, comme le travailleur précarisé,de plus en plus seul, perdit progressivement le débat collectif
Elle avait enfin réussi à détourner le sens et et les moyens du vote citoyen afin de lui permettre de singer le libre choix démocratique en l’individualisant, en le rendant manipulable, tout en restaurant finalement sous une autre forme des privilèges de la noblesse qu’elle avait imaginé racheter en 1789 !
Le vote citoyen délégataire bourgeois avait totalement perdu toute chance de renverser son pouvoir ; le système constitutionnel étant devenu l’expression de l’exploitation de l’Homme par l’Homme, un élément de l’oppression capitaliste intimement lié à sa phase impérialiste.
5- Les luttes montrent la voie
À contrario, les prolétaires en lutte ont toujours éminemment respecté le vote majoritaire. C’est un principe indissociable du pouvoir populaire.
Mais ce pouvoir populaire ne peut fonctionner que dans le cadre de débats démocratiques collectifs, assurant clarté des enjeux du vote et réflexion collective des possibles.
La solitude du choix, comme le contexte bourgeois manipulé et manipulateur, confite d’éléments tronqués et pervertis d’information instrumentalisant les pulsions et les peurs, sans aucune perspective d’espérance, n’offre aucun pouvoir prolétarien possible.
La démocratie bourgeoise avait créé les conditions d’un détournement de l’expression populaire mais surtout inventé du même coup l’électoralisme ; comme une prison moderne de la pensée politique. Devenu, outil de domination loin du choix démocratique, une extension du pouvoir patronal jusque dans les têtes dé-citoyennisées. Un enfermement du possible dans le seul cercle acceptable du système capitaliste. Elle avait inventé l’électoralisme, compétition d’opportunismes dans un bocal.
Nous, révolutionnaires, sommes d’une autre conception démocratique, partisan d’un autre cadre : notre responsabilité est d’imposer la liberté collective en renforçant l’autonomie individuelle partagée.
Tout militant ou simple citoyen qui a vécu des assemblées générales de lutte, de grève saura de quoi je parle. Les gilets jaunes sur leurs ronds points ont vécu aussi cette expérience : la démocratie du vote fonctionne lorsque l’expression est libre et partagée et qu’ainsi se crée la dynamique collective.
Le système électoral en impérialisme n’offre aucun moyen de favoriser cette dynamique collective et n’est qu’un repli sur l’individu seul face à ses choix. Il devient outil de désespérance et d’aigreur. La bourgeoisie peut y forger la fascisation, simple durcissement d’institutions déjà totalement adaptées.
6- La vocation révolutionnaire du PC dicte d’autres choix
La vocation révolutionnaire du Parti communiste implique le débat collectif comme moteur de la maîtrise par le prolétariat lui même du processus et repose en conséquence sur la nécessité d’une démarche collective puissante propre à asseoir le débat juste et clair qu’implique un vote utile et serein.
C’est, selon moi, la raison fondamentale pour laquelle, sans contrôle démocratique lié à la lutte collective, aux débats formateurs de fraternité et lutte de classe, nous ne sortirons pas du capitalisme et de sa démocratie bourgeoise installée par la voie première des urnes.
L’enfoncement du parti communiste depuis 60 ans, malgré une bonne lucidité lors du referendum constitutionnel, dans ce système aux dépends des luttes insurrectionnelles, dans le respect du cadre de rétorsion et de contrôle bourgeois est un oubli de cette nécessité de primauté de la dynamique collective, pour que le vote individuel ensuite ait un sens et une valeur pérenne.
Ce glissement dans l’électoralisme a ainsi conduit progressivement à accepter de se conformer à la morale bourgeoise et sa lecture de nos valeurs républicaines, dans son seul cadre contraint de légalité ; et nous voici avec 80% de notre prolétariat qui nous assimile au système et qui n’ose plus.
L’histoire dira si ce glissement fut accompagnement incontournable d’un prolétariat consumérisé, trompé par l’élection directe du représentant du pays, gavé de propagande américaine… et/ou erreur d’analyse d’une réalité mal perçue, d’un retard de perception des évolutions bourgeoises…
Sans doute que la difficulté à admettre la diversité des formes de Socialisme comme à comprendre les causes profondes des blocages du socialisme alors dominant, ont-elles conduit à une illusion de voie démocratique, économisant l’intervention prolétarienne.
Reste que 70 ans après, le temps du bilan est largement venu, malgré les scories internes de corruption idéologique du renoncement au profit du confort électoral..
L’électoralisme n’est donc pas uniquement un outil de verrouillage du pouvoir du capital mais également un outil de la décomposition éthique du prolétariat, un puissant outil de division et de coercition et de dé-construction de son unité.
7- Notre rôle
Notre travail passe par rendre sa crédibilité à l’insurrection afin de rendre sa dignité collective à notre prolétariat non pas en refusant les temps électoraux mais en concourant à les revitaliser en cohérence avec le foisonnement insurrectionnel.
Revaloriser et « ré autoriser », prioritairement », une dynamique explosive afin qu’il soit à même de véritablement choisir son chemin dans le cadre d’un mouvement collectif puissant porteur de ses choix.
Nous ne sommes par un parti comme les autres, un parti du système, nous devons redevenir le parti de son renversement à la fois idéologue et force de mesures visant le Socialisme, un pied dedans, un pied dehors.
L’aventure communiste porte une nouvelle démocratie de classe par la force irruptive du peuple et par la force d’une détermination construite dans le collectif de la lutte de classe. Les urnes du capital sont funéraires. Leur calendrier permanent funeste ; s’en extraire exige une volonté politique pour faire de cette oppression un temps suspendu et non le filet dans lequel il maintient la désespérance.
La bourgeoisie va durcir sa gestion autoritaire mais maintiendra ce système d’oppression, quitte à l’aménager.
La bataille pour une autre démocratie, prolétarienne, ne se gagnera pas dans les votes individualisés ; elle va devenir un axe indispensable de la lutte de classe. Nous devons y être prêt.
Il est plus qu’indispensable de combler ce retard considérable pris sur l’évolution de la réalité ; celle de l’état de conscience du prolétariat.
Dans la confusion de sa souffrance, il exprime de plus en plus clairement à travers son refus de jouer le jeu de la démocratie bourgeoise comme dans son expression d’un soutien à l’extrême droite, ses attentes : un pouvoir fort, de justice sociale et de respect de la nation ! À nous de mettre un contenu de classe à cette attente légitime, amener un contenu d’analyse de classe du monde et inviter à une dictature du prolétariat par le prolétariat.
Loin de l’électoralisme bourgeois.
8- Nouvelle orientation stratégique indispensable
C’est bien un problème d’orientation stratégique de fond auquel sont confrontés les communistes, où qu’ils soient actuellement ; tous perdus dans les méandres d’une visée ou d’une autre de cet électoralisme bourgeois.
C’est précisément la raison pour laquelle, je conteste totalement les discours (souvent doctrinaires - texte JP Legrand) visant à prioriser une évolution du fonctionnement du parti politique pour redresser la situation.
En fait, l’outil est toujours une construction élaborée à partir d’un besoin, d’un projet.
Croire qu’il suffirait de retrouver un fonctionnement plus ou moins léniniste du parti est une mé-compréhension profonde, un idéalisme !
Le glissement progressif du Parti communiste et de toute la sphère communiste actuelle, a commencé bien avant l’entreprise de liquidation de son fonctionnement : il fut même l’instrument de cette démolition. Car le réformisme n’avait plus besoin d’un fonctionnement de combat révolutionnaire.
Les abandons atlantistes actuels de la direction du parti comme de l’Huma ne sont pas le fruit de sa structure de fonctionnement mais bien d’une absence de conscience politique incontournable dominante, pour ne plus laisser congrès, conférences nationales ou universités diverses, détournées et manipulées par les électoralistes, les élus ou les réformistes planqués.
La question posée urgente, aujourd’hui est bien celle de la visée stratégique et de ce qu’il convient de faire pour renverser la table ! C’est une fois déterminée qu’il s’agira de construire l’outil révolutionnaire adapté sans modèle ni anti modèle.