Quelques réflexions sur la situation politique actuelle

, par  Nicolas Cossange , popularité : 0%

Ce texte est une reprise du rapport introductif que j’ai prononcé pour la réunion du Conseil Départemental du 16 octobre 2025. Je précise la date car l’instabilité du moment fait qu’une partie des éléments que j’y développe ne seront peut-être plus tout à fait à jour d’ici une semaine, un mois...

Le discours de politique générale prononcé mardi dernier par Sébastien Lecornu illustre assez bien les contradictions de la période. Sans majorité parlementaire et sans soutien populaire, il est obligé de toucher au sacro-saint totem de la Macronie en annonçant une suspension de la réforme des retraites. Au delà du contenu de cette annonce, sur lequel peut de réjouissances sont prévues, c’est indéniablement une victoire politique.

Car le simple fait qu’elle puisse être remis en question par un fidèle des fidèles de Macron est une victoire politique, alors même que cette réforme rejetée par plus de 70 % des français était un tabou absolue pour le camp présidentiel (à la fois leur mesure phare, leur bilan et leur carte de bonne conduite aux yeux du capital).

C’est le seul fruit des mobilisations, des manifestations, de l’unité syndicale, des grèves bref : du mouvement social et de celles et ceux, comme nous, qui s’en sont fait les relais tant dans la bataille parlementaire que dans la bataille quotidienne militante.

Ce qui a été gagné c’est la possibilité de remettre le dossier sur la table. Et ce n’est pas rien. Mais il est désormais de notre responsabilité de pas en faire une victoire à la Pyrrhus, en référence à ce roi grec qui gagna toutes ses batailles mais perdit la guerre (et la vie) contre Rome.

Et ce n’est pas qu’une bataille parlementaire ou présidentielle, ni l’une ni l’autre ne prendront le relais de la rue sur le sujet. Là est bien le piège tendu dans lequel se sont engouffrés les différends représentants de la social-démocratie.

Les socialistes, qui en prétextant vouloir donner sa chance au débat budgétaire en ne votant pas la censure, permettent à Macron / Lecornu de temporiser.

Mais aussi les insoumis, qui ont voté la censure mais qui, en axant toute leur stratégie sur une démission (à défaut de destitution) du Président de la République, renvoient l’aboutissement des revendications du mouvement social à ce que la Ve République comporte de pire : le recours au sauveur, à l’homme providentiel dont l’expérience de 81, 97 et de 2012 (ou nous n’étions pas au gouvernement) nous démontre que c’est une machine à créer des désillusions et des désillusionnés. Nous en savons quelque chose au PCF.

Cela me fait dire d’ailleurs que, si les institutions de la Ve République démontrent leurs limites, son esprit, son âme même, le césarisme, infuse grandement la société française.

La question de nos institutions est dans le débat, mais ce n’est pas celle du numéro de notre constitution mais bel et bien de son contenu qui doit être posé prioritairement. Sauf à valider la stratégie d’un Mélenchon, qui conditionne le passage à la VIe par son élection comme Président de la Ve, soit s’appuyer sur ce que la Ve à de pire pour en faire une VIe. Ce ne peut-être qu’une impasse.

Pour être complets sur la social-démocratie, les verts oscillent, comme à l’accoutumée, ils ont voté la censure mais leur débat interne s’avère plus complexe. Ils ne sont certainement pas aidés par leurs stratégies à géométrie variable aux municipales.

Je reviens sur l’annonce de la suspension de la Réforme des retraites et je reprend les propos de Ian Brossat que je partage totalement :

« Lecornu s’est bien gardé de dire quel véhicule permettra concrètement d’assurer cette suspension. Ensuite, il parle de « suspension », pas d’abrogation, soit une avancée par rapport à ce qui était prévu mais en retrait par rapport à ce qui s’est exprimé dans les urnes aux dernières élections législatives.

Les électeurs ont majoritairement voté pour des partis, certes fort différents, mais qui s’engageaient à abroger la réforme Borne.

Enfin, et c’est le plus grave, dans la mesure où Lecornu refuse de faire payer le capital (il se paie même le luxe de diviser par deux la contribution des plus riches !), il fait payer cette avancée aux plus modestes eux-mêmes. Donner d’une main, reprendre de l’autre, telle est sa devise.

Son budget est en effet une avalanche de mauvais coups contre le monde du travail : blocage des pensions de retraites, gel des prestations sociales et notamment des APL, suppression des APL pour les étudiants étrangers, baisse de la rémunération des apprentis, hausse de l’impôt sur le revenu avec la non-indexation de son barème sur l’inflation…

Un vrai musée des horreurs libérales dans le droit fil du budget Bayrou qui a conduit à un vote de défiance.
J’entends dire que l’engagement pris par le Premier Ministre de ne pas faire usage du 49-3 changerait la donne. C’est oublier qu’il dispose de bien d’autres outils pour passer en force. L’article 40 notamment peut être dégainé à tout moment par le gouvernement pour empêcher la création de nouvelles dépenses. »

Je surenchéri sur Ian : Sans oublier les ordonnances, l’article 44-3 qui prévoit le vote bloqué sans étudier les amendements. Depuis 2022 et l’absence de majorité absolue pour le Président, la Macronie nous a démontré l’étendue des moyens a disposition de l’exécutif pour tordre le Parlement. Enfin n’oublions pas que les parlementaires n’ont pas l’initiative législative qui reste entre les mains du Gouvernement et enfin, que si l’Assemblée est morcelée, le Sénat dispose lui d’une majorité de Droite (qui donne une majorité parlementaire en Commission Mixte Paritaire). Nous l’avons bien vu avec la taxe Zucman par exemple.

Je reprend les propos de Ian :
« L’équation de 2024 n’a donc pas fondamentalement changé : le Président de la République reste déterminé à nier le résultat des urnes. Moyennant quelques aménagements, il continue à imposer la même politique pour assurer la domination du capital, ignorant l’exigence de changement exprimée par le monde du travail. Dans ces conditions, je ne vois pas bien ce qui pourrait justifier autre chose qu’un vote de censure jeudi.

Et bien sûr, si elle n’est pas adoptée, le combat continuera. Pour faire barrage aux mauvais coups contre le monde du travail, pour la hausse des salaires et du pouvoir d’achat, pour la justice fiscale, pour l’abrogation en bonne et due forme de la réforme des retraites, pour une relance de la politique du logement. »

Le parti a sorti un communiqué dans le même sens, vers lequel renvoie ce lien.

La situation nécessite donc plus que jamais une intervention des communistes dans le débat public. Nous devons être attentifs également à ce que décidera le mouvement social, car en annonçant cette suspension de la Réforme des retraites, Lecornu cherche là aussi à y jouer la division.

D’autant plus que le serpent de mer de la réforme retraite par points et de la capitalisation n’a pas tardé à se faufiler dans la brèche. Réforme, rappelons-le, battue par le mouvement social à l’hiver 2019/2020. Le gouvernement Philippe avait dû retirer son texte face à la pression de la rue dans un contexte de démarrage de l’épidémie de COVID.

Hors, la majorité de droite existe dans ce pays pour la remettre sur la table, l’intervention de Gabriel Attal lors du débat suivant la déclaration de politique générale le prouvant.

Surtout avec une Extrême-droite et un patronat qui ne se priveront pas de pousser plus avant leur idylle et s’offrir comme lune de miel, une des conquêtes majeures d’un Conseil National de la Résistance qu’il n’ont jamais digéré, qui plus est l’année de ses 80 ans !

Car, et c’est aussi un élément majeur du débat actuel, RN et patronat ne cachent plus leurs tropismes, leurs atavismes communs.

Regardons ce que signifie l’alliance de l’ultra-libéral Ciotti, se rêvant d’un Millei ou d’un Trump à la française, et du Rassemblement National qui se présente aujourd’hui comme l’alternative populaire. Cette alliance et ces déclaration d’amour avec le patronat abattent les cartes de ce qu’incarne réellement le RN et ses amis dans notre paysage politique : une alternative oui, mais une alternative à Macron et aux libéraux pour la sauvegarde du Capital.

Ce n’est d’ailleurs pas uniquement une tendance française, c’est le schéma que nous voyons se dessiner partout en Occident dans ce que les médias nomment les démocraties « illibérales », de Trump, de Millei, d’Orban, de Meloni et tant d’autres que je ne vais pas égrener.

« Illibéral » : doux euphémisme pour qualifier un régime autoritaire mais qui demeure au service des marchés, doux euphémisme pour ne pas parler de l’installation du fascisme pour ce qu’il est : un substitut des intérêts de classe par ceux de race.

Ou plus précisément par en France, un substitut des intérêts de classe par ceux d’une nation fantasmée dans la nostalgie d’un Empire au service d’un impérialisme dont les derniers relents s’effondrent par ailleurs en Afrique sous les coups de butoirs du nouvel ordre mondial que tente de construire le sud global.

Impérialisme qui est en réalité, par substitution, dans la servitude volontaire de l’impérialisme américain. Quand bien même les intérêts de ce dernier sont contraires aux nôtres, comme sur l’écrasement devant Ursula Von der Leyen (la VRP de Trump) sur les droits de douanes, ou encore sur le MERCOSUR. Et bien sûr notre alignement sur l’OTAN qui ne peut nous mener qu’à la guerre en Europe, encore une fois loin de nos intérêts de paix et de coopération sur le continent, Russie et Ukraine incluses.

Fidel Castro, qui avait mieux saisi que quiconque ce qu’impliquait la chute de l’URSS et les conditions imposées par l’OTAN, n’avait pas tord en 1992 quand il disait : « La prochaine guerre en Europe sera entre la Russie et le fascisme, sauf que le fascisme s’appellera démocratie ».

C’est bien parce que l’extrême-droite et le Capital s’accaparent la Nation que nous devons absolument tout faire pour la leur reprendre et à plus forte raison quand l’austérité généralisée est faite au nom des marchands de canons qui rêvent de renvoyer les français (et plus largement les européens) mourir prétendument pour la patrie, en réalité pour leurs bénéfices.

Car la nation n’est rien d’autre que le substrat où se sont développés notre histoire politique et nos luttes sociales, victorieuses ou non. Leur France est celle de Thiers, de Pétain, de Napoléon voire de l’Ancien Régime pour quelques illuminés, c’est celle de l’Empire Colonial, c’est celle du sabre et du goupillon.

La notre, la France réelle, concrète et non fantasmée du XXIe siècle, est celle née de 1789, de la Commune, des mutinés de 1917, des grèves insurrectionnelles de 1920, de 36, du CNR, des luttes décoloniales, des luttes pour les droits des femmes, pour les droits sociétaux et de tant d’autres batailles politiques du XXe siècle.

C’est la France de la lutte des classes, de celles et ceux qui refusent de donner raison à Warren Buffet et aux Warren Buffet modernes. Les Arnault, les Mulliez, les Dassault, les Drahi ou encore (sans exhaustive) les Bolloré qui prétendent l’avoir gagnée cette lutte des classes et mettent des moyens colossaux dans les médias de masse pour en persuader la population.

Et c’est surtout la France de toutes celles et ceux qu’il nous faut convaincre que la lutte des classes n’est pas perdue, qu’un autre modèle de société est possible et que nous avons nommé lors de notre dernière conférence nationale un socialisme à la Française du XXIe siècle.

Les temps sont difficiles mais en face d’une extrême-droite qui se pose en bouton « reset » du capital et d’une droite qui n’a rien contre lui donner le pouvoir : nous avons un chemin. Et pour paraphraser Lénine, si nous avons ce chemin c’est parce que je pense que les communistes en ont la volonté. Organisons-là !

Ou plutôt continuons de l’organiser comme nous l’avons entrepris lors du XXXVIIIe Congrès et confirmé au XXXIXe. Poussons ces questions dans la préparation du XLe Déployons nos campagnes : contre l’austérité, pour l’abrogation de la réforme des retraites et pour la paix, la paix en Europe comme en Palestine et ailleurs dans le
monde.

Ce n’est pas contradictoire avec celles que nous menons pour les Municipales à venir en 2026 et celles que nous pourrions avoir à mener à tout moment pour les législatives.

Une dissolution peut intervenir à tous moments. Les grands médias, qui sont plus friands des castings que des contenus, nous livrent des analyses à bâton rompu.

La question des « castings » n’est pas secondaire. Quel périmètre de rassemblement peut exister à gauche ? Souhaitons-le, le plus large possible.

Mais mieux que le souhaiter, travaillons-le sur avant tout sur son contenu qui ne peut se résoudre au programme du Nouveau Front Populaire (ou avant lui de la NUPES) qui a été bricolé en quelques jours sous forme d’un consensus minimal.

Hors la recherche des plus petits dénominateurs communs n’a jamais fait les plus grandes victoires communes.
C’est dans la confrontation de nos propositions dans la population que nous gagnerons des contenus ambitieux et par la même occasion que nous déplacerons la construction de l’union sur le projet plutôt que sur une répartition des circonscriptions. Répartition insultante pour le PCF en 2022 comme en 2024.

En terme de contenu, les communistes peuvent s’appuyer sur les points que le Parti a mis en avant en milieu de semaine dernière :
 L’augmentation des salaires et l’égalité professionnelle femmes-hommes.
 L’abrogation de la réforme des retraites
 La taxation des hauts revenus et des revenus du capital, des critères sociaux et environnementaux sur les 211 milliards d’euros d’aides publiques aux entreprises.
 Un fonds d’avances de 100 milliards d’euros dès 2026 pour l’investissement, l’emploi et la formation dans l’industrie et les services publics et la lutte contre le réchauffement climatique. Point très important car c’est la différence entre une logique budgétaire d’austérité et de relance.
 Un cinquième que je rajoute : La paix.

La paix est un vaste champs d‘actions. La paix et la fin de la colonisation en Palestine, la paix dans les conflits alimentés par l’impérialisme en Afrique et au proche et moyen Orient, la paix et le respect des pays à se développer comme ils le souhaitent dans les caraïbes et en Amérique du Sud, la levée du blocus à Cuba.

Et aussi la paix en Europe, le refus de voir l’UE se transformer en auxiliaire de l’OTAN, cette officine à quitter et à dissoudre d’un impérialisme américain à bout de souffle et qui ne rêve que de voir l’Europe payer et assumer la sécurité de ses investissements en Ukraine. Par la même l’ouverture indispensable d’un débat sur cette UE supranationale que les Français ont rejeté en 2005 dans un vote non-respecté…

La paix c’est aussi un aspect important du débat budgétaire. Oui ou non l’austérité pour financer la guerre et les guerres à venir, l’argent pour les marchands de mort ou pour les services publics, le développement industriel, la transition écologique…

La période est instable et renvoie à Gramsci : « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur naissent les monstres ». Plus que jamais : Socialisme ou barbarie.

Voir en ligne : sur le blog de Nicolas Cossange

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