Les racines historiques du recul communiste
Le premier élément est l’anticommunisme structurel qui marque la vie politique française depuis 1945. Dès la Libération, toutes les forces politiques, sous l’impulsion de l’impérialisme américain et dans le contexte de la guerre froide, ont cherché à marginaliser un PCF pourtant central dans la Résistance et dans la reconstruction du pays. La stratégie de Mitterrand, après 1981, a accéléré ce mouvement : la « pédagogie du renoncement » qui accompagna l’abandon du Programme commun a durablement affaibli l’idée même qu’une transformation de la société était possible. S’y ajoutèrent les campagnes virulentes contre l’URSS et les régimes socialistes d’Europe de l’Est, campagnes qui doublèrent d’intensité au moment de la dislocation de l’Union soviétique — dislocation rendue possible par la capitulation des dirigeants soviétiques, l’épuisement de la société dans la course aux armements et la pression constante de l’impérialisme.
À cette offensive extérieure s’est superposée une crise interne du mouvement communiste européen. Face aux difficultés du « socialisme réel », nombre de partis communistes d’Europe de l’Ouest ont abandonné les principes théoriques et organisationnels du marxisme-léninisme, optant pour une lecture très influencée par les thèses libérales sur la démocratie et les droits de l’homme. Ce glissement idéologique les a privés d’une capacité d’analyse marxiste au moment précis où le capitalisme opérait une adaptation à sa crise mondialisée, celle-ci exigeait une compréhension renouvelée de l’impérialisme et des luttes de classes.
Dans ce contexte, une incompréhension majeure a pesé : celle de la révolution chinoise. Les dirigeants communistes occidentaux n’ont pas su analyser la Chine non comme une déviation, mais comme une expérience socialiste novatrice ayant réussi à surmonter l’agression impérialiste par une stratégie articulant ouverture économique, planification nationale et fermeté politique sur les principes marxistes-léninistes, le socialisme de marché. Ignorer ce phénomène historique majeur a contribué à l’appauvrissement théorique des partis communistes européens.
La dérive communicationnelle du PCF
Aux facteurs externes et idéologiques s’ajoute une responsabilité propre aux directions du PCF depuis les années 1990. Sous Hue, Buffet et Laurent, le parti s’est progressivement transformé en organisation centrée sur la communication électorale, au détriment de son rôle historique : être une force populaire organisée dans le monde du travail qui se transformait à vitesse grand V.
L’abandon de la cellule — base démocratique du parti, lieu où s’articulait le lien dialectique entre le parti, les entreprises, les quartiers et les travailleurs — a détruit les derniers enracinements populaires et militants essentiels du communisme français laissant le communisme municipal comme uniques liens avec le peuple sur lesquels le parti a pu continuer une activité utile pour les populations. Or cette organisation originale, unique dans la vie politique française, permettait un échange permanent entre le peuple et le parti, et assurait l’irrigation des propositions communistes dans la société. Autrement dit, le parti perdait sa première jambe : celle qui lui permettait d’organiser le peuple en dehors des institutions et du calendrier électoral de la bourgeoisie. Il ne lui restait que l’autre jambe, celle de la présence de ses élus dans les institutions, mais cette jambe s’est progressivement affaiblie et anémiée précisément parce que la première avait quasiment disparu.
Retrouver la spécificité communiste
L’enjeu aujourd’hui n’est pas d’entrer dans un conflit stérile avec les autres composantes de la gauche, mais de retrouver la spécificité communiste. À force de vouloir ressembler d’abord à la social-démocratie, puis à son avatar populiste, le PCF s’est peu à peu éloigné de sa propre histoire, de sa théorie et de sa pratique issues de sa matrice originelle du Congrès fondateur de Tours. Le révisionnisme théorique, notamment l’abandon opportuniste du concept de dictature du prolétariat, a accrédité l’idée fausse selon laquelle ce concept marxiste serait de même nature que la dictature du capital. Or l’une vise l’élargissement de la démocratie en donnant le pouvoir aux classes laborieuses, tandis que l’autre restreint la démocratie et peut mener au fascisme.
Retrouver la spécificité communiste, c’est donc se réapproprier l’histoire du PCF, ses succès comme ses échecs, pour assumer pleinement son identité : celle d’un parti du monde du travail, de la démocratie sociale, d’un parti qui place la production, l’industrie, les services publics et la souveraineté économique au cœur de son projet. C’est renouer avec une tradition d’organisation qui fait du parti un lieu d’émancipation, d’éducation politique et d’action collective.
Dépasser les illusions pour reconstruire une force populaire
Les mouvements populistes expriment des colères réelles, parfois légitimes, mais ils ne construisent pas une stratégie de transformation sociale. L’avenir du PCF passe au contraire par un retour assumé à son rôle historique : être le parti du monde du travail, de l’éveil politique, des luttes concrètes et de la transformation sociale profonde.
Cela suppose de reconstruire des cellules actives, de renouer avec l’implantation dans les entreprises, les quartiers, les services publics. Mais cela suppose aussi d’élaborer une analyse marxiste rigoureuse de la situation internationale, notamment de l’impérialisme contemporain, sans laquelle aucune perspective socialiste n’est possible en France.
Pour un PCF révolutionnaire de notre temps
Rebâtir un parti communiste utile implique d’ouvrir en grand le chantier de sa reconstruction révolutionnaire. Libérer notre pays de la domination de la grande bourgeoisie atlantiste exige un affrontement politique clair : sortir du carcan de l’OTAN, redéfinir notre rapport à l’Union européenne, et engager une stratégie d’indépendance nationale articulée à une coopération internationale anti-impérialiste notamment avec les BRICS et toutes les nations qui aspirent à leur souveraineté.
Cela passe par un projet socialiste à la française :
– un plan climat ambitieux fondé sur la planification nationale écologique et industrielle ;
– l’appropriation sociale des grands moyens de production ;
– la maîtrise nationale des filières stratégiques, de l’énergie au numérique ;
– la réindustrialisation pilotée par un État stratège et démocratique ;
– et un parti communiste implanté durablement dans le monde du travail.
Un PCF ainsi reconstruit pourrait offrir à la jeunesse, aux travailleurs, aux retraités comme aux précaires un horizon clair : celui d’une société socialiste fondée sur la responsabilité populaire, l’égalité réelle et la liberté collective — une alternative crédible nécessitant un PCF beaucoup plus influent, organisé, discipliné et cohérent sur sa ligne face à l’impérialisme et ses régimes autoritaires et guerriers qui utilisent l’extrême droite et le fatalisme social comme recours pour imposer la contre révolution au développement des forces productives mondiales et des nations souveraines.
Jean-Paul LEGRAND
17/11/2025
« l’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte de classes »

(2002) Lenin (requiem), texte de B. Brecht, musique de H. Eisler
