Oui, il y a des champignons microphages cherchant à ronger la charpente socialiste... Dans le débat sur le socialisme...

, par  Jean-Claude Delaunay , popularité : 100%

Mon nom et le livre que j’ai publié sur la Chine en 20181 ayant été évoqués dans la transcription par Pam d’un récent débat animé par Danielle Bleitrach sur le socialisme chinois, je vais faire état de deux idées que je crois importantes. Elles sont issues du questionnement permanent qui est le mien, à savoir « Qu’est-ce que le Socialisme ? », quand j’observe le socialisme chinois au fil de la vie quotidienne, lorsque je vais faire mes courses au marché du coin, lorsque que je bosse dans un Café, lorsque je regarde la télé.

La première idée concerne ce que le socialisme promeut et défend. Le Peuple ? C’est l’évidence. Les dirigeants de la Chine sont des défenseurs vigilants des intérêts populaires. Mais nous pouvons avancer d’un cran dans l’explicitation de cette exigence du socialisme en affirmant que le socialisme assure la promotion et la défense des intérêts du peuple dans ses parties et dans sa totalité.

Défendre les intérêts du peuple dans ses parties, c’est par exemple promouvoir de bonnes conditions de vie des agriculteurs, c’est veiller à ce que toutes les mamans puissent trouver près de chez elles une crèche où placer leurs enfants, c’est s’occuper activement, réellement des Chinois en chômage, c’est financer des métros, installer le plus grand nombre possible de dispensaires, c’est faire de la publicité à la TV pour inciter les automobilistes à s’arrêter quand quelqu’un s’engage sur le zébra (passage clouté) et ainsi de suite. Je pourrais continuer la liste pendant des heures et des heures. La preuve du socialisme, ce n’est pas qu’on le mange, c’est qu’on y vit. Défendre les intérêts du peuple c’est défendre la vie quotidienne du peuple. Le quotidien est la base des grands principes.

Mais défendre les intérêts du peuple, c’est aussi défendre ses intérêts dans son entier. Le Peuple en son entier, c’est la nation socialiste. C’est la défense de ses frontières, c’est sa politique étrangère, c’est l’ensemble des décisions relatives à sa formation scientifique et technique, à la protection de l’environnement, c’est la prise en compte sérieuse et dans la continuité de toutes les fonctions collectives nécessaires à la vie et à la reproduction d’une population en y incluant son histoire pour mieux en dessiner l’avenir.

Globalement, les Chinois non seulement vivent mieux mais ils savent globalement d’où ils viennent et ils savent globalement où ils vont. Les manigances de Trompou (c’est comme ça que Trump se dit en Chinois) ne leur font pas peur et ils y font face avec le calme le plus convaincant.

Le socialisme, c’est la liaison permanente, dialectique, mutuellement croissante et enrichie, de ces deux dimensions de la Vie : le court terme, individualisé et particulier, le moyen long terme, plus massif, plus lourd de décisions et de choix collectifs nationaux, dans l’incertitude, mais aussi dans l’optimisme de l’avenir du monde. Je ne vais pas développer davantage. Il faut savoir que ces deux pôles, qui se complètent et sont unis, peuvent aussi s’opposer. Certains gouvernements de la Chine, par exemple, ont pu favoriser le pôle nation en tendant à oublier le pôle de la particularité, etc. Mais ces aspects figurent certainement dans le livre dont Bleitrach fait la juste et légitime promotion.

La deuxième idée concerne la signification de la lutte contre la pauvreté dans un pays de régime socialiste. Que signifie cette lutte en Chine ? J’ai eu tout dernièrement l’occasion de travailler sur ce thème pour un livre collectif que Delga se prépare à publier. Voici comment j’ai réfléchi à ce problème.

En 1949, lorsque la Chine a proclamé son indépendance et la nature populaire de son régime, après avoir d’une part, foutu la râclée aux Japonais et d’autre part chassé hors de la Chine continentale les troupes de Chiang Kaishek (Jiang Jieshi), le bourgeois nationaliste, ce pays de 540 millions d’habitants était d’une pauvreté extrême, plus grande encore que celle des habitants de l’Inde de l’époque, c’est dire. Lors de la célébration de leur première fête nationale, Mao et ses copains décidèrent d’organiser un défilé militaire. Les Chinois n’avaient aucun autre armement que celui que leur refilaient les soviétiques et celui aussi, qu’ils gagnaient sur les « Xiao Gui Zi », les petits diables, les Japonais, et sur les nationalistes. Ils ont donc décidé que leur défilé militaire serait alimenté par leurs prises de guerre sur les Japs, des canons, des tanks, des auto-mitrailleuses, des avions, etc. Et vous savez comment ils ont fait circuler tout ce barda devant Gugong, le Palais de la Cité Interdite qui jouxte la Place Tian’Anmen ? Avec des ânes !

Quand on y pense, le souvenir de cette situation contrastée d’un armement moderne, celui des Japonais, tiré par des ânes, la force motrice quasi unique de la Chine populaire de l’époque, est, pour moi, à la fois drôle et émouvant.

Tout cela pour dire combien les Chinois étaient pauvres en tout. Depuis 1950, les chercheurs estiment que les gouvernements successifs, de Mao Zedong 1950 à Xi Jinping 2021, ont sorti 800 millions de Chinois de la pauvreté. La dernière phase de la lutte, celle des années 2015-2020, est exemplaire. 3 millions de membres du PCC ont été mobilisés et se sont rendus sur place pendant 1 à 2 ans pour éradiquer la pauvreté absolue que l’on pouvait encore observer en Chine, 60 ans après la naissance de « New China ».

Je n’entre pas dans les détails de cette lutte et de son histoire bien que cela soit passionnant. Je vous renvoie au bouquin que Aymeric et Edmond vont publier là-dessus, ou ont publié. La Chine, vous savez, c’est encore un peu le bout du monde, même si c’est aujourd’hui tout à côté. Et donc les nouvelles mettent du temps à circuler. Je me permets de faire de la pub pour ce bouquin car j’imagine que celui de Bleitrach et alii, pour des raisons compréhensibles d’ailleurs, n’en parle pas de manière aussi approfondie. Je dis cela, car nous tirons dans la même direction. Essayons en tout cas de le faire si nous n’y avons pas encore pensé.

Après avoir indiqué l’existence de cette lutte et son ampleur, j’en viens à ce que je souhaite dire dans ce deuxième point. Quel est le sens de la lutte contre la pauvreté en Chine ? Est-ce la mise en œuvre efficace d’une politique humaniste, révélatrice de ce que le socialisme, c’est un régime et une société orientée avec continuité par les intérêts populaires ? Oui, certainement. Et l’on rejoint ici l’idée précédente : le socialisme, c’est la défense des intérêts populaires.

C’est en même temps la défense de la nation chinoise, car lutter contre la pauvreté revient à faire de ces millions de Chinois qui, auparavant étaient à la marge de la société, des citoyens à part entière de cette société. Cela revient donc à renforcer la cohésion de la nation chinoise. Là encore, on rejoint l’idée précedente de la complémentarité entre le particulier et le global.

Mais est-ce tout ? Non, ce n’est pas tout. A mon avis et sur la base de mon observation, la lutte contre la pauvreté est l’une des composantes d’un triptyque comprenant : 1) la lutte contre la pauvreté, 2) la lutte contre la corruption, 3) la lutte contre les débordements des entreprises et la super-richesse qu’ils engendrent. Je crois que je rejoins ici l’interrogation exprimée par Romain. Oui, il y a des champignons microphages cherchant à ronger la charpente socialiste. Les gouvernants de ce pays se doivent de mettre du Xylenol sur cette charpente et ils le font.

En bref, lorsque les 3 combats sont menés simultanément, la lutte contre la pauvreté, c’est plus que la lutte contre la pauvreté, de la même façon que la lutte contre la corruption, c’est plus que la lutte contre la corruption et que la surveillance attentive des entreprises, aussi bien publiques que privées, et de la richesse relative qu’elles engendrent, c’est plus que cette surveillance. Ce triptyque est, me semble-t-il, le pivot d’une politique de transition vers le communisme.

Enfin, je crois possible, bien que cela ne soit pas indispensable, de m’interroger sur la portée de l’opération entreprise par Bleitrach : contribuer à ce que les Français s’éveillent à la Chine, comme étape décisive d’évolution politique. C’est bien, j’approuve. Mais je me demande quand même : Est-ce vraiment ce qui va nous faire avancer ? Je fais état de mon interrogation. Elle vaut ce qu’elle vaut. Je me dis que, comme à la fin des contes de Perrault, les Français devraient s’éveiller à eux-mêmes, endormis qu’ils sont par le grand Capital et ses sornettes. Quant à la Chine, bien sûr, elle doit être prise en compte, absolument, mais comme alliée, d’abord comme alliée, de la même façon que Bleitrach évoque les Brics. Le socialisme chinois est peut être un exemple, ce n’est certainement pas notre problème.

Nous pouvons extraire de la Chine de nombreuses et fructueuses leçons. Et c’est ce que Bleitrach et ses amis cherchent à faire. Mais, que ce soit Trompou ou que ce soit les successeurs de Biden le corrompu, notre moindre velléité de socialisme aura, de leur part, une réaction immédiate : chercher à nous couper définitivement les ailes et tout ce qui dépasse. Ce sera à nous de nous défendre. Cela dit, nous avons définitivement besoin que la Chine figure au premier rang de nos alliés éternels.

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