On enterre l’école, et Blanquer jette les dernières pelletées de terre Par Samuel Piquet, blogueur et ancien prof de lettres

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La réforme du lycée et la loi Blanquer ne sont rien d’autre que l’adaptation totale et définitive de l’Éducation nationale aux lois du marché, le remplacement de l’intégration au monde par l’insertion dans la mondialisation (... capitaliste, ndlr), le remplacement de la transmission des savoirs par l’utilitarisme et la réduction de la culture au rang de projet.

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École et utilitarisme

Certes, l’utilitarisme était déjà bien présent depuis que les pédagogistes de la rue de Grenelle avaient décidé de remplacer les connaissances par des « compétences » chargées de garantir que l’apprenant n’en saurait jamais plus que nécessaire et que les moindres de ses savoirs pourraient être réutilisables. Mais la réforme du lycée a franchi un pas dans la transformation de l’élève en main d’œuvre potentielle, en chair à embauche. Dès son entrée dans l’école, l’ « apprenant » sera désormais affublé d’un livret qui l’accompagnera tout au long de sa scolarité, gage de ses compétences et de son « employabilité ». L’objectif premier de l’école n’est plus ni l’acquisition d’une culture ni encore moins l’émancipation par la pensée mais la capacité de l’élève à mener à bien son projet et à en faire la promotion en devenant un VRP de son propre cursus, un marchand de lui-même avec en ligne de mire le grand oral du bac, sorte de pré-entretien d’embauche et de tremplin vers la vie active.

La logique managériale a remplacé l’idéal républicain et l’auto-mise en avant, le culte des grands esprits. Pouvait-il en être autrement dans cette école où l’idéologie de l’élève au centre, patiemment distillée depuis des décennies au détriment du respect du magister, tend à faire croire à l’enfant que le savoir se trouve par lui, avec lui et en lui par l’opération du Saint-Esprit ?

De même, s’il y a bien longtemps que plus personne n’est dupe du niveau réel exigé au baccalauréat, la réforme acte, par l’introduction du contrôle continu, sa caducité et l’aporie de l’enseignement secondaire. Plus grave, elle reporte à toujours plus tard la sélection qui se fera dès lors - et de plus en plus - non pas au mérite, non pas sur l’excellence, ni sur le niveau acquis au fil des ans, mais sur le rang social d’origine et sur la capacité à entrer dans les bons lycées et suivre les bons cursus.

École à deux vitesses

Cette école à deux vitesses, reflet de la partition entre gagnants et délaissés de la mondialisation (... capitaliste, ndlr), sera renforcée par la disparition des filières et le jeu des nouvelles options à choisir en première et en terminale. Le fossé se creusera ainsi entre lycées des centres-villes et de la périphérie, où le nombre d’options disponibles ne sera pas le même et où dès l’école, les élèves expérimenteront leur déclassement et l’obligation de prendre les transports pour bénéficier de l’égalité promue au rang d’option voire de bonus.

Enfin, c’est le statut même des professeurs qui est visé par ces réformes, par la mise en concurrence, que le choix des options va entraîner entre les différentes disciplines, mais également par la menace que le remplacement des enseignants par des assistants d’éducation ou surveillants – pour certaines missions dont le flou est savamment entretenu – laisse planer sur leur service horaires. On instaure par là insidieusement une réduction de leurs heures de service qu’ils seront de plus en plus souvent amenés à compléter dans d’autres établissements, le tout pour pouvoir réduire les effectifs.

Déjà confronté depuis de nombreuses années à une crise de vocation qui n’est en réalité qu’un avortement de celles-ci, tant les conditions de travail et le salaire sont de moins en moins attractifs, le monde enseignant regarde son avenir avec de plus en plus d’angoisses. Et ce ne sont certainement pas l’« obligation de neutralité » promue par la loi Blanquer, le glissement progressif vers le recrutement de contractuels assuré directement par les chefs d’établissement ou la nouvelle mouture du Capes, qui fait primer la pédagogie sur les connaissances disciplinaires, qui vont changer la donne.

La déception est d’autant plus grande que beaucoup d’enseignants, usés par la démagogie de Najat Vallaud-Belkacem, avaient placé certains espoirs en Blanquer qui semblait décidé à redonner à l’école républicaine ses lettres de noblesse. C’était oublier un peu vite que celui qui était à l’origine de la réforme Darcos de 2009 et des suppressions de postes, était moins un pourfendeur de pédagos qu’un libéral avéré, désireux d’étendre le domaine de la start-up dans le monde de l’école au risque de remplacer, pour paraphraser Péguy, la mystique républicaine par une politique scolaire dénuée d’idéal.

Professeurs sans horizon

« L’enseignement secondaire donne un admirable exemple, fait un admirable effort pour maintenir, pour (sauve)garder, pour défendre contre l’envahissement de la barbarie, cette culture antique, cette culture classique dont il avait le dépôt (...) C’est un spectacle admirable que (celui que) donnent tant de professeurs de l’enseignement secondaire (…) exposés à tout, sacrifiant tout, luttant contre tout, résistant à tout pour défendre leurs classes. Par une indestructible probité. Par une indestructible piété. Par un invincible, un insurmontable attachement de race et de liberté à leur métier, à leur office, à leur ministère, à leur vieille vertu, à leur fonction sociale, à un vieux civisme classique et français. Pour quoi. Pour tenter d’en sauver un peu. C’est par eux, par un certain nombre de maîtres de l’enseignement secondaire, par un assez grand nombre encore heureusement, que toute culture n’a point encore disparu de ce pays », disait Péguy.

A force de tout lisser au lycée et de n’offrir aux enseignants que des horizons bas de plafond, il sera difficile d’éviter que les derniers hussards sautent du toit.

Samuel Piquet, septembre 2019
Tiré de son blog

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