Notes de lectures du livre de Danielle Bleitrach
Notre histoire retrouvée : un livre de mémoire, d’histoire et de politique "Le temps retrouvé d’une communiste" Mémoires, Edition Delga, 2019

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Le livre de Danielle Bleitrach paru cet été 2019, "le temps retrouvé d’une communiste", est un livre de mémoire, un livre d’histoire, un livre politique, très personnel et très politique, comme cette vie extraordinaire d’une fille d’une vendeuse de Prisunic féministe, un grand-père juif mort à Auschwitz, une arrière-grand mère qui avait connue la commune de Paris. Elle deviendra une intellectuelle formée à l’iconographie religieuse, une sociologue liée au prolétariat se consacrant à la vie de ceux qui souffrent, notamment dans cette grande ville de Marseille, une cinéphile qui peut illustrer chaque moment et situation d’une scène de cinéma, une dirigeante du PCF qui a rencontré tant de dirigeants du mouvement communiste international qu’on peut croire qu’elle porte en elle tout ce que nous avons perdu, une vie faite d’art de de luttes sociales, une vie de femme, de fille et de mère.

C’est une approche très personnelle de l’histoire, un livre de multiples rencontres ; Aragon, Alleg, Bourdieu, Juquin, Leroy, Ponomarev, Krasucky, Vovelle, Walesa, Ziouganov... mais aussi Valentina Terechkova, la première femme cosmonaute, un livre aussi de dialogues au long court, avec Marianne, Monika, les amies des voyages récents, son amie dirigeante du PCF Gisèle Moreau et Jorge l’amant d’un long séjour à Cuba… Le marxisme nous dit que l’universel n’est pas dans l’abstrait mais dans le concret du mouvement qui transforme le réel. L’expérience de Danielle dans cette longue période historique depuis la deuxième guerre mondiale qui voit, face au nazisme, l’affirmation communiste emplir la planète avec la construction du socialisme, jusqu’à sa défaite à l’Est, puis les résistances du Sud qui renaissent et cette nouvelle crise historique d’un capitalisme mondialisé destructeur, cette expérience nous aide à relire cette crise du communisme qui nous a frappé et qu’elle nous conduit à penser en quelque sorte comme une crise de jeunesse.

En ce sens, plus que beaucoup d’analyses économiques quantitatives sur la crise, la lecture très personnelle et très politique de l’histoire par Danielle nous est indispensable. Comme elle le dit elle-même « je ne parle pas (...) pour passer le temps, petit, qu’il me reste à vivre, mais en poursuivant un but : celui que monte l’exigence collective d’une réflexion sur le passé pour libérer le présent et l’avenir ».

Un livre de mémoire

On naît d’une famille, d’un pays, d’un temps. Danielle est née dans le chaudron du siècle qui a vu naître le socialisme dans les violences des guerres et de la réponse fasciste, dans une « tribu de juifs polonais allergiques à tout ce qui n’était pas eux, mais qui avaient quelques raisons de se montrer méfiants, une tapée de prolétaires niçois issus d’un curé défroqué tous plus révolutionnaires les uns que les autres, la fille d’un maître verrier de Baccarat fuyant le Boche et épousant un anarchiste aristocrate italien, n’étais-je pas prédestinée à devenir communiste ? ».

Sa famille est une famille juive prolétaire nous dit-elle, résumant ce qui fonde pour elle son engagement depuis son enfance : « Face au double négationnisme de notre époque, celui qui nie ce que fut l’extermination et les chambres à gaz et celui qui nie la libé­ration par l’Armée rouge, la colère remonte en moi : celle de la petite fille quand elle découvrit le sort que lui réservaient les bourreaux ». Ses origines juives ne sont pas une question religieuse, d’autant qu’elle a autant participé enfant aux éclaireuses israélites, aux fêtes du parti, qu’au cours Bastide tenu par les Clarisses. Mais la place qu’elle donne à cette histoire du Yiddishland, dans cette Pologne de ses origines communes avec Monika, là où nous dit-elle, tout s’est écroulé, nous situe l’antisémitisme comme une question de classe, nous décrit les juifs peuple artisan des villes, faisant face avec les paysans à la noblesse polonaise. On ne peut parler des luttes de classe dans quelque pays que ce soit sans prendre en compte les cultures, les peuples qui se mêlent dans l’histoire d’un pays, et c’est ce que nous permet Danielle Bleitrach en décrivant ce yiddishland, sa destruction et ses traces. 

Elle adhère au PCF en 1956 après avoir vu dans Paris-Match une photographie de communistes hongrois dont les cadavres sont accrochés à des crocs de boucher.

Elle a une riche histoire de dirigeante du PCF au milieu des tentatives de l’eurocommunisme et des rapports avec le PCI qui allait devenir la "cosa" avant de disparaître, de la guerre d’Algérie, des rapports avec les pays de l’Est, de la décolonisation, des batailles idéologiques virulentes contre le PCF, contre Georges Marchais, jusqu’à la mutation de Robert Hue qui conduira à son départ lors de l’intervention de l’OTAN en Serbie en 1999.

Elle a fait depuis « le tour de la planète à la recherche d’un mythe, d’une légende, d’une civilisation presque disparue et qui était plus avancée que celle de mes quatre-vingts ans, la civilisation communiste ».

Son cousin Jacques, psychologue lacanien prétend qu’elle est « Le chef-d’oeuvre de l’hystérie ». Nous sommes nombreux à connaître ses coups de gueule, entre déprime et colère, qui provoquent parfois quelques indignations très sélectives et politiciennes. Mais tous ceux qui savent que la souffrance est humaine, tous les militants donc, reconnaissent la légitimité de celle qui se bat pour les autres, pour que vive son parti, la légitimité de la colère contre l’injustice indispensable à l’engagement, sur tous les plans, le refus du nazisme, des inégalités comme pour le respect des femmes : « Jamais surtout ne tolérer le moindre coup. Effectivement la première fois que mon mari Gérard a tenté de lever la main sur moi, j’ai empoigné une baïonnette, vestige de la guerre de 14-18 qui se trouvait là à titre d’ornement et je lui ai couru après avec tant de conviction, qu’il s’est enfui sans demander son reste. Mon père, lui, avait une longue cicatrice à l’avant-bras, elle témoignait de la manière dont ma mère l’avait empêché à jamais d’esquisser même un revers de main ».

Danielle nous dit comme Agnès Varda que la vieillesse est aussi une extraordinaire liberté d’oublier, de s’en foutre… « Je suis comme elle, une petite vieille rondouillarde qui continue à manifester avec sa pancarte personnelle "J’ai mal partout". C’est l’idée de vivre jusqu’au bout en étant désormais libérée de bien des choses… ».

Profitons de ce jeu de la mémoire qu’elle nous confie avec cette recommandation de Robespierre : « Nos raisons d’exister valent mieux que nos existences ».

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Un livre d’histoire

Ce livre d’histoire du siècle du socialisme va de Cuba au Tadjikistan, du Bénin à Malte, rencontre des dirigeants du mouvement communiste international, des artistes et intellectuels. Non chronologique, il nous emmène dans les innombrables rencontres de l’auteur sur toute la planète pour tisser une leçon politique de cette histoire. 

Il commence par les sources de l’engagement, la bataille contre le nazisme, le choix communiste, se poursuit par les soubresauts de ce monde socialiste qui semblait indestructible mais dont les failles et les contradictions conduiront à sa défaite, éclaire les tentatives de renouveau communiste, dont l’eurocommunisme, qui se transformeront en renoncement, nous montre l’impact de la chute du mur pour le tiers-monde avant le renouveau des luttes du Chiapas pour finir par Cuba, l’île qui résiste encore et toujours à l’impérialisme et montre que le choix communiste est possible dans les pires difficultés.

Cette longue épopée personnelle sur la planète ne nous dit pas tout de l’histoire, mais apprendra beaucoup à ses lecteurs, et lui donne un sens, illustré de très nombreuses anecdotes. 

Saviez-vous qu’un général de l’armée polonaise en URSS obtient en 1939 de Staline le droit de transférer ses soldats en Iran, d’où les britanniques les transportent en Égypte, où un certain Begin organise les soldats juifs pour former les milices du Betjar qui imposeront une vision d’Israël d’extrême-droite ? Saviez-vous que Mitterrand fonda en 1952 « le Comité français pour l’Europe libre » et que son petit parti, l’UDSR réclame que soit déclarée « l’incompatibilité entre l’appartenance au PCF et l’exercice de fonction publique d’autorité et de sécurité » ?

L’auteur éclaire le choix de la stratégie de l’union de la gauche par le PCF, depuis la proposition de Maurice Thorez en 1959 au XVème Congrès, « à la recherche d’une stratégie de conquête de pouvoir comparable à celle qui avait tant apporté à la Libération (...) une échappatoire aux effets de la déstalinisation ». Le Parti socialiste déconsidéré avait le choix : poursuivre l’alliance que Defferre nouait à Marseille contre les communistes ou un autre Front populaire, dont les communistes devaient être le fer de lance. En 1971, Mitterrand démontre qu’« une autre voie était possible pour en finir avec de Gaulle, il suffisait de se déguiser en révolutionnaire pour mieux entrer dans la voie du néo-libéralisme en se débarrassant des communistes et en transformant totalement le parti socialiste ».

Pourtant, les communistes connaissaient son rôle dans la guerre d’Algérie. L’auteur nous le rappelle « Notre lutte contre l’OAS n’était pas un jeu, on en mourait. Combien de fois sommes-nous montées en pleurs au sommet de la Sainte-Victoire pour dire adieu à un garçon de notre âge qui avait reçu ses papiers militaires ».

D’ailleurs au début des années 80, lors d’un meeting qui eut lieu à Fabregoule dans la banlieue marseillaise, « Marchais interrogea la foule après avoir mis en avant tous les arguments pour l’union de la gauche, "Alors faut-il, oui ou non, faire l’Union ?" et l’assistance de clamer un "non" convaincu ».

Mais les communistes cherchent et le modèle soviétique montre ses fragilités. En 1968 en Pologne, « Gomułka a subi la campagne anti-juive orchestrée par Moczar. Il n’était pas antisémite, son pouvoir était sur sa fin. Il l’a d’ailleurs perdu, suite à cette affaire. Il ne se rendait pas compte que Moczar allait nettoyer la structure de l’État des meilleurs cadres communistes et socialistes qui s’avéraient des juifs fidèles à Gomułka ».

Le philosophe marxiste hongrois Lukács qui, « tout en dénonçant le dogmatisme stalinien, en protestant contre le fait que son pays, la Hongrie, s’était joint aux troupes du Pacte de Varsovie dans l’invasion de la Tchécoslovaquie, déclare en 1969 : "Dans un État socialiste, il n’y a aucune couche qui ait intérêt à la guerre. Ainsi il reste une possibilité de préserver la paix qui n’existe dans aucun État capitaliste" ». Cette crise tchécoslovaque en 68 « fut un drame personnel pour Waldeck Rochet, il fit tout ce qu’il pouvait pour empêcher l’intervention. On ne comprend pas l’attitude du parti en mai 68 en France si on ignore le contexte de ces tensions au sein de l’internationale. L’esprit de Waldeck n’y résista pas. ».

Mais les communistes sont toujours dans la solidarité internationaliste « en 1970, j’aiderai des militants communistes à franchir les cols clandestinement, en les attendant au pied de la montagne. Ils transportaient Mundo Obrero, le journal du Parti communiste espagnol ».

Pourtant la guerre idéologique fait rage, celle « que Gaston Defferre vint exposer à la télévision en 1973, les socialistes sont les garants des libertés. Si l’on veut que la gauche l’emporte, il faut que le PS domine et tienne les communistes qui n’auront droit qu’à des strapontins. Il utilise la Constitution mise en place par de Gaulle et qu’il a pourtant dénoncée. Mais il est puissamment aidé par la campagne lancée par les États-Unis sur les droits de l’homme dans les pays socialistes et qui prend une ampleur inusitée en France ».

Les communistes innovent pourtant avec le Comité central d’Argenteuil en mars 1966, « les temps étaient au "nouveau", nouveau roman, nouvelle vague, etc. La France résistait aux offensives intellectuelles menées par la CIA et quelqu’un comme Jean-Paul Sartre était le chef de file de cette résistance ». Mais le mouvement communiste se divise. « Alors même que la polémique sur la réactualisation du programme commun est à son niveau le plus élevé entre le PCF et François Mitterrand, le 24 mars 1979, Berlinguer et Mitterrand se rencontrent à Strasbourg. La "dissidence" qui se développe à l’intérieur du PCF est encouragée par le Parti communiste italien et par l’espagnol. ».

Lors d’un voyage à Moscou en 1979, Danielle rencontre le dirigeant soviétique Ponomarev : « il ressortait de ses propos que, vu que ce n’était pas demain la veille que nous ferions la révolution, notre rôle de communistes français était d’aider à ce qu’il y ait en Europe une attitude plus favorable à l’URSS. Donc s’il y avait une chance qu’un gouvernement socialiste plus amical que celui de Giscard, qui s’était acoquiné avec Helmut Schmidt pour retourner à l’atlantisme pur et dur, puisse arriver au pouvoir il fallait la jouer ».

Quand en 1981 Wałęsa à Paris est reçu par la CGT, « Krasucki m’avait invitée à cette rencontre (...) il s’est inquiété des visions médiévales dudit Wałęsa en ce qui concerne les femmes. Le matois Wałęsa lui a répondu en gros : "Vous avez eu votre chance. Comment se fait-il que le peuple polonais se reconnaisse plus en nous qu’en vous ?" ».

L’expérience du gouvernement de gauche divise les communistes. Dès 1982, « La fissure entre ceux qui sont solidaires du gouvernement et doivent agir en souplesse pour obtenir un maximum et la direction du Parti qui prévoit où tout cela mène, a commencé à poindre et ira s’élargissant ». Au-delà du désaccord tactique, il y a « aussi le sentiment que ce que portait l’URSS était désormais épuisé et que le règne d’une véritable social-démocratie était venu ».

En 1985, Danielle rédige pour le XXVème Congrès la partie consacrée aux pays socialistes, évoquant la crise de l’URSS. « Une crise est là, la situation se durcit, les forces de la réaction et du capital s’enhardissent. Qu’est-ce qu’on fait ? On résiste ou on cède ? Ainsi posée, la question a entraîné une seule réponse : on résiste ». Mais « au congrès de Martígues, le nouveau secrétaire Robert Hue affirmait : "Le monde change, il faut s’y adapter" ».

A l’Est, les remises en cause se multiplient. En 1988, Pozsgay, n°2 de l’État hongrois avait : « acquis la certitude qu’une réforme du système communiste était impossible et que la Hongrie devait adopter le multipartisme et une démocratie à l’occidentale. En novembre 1988, (...) j’ai déclaré que le soulèvement de 1956, à Budapest, avait bien été une insurrection populaire, et non une contre-révolution, comme l’affirmait l’orthodoxie communiste. En réalité, je testais Gorbatchev, afin de voir sa réaction. Il n’a pas bronché. Et j’ai compris que nous avions le champ libre ».

Les 2 et 3 décembre 1989, Danielle part au titre du PCF à Malte où Gorbatchev vendait l’Allemagne de l’Est pour quelques kopecks. « La ‘"révolution roumaine" avait fait quelque sept cents morts. Le bilan de l’attaque américaine au Panamá, qui s’était déroulée au même moment dans l’indifférence générale, s’élevait à près de deux mille morts… ».

La chute du mur n’est pas la fin de l’histoire. « Quand je me suis rendue au Chiapas, dans le quartier général du commandant Marcos, en 1995 (...) trois mouvements s’étaient inscrits en faux face à la "fin de l’Histoire" : en janvier 1994, la révolte des Chiapas ; toujours en 1994, une forte grève ouvrière en Corée du Sud et le mouvement contre le bradage des services publics en France en 1995. »

En 1996, Danielle à la tribune du Comité national dit « ce que je pensais à propos de notre discours sur le refus de "corseter le mouvement populaire" : c’était du pipeau et signifiait simplement que le plat était trop chaud qu’il fallait attendre pour réaliser ce qui se tramait en coulisse, la négociation avec le PS d’une nouvelle participation gouvernementale ».

« Il ne fallait pas aller au gouvernement, (...) nous aboutirions alors à une alternative entre la droite et Le Pen. (...) Robert Hue lui-même vint avec sa cordiale gentillesse me demander : "Que puis-je faire d’autre ?" J’ai rétorqué : "Si tu ne sais pas quoi faire d’autre, donne ta casquette de secrétaire national". (...) J’avais dit que j’étais contre la participation au gouvernement, mais que si nous choisissions d’y aller, il fallait dès maintenant préparer les militants à ce nouveau cap. C’est le contraire qui fut fait. Nous eûmes droit à un délire qui se poursuit encore aujourd’hui sur le fait que nous n’avions plus à penser à la place des "gens", "à corseter le mouvement populaire". (...) Les discussions de sommet se poursuivaient en coulisse avec le PS et tout était fait dans notre presse, dans les discours officiels pour canaliser les militants vers cette voie de garage. Pour la première fois de ma vie, j’étais en total désaccord, tant avec ce qui se tramait qu’avec l’hypocrisie de faire un Congrès sur la démocratie citoyenne. »

En 2002, Daniel Cirera, en charge de la politique internationale du PCF affirmait dans un article que l’Europe empêcherait une guerre en Irak. « Nous avons été une vingtaine à écrire pour protester. Pas le moindre droit de réponse ne fut accordé par ceux qui se proclamaient si volontiers ennemis de la censure… dans les "régimes socialistes" ». L’Humanité apportait quelque temps après son soutien officiel à un dissident cubain présenté par… Robert Ménard (sic !), alors dirigeant de « Reporters sans frontières ». La rupture était consommée pour Danielle. 

Un livre politique

Ce livre politique nous donne des clés pour comprendre ce qui s’est passé entre les conquêtes de l’après-guerre et la contre-offensive de l’impérialisme mettant à genoux l’URSS et le mouvement communiste.

Il nous propose une relecture d’une histoire que nous croyons connaître, les contradictions du socialisme, les révoltes en Pologne, l’intervention en Tchécoslovaquie, la stagnation en URSS, et nous fait découvrir que les communistes à l’Est comme à l’Ouest faisaient face à une même réalité, la domination du monde par un capitalisme en pleine restructuration. L’eurocommunisme n’est pas seulement une prise d’autonomie impulsée par le PCI mais aussi l’illusion soviétique d’un compromis avec l’Ouest pour sortir de la course aux armements. La conviction que le socialisme doit s’ancrer dans des réalités nationales, qui travaille aussi les communistes de l’Est, conduit malheureusement à l’Est comme à l’Ouest au renoncement, à la soumission à l’idéologie de la “démocratie” occidentale. Le mouvement communiste se met partout sur la défensive, perdant la guerre idéologique sur la question des libertés, mais aussi sur l’efficacité, sur la solidarité et finalement sur la paix.

Danielle nous montre comme dans son livre sur Staline, le point de vue des peuples sur la chute de l’URSS. « Gorbatchev, Kádár et Imre Pozsgay (...) ont présenté aux populations une réforme du socialisme qui en s’appuyant sur l’histoire nationale aboutirait à conserver les avantages du socialisme joints à ceux du libéralisme ». Mais ils ont détruit le socialisme en important le capitalisme le plus sauvage. Et ils seront finalement « supplantés par d’autres figures encore plus démagogues : Eltsine, Berlusconi et Orbán ». De fait, « les citoyens de l’Est ont été trompés par leurs élites et aussi par la communauté internationale, c’est-à-dire l’Occident, l’OCDE et même l’ONU. Donc ils ne sont pas nostalgiques, ils sont furieux et tristes de ce qu’ils et elles ont perdu et d’avoir été grugés. ».

Et c’est à Cuba que Danielle trouve une réponse communiste à cette crise, à la veille de la venue de Jean-Paul II. « J’avais écouté le discours que Fidel adressait aux Cubains à cette occasion. Il leur disait en gros qu’ils devaient accueillir le mieux possible leur hôte, mais qu’ils devaient lui faire comprendre que si en Pologne le socialisme avait été imposé, à Cuba il était l’œuvre des Cubains eux-mêmes ».

Danielle en tire une conclusion forte : « Notre éthique historique, notre grand atout, s’est heurtée non à la force papale, ni même aux manœuvres de la CIA, mais au fait que celles-ci ont pu être efficaces face à notre impossibilité d’être des révolutionnaires, face à la difficulté à penser une stratégie qui a été la nôtre ». Nous n’avons pas reculé à cause des difficultés du socialisme, ni de la contre-offensive du capitalisme, mais parce que nous n’avons pas construit une stratégie communiste à la hauteur du moment historique, avec la question décisive de l’intérêt populaire. « Risquet me disait : "Il faut rester sur l’essentiel. Si un dirigeant chinois oublie qu’il a un milliard trois cents millions de personnes à nourrir, il est foutu, comme si nous, nous oublions que nous avons à notre porte le plus terrible des ennemis qui veut notre mort" ».

L’existence des partis communistes, du mouvement communiste est une question clé, qu’aucun stratégie électorale ou de rassemblement ne peut suppléer. « Je me souviens de ce que disait Fritz Lang des États-Unis : ils n’ont pas besoin du nazisme, ils ont réussi à transformer les esprits pour avoir un nazisme avec élections démocratiques. Cela se passe quand on élimine les communistes et l’alternative réelle qu’ils représentent, y compris quand le travail est fait par les directions dites communistes, comme cela s’est passé dans l’URSS de Gorbatchev, dans l’Italie d’Ochetto et ailleurs… ».

Dans les transformations du PCF avant et après son 22ème congrès, rien n’était joué d’avance. Il y a eu débat sur la stratégie d’union, sur la participation gouvernementale en 1981. Mais les dirigeants de l’époque cherchaient comment permettre au parti d’accéder au pouvoir pour transformer la société. L’auteur nous dit par exemple que le ministre Fiterman a fait le maximum « dans les limites de ce qu’il pouvait faire, (...). Non seulement, c’était un travailleur qui avait à cœur de maîtriser lui-même les dossiers, mais il était incontestablement doué pour le dialogue avec des secteurs qui ne lui étaient pas favorables ».

Mais quid de la révolution ? « J’ai entendu à plusieurs reprises Gisèle Moreau, Charles Fiterman dire leur admiration pour Louis XI, ce roi obstiné, rusé qui fit la France. Les membres du Bureau politique étaient faits pour être de grands commis de l’État, plutôt que pour songer à le briser. C’était une pente sur laquelle les gens plus médiocres qui leur succédèrent glissèrent sans retenue ».

Mais la période était globalement aux reculs. « Marchais était intelligent, il aurait pu poursuivre dans un approfondissement du socialisme à la française, il était capable de le faire sans s’identifier à la social-démocratie comme les Italiens et les Espagnols, sans rupture avec le camp socialiste, mais dans une autonomie héritée de Maurice Thorez. Malheureusement, il a été confronté à des temps défavorables, celui de l’effondrement de l’URSS annoncé à travers le gorbatchévisme. Il n’a pas su résister déjà à la première participation au gouvernement, tant la contestation à l’intérieur du parti le déstabilisait ».

Et les communistes étaient profondément affaibli par le discours de la “modernité” qui leur était opposé et qu’ils tentaient de s’approprier « Ce que nous prenions pour le nouveau, ce qui paraissait la modernité à certains, celle à laquelle ils prétendaient qu’il fallait s’adapter m’apparaît aujourd’hui comme l’ancien, le pourrissement de ce monde en train de se décomposer ».

Ce livre esquisse ainsi une leçon historique pour le mouvement communiste, le modèle né de la Résistance, une solide alliance entre les pays socialistes, les non alignés et les luttes sociales des pays capitalistes, ce modèle n’a pas résisté à la contre-offensive impérialiste. Le socialisme n’a pas trouvé comment faire évoluer son modèle de développement vers la réponse aux besoins nouveaux des personnes, a perdu la bataille idéologique sur la démocratie occidentale, les non alignés n’ont pas résisté aux dérives nationalistes attisées par l’impérialisme, les partis communistes des pays capitalistes n’ont pas su proposer une voie démocratique et révolutionnaire au socialisme, ne tirant aucune leçon de la violence du coup d’état au Chili.

C’est pourquoi le livre se termine sur une lettre d’amour à Cuba, qui est une lettre d’amour d’un cubain, Cuba qui de période sociale en ouverture économique inventé toujours le socialisme qui répond a sa situation concrète.

C’est pourquoi il faudrait que Danielle voyage en Chine pour développer son approche à partir des travaux de notre camarade Delaunay sur le socialisme de marché chinois.

Ce livre nous appelle à dépasser les divisions qui ont marqué l’histoire communiste pour relever le défi. « Il ne reste plus qu’à pousser là où demain existera une brèche. Là où il y a une volonté il y a un chemin ! », sachant que « jamais le capital et la bourgeoisie ne lâcheront le pouvoir sans avoir détruit un maximum de tout ce qui est vivant autour d’eux. Tout l’art politique consiste désormais à se prémunir de cette violence tout en sachant qu’elle est inévitable ».

Retrouver notre histoire

Ce livre interpelle les communistes pour leur dire : nous n’avons pas démérité, le capitalisme a conduit une contre offensive à la hauteur du défi historique d’un monde qui lui échappait, à la hauteur de la défaite que le socialisme soviétique avait infligé à la forme terrible que le capitalisme avait pris avec le nazisme, une contre offensive qui a commencé dès le coup du Chili et les travaux pratiques à grande échelle des "Chicago’s boys" qui s’est généralisé depuis 50 ans sous de multiples formes politiques.

Nous avons pressenti les transformations du capitalisme, et cherché à réinventer le socialisme, tous, sous de multiples formes, déstalinisation, eurocommunisme, mais les tentatives de rénovation se sont trop souvent transformées en leur contraire, leur soumission au capitalisme et la rupture avec le monde que le socialisme avait créé, de la cosa italienne à la mutation du PCF. 

Danielle garde bien sûr de la colère contre quelques uns, et notamment ceux qui l’ont interdite de son parti et de son journal, mais elle nous propose de prendre du recul et de ne pas juger trop sévèrement ceux qui ont cherché des voies nouvelles. Elle nous montre que c’est bien la contre offensive capitaliste qui nous a tous dépassé, que le socialisme ne s’est pas effondré tout seul, même pas par les renoncements de ses dirigeants, mais bien parce qu’il avait en face un système resté dominant à l’échelle de la planète, un système qui se renouvelait et créait un monde nouveau assurant sa domination. 

Chaque fois que j’ai été confrontée aux contradictions de l’époque, j’ai compris les choix du PCF et je les ai partagés, comme le faisaient Juquin, Lucien Sève et tant d’autres. Nous n’étions pas des dieux de l’Olympe mais nous n’avons pas à rougir de notre histoire de communistes français.

Sans doute faut-il pour cela de l’humour : « Cela dit j’ai beaucoup ri quand Raúl Sangla (réalisateur communiste de la télévision française) est venu dire à la direction du Parti : "Maxime Gremetz est sans doute un excellent camarade, mais celui qui l’expédie à la télévision est, lui, incontestablement un traître qu’il faut impérativement dénoncer" ».

Ce livre de Danielle est une contribution historique pour les communistes français au service de la réorientation décidée par le 38ème congrès. Oui, l’enjeu est d’unir les communistes pour reconstruire le parti communiste du XXIème siècle.

La nostalgie ne nous suffira pas à lui faire face, les solutions ne seront pas dans le retour en arrière, la reconstruction de ce qui a été défait tel que nous l’avons connu. Mais la leçon décisive de ce siècle passé pour le siècle encours est bien qu’aucune révolution ne peut se faire sans une organisation politique du peuple face au capitalisme, un parti donc et qu’aucun parti ne peut grandir sans une stratégie à la hauteur de la violence d’un capitalisme mondialisé qui ne peut subsister que par la guerre, à la hauteur du défi historique d’une nouvelle période communiste, une stratégie en lien étroit avec sa pratique... 

Souhaitons que le temps retrouvé de Danielle Bleitrach soit l’occasion pour de très nombreux communistes de retrouver leur histoire, pour reconstruire un temps de l’engagement et de la fraternité communiste, retrouvant les raisons d’exister qu’elle expose dans l’introduction :

  • le communisme est une civilisation avec des œuvres, des réalisations concrètes.
  • l’épopée soviétique joue un rôle fondateur, loin d’être le socialisme dans un seul pays, elle libère les énergies sur toute la planète et rend concrète l’utopie généreuse.
  • avec la chute de l’Union soviétique, le capitalisme a perdu ce qui freinait sa capacité de destruction des êtres humains et de leur planète.
  • cette civilisation, combat pour la paix et la justice sociale, a aussi instauré pour la première fois l’alliance entre les exploités et les artistes, les scientifiques.

« Être communiste a été le luxe de ma vie, celui de ne jamais oublier la souffrance des petits, des sans voix, de ceux qui ont le courage de dire non, comme ceux qui se taisent écrasés par l’injustice. Je suis encore au parti parce que c’est là où il y a le moins de fascistes et parce que le peu que je pourrais faire vaut mieux que telle une petite bourgeoise, je me drape dans l’excellence de mes aspirations à un idéal impossible ; mais putain, que c’est dur… »

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  • (2002) Lenin (requiem), texte de B. Brecht, musique de H. Eisler

    Un film
    Sur une musique de Hans Eisler, le requiem Lenin, écrit sur commande du PCUS pour le 20ème anniversaire de la mort de Illytch, mais jamais joué en URSS... avec un texte de Bertold Brecht, et des images d’hier et aujourd’hui de ces luttes de classes qui font l’histoire encore et toujours...

  • (2009) Déclaration de Malakoff

    Le 21 mars 2009, 155 militants, de 29 départements réunis à Malakoff signataires du texte alternatif du 34ème congrès « Faire vivre et renforcer le PCF, une exigence de notre temps ». lire la déclaration complète et les signataires

  • (2011) Communistes de cœur, de raison et de combat !

    La déclaration complète

    Les résultats de la consultation des 16, 17 et 18 juin sont maintenant connus. Les enjeux sont importants et il nous faut donc les examiner pour en tirer les enseignements qui nous seront utiles pour l’avenir.

    Un peu plus d’un tiers des adhérents a participé à cette consultation, soit une participation en hausse par rapport aux précédents votes, dans un contexte de baisse des cotisants.
    ... lire la suite

  • (2016) 37eme congrès du PCF

    Texte nr 3, Unir les communistes, le défi renouvelé du PCF et son résumé.

    Signé par 626 communistes de 66 départements, dont 15 départements avec plus de 10 signataires, présenté au 37eme congrès du PCF comme base de discussion. Il a obtenu 3.755 voix à la consultation interne pour le choix de la base commune (sur 24.376 exprimés).