Ces questions sont ouvertes depuis longtemps, mais à chaque moment décisif de son histoire, le PCF a pris des orientations stratégiques qui devaient être des réponses à ces défis historiques, mais qui se sont toujours réduites à l’abandon de repères théoriques et politiques du mouvement communiste, à une forme de « normalisation » de ses positions politiques espérant le rendre « compatible » avec la domination du parti socialiste, sans reconstruire de fondations théoriques et d’affirmation politique solides, et donc sans apporter de réponses à ces questions stratégiques. Si le prochain congrès du PCF ne rouvre pas une lecture historique de ces défis, il ne fera que reproduire les précédents, c’est à dire l’échec.
Nation et internationalisme
A l’origine du mouvement ouvrier, la révolution ne peut être qu’internationale. Mais après 1917, le socialisme se construit dans un seul pays... et devient le modèle qui guide tous les communistes. L’internationalisme commence par le soutien à l’URSS assiégée. Dans les années 50, après la mort de Staline puis le rapport Khrouchtchev, puis la rupture entre l’URSS et la Chine, la question de la voie nationale au socialisme est fortement débattue par les communistes. Il faut bien prendre acte des diversités des situations politiques nationales, et après l’intervention en Tchécoslovaquie de la confusion entre intérêt national russe et intérêt internationaliste de classe. Les réponses des partis communistes européens sont diverses et conflictuelles, notamment entre le PCF et le PCI, avant la tentative eurocommuniste, qui se termine avec la mutation-dissolution du PCI...
C’est dans cette période que le PCF choisit le « socialisme à la française », affirmant l’existence d’une voie pacifique au socialisme en 1976, trois ans après le coup d’état fasciste au Chili, sans apparemment en tirer aucune leçon. Cette affirmation du « socialisme à la française » le conduit à dénoncer l’Europe capitaliste jusqu’au retournement de la campagne « Bouge l’Europe » qui conduira à l’acceptation de l’UE et à la recherche (désespérée !) de l’Europe sociale...
Rassemblement et union de la gauche
Dans la même période, le PCF choisit la stratégie de l’Union de la gauche, conceptualisée dès les années 60, soutient la candidature Mitterrand en 1965, pour lequel Waldeck Rochet présente un rapport expliquant les raisons du soutien mais aussi alertant sur les risques, puis la préparation du programme commun que Georges Marchais propose de soutenir en 1972 tout en... alertant sur les risques.
50 ans après, on ne peut que constater que les alertes des deux dirigeants du PCF étaient pertinentes, mais... insuffisantes pour y faire face ! Comme ils le craignaient tout deux, le PS est devenu dominant parce que le mouvement populaire n’a pas joué un rôle dirigeant, mais s’est progressivement rangé derrière l’attente électorale et donc, le candidat le plus « utile » pour battre la droite...
Le parti de tous ou le parti de la classe ouvrière ?
En 1968, le parti communiste est clairement le parti de la classe ouvrière et parfois en opposition au mouvement étudiant et aux revendication « sociétales » de milieux sociaux attirés par la « nouvelle gauche »... Pourtant, un an après, Jacques Duclos, peu représentatif de la modernité supposée de mai 68, fait le meilleur score historique du PCF à des élections présidentielles. 40 ans plus tard, Pierre Laurent, après le rockeur Robert Hue, tente de présenter le PCF comme le parti des 99%, pour aboutir au plus faible score historique du PCF aux élections législatives. La question de l’unité du peuple, de la capacité de rassemblement, n’est pas d’abord une question de slogan, mais une question d’enracinement social. En 1969, le PCF est fortement implanté dans les usines, certaines campagnes, de nombreuses villes populaires. Sa direction prend régulièrement l’avis de la commission des grandes entreprises qui regroupe des cadres communistes autant représentatifs de l’économie française que la direction du CNPF... Aujourd’hui, le PCF est dirigé par ses élus locaux, ses sections d’entreprises et cellules locales ont disparues, et il parle d’abord aux couches moyennes supérieures urbaines.
Organisation et unité d’action
Lucien Sève a critiqué l’organisation du PCF dans les années 80 en la présentant comme un « centralisme autocratique ». Mais il en a tiré la conclusion que la forme parti était dépassée et qu’il fallait trouver de nouvelles formes de « mouvement ». De fait, de l’altermondialisme à la « France insoumise » ou la « République en marche », le « mouvementisme » s’est répandu, mais on s’aperçoit vite du recul historique que cela représente, renvoyant le mouvement populaire à l’espoir d’un sauveur suprême, à l’émiettement des revendications... Au moment ou le mouvement social cherche difficilement le « tous ensemble », la question de l’unité et de l’organisation est essentielle.
En 1969, le parti communiste est encore cet « intellectuel collectif » qui aide à penser des centaines de milliers de militants autour de ce que certains appellent positivement ou négativement une « discipline de parti », mais qui de fait était aussi la base d’une « unité » des communistes dans l’action. Depuis la mutation, les communistes font à peu près ce qu’ils veulent là ou ils le veulent, et les décisions du conseil national restent pour l’essentiel sans effet à la base, la grandiloquence de certaines campagnes, comme « la parole au peuple », semblant faite pour singer Jean-Luc Mélenchon médiatiquement.
C’est en 1996 que le PCF abandonne sa forme d’organisation historique, le centralisme démocratique, préparant le congrès qui décidera que les cellules sont optionnelles, qu’un communiste peut militer avec ceux qu’il choisit en réseau et non pas avec les autres communistes de son lieu de travail ou son lieu de vie. Depuis, de congrès en congrès, la direction a pris acte de l’émiettement politique, incapable de reconstruire l’unité des communistes, tentant au contraire de « purger le parti », ou le laissant faire. Ce qui avait peu d’impact il y a 50 ans, les départs de personnalités n’entrainant que peu de départs militants, est devenu une composante de la crise du PCF, la direction s’enfermant dans un périmètre politique de plus en plus réduit, le dernier congrès soulignant encore ses propres divisions.
Sans principes, à quoi sert le parti communiste ?
Résumons, en 1976, le parti communiste abandonne le concept de « dictature du prolétariat », concept qui affirmait que le monde du travail devait se donner les moyens d’imposer le changement de société à la bourgeoisie, qui, elle, n’hésitait jamais devant la dictature quand elle lui était nécessaire. Mais depuis, face à la violence d’un capitalisme mondialisé mortifère, le parti communiste apparait comme incapable d’imposer quoi que ce soit aux puissants...
En 1996, le parti communiste abandonne le concept de « centralisme démocratique », concept qui organisait le centralisme pour l’action cohérente et unie, après le débat démocratique pour la compréhension du réel, et la construction de l’intellectuel collectif. Mais depuis, face à la redoutable efficacité d’un patronat centralisé et antidémocratique comme jamais, le mouvement social cherche comment être efficace, comment protéger ses manifestations des provocations, comment faire converger les luttes, tout en assurant la plus grande solidarité avec chacune.
En 2005, le parti communiste contribue au choc historique de la victoire du NON au référendum, un non populaire soulignant une fracture sociale profonde, bousculant tous les européistes de gauche et de droite. Au lieu d’en faire un repère politique central des batailles communistes, de s’affirmer comme le parti du NON à la dictature européenne, le parti des ouvriers, des paysans, le parti fier de son ancrage social historique, le PCF s’enferme dans la recherche désespérée de l’« Europe sociale », se concentre sur les couches urbaines pour continuer à parler à la « gauche », en fait à un parti socialiste menant des politiques toujours plus antisociales. Mais s’il ne porte plus un projet de changement de société pour la France populaire, à quoi sert le PCF ?
La recomposition politique de 2017 et le succès des « mouvements » renvoient les communistes à leur propre utilité. S’ils restent émiettés, divisés, « mouvementisés »... à quoi servent-ils ?
Les conditions d’existence d’un parti communiste
Dans un texte de 2001, Alvaro Cunhal, dirigeant du parti communiste du Portugal, évoque la situation du mouvement communiste international et liste 6 conditions d’existence des partis communistes... Ce texte est d’une grande actualité pour les communistes Français...
« Le cadre des forces révolutionnaires qui existent dans le monde a changé durant les dernières décennies du XXe siècle. Le mouvement communiste international et les partis le composant ont subi de profondes modifications suite à la chute de l’URSS et des autres pays socialistes et de la victoire du capitalisme dans sa rivalité avec le socialisme.
Il y a des partis qui ont nié leur passé de lutte, leur nature de classe, leur objectif d’une société socialiste et leur théorie révolutionnaire. Dans plusieurs cas, ces partis ont intégré le système et ont fini par disparaître.Cette nouvelle situation au sein du mouvement communiste international a ouvert des espaces dans la société dans laquelle d’autres partis révolutionnaires ont assumé la relève et, dans les conditions concrètes de leur pays, se sont identifiés aux partis communistes sur des aspects importants et parfois avec leurs objectifs et leur action.
Ainsi, lorsque nous parlons aujourd’hui du mouvement communiste international, nous ne pouvons pas, comme dans le passé, tracer une ligne entre les partis communistes et tous les autres partis révolutionnaires. Le mouvement communiste a maintenant une nouvelle composition et de nouvelles limites.Ces développements ne signifient pas que les partis communistes, avec leur identité propre, ne sont pas nécessaires à la société. Au contraire. Avec les éléments fondamentaux qui les caractérisent, les partis communistes sont nécessaires, indispensables et irremplaçables. Mais de la même manière qu’il n’y a pas de "modèle" de société socialiste, il n’y a pas de "modèle" de parti communiste.
Avec des réponses concrètes différentes à la situation concrète, il est possible d’identifier six caractéristiques fondamentales d’un parti communiste, qu’il ait ce nom ou un autre :
1 – Un parti qui est complètement indépendant des intérêts, de l’idéologie, des pressions et des menaces du capital.
2 – Un parti de la classe ouvrière, des travailleurs en général, des exploités et des opprimés.
3 – Un parti avec une démocratie interne et une direction centrale unique.
4 – Un parti qui est à la fois internationaliste et qui défend les intérêts de son pays.
5 – Un parti qui définit comme objectif la construction d’une société sans exploiteurs ni exploités, une société socialiste.
6 – Un parti avec une théorie révolutionnaire, le marxisme-léninisme, qui permet non seulement d’expliquer le monde, mais aussi de montrer la voie de sa transformation. »