10/09, 18/09, 2/10... Les conditions de la mobilisation sociale à partir de la lettre aux syndicats de Sophie Binet

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Cette lettre de la première dirigeante de la CGT aux syndicats est utile. Elle s’appuie sur la réussite des mobilisations des 10 et 18 Septembre et sur l’appel de l’intersyndicale a une nouvelle journée ce 2 octobre pour « Continuer à monter crescendo » en insistant sur le travail dans les entreprises, proposant d’organiser des départs aux manifestations dans les entreprises, et éclairant les décisions d’actions nécessaires pour étendre les mobilisations, multiplier les grèves pour créer les conditions de grève reconductible... Il ne semble pas qu’elle soit très entendue ce 2 octobre...

On sait qu’il y a débat entre militants syndicaux pour tirer le bilan des défaites des mouvements sociaux depuis des années, débats notamment sur les formes d’action. C’était aussi un sujet de discussion dans les groupes du mobilisation du 10 Septembre. Certains critiquent une direction confédérale de la CGT qui ne serait pas suffisamment engagée dans l’appel à la grève, jusqu’à la grève générale. Souvent, ces critiques se limitent à dénoncer cet espacement des journées d’actions, affirmant qu’il manque un "appel à la grève reconductible, à la grève générale". Cette lettre de Sophie Binet est utile justement car elle porte sur cette question clé de la grève, du "comment faire" ? Un livre récent de Baptiste Giraud éclairait cet enjeu "Réapprendre à faire grève". Il faudrait beaucoup d’efforts pour prendre au concret l’appel de Sophie Binet et aider des milliers de militants à "réapprendre à faire grève", et sans doute que peu de militants ont en fait de "recette", même parmi ceux qui appellent à la grève générale.

La fédération de l’énergie a lancé un appel à la grève reconductible, engagée dans plusieurs sites depuis début septembre, avec une grande détermination, mais sans arriver à entrainer une majorité de salariés dans la durée.

Le mouvement du 10 septembre que certains présentaient comme une vague de fonds s’est révélé moins fort et ancré dans les milieux populaires que les syndicats le 18 septembre. Et le lancement périodique de nouvelles "formules", comme le "faire bloc, faire peuple" annoncé pour novembre ne propose rien de plus que de reproduire ce qui se fait depuis des années et qui butte sur une difficulté. Le niveau de mobilisation est insuffisant...

Si Sophie Binet a raison de proposer une démarche concrète pour étendre les grèves, elle ne répond pas suffisamment à la question du "comment", car elle n’aborde pas la question des causes de cette situation. Elle butte sur une limite de tout le mouvement social qui est le résultat d’une histoire, celle de l’union de la gauche, de sa crise et de son échec, celle de l’après mai 68 et de la "médiatisation" du mouvement social, qui se mesure par exemple par ce constat, il y avait plus de grévistes que de manifestants dans les années 60, comparaison que personne ne fait aujourd’hui, malheureusement...

Elle dit qu’il faut "atteindre le niveau de mobilisation des retraites". Pourtant l’expérience a montré que ca ne suffira pas !

Elle appelle à organiser des AG, d’identifier les syndiqués non engagés... mais ne dit rien du constat essentiel, 90% des lieux de travail n’ont pas d’organisation syndicale...

En fait, comme ceux qui appellent à la grève générale, elle appelle à mobiliser sans parler d’un constat présent dans toutes les têtes. Au maximum du plus grand mouvement social de ces dernières années, on ne retrouve que 3 millions de manifestants sur 50 millions d’adultes et moins de 1 million de grévistes sur plus de 30 millions d’actifs !

Elle n’ouvre pas le débat nécessaire et urgent sur les raisons de nos difficultés. Certains diront, mais pour faire grandir la colère, nous n’avons pas besoin d’un cours d’histoire ! Et certes, il faut de l’agitation politique, de la propagande, il faut des tracts qui expriment la colère, dénoncent les injustices, dénoncent les profiteurs...

Mais en rester là, c’est ne pas mesurer la profondeur de la crise politique du mouvement populaire, les conséquences dans les conditions de vie concrète de la mise en concurrence généralisée des salariés dans un capitalisme qui ne peut plus proposer de développement, donc qui n’a plus rien à négocier, plus de marges de manœuvres, il lui faut réduire, réduire, réduire... Le syndicalisme des années 70 ou 80 qui pouvait encore, difficilement, obtenir des compromis est loin derrière nous. La dure défaite des sidérurgistes en 1983 a été un tournant, un instant ébranlé par la puissance de la grève de décembre 1995 que la gauche plurielle a vite fait oublié avec le record de privatisations de l’ère Jospin, et la progression rapide depuis de la pauvreté et de la précarité. Les grévistes des années 70 savaient que leurs luttes pouvaient obtenir des résultats immédiats, mais aussi, surtout, qu’elles contribuaient à renforcer un mouvement populaire capable de "changer de société". C’est tout l’enjeu de la "double besogne" pour surmonter les difficultés de l’action quotidienne en les inscrivant dans une perspective révolutionnaire [1], perspective affaiblie par une gauche affaiblie et enfermée dans ses concurrences électoralistes sans débouché vers une autre société que le capitalisme [2].

Sophie Binet peut dire que "Jamais le pouvoir n’a été aussi fragile.", le pouvoir politique, peut-être, mais le pouvoir du capital ?

Mais la question la plus difficile est celle des contradictions dans le peuple, de ce qui fait que des salariés vivent des contradictions d’intérêts entre eux, sur le logement, les droits, les services publics. Ces contradictions s’expriment dans les oppositions entre urbain et rural, nord et sud, origines, centre et banlieues, précaires et statutaires, diplomés et sans qualification, jeunes et anciens...

On ne peut se contenter de dire "haro sur les 1800 ultrariches de la taxe Suchman", sans répondre à ce qui divise le peuple et ne lui permet pas de "faire peuple" face à ces ultra-riches. Que dire quand une famille ancienne demandeuse voit que le logement libéré à coté de chez elle a été attribué à une famille migrante récente, quand un migrant sans droits accepte de payer pour "bénéficier" du contrat de travail en autoentreprise d’un autre, quand les infirmières d’un service d’urgence font face à l’exaspération d’un pompier en attente d’être libéré, quand un livreur autoentrepreneur attend devant la serveuse d’un restaurant pour récupérer un repas qu’il livrera à un autre salarié qui ne se pose pas de questions sur le modèle économique qui lui permet de passer commande devant sa télé, quand les agents d’accueil d’un service public font face à un demandeur qui pète un câble. Ces contradictions concrètes sont aggravées dans le contexte post-covid d’une tension entre ceux qui ne respectent plus rien et ceux qui ne supportent plus rien...

Comment leur dire que, contrairement à leur expérience concrète, ils sont tous des prolétaires qui ont un intérêt commun à s’unir, agir ensemble contre une classe sociale qui organise leur concurrence ?

Sophie Binet a raison d’alerter : "L’extrême droite est toujours là et n’a jamais été aussi proche du pouvoir." Mais si l’extrême-droite est aux portes du pouvoir, c’est qu’elle construit depuis des années une réponse à l’expérience concrète de la concurrence dans le peuple, c’est l’immigration ! On ne lui résistera pas en se limitant à dire "ce n’est pas moral de ne pas être solidaire des migrants". On ne la fera pas reculer sans montrer que l’immigration est un des aspects de la crise du capitalisme, de la violence de l’impérialisme, dont les immigrés sont les premières victimes, et que notre projet de société, c’est celle où chacun peut "vivre et travailler au pays", ce qui lui permet alors de voyager à sa guise...

Il est urgent d’ouvrir en grand le débat militant sur les causes de nos faiblesses, de nos échecs, sur les conditions pour ne pas les reproduire, ni au plan des mobilisations du quotidien, ni au plans des perspectives révolutionnaires.

Pour les communistes notamment, c’est une urgence. On ne fera pas reculer l’extrême-droite sans ouvrir en grand le chantier d’une autre société, du "socialisme".

Montreuil, le22 septembre 2025

Adresse de la Secrétaire Générale aux syndicats CGT

Chères et chers camarades,

Nous pouvons être très fiers de la réussite du 10 et du 18 septembre, et du rôle qu’a joué la CGT.

Notre appel à la grève le 10 a permis d’éviter le piège de la mise en opposition entre mobilisation citoyenne et syndicale que voulait nous tendre le pouvoir. Nous avons contribué à transformer la colère en mobilisation concrète. Plus de 350 000 personnes, un grand nombre de jeunes et de nombreux travailleurs et travailleuses que nous ne sommes pas habitués à voir dans nos actions se ont manifestés et ont fait grève.

Avec l’appel au18 septembre, les organisations syndicales ont pris leurs responsabilités pour offrir des suites rapides et élargir la mobilisation. Nous sommes parvenus à rassembler 1, 1 million de manifestant-es et des centaines de milliers de grévistes, notamment dans l’éducation, les transports, la fonction publique territoriale, l’énergie et dans de nombreuses entreprises privées.

Nous avons fait une démonstration de force, remis la CGT et le syndicalisme au centre du jeu et déjoué tous les pièges.

  • Alors que l’extrême droite multiplie les initiatives pour créer des clivages identitaires et racistes, nous avons réussi à faire primer les questions sociales depuis deux mois.
  • Alors qu’Emmanuel Macron pensait encore une fois réussir à maintenir sa politique en focalisant sur les questions de casting et les enjeux politiciens, nous avons recentré le débat sur les enjeux de fond, sur la remise en cause de sa politique au service des plus riches.
  • Alors que le patronat tire dans l’ombre les ficelles depuis des années, nous avons réussi à mettre sous les projecteurs le hold-up qu’il réalise sur les richesses que nous créons par notre travail. Le scandale des 211 milliards d’aides publiques aux entreprises est désormais indiscutable grâce au rapport réalisé par le Sénat. La proposition de taxe Zucman sur les 1800 Français ayant un patrimoine de plus de 100 millions d’euros permet de mettre au centre le clivage de classe.
    Nous avons transformé la colère en combativité en ouvrent des alternatives. De plus en plus de salariés ont compris que nous sommes en position de force et relèvent la tête.

Jamais le pouvoir n’a été aussi fragile.

Emmanuel Macron est passé en force sur la réforme des retraites et il en paie aujourd’hui le prix : il n’a plus aucune majorité et a été obligé de sacrifier 5 Premiers ministres en deux ans. Le pouvoir commence déjà à reculer : il a été contraint d’abandonner son projet de supprimer deux jours fériés.

Nous pouvons gagner l’enterrement définitif du budget Bayrou, l’abrogation de la réforme des retraites, des moyens pour les services publics, la justice fiscale, l’augmentation des salaires et des pensions, et une vraie politique industrielle.

Pour cela, la stratégie de la CGT est claire :

  • Continuer à monter crescendo, avec des temps forts rassemblant toujours plus de manifestantes. Le 18, nous étions1, 1 million, c’est très fort, mais nous pouvons être encore plus nombreux et nombreuses pour atteindre le niveau des retraites (2 à 3,5 millions). Pour éviter que des salarié-es ne fassent grève sans participer aux manifestations, organisons des cortèges de boîtes, avec des départs collectifs depuis le lieu de travail et des cortèges dans les manifs. C’est ce qui soude le collectif de travail et crée la dynamique. Quand on manifeste avec ses collègues, on rentre gonflées à bloc, solidaire et combatifve pour affronter ensuite le patron !
  • Développer les grèves. et là-dessus nous avons une grosse marge de progression. Pour cela, il faut ancrer la mobilisation, c’est-à-dire la construire avec des appels sur chaque lieu de travail, et des revendications propres à l’entreprise ou au service, notamment sur les salaires. Rappelons toujours que la grève ne doit jamais être un slogan mais une réalité : avant de parler de grève reconductible, il faut commencer par se mettre en grève et y entraîner ses collègues ! Rappelons aussi que les temps forts intersyndicaux ne sont pas l’alpha et l’oméga de la mobilisation : il faut rythmer entre les dates et développer des processus de luttes professionnels, à l’image de la grève reconductible sur les salaires lancée par la FNME de l’énergie depuis le 2 septembre.
  • Conforter l’unité syndicale et la décliner en proximité, dans les territoires, les professions, les entreprises et administrations. Comme nous avons l’habitude de le dire à la CGT : quand deux syndicalistes ne se serrent plus la main, c’est le patron qui se frotte les siennes. Nous sommes très différents, nous avons de nombreux désaccords, mais c’est quand nous sommes capables de nous rassembler que nous pouvons embarquer le plus possible de travailleurs et travailleuses.
  • Construire un rapport de force de haut niveau. dans la durée. Le budget sera débattu et voté au Parlement durant tout l’automne ; il nous faut rester mobilisés jusqu’en novembre/décembre pour empêcher les régressions et gagner un budget de progrès. Nous devons donc avancer par étapes, engranger progressivement les avancées en allant le plus loin possible.
  • Aller chercher des avancées concrètes à tous les niveaux, dans les branches, les entreprises et les administrations. L’intersyndicale appelle à interpeller le patronat dans toutes les branches et entreprises pour exiger l’ouverture immédiate de négociations SUI’ les salaires. Il est très important de décliner cet appel partout et de proposer à toutes les organisations syndicales de nos lieux de travail de le mettre en œuvre ! L’objectif est de faire coup double : gagner l’enterrement du budget Bayrou mais aussi l’augmentation des salaires dans les entreprises et administrations !
  • Ne pas oublier de syndiquer toutes celles et ceux qui se mobilisent ou qui partagent nos idées. C’est déterminant car c’est comme ça que nous renforcerons le rapport de force dans la durée. N’attendons surtout pas que les salariés demandent à se syndiquer : proposons­ leur l’adhésion systématiquement !
    L’intersyndicale s’est réunie immédiatement après le 18 pour analyser la mobilisation et proposer des suites. Nous avons décidé d’adresser un ultimatum au Premier ministre pour le forcer à sortir du flou et à dévoiler sans attendre les arbitrages de son budget.

Si, d’ici mercredi 24 septembre, il n’a pas répondu à l’ensemble de nos revendications, nous appellerons à une nouvelle journée de grève et de manifestations dès la semaine suivante.

Il a donc cinq jours pour nous annoncer qu’il renonce au doublement des franchises médicales, à la réforme de l’assurance chômage, à l’année blanche et à la suppression de 3 000 postes de fonctionnaires. Il a cinq jours pour nous dire qu’il va abroger la réforme des retraites, mettre en place la justice fiscale, conditionner les 211 milliards d’aides aux entreprises, débloquer les moyens nécessaires pour nos services publics, prendre des mesures contre les licenciements et investir pour la transition écologique et la réindustrialisation du pays.

Une table ronde rassemblant toutes les organisations syndicales sera probablement organisée à Matignon mercredi matin. Si le Premier ministre ne satisfait pas l’ensemble de ces revendications, et notamment l’exigence d’abrogation de la réforme des retraites, nous appellerons immédiatement à une nouvelle journée de grève et de manifestation.

Tenez-vous prêts : des tracts seront mis à votre disposition dès le 24 au soir et la journée d’action arrivera très rapidement. Il ne faut donc surtout pas faire de pause mais utiliser les prochains jours pour élargir et ancrer la mobilisation.

Nous avons besoin partout :

  • d’identifier les syndiqués et les syndicats CGT qui ne sont pas encore dans la mobilisation et d’échanger avec elles et eux pour qu’ils participent à la prochaine journée d’action et construisent activement lerapport de force ;
  • d’organiser des AG avec les salariées et les syndiqué-es pour débattre de la situation, définir les cahiers de revendications et les convaincre d’entrer en action ;
  • d’organiser des déploiements, notamment à partir du jeudi 25 septembre, pour faire connaître le plus rapidement possible la nouvelle date de mobilisation ;
  • de poursuivre et d’amplifier les luttes engagées pour gagner sur les revendications et alimenter le climat revendicatif combatif que nous avons installé ces dernières semaines.

Camarades, pour finir, un gros point de vigilance. L’extrême droite est toujours là et n’a jamais été aussi proche du pouvoir.

C’est d’ailleurs ce qui explique la radicalisation patronale : si leur intransigeance devait entraîner la chute de la macronie, ils ont déjà leur plan B, avec Bardella et LePen.

L’actualité confirme à quel point l’extrême droite est toujours la meilleure alliée du capital : alors que nous avons réussi à mettre sur le devant de la scène la revendication de justice sociale, ils organisent la diversion en tentant de faire ressortir les clivages identitaires. Ils ont lancé une grande pétition contre l’immigration et rêvent d’organiser une manifestation d’extrême droite comme en Grande-Bretagne.

Continuons à marteler que ce n’est pas « Nicolas qui paie. . . pour Mohammed », mais Nicolas, Mohammed et Fatlmata qui paient pour Bernard Arnault et Vincent Bolloré  !

Tant que la mobilisation sociale sera forte, ils n’auront aucun espace !

Dans cette période très politique - voire politicienne -. avec des possibilités de censure, de dissolution voire de destitution, gardons notre boussole syndicale et soyons toujours vigilants à protéger notre indépendance.

Notre objectif est d’arracher des avancées concrètes pour les travailleurs et travailleuses.

Nous connaissons maintenant la capacité du patronat à changer de casting pour garder la même orientation politique !

Camarades, nous sommes dans une période où l’histoire sociale s’accélère, soyons au rendez-vous ! Priorisons la construction du rapport de force, reportons tout ce qui peut l’être, notamment les réunions d’instances, pour mettre toutes nos forces dans la bataille !

Les planètes sont alignées, nous pouvons gagner, alors battons le fer tant qu’il est chaud !

[1Charte d’Amiens, C.G.T. 1906
Dans l’œuvre revendicative quotidienne, le syndicat poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc. Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme : il prépare l’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste  ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale.

[2ceux qui croyaient que la révolution citoyenne mélenchoniste ouvrait une telle perspective ne peuvent que constater qu’elle est toute entière, elle aussi, enfermée dans l’électoralisme...

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