Après le vote, organiser et rassembler... Quelques leçons des résultats de Vénissieux

, par  pam , popularité : 2%

Un vote Front de Gauche socialement "plat", et faible...

Pierre Laurent avait proposé à la conférence nationale un appel citoyen qui commençait par s’affirmer "heureux" du changement. Après beaucoup d’interventions faisant état de la déception de nombreux militants, des formules plus mesurées ont été retenues, mais l’essentiel est bien là. Le résultat des élections législatives est considéré par la direction du PCF comme un bon résultat en voix, masqué par l’injustice d’un système électoral défavorable.

On peut faire remarquer que ce système est injuste depuis toujours, que si le quinquennat et l’inversion du calendrier [1] a aggravé la présidentialisation, le suffrage uninominal à deux tours réduisant la représentation du PCF, n’avait pas empêché d’avoir plus de 80 députés en 1981, et même encore 19 en 2007 dans le même cadre institutionnel et après des présidentielles qui furent catastrophique pour le PCF !

Il ne suffit donc pas d’accuser le système électoral pour expliquer la perte de 10 députés sur 19 sortants ! Le fait est qu’un parti qui fait un peu de voix partout, autant en banlieue qu’en centre ville, ne peut pas devenir localement majoritaire ! Le parti communiste avait historiquement des points d’ancrages, dans des régions traditionnelles de luttes, des régions ouvrières, d’anciennes terres de résistance, dans lesquelles son réseau militant lui permettait de s’adresser au peuple dans son entier, de faire vivre un lien politique étroit à travers des élus locaux appréciés car connus sur le terrain, issus le plus souvent des luttes sociales, et capable de porter un rassemblement majoritaire du peuple au-delà de la gauche même. Encore en 2012, le score de Chassaigne ou Boquet ne peut pas s’expliquer comme un vote seulement "communiste".

La stratégie du Front de Gauche est l’aboutissement d’une longue mutation par laquelle le parti communiste s’est éloigné de ce terreau historique de ses succès, croyant pouvoir regagner sur un électorat "socialiste de gauche". Les résultats de Mélenchon aux présidentielles, que beaucoup ont jugés positifs, ont en fait révélé que la "mutation" du parti s’est transformée en "mutation" de son électorat. Si l’électorat de Hue en 1995 était toujours dans les cartes électorales traditionnelles du vote communiste, la "mutation" est claire avec les cartes du vote Mélenchon. L’érosion communiste s’aggrave dans l’électorat ouvrier, dans le Nord de la France, et un vote "de gauche de la gauche" progresse dans les couches moyennes, les centres villes, le sud-ouest (voir un article plus détaillé).

Cette mutation électorale était partiellement masquée dans les zones de forte implantation communiste ou la résistance était plus forte, notamment dans les villes communistes, mais elle s’est révélée aux législatives. Plus grave encore, le gain dans les couches moyennes se fait en absorbant l’essentiel des vois d’extrême gauche. Aux présidentielles déjà, le total Mélenchon-Arthaud-Poutou n’atteint pas le score équivalent de 2002... Aux législatives, si le PCF gagne effectivement 677 529 voix et 2,62%, l’extrême gauche perd 634 846 voix, la "gauche de la gauche" progresse donc de... 42 665 voix et de 0.19% dans un contexte de poussée forte à gauche !

Franchement, ceux qui se disent "heureux" du résultat sont des manipulateurs dangereux pour les communistes.

Ce résultat global traduit-il encore des différences locales ? Bien sûr, mais prenons la ville de Lyon ou les 27 240 voix de Mélenchon, 11,82%, avaient fait rêver des militants. Le Front de Gauche progresse en 2012 de 6 805 voix sur le vote communiste aux législatives de 2007, tout en perdant 16 504 voix de Mélenchon. Mais comme l’extrême gauche perd en même temps 5 296 voix sur 2007, le gain se réduit à 1 509 voix et 0,95% ! Ce progrès dans une ville de faible tradition communiste est notable, mais peut-on s’en estimer heureux, face à la marée des abstentions, à la vague socialiste, à la dérive extrémiste qui double ses voix dans la ville ?

Un Front de Gauche force d’appoint au PS...

De fait, le vote Front de Gauche efface progressivement le vote communiste pour devenir ce que la stratégie du PCF et de Mélenchon recherche, un vote d’appoint cristallisant quelques oppositions aux socialistes pour tenter de "peser" un peu sur eux. C’est la stratégie assumée par les verts qui ont clairement mis de coté leur projet pour se voir offrir un groupe et des ministres. Pierre Laurent et Jean-Luc Mélenchon espéraient être beaucoup plus haut pour pouvoir imposer une place au PS. Le fait est que leur stratégie est un échec grave pour les communistes, et qu’être une force d’appoint suppose d’aller obtenir d’abord l’accord du parti dominant... Encore un coup, et la place du PCF/FdG sera totalement devenue celle du parti radical, une vieille histoire, et un rôle qui se décide rue de Solférino...

Pour ceux qui avaient cru que le Front de Gauche était un outil d’autonomie par rapport au parti socialiste, la leçon est dure, et beaucoup ne veulent pas la voir. Rappelons leur ce que les communiste savaient bien. L’extrême gauche est l’école du réformisme, qui produisait (produit ?) la plupart des dirigeants du PS...

Comprendre pour rebondir : La situation de Vénissieux

Dans ce contexte, le résultat de la 14ème circonscription du Rhône était attendu compte tenu du choix majoritaire des communistes de Vénissieux de refus de la stratégie Mélenchon. Si tout le monde savait prévisible la perte du député dans une circonscription redécoupée, le résultat fait cependant mal, car le parti socialiste a, ici comme ailleurs, emporté avec lui la plus grande part de l’électorat populaire qui s’était mobilisé pour jeter Sarkozy, y compris à Vénissieux où le PCF perd 1.127 voix sur 2007 et le PS en gagne... 3.804. C’est la première fois que le PS est devant dans une élection législative sur la ville communiste depuis 1925.

Les communistes concernés ont bien sûr commencé à discuter pour comprendre ces résultats, et ce travail se poursuit dans les cellules, au plus près de la campagne. On sait que le changement de candidat est toujours une difficulté, que Michèle Picard, maire depuis 3 ans, affrontait sa première campagne dans une élection uninominale sur la ville, que des forces anticommunistes et quelques déçus de la lutte des places, qui ont les honneurs de la presse locale, ont utilisé le communautarisme dans la bataille idéologique engagée par André Gerin contre l’intégrisme pour pourrir la campagne et tenter d’isoler Michèle Picard [2]. Dans ce contexte, la campagne de quelques communistes opposants à la section et de trotskystes tentant d’opposer le Front de Gauche à Michèle Picard s’est de fait transformée en campagne pour le candidat socialiste. Si ces aspects ont pesé sur l’ambiance de la campagne, l’analyse détaillée des résultats n’en montre pas d’effet significatif. Au contraire, des relations franches et solidaires avec les autres sections qui avaient soutenu le choix du FG se sont établies dans la bataille et resteront comme un acquis contre les tentatives d’isoler la section de Vénissieux.

Par contre, les communistes n’ont pas pu apparaitre comme l’outil le plus efficace du peuple pour une gauche populaire de combat. Ils mobilisent pourtant les 3/4 de l’électorat Mélenchon, mieux que la situation des candidats FG qui en moyenne n’en retrouvent que la moitié. Mais la vague socialiste est plus forte ici encore que la moyenne !

Il ne faut pas oublier que cette circonscription n’est plus depuis longtemps un "bastion rouge" [3]. André Gerin l’avait regagné en 1993 en réalisant 27,6% des voix avant une triangulaire au deuxième tour, après 8 ans de maire. En 1986 à la proportionnelle, le PCF avait réalisé 24,1%. Le résultat de 22,5% de Michèle Picard, 20 ans plus tard, malgré l’affaiblissement du parti et le contexte national défavorable est donc un score significatif. Elle fait 3,26 fois le score national du FG, là ou le parti à la proportionnelle faisait 2,4 fois son score national en 1986, et ou André Gerin faisait 3,03 fois le score national du PC en 1993, et 3,7 fois en 1997. Ce résultat est ainsi porteur d’un poids politique pour Michèle et d’un rapport de force plus équilibré qu’il n’y parait à première vue.

De plus, pour les communistes de Vénissieux, André était leur candidat naturel, jusqu’en Juin 2011 lors du choix de la candidature Mélenchon. La transition pour Michèle Picard ne s’est décidé qu’en fin d’année 2011, et sa candidature n’a été annoncée qu’en Janvier 2012. Elle n’a donc eu que quelques mois, totalement marqués par la présidentielle pour résoudre une contradiction politique majeure. Rechercher l’unité des communistes, donc avec le Front de Gauche, sans s’enfermer dans cette gauche de la gauche qui laissait la place aux socialistes ! Les communistes ont appris dans cette campagne et sont désormais mieux armés pour préparer les prochaines échéances et construire le rassemblement populaire d’une gauche de combat...

Organiser et rassembler malgré un PCF affaibli et prisonnier de sa stratégie

La situation après cette période électorale est nouvelle, non seulement par le changement de majorité et de président, mais aussi par le fait que la mutation du PCF a franchi un nouveau cap. Ce qu’aucun dirigeant du PCF n’avait pu obtenir des communistes a été réalisé par Mélenchon. Robert Hue n’avait pu imposé le changement de nom du parti, Marie-Georges Buffet s’était heurté à la conférence nationale des animateurs de section rejetant la proposition de métamorphose en 2009... les communistes affirmaient sans équivoque leur volonté de continuer le PCF, même s’ils restaient divisés sur les conséquences et le sens de ce choix. Contre la stratégie de mutation, les collectifs anti-libéraux, et le Front de Gauche n’étaient vus que comme des outils tactiques qui devaient permettre le renforcement du parti.

Or dans beaucoup d’endroits aujourd’hui, les communistes ont le sentiment que sans le Front de Gauche, le parti n’existe plus ! Si le choix de Mélenchon s’était fait comme un plus pour le parti, la campagne a transformé massivement les communistes en militant d’un dirigeant non communiste... C’est désormais le PCF qui est peut-être un plus pour le Front de Gauche... Il suffit de lire l’Humanité pour comprendre que tout est désormais "Front de Gauche", à commencer par toute vision internationaliste qui ne passe désormais que par le parti de gauche européen, ayant rompu avec la moitié des partis communistes d’Europe...

La consultation des communistes qui devait se tenir sur la participation gouvernementale donne un résultat qui confirme cette évolution. Alors que près de 20.000 communistes avaient voté pour un autre candidat que Mélenchon en 2011, ils ne sont plus officiellement que quelques centaines à refuser la résolution décidant de poursuivre un Front de Gauche représenté par ce même Mélenchon. Le choix d’Hervé Poly, entrainant la grande majorité de la fédération contestataire du Pas-de-Calais est illustratif. La direction du PCF, fortement soutenue par les médias, a réussi à installer le Front de Gauche comme un fait politique. Elle a aussi affaibli les communistes, avec la perte massive d’élus, et de militants, la consultation n’ayant réuni cette fois que 27.000 votants, deux fois moins qu’en 2011 [4].

Bien sûr, il reste de nombreuses inquiétudes chez de nombreux communistes ; le constat que le parti a tendance à disparaitre derrière le Front de Gauche, les nombreux litiges voire conflits avec les autres forces du Front de Gauche qui sont souvent bien déterminées à faire la peau à ce qui reste d’un PCF autonome. Le gauchisme marque beaucoup de collectif FG qui annoncent la rupture avec les socialistes en 2014, ce qui bien sûr ne manquera pas d’affaiblir encore plus la base locale des élus du PCF.

Il faut bien mesurer ce que cette situation révèle au fonds. Le PGE et ses diverses traductions nationales, dont le FG en France, n’est pas une anomalie historique, mais bien la traduction idéologique de la faiblesse du monde du travail dans les luttes de classe. La conscience ne peut être en avance sur le réel, et les travailleurs qui font l’expérience de la concurrence exacerbée constatent aussi que le "socialisme réel" s’est défait ou adapté au marché, quand ceux qui ont encore des protection sociales, notamment dans le public, cherchent pour l’instant surtout à défendre ou retrouver cette protection sociale. En quelque sorte, le peuple sent que l’heure n’est pas à la révolution, mais au mieux à la résistance, au pire, au compromis pour sauver ce qui peut l’être.

Le résultat grec confirme cette réalité historique. Même un parti communiste organisé, conscient et expérimenté comme l’est le KKE n’a pu résister au vote utile pour tenter de freiner l’euro-austérité. Les grecs ont bien compris que Siriza ne changerait pas la société, mais ils ont espéré que cela stoppe ou au moins retarde les conséquences du mémorandum.

Le discours idéaliste du Front de Gauche affirmant que la révolution citoyenne était en marche ne pouvait apparaitre comme un outil réaliste de rupture avec le capitalisme. Le peuple a besoin de vérité, et il se rend bien compte que sans organisation de terrain et de combat, présente de manière cohérente à l’échelle nationale et reposant sur un engagement militant local de masse, il ne peut espérer gagner réellement. Dans beaucoup de quartiers, quelle est la plus forte organisation de masse ? Après les clubs sportifs, c’est désormais la religion, qui pèse de plus en plus pour le repli sur soi, les valeurs, les traditions.

C’est pourquoi pour les communistes, la question de l’organisation concrète au service du rassemblement le plus large possible est fondamentale. Le Front de Gauche est un cadre trop étroit pour cela, le risque étant que faire de cette question l’enjeu principal du parti peut conduire au contraire à enfermer une majorité de communistes dans ce Front qui les piège. Si la leçon des élections est qu’il faut beaucoup plus que le FG pour rassembler des forces suffisantes au renversement social, la situation d’un PCF fortement dépendant du FG est un risque majeur de dilution des communistes. Ils peuvent pourtant se retrouver dans l’action et l’effort nécessaire pour reprendre le travail de terrain, tirant la leçon de l’hyper-médiatisation de Mélenchon et de son échec final. Ils seront confrontés aux batailles politiciennes dans le FG, notamment dans la perspective des municipales qui obligera partout à poser la question du rassemblement populaire majoritaire.

Au fonds, le débat ancien entre union de la gauche et rassemblement populaire majoritaire est toujours actuel. La question est, dans une situation difficile, d’ouvrir avec le plus grand nombre de communistes, un chemin d’expérience politique qui parte de la situation telle qu’elle est pour reconstruire un parti communiste dans une démarche de rassemblement majoritaire. Il faut donc un vrai débat sur le bilan de 30 ans de mutation du parti, sur les résultats du Front de Gauche, mais il faut le sortir du débat interne de tendances, qui laisse la direction maitre du jeu. Il ne peut y avoir de préalable au rassemblement populaire majoritaire, et là ou le Front de Gauche peut y contribuer, tant mieux, en gardant les yeux grand ouverts sur les rapports de forces réels. Il ne peut y avoir rassemblement majoritaire qui ne se traduise pas dans les batailles électorales, et il ne peut alors le faire qu’avec une gauche populaire de combat, républicaine, que les communistes animent des luttes aux institutions.

L’essentiel est dans l’effort d’organisation communiste et la profondeur populaire du rassemblement. La leçon des présidentielles, c’est bien que le peuple a plus besoin de militants que de figurants et spectateurs de grands évènements, fut-ce à la Bastille.

pam

[1N’oublions pas que la direction du PCF suivie par la plupart des députés, excepté André Gerin entre autres, n’avait pas voulu se battre, coincé par son soutien à Lionel Jospin, et avait appelé à l’abstention...

[2On a pu voir des tags et collages "Picard fasciste" !

[3Le PCF fait par exemple ici 10% de moins qu’à Ivry (Val de Marne) et la droite 15% de plus...

[4A vrai dire, personne ne sait exactement comment ce résultat a été obtenu, avec un vote en 24h chrono, et des résultats locaux dans le Rhône, totalement décalé du résultat national...

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