Samedi 30 novembre à 15h 30
Maison des Associations Place Saint Jean 69005 Lyon
carte blanche à François Eychard
pour nous parler des textes d’un jour du monde, de l’aventure journalistique d’Aragon, et de son influence sur son œuvre romanesque et sa formation politique.
Pierre Juquin que nous avions reçu il y a quelques années écrivait dans « Un destin français » : « Cette chose demeure : on ne pourra pas parler d’œuvre complète d’Aragon et on donnera de lui une idée fausse, même sur le plan littéraire, tant qu’on n’aura pas republié intégralement ses articles politiques ». François Eychard permet de combler en partie cette lacune avec les numéros 19 et 20 des annales des amis d’Aragon et d’Elsa Triolet, publiés par les éditions Delga sous le titre « Un jour du monde chronique de Ce soir ».
Ces deux volumes reprennent les articles d’Aragon publiés de 1938 à 1939 dans le journal d’inspiration communiste « Ce Soir » sous la rubrique « un jour du monde » qu’ Aragon avait eu idée de lancer après que Maxime Gorki eut demandé quelques années plus tôt « aux écrivains de tous les pays du monde de collaborer à un tableau d’une journée du monde » Il expliquait les raisons de cette initiative par ces mots : « j’entreprends pour les lecteurs de « Ce Soir » un peu le même travail …. il s’agit de leur donner d’un jour à l’autre, du journal d’hier au journal d’aujourd’hui… une sorte de résumé de ce qu’il faut savoir pour comprendre le journal d’aujourd’hui »
Le retour de ces chroniques dans l’espace public revêt une importance particulière dans la période actuelle caractérisée par le glissement, jour après jour, de l’Europe dans les mains de l’extrême droite. Il est aussi capital de pouvoir les lire quand le parlement européen vient d’adopter une résolution qui amalgame nazisme et communisme, dans un texte qui constitue une véritable insulte à la mémoire des victimes de la barbarie nazie ainsi qu’à celle de ceux qui l’ont combattue.
Ces articles montrent comment, au contraire, Messieurs Daladier, Bonnet, Flandin et leur semblables ont mené le pays au désastre par des mensonges et des calculs inavoués, avant de passer le relais aux Pétain, Laval et autres collabos, comment tous ces hommes qui « portaient la France à la boutonnière parlaient le langage d’Hitler » s’étalant « à tout bout de champ avec grossièreté et violence » dans l’espace public pour finalement signer à plat ventre les accords de Munich. Une paix qui n’était que mensonges et dérision, conduira en 38 à l’occupation des Sudètes puis en 39 à l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes allemandes et finalement, à celle du reste de l’Europe dans une guerre totale et généralisée.
Dans ce contexte et au lendemain du front populaire, « Ce soir » devait être une pièce importante du dispositif stratégique du parti communiste français et de l’Internationale face au fascisme. Puisque les capitalistes arrivaient à faire des journaux de droite avec des professionnels se disant de gauche l’idée des communistes était de faire un grand journal populaire à partir de la même technique, un journal visant à toucher les larges fractions de la petite bourgeoisie ballottée par les événements, à la rassurer quand la presse de droite l’affolait, à la faire réfléchir, à gagner sa confiance. « Ce soir » accordera dans cette optique une grande place à la vie parisienne donnant dans une rubrique « ce soir si vous sortez » les programmes des théâtres, des concerts, des cinémas, des music-halls, etc.
Aragon, auréolé du prix Renaudot, pour son roman « Les beaux quartiers » avait été choisi par Maurice Thorez pour assurer la direction du journal, direction qu’il partagera avec Jean Richard Bloch un compagnon de route. Il sera supervisé par Fried l’homme de l’Internationale, ce dernier jouant un rôle considérable dans l’orientation du journal qu’il protégera contre ses ennemis dans le parti.
Les textes de « Un jour du monde » illustrent le combat d’Aragon pour donner sens à l’actualité. Ils nous montrent un combat qui par sa verve et son sens du détail se rapproche des choses vues de Victor Hugo. Aragon y tourne et retourne les éléments d’information pour leur faire dire ce qu’ils cachent, déconstruit les spéculations hâtives, met en évidence le réel tout en voyant immédiatement l’exploitation politique qui en sera faite dans la presse. Il devient un commentateur qui se propose de révéler semaine après semaine les informations qui contribueront à ouvrir les yeux des Français sur les orientations néfastes qui conduisent à bas le pays pendant que, dans le même temps, il rédigeait les poèmes du « Crève-cœur » et son roman « Les passagers de l’impériale ».