Lettre ouverte à Pierre Laurent à propos des "Lundis de gauche"

, par  Caroline Andréani , popularité : 2%

Mon cher Pierre,

Je viens de recevoir, comme du reste j’imagine l’ensemble des membres du Conseil national, une invitation aux « Lundis de gauche ».

Dans une brève présentation signée par toi, il est écrit : « Je souhaite apporter ma pierre, celle du Parti communiste, à un débat nécessaire à gauche, sur les enjeux de la période et les grands défis auxquels la France est confrontée ». Soit, il n’est jamais inutile de confronter les points de vue sur la période que nous vivons.

Tu poursuis : « Je le fais en invitant des personnalités, acteurs et actrices du monde associatif, syndical et politique, du monde de la culture et de la recherche, à un dialogue suivi sur les questions du travail, de la sécurité et des libertés, de la transition écologique, sur un nouvel âge de la démocratie, sur les biens communs, le mieux vivre, la voix de la France et de l’Europe, la paix... ».

Curieusement, l’acteur central de la société, le monde du travail – le prolétariat comme nous disions à une époque – est totalement absent. Tu ne le cites pas, et tu ne l’invites pas. La vision du monde d’un ouvrier de Renault ou d’une caissière de Franprix est-elle disqualifiée ? Pourtant, quand on travaille chez Renault ou Franprix, on subit au quotidien l’exploitation, la mondialisation, la répression syndicale, la lutte pour les libertés et contre la précarité.

Je n’ai rien contre le monde associatif ou les intellectuels. Mais ceux-là ont la parole tous les jours. Personne ne muselle Patrick Weil, Pouria Amirshahi, Françoise Dumont, Bernard Thibault, Philippe Torreton ou Caroline de Hass, pour citer tes premiers invités. Ils parlent librement sur les radios, les plateaux de télévision, ils écrivent dans les journaux. Des premiers invités curieusement monocolores en termes politiques, à l’exception peut être de Bernard Thibault, qui a certainement à tes yeux le mérite d’être profondément pro-européen.

Donc, les « Lundis de la gauche » sont un lieu de débats entre gens issus du même monde et de la même sensibilité de « gauche ». Et pour quoi faire ?

Je te cite : « Et je suis ouvert à tous les dialogues pour inventer une alternative aux politiques suivies aujourd’hui. Je n’accepte pas le scénario ficelé pour 2017 dont on connaît à peu près les premiers rôles : Marine le Pen, François Hollande et Nicolas Sarkozy ou Alain Juppé. De ce scénario, la gauche serait absente et les aspirations populaires défaites. J’agis avec beaucoup d’autres, pour que surgisse d’une démarche collective et citoyenne, un projet commun et une candidature commune. »

Inventer une alternative aux politiques suivies aujourd’hui. C’est un objectif ambitieux et, oh combien stimulant. Oserais-je dire que je suis perplexe ? Aucun de tes invités, à ma connaissance, ne prône un changement de société. A moins que par changement de société, il s’agisse d’influer à la marge, de mettre de l’huile dans les rouages pour « corriger les inégalités » les plus criantes, un peu comme l’abbé Pierre demandant la construction de logements en 1954 ou comme ces associations qui interviennent pour organiser la charité publique : les Restos du cœur, la Croix Rouge, le Secours catholique, etc. Là encore, je n’ai rien contre l’engagement associatif. Mais peut-on parler de construire une alternative ?

L’aspect qui me gêne le plus dans tout cela, c’est que tu inscris notre parti dans la pseudo primaire de la gauche, alors que le débat n’a pas été tranché entre nous. Beaucoup de tes invités sont signataires de l’appel « Pour une primaire à gauche ». Et qu’est-ce que cet appel ? Même sans être d’une grande perspicacité, chacun comprend qu’il s’agit d’une initiative politicienne pour jouer la voiture-balai du Parti socialiste pour l’élection présidentielle de 2017.

J’étais hostile à Mélenchon en tant que candidat unique du Front de gauche à la présidentielle de 2012. Mais au moins, il portait un discours avec un contenu partagé et il suivait une ligne politique définie collectivement. Là, nous nous lançons dans une aventure politicienne pour qu’il y ait un « candidat de la gauche » au 2e tour. C’est une opération cynique, qui consiste à faire adopter la psychologie du renoncement : « Si vous ne voulez pas un 2e tour LR/FN, vous n’avez pas d’autre choix que de voter PS au 1er tour », nous dis-tu en substance.

La « gauche », ce n’est pas quelques intellectuels gauche-caviar qui se retrouvent dans des rendez-vous mondains pour refaire le monde. Ceux avec lesquels les communistes devraient débattre, et qu’ils devraient tenter de convaincre, ce sont les salariés menacés par la précarité, les précaires qui se battent pour garder la tête hors de l’eau, les retraités qui survivent avec des pensions insuffisantes, les sans-papiers scandaleusement exploités par un patronat rapace, les responsables syndicaux harcelés par leur hiérarchie. Ce sont au quotidien des millions d’hommes et de femmes écrasés par l’austérité imposée par l’Union européenne, mise en œuvre par un Parti socialiste aux ordres de la Troïka.

Les convaincre de quoi ? Non pas de voter une fois de plus pour un candidat social-démocrate contre un candidat libéral, car ce sont les deux faces d’une même pièce. Mais de reconstruire une force de contestation, une force de résistance, une force révolutionnaire en somme.

Pour cela, il faudrait bien plus que des pince-fesses place du colonel Fabien, quand bien même ils réuniraient de brillants intervenants.

Je terminerai par une citation de Rosa Luxemburg, issue de La crise de la sociale-démocratie (1915) au chapitre « Socialisme ou barbarie » :

« Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment. ».

Reçois cher camarade, mes fraternelles salutations.

Caroline Andreani

27 janvier 2016

Les "Lundis de gauche" :

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