Rejeter l’illusion du réformisme
"Le temps est venu d’une rupture" Intervention de Rémy Herrera à la soirée de solidarité avec le peuple grec à Vénissieux le 15 mars 2012

, par  Remy Herrera , popularité : 3%

L’article qui suit est la transcription de l’intervention de Rémy Herrera lors de la soirée de solidarité internationale avec le peuple de Grèce qui s’est tenue à Vénissieux le 15 mars dernier. Je me suis permis de rajouter des intertitres qui je l’espère, n’en modifieront pas le contenu. Dans le contexte des débats pour les élections présidentielles et législatives, ce texte est d’autant plus intéressant que l’on peut le confronter avec l’ambition du programme du Front de gauche. Comme ce programme dit "partagé" a seulement un contenu d’aménagement du capitalisme... et de l’Union européenne (cf. sa comparaison avec les 110 propositions de Mitterrand), il reste dans l’illusion réformiste et de ce fait, nous pouvons mieux mesurer toute la tâche qui incombe aux communistes si l’on ne veut pas que le soufflé de l’effervescence électoraliste retombe dans les ornières de la déception et du renoncement.

Pascal Brula


Un grand merci pour l’organisation de cette rencontre. Je suis vraiment très heureux d’être avec vous à Vénissieux et je voulais vous dire, peut-être que vous ne le savez pas assez, que de nombreux camarades dans toute la France et même au-delà, regardent avec beaucoup d’attention ce que vous écrivez et ce que vous dites, votre manière de vous positionner, et sont en total accord avec vous. On ne peut pas toujours le faire comme vous le faites aussi bien pour des raisons locales, disons, mais de très nombreux camarades sont solidaires avec vous à Vénissieux et dans le Rhône en général. Ce que vous produisez sert à alimenter nos débats en beaucoup d’endroits, c’est très important que vous continuiez comme ça, y compris en manifestant cette solidarité internationaliste aujourd’hui à l’égard de nos camarades grecs. C’est absolument fondamental à l’intérieur du parti et au-delà.

Crise systémique et illusion réformiste

La crise qui frappe l’Europe participe d’une crise généralisée, d’une crise systémique qui est une crise, comme l’a dit le camarade grec, une crise qui peut s’interpréter, qui doit s’interpréter, à mon avis, en terme marxiste comme une crise de sur-accumulation. Cette crise ne trouvera pas de solution interne, à l’intérieur du capitalisme. On ne peut pas rêver ni d’un capitalisme civilisé, ni d’un capitalisme sans crise. Et les crises du capitalisme sont de plus en plus violentes. Donc nous devons impérativement, que nous le voulions ou pas, nous poser la question des alternatives, la question des stratégies de rupture avec cet ordre là, de rupture post-capitaliste, socialiste évidemment, mais on peut déjà parler d’anticapitalisme, de rupture post-capitaliste pour arriver progressivement aux conditions qui permettront de reparler de transition socialiste. Mais c’est vers ça que l’on va.

Les politiques d’austérité qui sont imposées, on l’a vu très clairement, ne vont qu’aggraver la crise, et nous pousser encore un peu plus vite vers le gouffre. Les grands gagnants sont pour l’instant les extrêmes-droites, en France, en Europe et partout ailleurs. Donc c’est vraiment le grand danger pour nous. Mais cette crise de l’euro évidemment a des spécificités. On a cru, on nous a fait croire que l’on pouvait créer une monnaie sans état, sans Europe politique. On nous a fait croire qu’on pouvait faire converger de force sous hégémonie allemande des économies extrêmement différentes, sans développer les institutions politiques européennes adéquates, budgétaires, fiscales, d’harmonisation sociale par le haut. C’est exactement le contraire qui a été fait, c’est un échec. C’est absolument dans la logique des choses. Cette Europe-là, cette mauvaise Europe-là, ne pouvait qu’être rejetée et elle est rejetée, pas seulement en France, mais dans beaucoup d’autres pays européens.

Face à cela, il y a une grande illusion. L’illusion du réformisme, l’illusion du keynésianisme, l’illusion d’un nouveau compromis keynésien : ça je crois que c’est un leurre. Hélas, on peut rêver d’un réformisme, d’un capitalisme régulé, à visage humain. On ne va pas critiquer ceux qui rêvent, et nos amis sociaux-démocrates qui rêvent de ça évidemment, on ne peut pas les blâmer. Mais ce projet social-démocrate n’a ni réalité, ni futur. Aujourd’hui, c’est la haute finance qui commande, qui impose ses diktats aux états et cette haute finance n’a absolument pas l’intention de négocier et de faire des concessions. Donc la situation est radicalement différente par rapport à celle qui caractérisait le compromis keynésien de l’après guerre, où l’Union soviétique existait, où les peuples du sud se libéraient, où les partis communistes, les syndicats ouvriers étaient très puissants et imposaient au capital, arrachaient au capital des concessions. Aujourd’hui, on est dans une configuration qui est totalement différente. Les grands propriétaires du capital ne feront aucune concession. Ils nous mènent la guerre et ils la mèneront jusqu’au bout. Il faut être tout-à-fait clair là-dessus, tout-à-fait conscient de ça : guerre contre le sud et guerre contre les travailleurs au nord, guerre de la haute finance contre tous ceux qui résisteront.

Rupture et sortie de l’euro

Donc le temps est venu d’une rupture, de penser, de discuter, d’ouvrir des espaces de discussion démocratique sur les possibles post-capitalismes. Au nombre de ces discussions, bien sûr, figure la nécessité de sortie de l’euro, tout spécialement pour les pays de l’Europe du sud, tout spécialement pour ceux qui sont les plus exposés comme c’est le cas de la Grèce. Ce serait mentir que de dire que ça se passera sans difficultés. Mais ce serait mentir, c’est mentir encore plus que de dire que sortir de l’euro serait condamner à la catastrophe. Ca c’est totalement faux. Ça c’est pour étouffer toute velléité, tout esprit de résistance, tout espoir d’alternative en nous. Donc il faut absolument résister à ce catastrophisme-là, à cette propagande catastrophiste. D’abord, parce que des pays, de grands pays européens ne sont pas dans l’euro. A ma connaissance, le Royaume-Uni n’est pas dans l’euro et c’est même de là qu’est organisée la spéculation contre l’euro, la place de la City a un rôle déstabilisant. Ensuite, des pays qui ont été très violemment frappés par la crise sont en voie de récupération en dehors de l’euro, comme l’Islande, et puis je crois que les exemples ne manquent pas de pays du sud, hors du continent européen, qui ont expérimenté des voies de rupture sans chaos, sans catastrophe. C’est même très précisément l’inverse. Ce sont des gouvernements qui ne sont pas tous révolutionnaires, loin de là, des gouvernements de pays du sud qui se sont ouverts des marges de manœuvres en rompant avec les règles du diktat du système monétaire international, extraordinairement injustes, inacceptables, presque tout le monde est d’accord avec ça. Donc, c’est en se réappropriant, par l’État, son pouvoir de décision politique sur l’économie, en réimposant la décision, la souveraineté et le volontarisme politique de l’État, pas de l’État seul, de l’État et de la société civile, sur l’économie, que nous pourrons espérer dompter la haute finance.

La souveraineté monétaire pour la souveraineté des nations et des peuples - Des exemples dans le monde

Quels exemples ? Où ? Mais il y en a plein ! On n’en parle jamais, mais il y en a plein ! Et très différents ! Alors on peut commencer par exemple, par Cuba. Je ne suis pas en train de chercher des modèles. Je ne suis pas en train de dire que ce qu’ont fait untel ou d’autres va nous servir de modèle. Il ne s’agit pas de chercher des solutions miracles : il n’y en a pas. Ça dépend des luttes dans chaque pays, des conditions spécifiques de chaque pays. Mais il y a des expériences de résistance et d’alternatives. Cuba a dollarisé et dédollarisé ; il y a eu un processus de dédollarisation, d’affrontement contre la monnaie internationale, la plus importante.

Il y a le Venezuela qui a pris ses distances avec le FMI ; je ne dis pas que c’est parfait, il y a beaucoup de problèmes au Venezuela, mais dans un processus révolutionnaire, une décision a été prise d’affronter la haute finance. Il y a l’expérience de banques du sud, de Bancosur autour des pays de l’ALBA, l’Alternative Bolivarienne pour les Amériques, avec un tout petit pays comme la Bolivie mais aussi un grand pays comme le Brésil dont le gouvernement n’est pas du tout révolutionnaire, progressiste, mais pas révolutionnaire. Ils ont décidé d’ouvrir une brèche, de reprendre possession de leur souveraineté nationale autour de la souveraineté monétaire régionale en proposant une banque du sud. C’est tout petit, mais c’est fondamental pour rompre avec cette propagande d’absence d’alternative.

Il y en a des alternatives. Il y a un pays comme l’Équateur qui est tout petit aussi, qui est pétrolier, mais qui est dollarisé, qui a décidé d’affronter le problème de la dette. Ils ont lancé un audit de la dette. Ils ont utilisé les mécanismes de suspension de la dette et les mécanismes de marché pour réduire progressivement la dette qui est passée en dix ans de 100 % du PIB à 10-15 % aujourd’hui.

Il y a des pays beaucoup moins progressistes qui ne sont pas en révolution comme c’est le cas de ceux que j’ai cité. L’Argentine, avec un gouvernement de droite, de centre-droit, péroniste évidemment – ils le sont pratiquement tous là-bas –, l’Argentine après les mouvements insurrectionnels de 2000, les convulsions depuis le milieu des années 90, a décidé de se déclarer en cessation de paiement, fin 2001. Est-ce que ça a été le chaos ? Non. Le chaos, c’était avant. L’Argentine était dans le chaos. Le peuple était plongé dans la misère. 55 % de pauvres en Argentine, 30 % de taux de chômage à cette époque. L’Argentine a décidé de cesser de rembourser sa dette, a proposé un plan de conversion de la dette, a dévalué sa monnaie, ce qui a été très difficile, surtout pour le peuple, car le gouvernement était de droite. Mais est-ce que le pays a plongé ? Non, le taux de croissance a récupéré et est reparti à la hausse. Est-ce que le pays a été bloqué, a été isolé dans les échanges internationaux ? Absolument pas, les échanges internationaux sont repartis.

Pour la Grèce aussi

Évidemment, ce serait beaucoup plus difficile pour la Grèce, mais c’est nécessaire. Ce serait beaucoup plus difficile parce que la Grèce n’a pas la base productive et exportatrice de l’Argentine, qui a une base agro-industrielle exportatrice très puissante, avec du pétrole et donc une base énergétique aussi. L’économie est plus limitée en Grèce, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien et le camarade grec pourra le développer. Évidemment qu’il y a des richesses, évidemment qu’il y a des énergies qui pourraient permettre de faire face aux difficultés dans ce cas là. Mais avant que l’Allemagne n’exclue la Grèce, il faut que la Grèce sorte de l’euro. J’appuie en cela ce qui a été dit par Jacques Nikonoff et les autres intervenants. C’est tout-à-fait clair, sinon la classe ouvrière se retrouvera en position totalement défensive, c’est-à-dire vraiment dans la pire situation, avec une sortie de l’euro par expulsion décidée par l’Allemagne, et des plans d’ajustement qui seraient comparables à ce que subissent les pays africains ou d’autres par le FMI. Ce serait la pire situation pour la gauche dans ce pays, ouvrant évidemment la voie pour l’extrême droite. Comment tenir un pays dans ces conditions, avec une expérience historique de dictature que l’on connait. Tant de nos camarades grecs ont passé, certains des décennies en prison. Donc, il y a aussi cette mémoire là.

Il y a même des gouvernements de droite qui ont rompu. Par exemple, pendant la crise asiatique, qui n’est pas autre chose qu’un épisode de cette série de convulsions "financières" entre guillemets, dans la crise systémique, dans la crise de sur-accumulation du capitalisme. En 1997-98, cette crise "financière" a touché plusieurs pays asiatiques et le FMI a imposé ses méthodes, à savoir les dogmes que l’on connait : libéralisation, flexibilisation, mise sous tutelle, perte de souveraineté nationale. La Malaisie avec un gouvernement de droite, à ma connaissance, qui, même sous certains aspects sociétaux comme on dit maintenant, notamment le rôle de la femme, était un gouvernement réactionnaire, mais un gouvernement nationaliste, a décidé d’imposer des limites aux injonctions du FMI et de mener la politique qui correspondait à ses intérêts propres. Le résultat, c’est que la Malaisie a relativement mieux résisté à cette crise qui a balayé les marchés financiers de l’Asie dans la période 97-98 jusqu’en 99 avant de s’exporter ailleurs.

Alors pourquoi pas nous ? Cuba, le Venezuela, la Bolivie, l’Equateur avec des processus révolutionnaires, des gouvernements révolutionnaires plus ou moins radicaux, Cuba beaucoup plus avancé sur la voie socialiste que d’autres, se sont clairement engagés dans cette voie. Mais aussi d’autres : l’Argentine, par exemple, était dans un chaos social. Les gens dormaient dans la rue, ils ne pouvaient même pas se faire soigner et dormaient devant l’hôpital, parfois des médecins sortaient pour les soigner sur le trottoir, je l’ai vu ! Mais le gouvernement argentin a considéré que la réappropriation de la souveraineté nationale était quelque chose d’important. On n’est plus dans la souveraineté populaire comme avec les processus révolutionnaires, on est simplement en termes de souveraineté monétaire, de souveraineté nationale. Et il y a même eu des gouvernements avec des orientations plutôt droitières. Ces gouvernements nous ont donné la preuve que ce n’était pas le chaos après la rupture, que ce n’était pas nécessairement la catastrophe après que le peuple ait décidé de reprendre en main son devenir collectif. C’est très important de comprendre ça ! Donc, pour nous, il y a urgence à rouvrir des espaces de débat démocratique comme sur la sortie maîtrisée de l’euro. Je ne vais même pas vous dire qu’il faut sortir de l’euro, je vais vous dire qu’il faut en discuter. Il faut que les camarades, que le peuple français en général, aient la possibilité de discuter des possibles pour lui, pour choisir la meilleure solution qu’il décidera, mais qu’on ne décidera pas à sa place. C’est ce que je tiens à vous dire au lieu de dire "Il faut faire çà, çà et çà". J’ai bien sûr ma propre opinion, mais le plus important est de reconquérir cet espace de débat démocratique. On a reculé, on a trop pris l’habitude de reculer.

Soumettre un projet socialiste au débat démocratique

Comme thèmes de débat, il y a le thème de la sortie de l’euro, le thème de la dévaluation, soit d’une monnaie nationale, soit d’une monnaie commune, pourquoi pas si plusieurs pays décrochent, c’est-à-dire décident de sortir de l’euro, pourquoi ne pourraient-ils pas constituer une nouvelle monnaie commune ? Il y a eu l’expérience du serpent monétaire, il y a quelque temps en Europe même. Ces mécanismes pourraient explorer des conditions différenciées, des spécificités selon les lieux de rupture. Il y a besoin de discuter de la redéfinition du rôle politique de la banque centrale, c’est fondamental. Cela est lié au traité de Lisbonne, car il y a nécessité de sortir le traité de Lisbonne de notre bloc de constitutionnalité. Le traité de Lisbonne est actuellement prépondérant sur les principes des droits de l’homme de l’An I : le préambule de la constitution française n’est rien à côté du traité de Lisbonne. Il faut remettre les choses à leur place. Pour nous, l’An I, c’est plus important que le traité de Lisbonne, nettement plus important, et tellement plus qu’il faut rejeter le traité de Lisbonne. Autre thème fondamental, la nationalisation du système bancaire : c’est indispensable. Tout ou pas, cela se discute. Il y a des expériences à avancer dans les discussions. Mais l’important est de comprendre que l’on ne pourra pas engager – je ne parle même pas d’une transition socialiste – de projet social, démocratique et populaire, si l’on ne nationalise pas le système bancaire. Cela ne suffira pas, évidemment, car il faudra également nationaliser, renationaliser des pans de secteurs stratégiques de l’économie française. Par exemple EDF, car même en Californie, les ultra libéraux la citent comme meilleur exemple de système de production et de distribution d’électricité.

Contre ces méthodes de guerre contre le peuple que nous imposent les capitalistes, il faut absolument réagir et cesser de reculer. Dans notre projet, il faut reconstruire les services publiques, il faut pousser au maximum la distribution des richesses, il faut ouvrir au maximum les espaces de participation populaire dans tous les domaines, dans les entreprises, les associations, dans les écoles, partout. Évidemment, il faut tout remettre sur pied, et on le fera, parce que sans cela, ce sera la catastrophe. Nous devons reconstruire un projet socialiste articulé avec une solidarité internationaliste, avec les peuples du sud en lutte – et on voit que la frontière entre nord et sud est en train de s’estomper, on ne sait plus si la Grèce est du nord ou du sud… – et ce projet socialiste doit être notre cap pour l’avenir.

Rémy Herrera, le jeudi 15 mars 2012

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