Ou va la Chine (2)
La montée de la classe ouvrière et l’avenir de la Révolution chinoise par l’économiste chinois Minqi Li

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En juillet 2009, les travailleurs de Tonghua Steel Compnay à Jilin en Chine ont organisé une manifestation massive contre la privatisation de leur entreprise. Par la suite, à l’été 2010, une vague de grèves s’est répandue sur l’ensemble des provinces côtières. Ces événements peuvent se révéler être un tournant historique. Après des décennies de défaite, de recul et de silence, la classe ouvrière Chinoise ré-emerge désormais comme une nouvelle force sociale et politique.

Comment la montée de la classe ouvrière Chinoise influence l’avenir de la Chine et du monde entier ? La classe capitaliste Chinoise parviendra-t-elle à répondre au défi ouvrier tout en préservant le système capitaliste ? Ou la montée de la classe ouvrière Chinoise mènera-t-elle à une nouvelle révolution socialiste qui pourrait, à son tour, ouvrir la voie à une révolution socialiste mondiale ? Les réponses à ces questions décideront, dans une large mesure, du cours de l’histoire mondiale au XXème siècle.

La défaite de la classe ouvrière et le triomphe du capitalisme chinois

La révolution chinoise de 1949 reposait sur une large mobilisation de l’écrasante majorité de la population Chinoise contre l’exploitation par les propriétaires féodaux locaux, les capitalistes, et les impérialistes étrangers. Avec toutes ses limites historiques, la Chine de l’époque maoïste méritait d’être qualifiée de « socialiste » dans le sens où les rapports de classe en Chine étaient bien plus favorables aux classes laborieuses prolétarisées et non-prolétarisés que ceux qui prédominaient dans un État capitaliste, en particulier dans le contexte d’une périphérie et d’une semi-périphérie.

En dépit des réalisations historiques Maoïstes, la Chine est restée une partie intégrante du système capitaliste mondial et était contrainte d’opérer selon les lois fondamentales régissant la dynamique du système. Le surplus économique s’est trouvé concentré entre les mains de l’État afin d’encourager l’accumulation de capital et l’industrialisation. Cela a, à son tour, créé les conditions matérielles qui ont placé dans une position avantageuse les nouvelles élites bureaucratiques-technocratiques qui ont exigé des privilèges matériels et un pouvoir politique de plus en plus grand. Les nouvelles élites ont trouvé leurs représentants politiques au sein même du Parti communiste, et sont devenues les « compagnons de route capitalistes qui sont sous l’autorité du Parti » (une expression courante en Chine).

Mao Tsé-tsoung et ses camarades révolutionnaires ont tenté d’inverser la tendance vers une restauration capitaliste en lançant directement un appel à la mobilisation des masses de travailleurs, paysans et étudiants. Politiquement inexpérimentés et en manque de repères, les travailleurs et les paysans n’étaient pas prêts à exercer directement le pouvoir économique et politique. Après la mort de Mao en 1976, les compagnons de route capitalistes menés par Deng Xiaoping ont monté un coup d’État contre-révolutionnaire et arrêté les leaders Maoïstes radicaux. En quelques années, Deng Xiaoping avait consolidé son pouvoir politique et la Chine était embarquée sur la voie de la transition capitaliste.

Les réformes économiques ont commencé à la campagne. Les communes populaires ont été démantelées, et l’agriculture privatisée. Au cours des années suivantes, des centaines de millions de travailleurs ruraux sont devenus des travailleurs « excédentaires », rendus disponibles pour l’exploitation par les entreprises capitalistes locales et étrangères.

La privatisation massive a été lancée dans les années 1990. Presque toutes les entreprises publique de taille petite ou moyennes et certaines des grosses entreprises publiques ont été privatisées. La quasi-intégralité d’entre elles furent bradées à des prix artificiellement bas ou tout simplement données. Parmi les bénéficiaires, des officiels du gouvernement, d’anciens gestionnaires d’entreprises publiques, des capitalistes privés jouant de leurs relations au sein du gouvernement et enfin des entreprises multi-nationales. En fait, une « accumulation primitive » colossale a été réalisée et une nouvelle classe capitaliste s’est formée, fondée sur le pillage massif des biens publics et collectifs. Pendant ce temps, des dizaines de millions de travailleurs du public ont été licenciés et se sont appauvris.

La légitimité de cette nouvelle classe capitaliste a été reconnue par la direction du Parti communiste. Au VIème congrès du Parti (en 2002), la Charte du parti a été révisée. Sous la vieille Charte, le Parti communiste se considérait comme l’avant-garde de la classe ouvrière, représentant les intérêts du prolétariat. Sous la nouvelle Charte, le Parti communiste se déclare représentant des intérêts tant des « grandes masses populaires » que des « forces productives les plus avancées ». Le terme « forces productives les plus avancées » est perçu par beaucoup comme un euphémisme pour la nouvelle classe capitaliste.

La montée de la classe ouvrière Chinoise

La part des emplois non-agricoles dans les emplois totaux en Chine est passée de 31% en 1980 à 50% en 2000, et a augmenté encore jusqu’à atteindre les 60% en 2008. Selon un rapport préparé par l’Académie chinoise de sciences sociales en 2002, près de 80% de la force de travail non-agricole se composait de salariés prolétarisés, tels que des ouvriers d’industrie, des travailleurs des services, des employés et des chômeurs. Étant donné que l’écrasante majorité des travailleurs non-agricoles est composée de travailleurs salariés qui doivent vendre leur force de travail pour gagner leur vie, la croissance rapide des emplois non-agricoles laisse supposer l’existence d’une masse considérable de travailleurs prolétarisés en Chine.

L’accumulation capitaliste rapide Chinoise a reposé sur l’exploitation impitoyable de centaines de millions de travailleurs Chinois. De 1990 à 2005, la part des revenus du travail en Chine, a chuté de 50 à 37% du PIB. Le niveau du salaire du salarié Chinois s’élève à respectivement 5%, 6% et 40% du niveau des salaires américains, sud-coréens et mexicains.

Depuis le début des années 1980, environ 150 millions de travailleurs migrants ont quitté les régions rurales pour celles urbaines afin de trouver du travail. L’exportation Chinoise de produits manufacturés s’est largement appuyée sur l’exploitation de ces travailleurs migrants. Une étude sur les conditions de travail dans le Delta de la rivière des perles (une région qui comprend Guangzhou, Shenzhen et Hong Kong) a révélé que près des deux-tiers des travailleurs travaillaient plus de 8 heures par jour et ne prenaient jamais de week-ends. Certains ouvriers avaient à travailler en continu, jusqu’à seize heures d’affilée. Les managers capitalistes usaient fréquemment de punitions corporelles pour corriger les travailleurs. Près de 200 millions de salariés Chinois travaillent dans des conditions dangereuses. Il y a environ 700 000 blessures graves liées à des accidents du travail en Chine chaque année, coûtant la vie à plus de 100 000 personnes.

Dans le « Manifeste du parti communiste », Marx et Engels affirmaient que la lutte de la classe ouvrière contre les capitalistes suivait plusieurs stades de développement. Dans un premier temps, la lutte était menée par des travailleurs isolés contre les capitalistes qui les exploitaient directement. Avec le développement de l’industrie capitaliste, le nombre de prolétaires augmentait et ceux-ci se trouvaient rassemblés dans des concentrations massives. Les effectifs ouvriers augmentaient et ils commençaient à former des syndicats pour combattre les capitalistes en tant que force collective. La même loi de développement est visible aujourd’hui en Chine. Puisque de plus en plus de travailleurs migrants s’installent dans les villes et se considèrent comme des salariés plutôt que comme des paysans, une nouvelle génération de travailleurs prolétarisés avec une conscience de classe de plus en plus claire émerge.Tant les documents officiels du gouvernement que les médias dominants reconnaissent désormais l’émergence de la « seconde génération de travailleurs migrants ».

Selon la description qu’en font les médias dominants Chinois, il y aurait actuellement près de 100 millions de travailleurs migrants de seconde génération, nés après 1980. Ils ont migré vers les villes tout de suite après la fin de leurs études secondaires, ou de leurs années de collège. La plupart d’entre eux n’a connu aucune expérience dans le domaine agricole. Ils s’identifient plus au monde des villes qu’à celui des campagnes. Comparée à la « première génération », les travailleurs migrants de seconde génération ont tendance à être mieux formés et à avoir des attentes plus élevées en terme d’emploi ; ils revendiquent des meilleurs niveaux de vie matériel et culturel, et sont moins enclins à tolérer des conditions de travail difficiles.

A l’été 2010, des dizaines de grèves ont touché les industries automobile, électronique et textile Chinoises, contraignant les capitalistes à accepter des augmentations de salaire. Les universitaires Chinois officiels sont inquiets de la possibilité que la Chine entre dans une nouvelle phase de grèves intenses qui mettrait un terme au régime économique Chinois reposant sur une main d’œuvre bon marché et menacerait la « stabilité sociale » Chinoise.

Le développement capitaliste même prépare les conditions objectives favorisant la croissance des organisations ouvrières. Après de nombreuses années d’essor, l’armée de réserve massive de main d’œuvre bon marché dans les régions rurales Chinoises a commencé à s’épuiser. La population totale Chinoise en âge de travailler (ceux qui sont entre 15 et 64 ans) devrait atteindre un pic en 2012, avec 970 millions de travailleurs, pour ensuite baisser progressivement jusqu’au chiffre de 940 millions en 2020. La couche des travailleurs les plus jeunes (ceux qui sont entre 19 et 22 ans), parmi lesquels sont recrutés le gros des ouvriers non-qualifiés et mal payés de l’industrie, devrait chuter de 100 millions en 2009 à 50 millions en 2020. La baisse rapide des effectifs des plus jeunes, parmi la population en âge de travailler, pourrait renforcer le pouvoir de négociation des jeunes travailleurs et les encourager à développer des organisations ouvrières plus permanentes.

Tant au Brésil qu’en Corée du sud, à partir des années 1970 et 80, lorsque la part des emplois non-agricoles (comme un indicateur du degré de prolétarisation) a dépassé les 70%, le mouvement ouvrier a émergé comme une force sociale et politique importante. Une évolution similaire se produit en ce moment en Égypte.

La part des emplois non-agricoles en Chine est désormais de 60%. Si la Chine suit sa propre tendance entre 1980 et 2008, avec une augmentation de la part des emplois non-agricoles de 1% par an, alors la part des emplois non-agricoles en Chine devrait dépasser le seuil fatidique des 70% d’ici 2020.

Étant donné que la classe ouvrière est destinée à émerger comme une force politique et sociale majeure d’ici une à deux décennies, la question fondamentale est : quelle direction politique prendra le mouvement ouvrier Chinois ? La politique officielle actuelle du gouvernement Chinois est de construire une prétendue société harmonieuse avec des compromis entre les diverses classes sociales. Des franges des élites dirigeantes Chinois lancent des appels à la « réforme politique » évitant de traiter de front le défi ouvrier, en proposant l’introduction de la démocratie bourgeoise de type occidentale.

La classe capitaliste Chinoise réussira-t-elle à répondre au défi ouvrier tout en maintenant les bases économiques et l’ordre social du système capitaliste ? Ou est-ce que le mouvement ouvrier Chinois parviendra à réaliser une percée historique mondiale, suivra la voie révolutionnaire socialiste, et rompra fondamentalement avec le système social existant ? Les réponses à ces questions dépendent des conditions historiques tant subjectives qu’objectives.

L’héritage socialiste : la classe ouvrière du secteur public

A l’époque Maoïste socialiste, les travailleurs Chinois jouissaient d’un pouvoir en tant que classe et d’une dignité inimaginable pour un salarié moyen dans un État capitaliste (en particulier dans un contexte périphérique et semi-périphérique). Cependant, la classe ouvrière chinoise était jeune et politiquement inexpérimentée. Après la mort de Mao, la classe ouvrière a été privée de toute direction politique et a subi une dérouté catastrophique pendant la période de privatisation massive des années 1990.

Nombre des travailleurs de l’ancien secteur public (connus en Chine sous le nom des « vieux travailleurs ») ont depuis lancé des luttes collectives contre la privatisation et les licenciements massifs. Leurs luttes ont eu un impact non seulement sur les travailleurs licenciés mais aussi sur les travailleurs du public encore sous contrat. Cela a contribué au développement de la conscience de classe avec un certain degré de conscience socialiste parmi une frange particulière de la classe ouvrière prolétarisée Chinoise – le prolétariat du secteur public.

D’après un militant ouvrier Chinois Zhang Yaozu, comparée aux classes ouvrières des autres États capitalistes, la classe ouvrière (du secteur public) Chinoise a développé une « conscience de classe assez aboutie », basée sur son expérience historique unique à la fois pendant la période socialiste et la période capitaliste.

En raison de cette expérience historique, les luttes des travailleurs du secteur public Chinois ne se limitent souvent pas à des revendications économiques immédiates. De nombreux militants ouvriers comprennent que leurs conditions actuelles ne sont pas seulement la conséquence de l’exploitation par des capitalistes pris un par un mais aussi, à un niveau plus fondamental, de la défaite historique de la classe ouvrière dans une vaste guerre de classe qui a mené au triomphe (temporaire) du capitalisme sur le socialisme.

Un leader des travailleurs licenciés, Zhong Qinan, soulignait que sous le socialisme, « les ouvriers étaient les patrons à l’usine, les ouvriers étaient des frères et des sœurs appartenant à la même classe, et des licenciements massifs ne pouvaient pas se produire ; mais après la privatisation, les ouvriers ont été réduits à l’état de ’travailleurs salariés’, ils ne sont plus les patrons, voilà la véritable raison derrière les licenciements massifs ». Selon ce leader, la lutte des travailleurs ne devait se limiter à des cas individuels, ni victorieuse avec la satisfaction de revendications particulières. L’ « intérêt fondamental » des travailleurs réside dans le rétablissement de la « propriété publique des moyens de production ».

Nombreux sont ceux parmi les travailleurs actuellement employés dans le secteur public qui sont les enfants des « vieux travailleurs » ; ou alors ils ont bénéficié de l’expérience des vieux travailleurs en travaillant avec eux ; ou bien ils vivent dans les mêmes quartiers ouvriers. Ainsi, les travailleurs employés actuellement dans le secteur public ont été influencés par les luttes et l’expérience politique des vieux travailleurs. Cela a été bien illustré par la lutte anti-privatisation des ouvriers de Tonghua Steel en 2009.

Tonghua Steel était une usine sidérurgique d’État à Tonghua, dans la province de Jilin. En 2005, Tonghua Steel fut privatisé. Les biens de l’État, estimés il fut un temps à 10 milliards de dollars, ont été ré-estimés alors à seulement 2 milliards de yuan. Jianlong, une grosse entreprise privée bénéficiant de relations auprès d’officiels haut placés à Pékin, n’a eu en fait qu’à payer 800 millions de yuan pour faire main basse sur l’entreprise. Après la prise de contrôle par Jianlong, 24 000 des 36 000 travailleurs ont été licenciés. Les salaires des travailleurs affectés aux « tâches dangereuses » (avec des taux élevés de blessures liées au travail) ont été réduits des deux-tiers. Les managers ont pu imposer diverses sanctions et punitions arbitraires aux travailleurs.

En 2007, les travailleurs de Tonghua Steel ont commencé à protester. Durant les manifestations, un travailleur de l’époque Maoïste, « Maître Wu », s’est révélé le leader du mouvement. Wu a précisé aux travailleurs que le fond de la question n’avait pas à voir avec un quelconque problème particulier à leur cas, mais portait sur « la ligne politique de privatisation ».

En juillet 2009, les travailleurs ont lancé une grève générale. Lorsque le manager général a menacé de virer tous les travailleurs, les travailleurs furieux ont battu à mort le manager. Bien que le gouverneur de la province et des milliers de policiers armés se trouvaient sur place, aucun n’a osé intervenir. Après ce lynchage, la province de Jilin a été contrainte d’annuler le plan de privatisation.

La victoire des travailleurs de Tonghua Steel fut une source d’inspiration formidable pour les travailleurs aux quatre coins de la Chine. Les travailleurs de plusieurs autres usines sidérurgique ont alors exprimé leurs protestations et contraint les gouvernements locaux à annuler les plans de privatisation. Les militants ouvriers d’autres provinces ont considéré la victoire de Tonghua comme la leur et ont regretté, comme le disaient certains que « trop peu de capitalistes aient été liquidés ».

Après des années de privatisation massive, la part du secteur public dans la production industrielle Chinoise a été réduite à moins de 30%. Néanmoins, le secteur public continue à dominer plusieurs secteurs industriels clés. En 2008, les entreprises publiques représentaient 59% de la production (en valeur) dans le secteur des mines de charbon et dans son lavage, 96% dans l’extraction du pétrole et du gaz naturel, 72% dans le traitement du pétrole et du charbon, 42% dans la fusion et l’emboutissage des matériaux ferreux (fer et acier), 45% dans la fabrication de matériel de transport, et 92% dans la production et la fourniture de l’énergie et de la chaleur d’origine électrique.

Bien que les travailleurs du secteur public ne représentent aujourd’hui plus que 20% des emplois industriels, ils sont désormais près de 20 millions et concentrés dans les secteurs de l’énergie et de l’industrie lourde qui sont d’une importance stratégique pour l’économie capitaliste Chinoise. Dans la recrudescence à venir de luttes ouvrières en Chine, les travailleurs du public, par leur contrôle de secteurs industriels clés, pourraient exercer une influence économique et politique disproportionnée par rapport à leur poids numérique.

Plus important encore, les travailleurs du secteur public Chinois peuvent profiter de leur expérience politique et historique unique. Avec l’aide des intellectuels socialistes révolutionnaires, les travailleurs du public Chinois peuvent devenir la force directrice de l’ensemble de la classe ouvrière Chinoise et apporter à l’avenir aux mouvements ouvriers Chinois une perspective clairement révolutionnaire et socialiste.

L’illégitimité des fortunes capitalistes Chinoises

Après trois décennies de transition capitaliste, la Chine est passée d’un des pays les plus égalitaires au monde sur le plan économique à un des pays les plus inégalitaires. Selon la Banque mondiale, en 2005, les 10% des ménages les plus riches détenaient 31% du revenu total Chinois, tandis que les 10% les plus pauvres ne détenaient que 2% du revenu total.

Les inégalités en termes de patrimoine sont encore plus scandaleuses. Selon le « Rapport sur la richesse mondiale », 0,4% des familles les plus riches contrôlaient 70% de la richesse nationale en Chine. En 2006, il y avait 3 200 personnes dont les possessions personnelles étaient estimées à plus de 100 millions de yuan (soit 15 millions de $). Parmi ces 3 200 personnes, près de 2 900, soit 90% étaient des enfants de hauts fonctionnaires gouvernements ou de responsables du Parti. Leurs biens cumulés étaient estimés à 20 000 milliards de yuan – soit environ la taille du PIB de la Chine en 2006.

Par les origines de la classe capitaliste Chinoise, une grande part de leur fortune provient du pillage des biens publics et collectifs accumulés durant la période socialiste. Ces fortunes sont très largement été considérées comme illégitimes par la population. Selon une estimation, durant le processus de privatisation et de libéralisation, près de 30 000 milliards de yuan de biens collectifs et publics sont passés entre les mains de capitalistes bénéficiant de relations solides avec le gouvernement. Un rapport récent a révélé qu’en 2008, ce qu’on appelle les « revenus gris » s’élevaient à 5 400 milliards de yuan, soit 18% du PIB de la Chine. Les auteurs du rapport estimaient qu’une très grande partie des « revenus gris » provenaient de la corruption et du pillage des biens publics.

Wen Jiabao, premier ministre Chinois, doit être un des premiers ministres les plus riches au monde. Son fils est le propriétaire d’une des plus grosses entreprises de capital-investissement (private equity). Sa femme s’occupe de l’industrie joaillière Chinoise. On estime que la famille de Wen a accumulé une fortune de 30 milliards de yuan (4,3 milliards de $). Jiang Zemin (ancien Président et secrétaire-général du Parti) posséderait une fortune de 7 milliards de yuan, et Zhu Rongji (ancien premier ministre) aurait une fortune de 5 milliards de yuan.

La corruption généralisée a non seulement sapé sérieusement la légitimité du capitalisme Chinois, mais elle a aussi entamé la capacité de la classe dirigeante à agir dans ses propres intérêts de classe. Sun Liping, sociologue éminent intégré au système, a récemment fait le constat que « la société Chinoise est en train de se décomposer à un rythme accéléré ». Selon Sun, les membres des élites dirigeantes Chinoises sont complètement motivés par leurs intérêts personnels, à court terme, de sorte que personne ne se soucie des intérêts à long-terme du capitalisme Chinois. La corruption est « hors de tout contrôle » et est devenue ingérable.

La prolétarisation de la petite bourgeoisie

Dans les années 1980 et 1990, la petite bourgeoisie (les techniciens et professionnels) a servi de principale base sociale à la politique pro-capitaliste de « réforme et d’ouverture ». Cependant, le creusement rapide des inégalités n’a pas seulement mené à la paupérisation de centaines de millions de travailleurs, mais il a également détruit les « rêves de classe moyenne » de nombreux petits-bourgeois.

Selon les statistiques officielles, environ un quart des étudiants Chinois diplômés dans l’année 2010 étaient au chômage. Parmi les étudiants diplômés l’année précédente, environ 15% restaient au chômage. Ces diplômés qui étaient « embauchés » devaient souvent accepter un salaire guère plus élevé qu’un travailleur migrant non-qualifié. Environ un million de diplômés (ramenés au chiffre des diplômés annuels de 6 millions) appartiendrait au « peuple des fourmis ». C’est-à-dire qu’ils vivent dans des conditions insalubres dans les banlieues des grandes villes Chinoises. La flambée des coûts du logement, des soins de santé et de l’éducation a encore plus remis en cause le statut économique et social de la petite bourgeoisie actuelle et potentielle, les poussant à renoncer à leur aspiration à un niveau de vie de « classe moyenne ».

Un diplômé a posté ses réflexions sur Internet sur sa « vie misérable ». Après des années de travail, il s’avérait qu’il ne pouvait pas se permettre d’acheter un appartement ou de se marier et d’élever un enfant. Le jeune homme se demandait :

« Pourquoi aurais-je besoin d’une petite amie ? Pourquoi aurais-je besoin d’avoir un enfant ? Pourquoi devrais-je me soucier de mes parents ? Changeons notre philosophie. Si nous ne soucions pas de nos parents, ne nous marions pas, n’avons pas d’enfants, n’avons pas besoin d’acheter d’appartements, n’avons pas besoin de prendre le bus, ne tombons jamais malades, n’avons pas de loisirs, ne déjeunons même pas, nous aurons peut-être le secret d’une vie heureuse ! Cette société nous rend fou. Nous ne pouvons même pas satisfaire nos besoins les plus fondamentaux. Avons-nous tort ? Nous voulons juste survivre. »

Alors que de plus en plus de petits-bourgeois connaissent la prolétarisation de leurs conditions économiques et sociales, un nombre croissant de jeunes se radicalisent politiquement.

Dans les années 1990, la gauche politique n’existait pratiquement plus en Chine. Mais durant la première décennie de ce siècle, la gauche Chinoise a connu un développement spectaculaire. Trois sites Web de gauche, Wu You Zhi Xiang (l’Utopie), Le drapeau de Mao Zedong, et le Réseau des travailleurs Chinois, ont acquis une influence nationale. Certains sites Web de l’idéologie dominante, tel que « Renforçons le forum national », un site d’actualité lié au quotidien officiel du Parti, le Quotidien du peuple, ont été dominés par les posts identifiables à des tendances politiques de gauche.

Les 9 septembre et 26 décembre 2010, les travailleurs dans des centaines de villes, et les étudiants dans près de 80 universités et de lycées Chinois ont organisé des rassemblements spontanés de masse pour commémorer Mao Zedong, souvent confrontés à l’opposition et à la répression des pouvoirs locaux. Lors du nouvel an Chinois 2011 (le 9 février), près de 700 000 personnes se sont rendus dans la ville natale de Mao, Shaoshan dans la province de Hunan, pour honorer sa mémoire. Compte tenu du contexte politique actuel en Chine, les commémorations spontanées en hommage à Mao Zedong sont, en fait, devenues des manifestations de masse anti-capitalistes.

Les limites du Capital, c’est le Capital lui-même

Le modèle Chinois d’accumulation de capital s’est appuyé sur tout un ensemble de facteurs historiques bien particuliers : l’exploitation sans merci d’une immense main d’œuvre bon marché ; l’exploitation massive des ressources naturelles et la détérioration de l’environnement qui en découle ; et un modèle de croissance dépendant de l’augmentation des exportations vers les marchés des pays du centre du monde capitaliste. Aucun de ces facteurs n’est viable au-delà du moyen-terme.

Sachant que les économies américaines et européennes sont aux prises avec la stagnation et seront confrontées à des crises potentiellement plus importantes à l’avenir, la Chine ne pourra plus compter sur les exportations pour tirer sa croissance économique. En outre, il est largement admis que le niveau excessivement élevé des investissements en Chine a conduit à des capacités de production massivement excédentaires, et a contribué à alimenter des demandes insoutenables en termes d’énergie et de ressources. La baisse du taux de rentabilité des capitaux pourrait éventuellement conduire à un effondrement des investissements et à une crise économique majeure. Ainsi, l’économie capitaliste Chinoise a besoin de se « ré-équilibrer » en promouvant la consommation intérieure. Mais comment cela peut-il se mettre en place sans entamer les intérêts fondamentaux de la classe capitaliste Chinoise ?

Actuellement, la consommation des ménages représente à peu près 40% du PIB Chinois, les dépenses de l’État 10%, l’excédent commercial 5% et l’investissement 45%. Les revenus des travailleurs salariés et des paysans ruraux s’élèvent à environ 40% du PIB. Ainsi, les revenus de la classe laborieuse correspondent à peu près à la consommation totale des ménages. Si l’investissement public est traité comme un élément du bénéfice capitaliste brut, alors le bénéfice capitaliste brut (ce qui équivaut au PIB moins les salaires et les dépenses de l’État) constitue environ 50% du PIB. Après avoir soustrait l’amortissement du capital fixe, le bénéfice capitaliste net est approximativement de 35% du PIB. Cette marge bénéficiaire capitaliste très élevée (ou encore un taux de plus-value très élevé) est la base politique et économique de l’accumulation rapide de capital en Chine.

JPEGDésormais, supposons que la Chine doive rééquilibrer son économie vers une économie tirée par la consommation. Le tableau 1 présente divers scénarios de possibles « ré-équilibrages » du capitalisme Chinois. Chaque scénario correspond à un ensemble de conditions bien particulières nécessaires pour stabiliser l’économie capitaliste (avec un taux de profit stable plutôt que déclinant). Par exemple, si le taux de croissance de la Chine devait chuter à 7% par an, alors pour stabiliser le rapport capital-production, les investissements devraient chuter à 36% du PIB (arrondi à 35% dans le tableau 1). Si on tient compte du fait que les principaux marchés d’exportation de la Chine (les États-Unis et l’Union européenne) stagneront très probablement à l’avenir tandis que les importations d’énergie et de matières premières de la Chine continueront à croître, la balance commerciale Chinoise devrait revenir à l’équilibre. Il s’ensuit que la somme de la consommation des ménages (salaires) et des dépenses publiques doit atteindre les 65% du PIB. Le bénéfice brut doit tomber à 35% du PIB, et le bénéfice net à 20% du PIB.

Donc, dans cet exemple, près de 15% du PIB doit être redistribué des profits capitalistes vers les salaires des travailleurs ou vers les dépenses sociales. Comment une aussi grande redistribution de revenus pourrait être réalisée, même dans les conditions politiques les plus idéales ? Quelle fraction de la classe capitaliste va sacrifier son propre intérêt pour le bien des intérêts collectifs de sa classe ? Étant donné l’origine corrompue et tout à fait illégitime de la fortune capitaliste Chinoise, se pose également la question de comment l’intérêt collectif de la classe capitaliste pourrait être défendu, même si la direction du Parti communiste décide de défendre les intérêts collectifs capitalistes. Par définition, les revenus et la richesse issus de la corruption ne sont pas soumis à l’imposition.

En un sens, le contexte historique actuel diffère radicalement de n’importe quelle autre période dans l’historie capitaliste. Après des siècles d’accumulation capitaliste incessante, le système écologique mondial est sur le point de s’effondrer et l’évolution de la crise écologique mondiale menace de détruire la civilisation humaine au XXIème siècle. En tant que premier consommateur mondial d’énergie et émetteur de dioxyde de carbone, la Chine est désormais au cœur des contradictions écologiques mondiales.

JPEGLa Chine dépend du charbon pour près de 75% de sa consommation d’énergie. De 1979 à 2009, la consommation de charbon de la Chine a crû à un taux annuel moyen de 5,3%, et l’économie Chinoise a crû à un taux annuel moyen de 10% (mais pour la dernière décennie, 1999 à 2009, la consommation de charbon Chinoise s’est accélérée pour atteindre 8,9% par an). Si on extrapole de façon généreuse, le taux de croissance futur de la Chine devrait être celui de la production de charbon, plus 5%. Selon les sources gouvernementales Chinoises, la Chine a des réserves de charbon de près de 190 milliards de tonnes. Le graphique 1 compare la production historique de charbon avec sa production future envisagée, en supposant que le charbon récupérable restant corresponde aux réserves officielles.

On estime que la production de charbon Chinoise devrait atteindre un pic en 2026 avec un niveau de production de 4,7 milliards de tonnes. Le taux de croissance de la production de charbon devrait ralentir pour atteindre 3,5% entre 2009 et 2020 ; 0,4% entre 2020 et 2030 ; - 2,5% entre 2030 et 2040 ; et – 4,8% entre 2040 et 2050. Le taux de croissance économique que cela implique serait de 8,5% pour les années 2010 ; 5,5% pour les années 2020 ; 2,5% pour les années 2030 ; et 0% pour les années 2040.

Donc, d’ici les années 2020, l’économie capitaliste Chinoise devra opérer une redistribution de revenus de l’ordre de 20% du PIB des profits nets vers les salaires pour préserver une économie capitaliste stable (voir tableau 1). D’ici les années 2030, le profit net capitaliste devrait passer sous la barre des 10% du PIB, et il n’y aurait pratiquement plus de marge de manœuvre pour de nouvelles redistributions de revenus.

La crise énergique imminente est juste une des nombreuses contradictions écologiques auxquelles est confrontée la Chine. Selon le rapport « Charting our water future », la Chine devrait avoir un déficit en eau de 25% d’ici 2030, puisque la demande croissante provenant de l’agriculture, de l’industrie et des villes dépasse de loin ses ressources limitées en eau. Si la tendance actuelle en Chine à l’érosion des sols n’est pas corrigée, elle pourrait avoir à supporter un déficit alimentaire de 14 à 18% d’ici 2030-2050. En conséquence du changement climatique et d’un accès à l’eau de plus en plus difficile, la production céréalière de la Chine pourrait baisser de 9 à 18% d’ici les années 2040

La victoire du prolétariat ?

L’humanité se trouve désormais à un tournant historique. Le fonctionnement du système capitaliste mondial n’aboutira pas seulement à la paupérisation permanente de milliards de personnes ; il mènera de façon quasi certaine à la destruction de la civilisation humaine. Cela soulève cette question historique-mondiale urgente : Sur quelle force l’humanité peut compter pour réaliser la révolution mondiale du XXIème siècle, donc à la fois socialisme et viabilité écologique ?

Marx s’attendait à ce que le prolétariat joue le rôle de fossoyeurs du capitalisme. Dans le cours actuel de l’histoire mondial, les classes capitalistes ont réussi à s’adapter aux défis posés par les classes laborieuses par le biais de réformes sociales limitées. Les classes capitalistes sont parvenues à ce compromis temporaire sur la base de la super-exploitation des classes laborieuses à la périphérie et l’exploitation massive des ressources naturelles mondiales et de l’environnement. Ces deux conditions se sont, désormais, épuisées. Dans la ou les deux décennies à venir, les classes laborieuses prolétarisées peuvent constituer, pour la première fois, la majorité de la population mondiale. Avec un phénomène de prolétarisation massive, les conditions historiques mondiales commencent à être réunies afin que, dans l’esprit de Marx, l’on se dirige vers la victoire du prolétariat et la chute de la bourgeoisie.

Premier producteur industriel et consommateur d’énergie mondial, la Chine est de plus en plus au centre des contradictions du capitalisme. L’analyse qui précède laisse entendre qu’après 2020, les crises économique, sociale, politique et écologique pourraient converger en Chine.

Compte tenu de l’héritage de la révolution Chinoise, les conditions historiques subjectives en Chine pourraient favoriser une solution socialiste révolutionnaire aux contradictions de la Chine. Une classe ouvrière du secteur public qui est sous influence d’une conscience socialiste peut potentiellement prendre le contrôle des secteurs économiques clés en Chine et jouer un rôle dirigeant dans la lutte révolutionnaire à venir. Une grande alliance de classe révolutionnaire peut se forger entre travailleurs du secteur public, travailleurs migrants et la petite-bourgeoisie prolétarisée.

En raison de la position centrale de la Chine dans le système capitaliste mondial, l’importance d’une révolution socialiste victorieuse en Chine ne saurait être trop soulignée. Elle briserait toute la chaîne mondiale capitaliste des marchandises. Elle renverserait le rapport de forces mondial de manière décisive en faveur du prolétariat mondial. Elle ouvrirait la voie à une révolution socialiste mondiale au XXIème siècle, et augmenterait considérablement les chances que la crise mondiale à venir se résolve dans un sens qui soit cohérent avec l’exigence de préservation de la civilisation humaine.

L’Histoire décidera si les prolétariats Chinois et mondial seront à la hauteur de leurs tâches révolutionnaires.

Voir en ligne : Par Minqi Li, pour la revue américaine marxiste Monthly Review, Traduction AC

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