Il faut dédiaboliser Chávez pour comprendre son oeuvre Entretien avec Ignacio Ramonet

, par  Danielle Bleitrach, Ignacio Ramonet , popularité : 2%

Dans son livre « Hugo Chavez, ma première vie », le journaliste et essayiste espagnol Ignace Ramonet a recueilli des témoignages sur la manière sont s’est forgé le leader vénézuélien devenu un mythe.

Dans l’une des conversations qu’Ignace Ramonet a eu avec Hugo Chávez, ce dernier lui a demandé combien de temps durait un discours d’un président français. Ramonet a répondu que, parfois dans des cas exceptionnel comme lors d’une campagne électorale, il pouvait durer une heure. « J’ai besoin d’au moins quatre heures seulement pour démarrer », a répondu le Président vénézuélien. De ce goût du monologue, ils ont tiré plus de 100 heures de conversation, à partir desquelles Ramonet a écrit "Hugo Chávez. Ma première vie", le livre que publie maintenant en Espagne Editorial Debate.

Chávez, le président qui a juré « de transcender le capitalisme par la voie du socialisme et toujours plus, dans une démocratie », s’est converti en tout un symbole des processus de changement qui arrivent en Amérique latine. Mais Ramonet ne traite pas de son œuvre comme le dirigeant de la Révolution bolivarienne qu’il a initiée quand il est arrivé au Gouvernement en 1998. Pour sa part, il préfère expliquer qui était Chávez avant de se convertir en symbole universellement connu, quelle enfance a été son enfance, comment s’est formé le leader qui, après avoir échoué dans une révolte militaire, n’a pas arrêté de gagner des élections jusqu’à sa mort le 5 mars 2013.

Dans son livre, il a retracé la première vie de Hugo Chávez jusqu’à ce qu’il gagne les élections de décembre 1998 et forme le premier gouvernement. Quelles sont les clés de sa biographie qui lui ont permis d’arriver à être président ?

Chávez est une énigme, un leader très exceptionnel. Il n’est nul besoin d’être politologue pour se rendre compte qu’il sort de la norme de tous les leaders latino-américains. Depuis Fidel Castro, il n’y a pas eu un dirigeant capable d’influer sur la problématique latino-américaine comme l’a fait Chávez. L’objectif du livre est d’aller chercher les sources qui l’expliquent, l’explication de comment s’est créé Chávez.

Quatre traits de son enfance expliquent ce phénomène. En premier lieu, et comme peu de gens le savent, Chávez a eu une enfance pauvre. Il a été un enfant paysan et un marchand de sucreries dans les rues. Pour lui la pauvreté est un état qui ne lui fait pas peur et qui, à la fois, est vécu comme une injustice profonde dans un pays si riche. La deuxième clé consiste en ce que, depuis l’enfance, il a le désir d’être un artiste, il veut être un peintre et un poète, il est créatif. Troisièmement, c’est un bon élève, un « bûcheur ». Il était toujours le premier à l’école primaire, dans le secondaire et à l’académie militaire. Évidemment, c’est un enfant qui a un quotient intellectuel hors norme. L’autre clé est sa passion pour le sport et la culture de l’effort qu’il en retire.

Jusqu’à l’âge de 18 ans, il n’est pas en contact avec la politique, il la découvre dans l’Académie Militaire. En réalité ce qu’il connaît bien depuis sa petite enfance est l’histoire populaire du Venezuela telle que la lui a racontée sa grand-mère, qui a une importance capitale dans sa vie. Avant tout, il était un autodidacte. Il a une formation académique et en même temps il sait faire de tout avec ses mains, grâce à son passé paysan et sa carrière militaire. Il sait cultiver du maïs et réparer un tank. Quand il a commencé à s’intéresser à la politique sa ligne principale était le nationalisme, l’idée que le Venezuela a été un grand pays, le libérateur de l’Amérique latine. Il en résulte qu’il s’attache à la figure de Simón Bolívar. Dans une certaine mesure, Chávez se voit comme le Bolivar du XXIe siècle, celui qui va entreprendre la deuxième libération de l’Amérique latine.

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Chávez rompt avec les formes classiques de la gauche en Amérique latine.

Chávez n’est pas issu de la tradition des partis, il surgit précisément quand les partis traditionnels s’écroulent. Son mouvement pour une Ve République naît autour des mouvements sociaux et populaires. Il est un militaire qui se soumet aux élections et arrive au Gouvernement avec un projet de régénération politique. Quand il gagne les élections, il n’est pas vu comme socialiste et il ne se présentera pas comme tel jusqu’à 2003 ou 2004, après le coup d’État de l’oligarchie. En principe, il est défini comme quelqu’un qui veut remettre le Venezuela debout, qui veut un État plus juste, une régénération politique. Bien qu’il passe des accords avec les partis politiques traditionnels de gauche, il n’en est pas issu, comme Raphaël Correa et Lula viennent du mouvement social, comme Evo Morales, dans une certaine mesure.

Comment réussit-il à provoquer l’enthousiasme et la reconnaissance des classes populaires vénézuéliennes ?

Il devient populaire du jour au lendemain. Il passe de l’incognito absolu à la popularité totale en quelques secondes. Cela arrive quand il est à la tête de la révolte militaire et qu’il intervient à la télévision, en parlant en direct. Dans son intervention, il dit à ses compagnons qui continuent de combattre de se rendre. Dans cette intervention que tout le pays regarde, il dit deux choses qui ont eu un grand impact sur tous les Vénézuéliens. La première, consiste en ce qu’il assume personnellement la responsabilité de la révolte. En ce temps-là, aucun homme politique n’assumait la responsabilité de ses fautes, tous les renvoyaient sur les autres. De ce fait, il apparaît comme un homme honnête. Le deuxième fait est dans ce « pour l’instant » qu’il prononce, et qui indique qu’il a l’intention de ne pas abandonner mais de recommencer.

Alors qu’il est déjà dans la prison, sur tous les murs apparaissent des slogans peints des « Viva Chávez ». Lors du carnaval qui intervient peu de semaines après, beaucoup de familles habillent leurs enfants avec l’uniforme militaire et le béret rouge qui le caractérisent. Son aspect est populaire, il ressemble à un Vénézuélien, chose qui n’était jamais arrivée à aucun dirigeant du pays. Il est un sang mêlé d’Indien, de Noir et d’Européen, les trois racines vénézuéliennes. Il parle comme un Vénézuélien, franchement et avec simplicité. Les gens ont vu dans lui un reflet de ce que nous pourrions imaginer comme le peuple idéal du Venezuela.

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Le livre traite d’une facette peu connue de Chávez, celle de l’intellectuel qui n’a jamais arrêté de lire et de se former théoriquement et politiquement. De quel type d’intellectuel s’agit-il ?

Chávez est avant tout une personne qui aime lire et aussi un autodidacte. Pendant qu’il se forme à l’Académie Militaire, il prépare un doctorat qu’il n’a jamais présenté, mais il écrit une thèse sur les transitions, dans laquelle il s’intéresse en particulier à l’espagnole. Évidement comme beaucoup d’autodidactes, il a une formation un peu chaotique : il lit en fonction des livres qui lui tombent sous la main. Parmi ceux-ci, il y a les œuvres de Marx, de Lénine, du Che Guevara ou des théoriciens de la Révolution chrétienne. De plus, il a la chance d’avoir quelques professeurs de grande qualité. Il se forme à leur contact et devient professeur dans l’université de théorie et de pratique militaire. Peu à peu, il se forme une conception bien précise de ce que doit être un gouvernement qui est au service du pays.

En attendant, après la révolte militaire, il est en prison qu’il transforme en espèce d’université. Il a sollicité des professeurs pour qu’ils donnent des cours de lecture, des exposés sur les livres… Ils utilisent la prison comme une faculté complémentaire. Chavez allait toujours avec deux ou trois livres sous le bras et quelques crayons. D’une façon surprenante, Nietzsche lui plaisait beaucoup, il citait toujours Zarathoustra.

Il a été accusé d’avoir donné un rôle excessif aux militaires dans le gouvernement

C’est vrai. Il est issu de l’armée, c’est un homme qui connaissait bien les forces armées. Pour lui l’académie militaire a été la principale école de vie, de formation politique et de dirigeant. Évidemment, il estimait que l’armée vénézuélienne était corrompue, vendue, aliénée, au service de l’impérialisme, dirigée par les fonctionnaires nord-américain installés au sein de l’état-major. Mais dans cette même armée, c’est là où il va construire diverses structures d’appui à la rébellion militaire.

Après sa sortie de prison, Chávez a décidé d’aller aux élections, contre l’avis de beaucoup de ses compagnons qui continuaient de parier sur la voie militaire. Il entre dans le jeu démocratique, mais en s’appuyant sur l’Armée, qu’il met au service du peuple, en utilisant toutes ses ressources et infrastructures pour les politiques sociales. Dans les pays du Sud, où une grande partie des administrations publiques ne fonctionnent pas, l’Armée est une institution efficace. Il s’appuie sur les militaires, oui, mais quand il va constituer son premier gouvernement, il le fait sur la base des partis de gauche existants, ceux qui l’avaient appuyé et ceux qui ne l’avaient pas appuyé. Il n’y a pratiquement pas de militaires à ce moment-là dans l’exécutif. De plus, c’est la même armée qui lui inflige un coup d’État en 2002.

Nous voyons sa lucidité révolutionnaire et démocratique quand il désigne son successeur, Nicolas Maduro. Il pourrait choisir un militaire, ce qui aurait été le plus simple. Mais il choisit la voie la plus difficile, il choisit un civil et quelqu’un qui n’a même pas de grande responsabilité dans le parti. Parce qu’il sait que la continuité de la Révolution exige que les militaires obéissent au civil.

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Les médias ont joué un rôle important dans l’opposition envers Hugo Chávez, au Venezuela et dans le reste du monde. Toutes les grandes entreprises et conglomérats de la communication ont essayé de le discréditer. Comment expliquez vous ce phénomène ?

Le même phénomène existe dans d’autres pays ayant des processus semblables, les médias attaquent aussi Correa, Evo Morales, Cristina Fernández et Lula et Dilma. Le Venezuela, fut le premier pays, à avoir été transformé en exemple du fait que « le Gouvernement veut contrôler les médias ».

Quand Chávez triomphe en 1998, les deux partis qui ont alternativement gouverné au Venezuela depuis 40 ans s’écroulent. Après avoir perdu les élections avec des résultats catastrophiques, les conservateurs de Copei et les social-démocrates d’Action Démocratique ont perdu tout le prestige. Alors, la fonction de l’opposition est assumée par les médias, les grands journaux et les télévisions.

Ce sont les médias qui impulsent le coup d’état contre Chávez en 2002. La télévision manipule les images en montrant que des tireurs chavistes s’en prennent aux manifestants de l’opposition. Ce qui fait qu’il y a beaucoup de militaires qui disent : « Nous ne pouvons pas permettre que Chávez tire sur le peuple ! » et se joignent au coup d’État. Plus tard il a été prouvé que les tireurs étaient des mercenaires payés par les putschistes. A ce moment, une assemblée civile assume le pouvoir avec tous les grands entrepreneurs du pays ; est nommé président, le dirigeant du patronat, et tous les maîtres des médias appartiennent à ce milieu et sont encensés par les golpitas. 48 heures après, Chávez revient au pouvoir. Et, bien que ces médias soient ceux qui ont promu le coup, il ne les interdit pas. Comme démocrate convaincu, il leur permet de poursuivre leur travail. Ces médias ont continué à conspirer jusqu’à aujourd’hui. Ils sont tous violemment antichavistes. Ce qu’a fait Chávez ça a été de développer des alternatives, comme la télévision publique ou les médias communautaires.

El PaÏs a titré en Espagne, le jour où ils ont démis Chávez, « La chute d’un caudillo », le mot caudillo ayant en Espagne un sens très concret. Comment est-ce que l’on peut qualifier Chávez de Caudillo ? C’est absurde. Précisément dans ce pays où les militaires ont fait chuter la République.

Après sa mort qu’est-ce que le Venezuela a conservé de Chávez ?

C’est un Venezuela très différent de celui qui l’a vu arriver au pouvoir. C’est un Venezuela dans laquelle 10 millions de citoyens sont sortis de la pauvreté et dans lequel il n’y a plus d’analphabétisme. C’est un Venezuela avec le plus grand nombre d’étudiants dans les amphis des écoles et des universités que tous les pays latino-américains. C’est le pays qui a créé un système public de santé, qui n’existait pas. C’est un pays qui grâce aux missions a réparti un bien-être entre toute la population. C’est un pays qui cette année va distribuer 325.000 logements aux familles les plus humbles. Un pays qui a créé un système de pensions pour ceux qui n’ont pas pu cotiser pendant des années, comme les travailleurs précaires et les femmes au foyer. C’est un pays en pleine construction d’infrastructures : ils construisent des chemins de fer, des métros et des aéroports. C’est un pays qui construit un État de bien-être et paie sa dette sociale, en utilisant les ressources du pétrole pour essayer d’élever la société à un niveau de citoyenneté qui corresponde à une puissance, comme le voulait Chávez. C’est le pays qu’a laissé Chávez.

Est-ce un pays sans problèmes ? Non, tel n’est pas le cas. Bien que la presse donne toujours une image chaotique du Venezuela, ses citoyens n’ont jamais vécu mieux que maintenant. De fait, beaucoup des bénéficiaires de ces mesures sociales aujourd’hui forment déjà une classe moyenne et la classe moyenne on le sait ne vote pas de la même manière que les classes populaires. Électoralement, nous allons voir le changement.

Pourquoi cette figure est-elle si difficile à comprendre depuis l’Europe, y compris par les progressistes ?

Qui est Chávez ? Il est l’homme qui a porté un coup d’État au président de l’Internationale Socialiste, Charles Andrés Pérez. Évidemment, il y a toute la social-démocratie derrière lui. Quand ce dernier a gouverné le Venezuela, il a été dessaisi par un tribunal pour corruption. Une partie de cet argent a servi à aider beaucoup de Partis socialistes, et parmi ceux-ci le parti socialiste espagnol.

Charles Andrés Pérez était-il un socialiste ? Probablement comme Mubarak, qui était aussi président de l’Internationale socialiste. Ou aussi socialiste que Ben Alí, qui a été vice-président. Un socialiste qui a été l’un des dirigeants les plus corrompus de l’histoire du Venezuela, un homme qui a conduit une répression brutale contre la gauche vénézuélienne en étant ministre de l’Intérieur avec Rómulo Betancourt. Il était un socialiste qui n’avait rien de socialiste. Le problème de Chávez a été d’expliquer aux social-démocrates européens que le vrai progressiste, c’était lui et pas ce dirigeant corrompu qui servait seulement à l’oligarchie et qui a été celui qui a introduit le paquet néolibéral qui a conduit à l’insurrection de 1989, le Caracazo. Pour beaucoup de gens Chávez ne peut pas être de gauche parce qu’il s’est opposé à un social-démocrate.

Le modèle bipartiste sorti de la transition après la chute de la dictature militaire était complétement épuisé, des scandales de corruption dans les partis, la crise économique, l’augmentation de la brèche entre pauvres et riches produite par des politiques néolibérales, un pays noyé par la dette et quelques gouvernements obéissants au FMI. C’est le Venezuela au début des années 90. Un scénario similaire, malgré de grandes différences, qui existe dans quelques pays d’Europe. Est-il possible que surgissent aussi en Europe de nouvelles forces politiques qui rompent avec le modèle comme cela s’est passé en Amérique latine ?

Il y a quelques organisations politiques de gauche, critiques de la situation qui existe en Europe qui commencent à s’intéresser aux modèles latino-américains. Alexis Tsipras, le leader de la Syriza grecque, est un homme qui ne cache pas son admiration par Chávez et il l’a cité dans quelques occasions. En France, Mélenchon dirige le Front de Gauche et il ne cache pas qu’il admire Hugo Chávez. Il ne s’agit pas d’imiter évidemment Chávez, parce que les réalités sont très différentes. Mais il y a de plus en plus de similitudes.

La crise est un prétexte pour démanteler l’État providence. Chávez est la démonstration de ce que l’on peut construire cet État du Bien-être, que l’on peut y croire. Il ne s’agit pas d’imiter ce qui est fait en Amérique latine, mais de s’inspirer de quelques solutions qui ont été les siennes. Pourquoi est-ce que nous élisons des présidents si, quand ils sont élus, ils se limitent à prendre le téléphone et demander à Bruxelles ce qu’il faut faire ? Eux aussi ont subi cette crise de la démocratie. L’une des fonctions du livre est de dédiaboliser Chávez pour comprendre son œuvre.

Luis Giménez San Miguel / Público

Traduit par Danielle Bleitrach pour histoireetsociete

Voir en ligne : Sur le blog histoire et société de Danielle Bleitrach

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