Grèce, été 2015 : le plan B d’Eric Toussaint et après (Keynes ou Marx ?)

, par  Henri Guarinos , popularité : 1%

Sur le mode "ce qu’il aurait fallu faire", on peut lire et entendre bien des réflexions politiques consécutives aux "accords" extorqués par la Troïka au premier gouvernement européen qui avait pourtant été élu "contre l’austérité" – mais peut-être pas encore élu pour prendre le contrôle des banques privées, ni pour supprimer les outils d’extraction des dividendes ou ceux d’ingénierie de l’usure. Se poursuit donc, mais avec des faits, le débat sur le capitalisme, sa réformabilité ou sa suppression. Ces réflexions prolongent souvent celles engagées dès la victoire électorale de Syriza le 15 janvier et ont connu leur apogée au moment du référendum. Le point commun de ces approches c’est leur technicité économique et ce au détriment de l’attention à la dynamique politique du mouvement de masse. Le débat entre les tenants de la sortie de l’Euro et ceux qui considèrent le "grexit" comme l’objectif essentiel de l’Allemagne a, par exemple, enflammé les colonnes alors que Marx, à son époque déjà, mettait en garde la réflexion politique contre « le fétichisme de la monnaie ».

Le processus d’approfondissement des raisons de lutter du peuple grec et l’intelligence de classe qui en a émergé lors de la confrontation avec l’oligarchie financière ont pour leur part été beaucoup moins envisagés. C’est au détour d’un exposé essentiellement consacré aux techniques et stratégies d’un "plan B", qu’Eric Toussaint révèle, dans un témoignage bien documenté, l’évolution des contradictions de classe lors de l’affrontement en cours. On y apprend certes que le Plan B comporte l’audit sur la légitimité de la dette (règlement 472…), le contrôle du système bancaire, la monnaie électronique intérieure…, mais on y apprend surtout que Tsipras et même Varoufakis se méfient de la partie du peuple qui pourrait pousser à affronter les créanciers et que deux conseillers déterminants du gouvernement Tsipras sont issus du lobby bancaire. On y apprend aussi que la confrontation avec la Troïka a été, pour le peuple grec, un vrai révélateur des enjeux de classe et que l’ampleur du vote "Non" a surpris ceux-là mêmes qui l’avaient provoquée par tactique alors qu’ils espéraient pouvoir s’exonérer de sa signification anticapitaliste. Autrement dit, c’est bien la lutte qui crée la classe et qui révèle la véritable trajectoire des lutteurs. En cette fin d’été 2015, c’est cette nouvelle disposition des forces et surtout la nouvelle perception que peuvent en avoir les salariés européens qui travaillent les consciences de classe.

JPEG Il faut dire que les acteurs y mettent du leur : de la Troïka qui place un colon-espion dans chaque ministère grec sauf celui de la répression sociale, à Varoufakis qui "fait le buzz" avec Montebourg, en passant par Juncker qui enterre la démocratie, les salariés qui veulent évaluer le niveau d’énergie nécessaire pour enrayer puis abattre la machine à produire les dividendes ont matière à réflexion et conscience de classe en suspension. Cette réflexion ne peut plus se permettre les raccourcis faciles du genre "Tsipras est un traitre" ou "les allemands sont des Allemands" ; contourner l’analyse de classe et porter des jugements en termes de nature (éternelle) ou de vérité (éternelle) ou de position juste (éternellement) fait un peu plaisir au porteur, mais risque aussi de l’aveugler sur les contradictions vivantes productrices de réel (du moins selon les marxistes, mais eux savent qu’ils n’ont pas la Science éternelle !).

Peut-être Tsipras ne savait-il pas, avant le mouvement, qu’il avait, en réalité, plutôt envie de protéger les banques privées que de les contrôler. De même pour le peuple grec ; comment en est-il venu à voter "Non" à 62% (dont une large majorité de jeunes), soit en sens inverse de ses votes deux ans avant ?

Quoi qu’on pense de Syriza, c’est bien la petite quantité initiale de mouvement unitaire anticapitaliste introduite par cette formation, qui a amorcé les transformations actuellement en travail politique : en témoignent en Grèce la scission de Syriza et le déplacement très à gauche de la césure – Europe des dividendes/Europe des salariés –, césure dont on peut parier qu’elle va s’imposer comme ligne de front européenne dans les mois qui viennent et déjà lors des élections du 20 septembre en Grèce. En témoignent aussi en France, mais seulement encore à un niveau déclaratif, la redistribution des positions ou des postures exigées par l’épreuve des faits grecs, que ce soit dans le Front de Gauche ou chez les socialistes/écologistes.

On peut espérer que cette redistribution permettra d’asseoir une stratégie plus consistante que celle qui prône "l’Europe sociale" ou "le partage des richesses".
Peut-être même parviendrons-nous à initier une envie de mobilisation créatrice de classe parmi ceux qui ont le plus à perdre au statu quo ; peut-être parmi les jeunes grecs, et/ou les jeunes espagnols, portugais… tous menacés par la misère à vie, l’exil, un "Chicago boy" à la Pinochet, le désespoir de mettre en œuvre leur qualification et pourtant ils avancent partout, en traçant leur propre chemin, vers l’idée de récupérer la société pour ceux qui la produisent. De ce point de vue, le choix des jeunes communistes français de revendiquer pour tous les jeunes le salaire versé par une caisse socialisée type Sécurité sociale et ce, au nom de la qualification comme critère social fondamental, ce choix de combat a été la meilleure nouvelle de l’été. D’autant plus qu’aucun des commentateurs de l’été grec n’a envisagé, dans la panoplie des solutions techniques, celle de la caisse de salaire socialisé imposée comme solution politique par un mouvement de masse des bénéficiaires. Les jeunes grecs puis, par extension de la lutte, les jeunes européens auraient pourtant pu enfoncer ainsi dans l’Euro des dividendes, un coin décisif ; dans une caisse socialisée européenne, ce serait du salaire qu’on y trouverait, et pas du Capital ! C’est même pour cette raison que la bourgeoisie française s’acharne sur la sécurité sociale depuis le début ; c’est pour récupérer en Capital ce salaire qui lui échappe, qui freine, sous le nom de "charge" sa course au profit. Les jeunes pourraient ainsi récupérer en même temps que le salaire socialisé, le récit résistant du CNR pour une vie digne puisque productrice consciente de valeur sociale, récit aujourd’hui occulté par celui du "marché du travail". Le salaire à vie, en commençant par celui des jeunes qui se qualifient, initierait une reconquête de classe mobilisatrice à la hauteur de l’agression subie par toute l’Europe en Grèce cet été. Lié à la qualification, ce salaire restituerait démocratiquement et immédiatement (le capital c’est le pouvoir de différer la valeur dans le temps !), par cotisation et caisse type A. Croizat, une juste part de la valeur ajoutée par le travail des salariés. La sécurité sociale française a été édifiée sur ce principe dans la France dévastée par l’occupation et le pétainisme. Cet autre récit politique, celui du CNR, pourrait être aussi celui qui détricote d’un seul coup le récit de "l’argent qui travaille", du "time is money", "de la main invisible du marché" à "l’œuvre" (!) dans le "marché du travail"… Le tout "libre" comme le "libéralisme" alors même qu’il superpose marchandises et salariés dans le circuit de la marchandise, autrement dit, pour la réalisation du Capital.

Sans compter que le récit du travail qui libère et crée la démocratie se substitue à la mythologie cannibale et pseudo darwinienne de la lutte de chacun contre tous qui conduit tout droit à la colonisation à l’extérieur et à la rivalité des égoïsmes et des frustrations à l’intérieur.

Non ! Manger de l’homme sous la forme travail n’est pas le fin mot de L’Histoire. Il est temps pour la planète surchauffée de concurrence que le récit de la paix et de la raison démocratique l’emporte sur celui qui profite, à 1% de cannibales.

Henri Guarinos

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