39e congrès du PCF
Communisme déjà là et socialisme nulle part ...(1)

, par  Franck Marsal, Jean-Paul Legrand , popularité : 1%

Bernard Vasseur, avec d’autres, défend la thèse d’un « communisme déjà là », dans les pays capitalistes développés. Selon cette thèse, il suffirait que nous soyons dans une société capitaliste aux forces productives extrêmement développées pour que les hommes puissent envisager de passer au communisme dans un avenir proche. Cette solution du « communisme déjà là » et finalement presque abouti permettrait d’éviter la phase du socialisme, dont Bernard Vasseur nous explique qu’elle n’est ni nécessaire, ni souhaitable, qu’elle a même échoué et qu’elle aurait même été une sorte de déformation de la pensée de Marx comme si Marx avait tracé les contours d’une société idéale et que la construction d’une société en rupture avec le capitalisme devait suivre un mode d’emploi évitant cette déviation. 

Ainsi, dans une interview, Bernard Vasseur déclare : "En 1848, Marx et Engels ont bien écrit le Manifeste du Parti communiste. Par la suite on s’est réclamé du socialisme mais, selon moi, il y a une différence d’ambition et de moyens politiques entre les deux. Par exemple, le socialisme souffre de sa croyance dans l’État comme moteur de la dynamique sociale, pas le communisme. Le communisme selon Marx n’a jamais été essayé." Or c’est dans ce même ouvrage que Marx et Engels font la critique des socialistes utopiques qui présentaient le socialisme comme une société idéale. Un tel exposé porte un réductionnisme de la pensée de Marx qui interroge. Bernard Vasseur oublie qu’il n’ y a jamais correspondance directe entre l’état matériel des forces productives et l’état de la pensée, ou autrement dit de l’idéologie des hommes. Il y a toujours un décalage qui se règle, se réduit dans la lutte des classes, par l’appropriation des hommes de leur expérience de classe et cela progressivement. Progressivement 

Par conséquent, si l’idée que le communisme frappe à notre porte est séduisante, en raison de la socialisation poussée des forces productives dans le capitalisme, on est loin d’une socialisation de la propriété et de la gestion de ces moyens de production, qui nécessite un très haut niveau de conscience - et de pouvoir - non seulement technique mais politique des travailleurs. On est au contraire dans une phase du capitalisme où les avancées sociales qui sont issues de conquêtes du mouvement ouvrier sont chaque jour remises durement en cause voire détruites. Nous ne devons pas sombrer dans l’idéalisme, qui consisterait à dire que les conditions sont d’emblée existantes pour construire le communisme. Elles le sont en partie du point de vue des potentialités du travail, mais elles restent hypothétiques quant à l’idéologie nécessaire pour une maîtrise politique des moyens de production par la classe ouvrière, par l’ensemble du monde du travail.

Il faut un certain temps historique pour que les idées des hommes s’accordent au nouveau car l’ancien, l’idéologie dominante perdure encore même après des conquêtes du mouvement populaire. De plus, il est très paradoxal de rejeter les expériences socialistes existantes ou ayant existé, et de se situer dans du "communisme déjà là" dans les grands pays capitalistes. En regroupant sous un même qualificatif de "socialiste" la social-démocratie et les expériences menées à la suite de la révolution russe, suivie par la révolution chinoise, la révolution cubaine et la victoire du Vietnam sur les Etats-Unis (pour ne citer que les principaux exemples de révolutions socialistes du 20e siècle), Bernard Vasseur joue un drôle de tour de passe-passe. On donne l’impression que Lénine, les révolutionnaires russes, les chinois, cubains ou vietnamiens, seraient plus proches de la social-démocratie européenne que de Marx. C’est pourtant Lénine et ses partisans qui, précisément, font la critique la plus sévère de la social-démocratie. La révolution faite, un des premiers actes de Lénine est de reprendre l’idée du communisme : il crée l’Internationale Communiste, et son parti, issu du Parti Ouvrier Social Démocrate Russe, deviendra le Parti Communiste de l’Union Soviétique. De même, c’est bien le Parti Communiste Chinois qui vaincra l’occupant japonais et fondera la République Populaire de Chine. Pour parvenir à surmonter cette contradiction.

Bernard Vasseur s’en prend à "l’étapisme" : On aurait voulu considérer qu’une société socialiste était une étape nécessaire avant le communisme alors que la solution serait d’envisager directement le communisme. Il faudrait renoncer à toute étape et viser directement le communisme. Mais comment déjà dépasser le capitalisme sans rupture avec lui ? Sans que cette rupture ne se fasse par des luttes progressives, difficiles, conflictuelles et durables ? Sans que les classes dominantes résistent au nouveau ? Et comment qualifier cette société en transition, qui n’est plus capitaliste, mais qui n’est pas encore le communisme ? Dans cette société en transition, la révolution est en œuvre, et son pendant est la contre-révolution. Bernard Vasseur élude cette question qui est pourtant au coeur de toutes les expériences révolutionnaires : celle de la contre-révolution et de la lutte de classe devenue corps à corps entre la révolution et la contre-révolution. S’il n’y a ni processus révolutionnaire, ni étapes, construit-on le communisme en un jour ? Bernard Vasseur nous dit, dans la même interview, "Le communisme, c’est la visée de l’émancipation humaine. Alors ce n’est certes pas le grand soir, mais c’est bien une révolution. C’est l’idée d’un changement d’ère de l’humanité, où chaque être humain décide individuellement et collectivement de se battre pour maîtriser sa vie et décider de son travail". Voilà comment, selon Bernard Vasseur, le communisme peut être "déjà là", sans étape, déjà là dans la société capitaliste.

Le communisme de Bernard Vasseur est un communisme de visée. Il n’est pas nécessaire de renverser le capitalisme, pas même de commencer à renverser le capitalisme, ce serait une étape et l’étapisme est condamnable. Cela risquerait de nous mener à l’échec. Il suffit que "chacun décide individuellement et collectivement de se battre pour maîtriser sa vie et son travail". Dès que le combat commence, dès même que l’idée du combat se forme dans notre tête, le communisme est "déjà là". En fait, le communisme, il suffit d’y penser très fort et il est "déjà là". Pensée magique d’un communisme "sans échec possible". Mais qu’on ne s’avise pas d’aller plus loin, de prendre le pouvoir et de transformer la société, car alors, la réalité du mouvement perd son caractère pur et idéal, parce que le « communisme » de Bernard Vasseur est bien idéalisé et ne tient absolument pas compte des conditions concrètes de chaque nation pour rompre avec le capitalisme.

C’est pourquoi, pour lui les révolutions du 20e siècle sont des échecs, sans même les avoir analysées, sans même avoir perçu comment elles ont façonné le monde dans lequel nous vivons : mit fin à la 1re guerre mondiale, libéré l’Europe des vieux empires autocratiques, contribué de manière prépondérante à vaincre le nazisme, à établir que ce l’on peut considérer en France et dans d’autres pays comme les institutions les plus avancées socialement, notamment la sécurité sociale, comment elles ont sorti les 3/4 de l’humanité des chaînes du colonialisme. Car, jamais le réel ne peut être à la hauteur d’un idéal de pensée. Entrer en lutte réelle, pour exercer le pouvoir et transformer la société, c’est plonger ses mains dans les entrailles ouvertes de la société. Même lorsque ce sont des dizaines de millions de mains qui créent ensemble l’impensable, ce ne peut être comparable à la pureté de la visée. Cette pensée au fond n’est pas propre à Bernard Vasseur. Elle est le propre de l’idéologie dominante du "capitalisme démocratique". Le socialisme et le communisme sont des échecs car ils ne sont pas parfaits. Le capitalisme n’a pas besoin d’être parfait, il est. Passer de l’un à l’autre, c’est affronter le réel. Bernard Vasseur préfère viser l’après. 

Pour étayer sa démonstration, Bernard Vasseur cite souvent Marx qui explique que "le libre développement de chacun est la condition du développement de tous". Toute personne qui s’intéresse un peu à Marx a intégré cette réflexion. Mais cette question ne peut être sortie du contexte précis dans lequel elle se trouve, à la fin du 2e chapitre du Manifeste. Pensons nous réellement que la condition des salariés aujourd’hui même, avec des forces productives développées comme jamais dans l’histoire permet le libre développement de chacun ? Bien sûr que non et donc pour y parvenir, il va falloir que les producteurs deviennent propriétaires, se saisissent des moyens de production et deviennent maîtres des rapports de production. Ils devront faire l’apprentissage des gestions techniques, économiques et sociales de ces outils, les transformer profondément même, pour en faire des outils et des rapports pour la société, "pour le libre développement de tous", et non plus pour l’accumulation privée du capital. Produira-t-on encore des voitures de luxe et des jets privés au détriment des moyens de déplacement de tous par exemple ? Certainement pas. C’est pourquoi Marx conditionne ce libre développement de chacun au moment où les différences de classes disparaîtront, où toute la production, socialisée, débarrassée des critères de rentabilité du capital, des stigmates de la société de classe, sera concentrée entre les mains des travailleurs associés. A ce moment, les pouvoirs publics perdront leur caractère politique et deviendront un outil de développement. C’est à dire que Marx envisage bien un processus de transformation, qui commence avec la prise du pouvoir par les travailleurs, et qui s’achève par la transformation progressive de l’État dans son abolition comme instrument de coercition.Ce processus, qu’on le veuille ou non, ne peut se constituer que dans la lutte des classes, et nécessairement par la domination de la classe anciennement dominée (les capitalistes). Peut-on penser un seul instant que, même avec des forces productives extrêmement développées, avec des producteurs dirigeant l’Etat, la classe capitaliste disparaîtra comme par enchantement ? Qu’il ne sera pas nécessaire d’avoir un moment historique de lutte, pour combattre, dans les relations sociales, dans l’idéologie ce que Bernard Vasseur évoque sous le terme d’aliénation 

Ce moment historique de la lutte de classe est nommé par Marx lui-même et par les marxistes le "socialisme" et rappelons le, ce terme n’a rien à voir avec la politique que le Parti Socialiste (en France) a mise en place et qui n’est qu’un aménagement libéral du capitalisme. Les marxistes l’ont nommé socialisme justement parce qu’ils n’abandonnent aucunement le communisme. Ils voient le communisme comme le but (il n’est donc pas "déjà là", ça se saurait). Ils savent que l’atteinte de ce but nécessite de profondes transformations et de se confronter à tout ceux qui, par intérêt de classe ou par survivance de l’idéologie ancienne s’opposent aux changements. On socialise ce qui est privé pour parvenir à la société du commun. Ainsi, la pensée de Bernard Vasseur est profondément idéaliste. Elle ignore les aspects fondamentaux de la persistance des anciennes idéologies dans les phases de transition d’un mode à l’autre, la profondeur des transformations sociales, économiques, techniques, politiques à réaliser pour que chaque individu puisse s’émanciper en participant à l’œuvre collective, dans les phases de transition d’un mode social à un autre. Elle nie la nécessité de la lutte durant cette période, sur ce terrain éminemment politique et donc elle nie la nécessité de l’organisation du prolétariat en parti pour mener ce combat et ces transformations, pour créer une nouvelle culture, dans laquelle notamment la classe qui travaille, qui produit, est reconnue comme légitime à diriger la société, parce qu’étant la classe capable de subvenir aux besoins de la société. Elle rejette sans appel, sans absolument rien en retirer, toutes les expériences révolutionnaires, socialistes et communistes, pour se réfugier dans un "déjà là" en pensée. 

Nous poursuivrons dans une deuxième contribution notre réflexion selon laquelle les conquêtes sociales dans le capitalisme ne sont que des préfigurations bien fragiles de ce que pourrait être un début de socialisme et non le « communisme déjà-là » car pour avancer vers le communisme il faudra assurer politiquement et préalablement la domination démocratique de la classe des producteurs sur la grande bourgeoisie par la conquête du pouvoir d’État. Ces constructions historiques qu’entreprennent déjà certains peuples avec les communistes comme en Chine ou à Cuba ne peuvent et ne doivent pas être idéalisés mais observées, pour les marxistes que nous sommes, dans leurs contradictions qui se confrontent à l’impérialisme. La France n’y échappera pas si son peuple décide de suivre la voie démocratique de la transformation sociale et donc de la rupture avec le capitalisme. Mais est-ce bien notre projet à nous les membres du PCF de rompre avec le capitalisme ? Nous disons bien rompre car il s’agit d’un moment fondamental du processus révolutionnaire dans le mode de production et dans les superstructures de la société, un moment de combats intenses de la lutte des classes et non une idéalisation, un moment historique qui vise à ce que l’on ne revienne pas en arrière, que le capitalisme ne reprenne pas le dessus. C’est donc bien une phase historique transitoire dont il s’agit que nous nommons avec Marx et Engels : le socialisme . 

Jean-Paul LEGRAND et Franck MARSAL

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