Comment les médias occidentaux ont reconstitué le front anti-bolchevique à propos de l’Ukraine

, par  Danielle Bleitrach , popularité : 1%

La manipulation de l’histoire pour légitimer l’assaut de l’OTAN

Comme toujours quand un événement politique me confronte à un pays, une histoire, qu’il m’est arrivé de traverser dans ma vie, je suis stupéfaite par le travail opéré par les médias. Et en suivant leurs affirmations, je commence un travail de rectification et je termine en général dans une bibliothèque où je découvre ce que je subodorais, l’ampleur de leur inculture et le culot avec lequel ils ne craignent pas de manipuler le passé pour mieux nous imposer la conquête de leur camp. Le choc initial infligé par leurs propos est le plus souvent lié à mes engagements, au fait que l’on détruit ou l’on tente de détruire dans la mémoire ce que fut le communisme, à ceux que j’ai côtoyé au cours de mes voyages, mais peu à peu je découvre que pour extirper le communisme, que pour mener à bien leur légitimation de l’action de l’OTAN et leur entreprise de diabolisation, la manipulation de l’Histoire remonte aux origines, nous empêche de comprendre ce qui caractérise justement la recherche historique, la découverte des eaux mêlées, du mélange des influences, de leurs transmutations. Et je dois dire que cette affaire ukrainienne, de ce point de vue, a été une entreprise de révisionnisme d’autant plus fantastique qu’elle était également menée par ceux qui auraient du le moins intervenir en ce sens, des juifs, des israéliens ou des inconditionnels d’Israël qui, pour appuyer le projet otanesque des États-Unis, se sont livrés à une entreprise de blanchiment du nazisme que l’on peut décliner au passé, au présent et sans doute au futur.

Mais il ne s’agissait pas seulement de la seconde guerre mondiale, j’ai vu pire, la tentative de construire une mémoire occidentale à l’Ukraine qui s’opposerait à la russification imposée par Staline et Poutine son successeur, toujours selon nos médias. J’étais stupéfaite par le choix des reportages d’Anne Nivat en Crimée, elle ne donnait la parole, fut-ce dans une voiture, qu’aux tenants du gouvernement ukrainien, son propos était de montrer qu’ils étaient empêchés de parler, rien sur la majorité, sur ce qu’éprouvaient ces gens qui souhaitaient leur indépendance. Anne Nivat poursuivait sa lutte contre Moscou, il ne s’agissait plus de la Tchétchénie, dans laquelle on pouvait penser que le sentiment national incitait à l’indépendance, non il s’agissait de la Crimée où visiblement le sentiment national invitait au rattachement à la Russie, mais visiblement ce qui commandait le reporter restait la même problématique, dénoncer la "dictature" de Moscou.

Les célèbres escaliers d’Odessa dans le Potemkine d’Eisenstein.

Faire de l’Ukraine une réalité occidentale opposée à la "russification" en tronquant la deuxième guerre mondiale

Mais la rupture avec cette journaliste s’est opérée quand elle a prétendu nous inviter à lire un spécialiste de géopolitique qui sans les moindres connaissances historiques expliquait que l’Ukraine était occidentale et opposée dans sa culture aux Moscovites qui étaient des brutes cherchant à la dominer et ce, depuis les origines. A savoir la principauté de Kiev. Là j’ai craqué et je lui ai dit ce que je pensais de sa manipulation historique, ayant été à l’origine historienne, médiéviste, j’étais stupéfaite par un choix aussi peu conforme à la réalité de ce qu’on sait sur cette zone et ce bien avant la deuxième guerre mondiale où l’on assiste à la manière dont, dans un premier temps, à l’enfoncement du front russe en Ukraine, mais avec de formidables résistances à Kiev, Odessa et Sébastopol, une masse de prisonniers parmi lesquels les nazis extraient les juifs et les communistes sur dénonciation, une guerre de partisans qui débute mais aussi le blocage de l’armée nazie, son retard que celle-ci va chèrement payer dans la suite de son assaut. Et surtout un des plus extraordinaires exploits de la deuxième guerre mondiale qu’est le transfert des industries de l’est de l’Ukraine, que l’on démonte, il faudra plus de 8000 wagons pour une seule aciérie, et que l’on remonte dans l’Oural et en Sibérie où elles vont marcher à plein régime pour fournir l’armée, des populations qui font des journées de 12 heures sous alimentées et qui vont se mettre au travail dans le froid glacial de l’hiver. Mais il ne s’agit pas de cette histoire immédiate que l’on trafique pour recréer un front russe médiatique, dans l’article que nous présentait Anne Nivat, il s’agissait de réviser toute l’histoire de l’Ukraine.

Mais cela ne suffit pas il faut mythifier les origines

En dehors des textes d’Hérodote sur la presqu’ile de Crimée avec ses cimerriens et le peuplement Scythe, voire les amazones du sud-est de l’Ukraine, entre mille et 700 avant J.C, il s’agit de slaves. L’origine des dits slaves a donné lieu à des tonnes d’ouvrages et de débats savants. La grande source livresque est la chronique du temps jadis établie par un moine du nom de Nestor au XIIème siècle, dont les écrits ont donné lieu à encore d’autres débats passionné en particulier sur l’origine du mot Rus et à savoir s’il y a eu appel ou non au Normand pour fournir des princes régnant. Il est difficile sur toutes ces questions, même enrichies d’autres recherches historiques comme l’archéologie, d’avoir des certitudes absolues, mais il y a au moins une assurance, au IXème siècle, la Rus entre dans l’histoire, les chroniqueurs de cette époque ne se contentent plus d’ethnologie des tribus slaves, elles relaient des événements dont les acteurs sont les habitants de l’espace situé entre la Baltique et la mer Noire, comme le siège de Byzance par les Rus, le 18 juin 860. C’est l’époque où le surgissement au sud de la méditerranée d’un empire arabo-musulman ferme la méditerranée, les marchands se tournent alors vers le nord ; de nouvelles voies s’ouvrent le long des fleuves avec un échange entre la Baltique et la mer du Nord dont le Dniepr est l’épine dorsale, réunissant toute la plaine russe en un seul système ; les haltes de caravanes où se croisent les chemins de l’Asie et ceux des vikings, deviennent des villes fortifiées avec les plus importantes que sont Kiev, Pereïaslavi, Tchernigov, Smolensk, Novgorod... Kiev est la capitale des Rus et pour les Russes, qui sont pétris d’Histoire, il en est de Kiev comme du Kosovo pour les Serbe, il s’agit du berceau ou de l’un des berceaux de leur civilisation marquée par ce carrefour caravanier entre le nord et le sud, l’est et l’extrême-orient. Nous n’avons pas le temps ici de suivre à la trace ce qui est déjà une mosaïque de peuples pratiquant les échanges commerciaux avec des villes le long des fleuves où se croisent toutes les ethnies et parfois s’y installent. Il faudrait parler non seulement des peuples venus du nord, les Varègues, mais aussi de cet étrange peuple converti au judaïsme, les Khazars, avec qui les relations sont très conflictuelles. L’histoire des souverains dont la première attestée véridique est celle d’Oleg, un prince de Novgorod, qui prend Kiev en 882, une petite bourgade, et en fait sa capitale et part à la conquête de Constantinople, deux mille bateaux transportant chacun quarante hommes pour assurer les débouchés commerciaux des produits de la Baltique mais aussi ceux de l’Asie ; s’agit-il d’une invention poétique, vu que les byzantins n’y font même pas allusion ? Campagnes guerrières ou brigandages à la mode viking, ce qui est sûr est que le commerce est la guerre par d’autres moyens et quand la princesse Olga se convertit au christianisme, Kiev devient la vassale de Constantinople et subjugue les bulgares, abat les khazars juifs, symboles d’influence occidentale et latine, pour mieux marquer l’appartenance à la steppe nomade, la Russie nait de ce creuset.

Eiseintein et la Russie, ou le creuset ukrainien

XIIIème siècle, par les envahisseurs mongols. Le centre de gravité de la puissance russe est désormais déplacé vers les forêts du Nord, où la Moscovie va bientôt s’imposer comme le noyau fondateur de l’immense empire des tsars. Mais les steppes aux riches terres noires du Sud demeurent le théâtre d’une Histoire faite de l’épopée des Cosaques zaporogues, de la résistance de Sébastopol durant la guerre de Crimée et de la fondation et du développement d’Odessa, la cité qui devait témoigner des ambitions russes sur les eaux de la mer Noire et, au-delà, sur la Constantinople des sultans, avant d’être le théâtre, en 1905, de la célèbre mutinerie du Potemkine immortalisée par Eisenstein. Un autre héros de la même époque immortalisé aussi par Eisenstein est Alexandre Nevski, fils du prince Iaroslav II de Vladimir, il devient prince de Novgorod (1236-1252), puis grand-prince de Vladimir (1252-1263). C’est le dernier prince russe à recevoir l’investiture du khan Batu de la Horde d’or pour la principauté de Kiev en 1249. Il est surtout célèbre pour deux victoires militaires essentielles dans l’histoire de la Russie, la première contre les Suédois à la bataille de la Neva, le 15 juillet 1240, et la seconde à la bataille du lac Peïpous sur les glaces du lac éponyme en avril 1242 contre les chevaliers de l’Ordre Teutonique, installés dans la région depuis 1237, et qui venaient d’intégrer l’ordre des chevaliers Porte-Glaive. La première de ces victoires lui valut son surnom de Nevski (« de la Neva »). La seconde donna naissance, plusieurs siècles plus tard, à un film de Sergueï Eisenstein (1938), sur une musique de Sergueï Prokofiev.

Imaginez comment un Russe peut recevoir un trafic aussi manifeste de son histoire par les médias occidentaux, alors même que des liens familiaux se sont tissés entre les familles ukrainiennes et russes ?

Ce travail sur la mémoire est celui des néo-nazis, l’alliance est profonde

Donc pour qui a un peu travaillé les débats sur l’histoire des peuples slaves, ce qu’on a appelé "les slaves de l’est", le moins que l’on puisse dire est quand l’on tombe sur un article dans lequel un géopolitique d’une grande inculture tente de dissocier l’Ukraine de la Russie pour en faire le bastion avancé de l’occident est qu’affirmer de telles choses est pour le moins hasardeux et que cela correspond simplement à un choix politique actuel de l’occident. Ce trafic de la mémoire, ces origines mythifiées à la manière dont Hitler inventait le peuple aryen, confondant sans doute ce peuple d’origine indienne avec la manière dont les peuples germains s’affirmaient partisans d’Arius, théologien égyptien qui refusait la sainte trinité et l’égalité du fils avec le père et donc étaient ariens.

Ce parti pris idéologique de séparer l’histoire de l’Ukraine surtout celle de Kiev et de la partie est, au-delà du Dniepr, revient simplement à coller à une entreprise idéologique, celle du parti national socialiste Svoboda. Le programme du parti Svoboda énonce clairement la position prioritaire de la « véritable » nationalité ukrainienne comme base de la « nouvelle Ukraine », et proclame que cette nouvelle Ukraine est l’héritière du régime établi en Ukraine occidentale en 1941 et qui a fourni les principaux effectifs des détachements punitifs du Troisième Reich. Parce que le problème est bien là, à partir du moment où on se donne pour objectif principal d’en finir avec cette entreprise "barbare" que serait la Russie en se prétendant la civilisation, on trafique l’histoire, la mémoire, pour y trouver une justification et on rencontre les errances mythologiques des nazis.

L’histoire témoigne de l’infini diversité de l’humanité, de son imbrication depuis l’origine de l’humanité et de son unité... Ce qui est au cœur de la compréhension de la Russie et de son apport, est ce lien opéré entre des peuples, des tribus qui n’ont cessé de se déplacer, il y aurait une autre manière de l’aborder que celle du conflit... Et même de voir à quel point même dans les conquêtes, l’horizon des masses s’est élargi comme le note Lukacs à propos des guerres napoléoniennes. La manière dont nos médias incultes utilisent l’histoire, fait songer au contraire à cette définition d’Ambroise Bierce : "L’histoire est le récit généralement inexact d’événements le plus souvent insignifiants, engendrés par l’action de gouvernants qui, dans leur immense majorité sont de fieffés gredins, et de soldats presque tous imbéciles". Mais il y a pire quand l’histoire est falsifiée pour légitimer le conflit imbécile et criminel.

Danielle Bleitrach

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