Banques : le droit de création monétaire... Retour n°1 sur les thèses de Yves Dimicoli.

, par  Bruno Bergman , popularité : 2%

Yves Dimicoli est récemment venu à Chambéry, à l’invitation de la Fédération de Savoie du PCF, présenter une conférence sur les analyses économiques et perspectives politiques de la direction nationale du PCF.

Je reviendrai sur plusieurs erreurs et inexactitudes repérées dans ses propos. Mais pour aujourd’hui je vais me limiter à un point, sur lequel j’ai posé une question (lors du débat), à laquelle il n’a répondu que par une pirouette et l’affirmation d’une inexactitude.

Comme il venait en Savoie, il s’est appuyé sur une donnée locale. Je cite :

"Mi août 2009, les banques de Savoie avaient 9,1 milliards en dépôts et n’ont accordé que 8,5 milliards de crédits ... la différence - a-t-il expliqué - mystère, envolée, c’est la spéculation."

Explication surprenante à maints égards :

1 - Cet exposé sous entend que les crédits accordés par les banques à la vie économique, aux entreprises, aux particuliers, proviendraient des comptes des déposants. C’est ce que les gens de la rue croient naïvement. Car pour les gens de la rue, comment prêter quelque chose que l’on ne possède pas ?
Or c’est exactement l’inverse qui se produit : Ce sont les crédits qui alimentent les dépôts. Comment ?

2 - Lorsque vous prêtez de l’argent à un ami, vous ne pouvez prêter que l’argent que vous avez. Mais vous, vous n’êtes pas une banque. Or ce qui caractérise et définit une banque c’est précisément le "droit du crédit", c’est à dire le "droit de création monétaire". Et l’argent que "prête" une banque est créé, tandis qu’il est détruit au moment du remboursement de l’emprunt. Et entre temps ? ... Il transite sur des comptes de dépôts, passant de l’un a l’autre en sens inverse des biens et services échangés..

3 - "Oui mais, n’oubliez pas Colonel - ainsi a-t-il répondu à ma question - que ce sont les dépôts qui garantissent les crédits"...

Ceci est encore faux. Que ce soit du coté de l’emprunteur ou du prêteur les dépôts ne garantissent rien du tout. Coté emprunteur, chacun sait bien que si vous voulez emprunter à une banque on va vous demander, comme garantie, d’attester de vos sources de revenus ou de mettre en gage un bien (hypothèque). Mais jamais d’avoir telle somme sur un compte. Il y a toutefois une exception : certains prêts spéculatifs se font avec cette "garantie" mais c’est très marginal et ça ne concerne qu’une part infinitésimale des crédits.
Coté prêteur (la Banque), il est vrai que dans les années 60, une banque ne pouvait prêter 5 Euros que si elle avait au moins 1 Euro en "fond de réserve". Le ratio imposé était de 1 à 5. Mais depuis ce ratio est passé à 1/20, puis 1/50, puis 1/70, et même 1/100. De sorte qu’aujourd’hui il ne veut plus rien dire. La seule limite des banques à l’émission de crédits c’est la capacité, connue par elles, des emprunteurs à rembourser. D’où, d’ailleurs, la crise de 2008, mais c’est une autre histoire...

4 - La différence des deux chiffres 9,1 milliards de Dépôts - 8,5 milliards de crédits n’est pas constituée des fonds spéculatifs. Ceux-ci portent sur une masse financière bien plus importante constituée de la totalité des dépôts et d’une partie des crédits.

Le placement des dépôts par les banques est pour elles une énorme source de revenus. Il y a des placements à courts termes (pour maintenir quand même une suffisante liquidité monétaire) et d’autres à moyens termes, et d’autres enfin à longs termes.

Le placement des crédits est le fait des secteurs financiers des entreprises, même productrices de biens et services. Là aussi de multiples produits financiers sont nécessaires.

(NB : rigoureusement, en réalité crédits accordés et dépôts sont une seule et même chose puisqu’il s’agit du même flux monétaire appelé « crédits » au moment de sa création et « dépôts » ou « monnaie » au moment de son utilisation dans les échanges économiques. Mais comme des entreprises ont recours à de la création monétaire et n’empruntent que pour spéculer, puis remboursent après bénéfices, dans ce cas là il n’est pas illégitime de parler de « crédit spéculatif ».)

5 - Si Dimicoli avait voulu développer à partir de là, il aurait pu expliquer pourquoi les banques et les entreprises, vu l’augmentation exponentielle de la masse monétaire depuis 40 ans et vu la prévalence donnée à la rentabilisation financière de celle-ci, mettent le monde de la finance dans l’obligation de multiplier les "terrains de spéculation" (matières premières, immobilier, monnaies nationales, dettes publiques, produits alimentaires, etc...) et les "produits financiers" ad hoc. Mais ceci est encore une autre histoire ....

6 - Que dit donc la différence entre ces deux chiffres ?
Eh bien elle dit que dans la période immédiatement antérieure, il y a eu pour 9,1 milliards de création monétaire en Savoie, contre 8.5 milliards en août 2009. Attention : ce raisonnement suppose que l’on considère que les flux monétaires importés de l’extérieur vers la Savoie compensent les flux monétaires exportés de la Savoie vers l’extérieur. A cette réserve près, que l’on peut admettre, on constate donc une diminution de la masse monétaire. Or une raréfaction de la monnaie est un moyen ultra puissant de ralentissement économique. Cela signifie, à population constante ou en augmentation, moins de consommation, donc moins de production, donc plus de chômage. Je crois que là il y avait à dire...

7 - Mais admettons une autre hypothèse : Admettons que les flux monétaires, parce que la Savoie exporterait plus que ses voisins, aient été positifs. Dans ce cas la différence exprimerait juste le fait que la Savoie s’est mieux débrouillée que les autres, et que eu égard à sa création monétaire (8,5 milliards de crédits) elle aura de quoi rembourser crédits et intérêts, puisqu’elle a réussi à ramener 9,1 milliards ...

8 - Oui mais .... Ce phénomène de raréfaction monétaire par compression du crédit (et aussi du fait des intérêts) est international. Donc en sauvant ses meubles, la Savoie met forcément en très grande difficulté ses partenaires économiques en captant plus de flux monétaires qu’eux .... Or elle fait partie d’un ensemble économique qui inclu ses partenaires en difficulté .... C’est exactement ce qu’il se passe entre l’Allemagne et la Grèce dans la zone Europe ... Là aussi il y avait à dire ...

(NB : Là encore une précision : L’organisation de la raréfaction monétaire ne concerne que le monde de l’économie réelle, c’est-à-dire celle des échanges de biens et services. L’économie financière regorge au contraire de capitaux et les produits financiers manquent encore pour les rentabiliser. D’où le fait que les traders en inventent chaque jour ... mais c’est encore une autre histoire).

Ma conclusion est que ces développements de Dimicoli sont "cul par dessus tête", qu’ils nous parlent d’un système économique qui n’existe plus, tandis qu’il escamote ce que le système actuel contient de plus diabolique et toxique pour les peuples, dont les travailleurs savoyards.

J’en termine en remerciant les Camarades qui auront accepté de me faire l’honneur de prendre sur leur temps pour me lire jusqu’au bout.

Je les invite à inciter les autres à en faire de même.

Enfin, je suis évidemment ouvert à tout échange d’arguments.

Dans les prochains numéros je vous parlerai de :

La question des intérêts : Ce que Dimicoli ne dit pas.

"Le libéralisme est en difficulté, la preuve, les Etats sont obligés d’intervenir."
.... Faux ce sont les Etats qui sont en difficulté et la crise est faite pour ça !

La crise financière Européenne à la lumière de "La Plagne - Champigny" ....

La crise financière de 2008 à la portée de tous .... et celle de la zone Euro qui n’en est que le prolongement politique.

Le contrôle de l’usage des crédits est-il suffisant ? .... Et quelle est la solution ?

"Le crédit (actuel) ne va que là où ça rapporte le plus ...."

"Il faut reprendre le pouvoir du crédit" ... Pourquoi ? ... En quoi réside ce pouvoir ? ... Que signifie le reprendre ?

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