Si je peux être leur voix Madeleine Riffaud : Ma lettre ouverte au directeur de l’APHP

, popularité : 3%

Au début du mois de septembre, la grande résistante Madeleine Riffaud, 98 ans, a vécu un calvaire à l’Hôpital Lariboisière. Elle a été abandonnée sur un brancard sans manger pendant 24 heures. Dans cette tribune à l’intention de Nicolas Revel, Directeur de l’APHP, elle dénonce l’état révoltant de l’hôpital public.

Il y a deux semaines, j’ai dû me rendre aux urgences pour un examen important dû à un covid long, variant omicron.

Le SAMU m’a emmenée à l’hôpital Lariboisière, à midi et demi, le dimanche 4 septembre pour examens. Je me suis retrouvée couchée au milieu de malades qui hurlaient de douleur, de rage, d’abandon, que sais-je. Et les infirmières couraient là-dedans, débordées… Elles distribuaient des « J’arrive ! » et des « ça marche ! » « J’arrive, j’arrive ! ». Mais personne n’arrivait. Jamais.

Moi-même, j’ai mis douze heures pour obtenir la moitié d’un verre d’une eau douteuse. Tiède. Je suis restée 24 heures sur le même brancard, sans rien manger, dans un no man’s land. C’était Kafka.

Rendez-vous compte : je suis aveugle. Je sentais parfois qu’on emportait mon brancard, que je traversais une cour, peut-être ? Il faisait plus froid, c’est tout ce que je peux dire. Et puis on m’a laissée là, sans aucune affaire, sans moyen de communication avec mes proches (qu’on ne prévenait d’ailleurs pas de l’évolution de la situation, seul le docteur Christophe Prudhomme a pu avoir quelques nouvelles, je le remercie ici).

Étais-je dans un couloir ? Dans une salle commune ? Au bout d’un moment, j’ai vraiment cru que je devenais folle. Ah, si j’avais eu un appareil photo comme quand j’étais reporter de guerre… Si j’avais pu voir ce que j’entendais… Dès l’arrivée à l’hôpital, mon ambulance est passée devant des gens d’une absolue pauvreté, qui se plaignaient à grands cris d’avoir été refoulés.

Drogue ? Misère sociale ?

Ceux-là n’ont même pas été admis dans « le service-porte », la foire aux malades, l’antichambre de l’hôpital par où l’on accède aux urgences. Les infirmières, qui n’ont déjà pas assez de temps à consacrer aux malades admis entre les murs, les voient forcément quand elles vont prendre leur service.

Nul doute que leur vocation est réduite en charpie depuis longtemps. D’où les « Ça marche », les « J’arrive. » J’ai entendu ça toute la nuit.

Les infirmières et aides-soignants, je les connais bien, j’ai vécu parmi eux, je sais qu’elles auraient éperdument voulu arriver à s’occuper de chacun… Et surtout que l’hôpital marche.

Le lendemain après-midi, l’hôpital n’ayant pas de lit disponible pour moi, on m’a transférée dans une clinique privée, sans jamais avoir prévenu mes proches. J’étais la troisième âme errante que cette clinique réceptionnait ce jour-là.

J’avais déjà fait une enquête de l’intérieur en 1974, en m’engageant incognito comme aide- soignante dans un service de chirurgie cardio-vasculaire d’un hôpital parisien. J’avais aussi travaillé au SAMU dans le service du professeur Huguenard à l’hôpital Mondor. De cette immersion, j’ai publié le livre “Les linges de la nuit” qui s’est vendu à près d’un million d’exemplaires en 1974 (réédité chez Michel Laffont en 2021).

Hôpital d’il y a cinquante ans ou hôpital ultramoderne, les problèmes sont toujours les mêmes : manque de personnel qualifié, manque de crédit, l’écart se creuse entre la technique de la médecine de pointe et les moyens mis à sa disposition.

Après la sortie du livre, j’avais rencontré le directeur de l’Assistance Publique dans un face à face télévisé. Nous étions tombés d’accord sur tous les points ! Tout le monde est d’accord, sauf les gouvernements qui se suivent et qui, au mieux, ne bougent pas.

Nous avions été nombreux, au cours des années, à témoigner sur l’état lamentable de la santé. Durant tout ce temps, aucun dirigeant n’a voulu entendre. Si la pandémie de 2020 a changé quelque chose, c’est en mal : le personnel est épuisé. L’état les a tous abandonnés, soignants comme malades.

Ma mésaventure, c’est une histoire quotidienne dans l’hôpital en France.

Mon sort est celui de millions de Parisiens et de Français.

Ceux qui me connaissent savent que je n’ai jamais demandé de passe-droit de toute ma vie. Mon âge n’y change rien. Mais j’ai remarqué qu’il était presque une circonstance aggravante, et ce pour deux raisons :

1/ On pensait que j’étais trop vieille pour que ça vaille la peine de me soigner (réflexe pris lors de l’épidémie de covid ?).

2/ Dès que je parlais, on se disait que j’étais gâteuse et on pensait d’emblée que je racontais n’importe quoi… alors pas la peine de m’écouter.

Pourtant, j’ai une voix. Une voix qui ne s’en est jamais prise au personnel. Ça ne changera pas. Évidemment, j’ai mal, mais je vais continuer à me bagarrer, comme d’habitude.

Moi, j’ai de la chance, j’ai des amis, et des confrères journalistes. Mais tous ces pauvres gens qui n’ont personne, que peuvent-ils faire ? Quand on entre dans le circuit infernal, quand on est aspirés dans le néant des urgences, on ne peut pas en sortir indemne. Parfois même, on n’en sort pas vivant… L’infirmier libéral qui vient à mon domicile m’a dit que c’était arrivé à un de ses patients, il y a trois semaines.

Si je peux être leur voix – comme Aubrac m’avait demandé d’être l’une de celle de la Résistance – alors je le serai.

J’ai encore un peu de force, c’est pour la donner ! Madeleine Riffaud

Paris, le 19 septembre 2022

Voir en ligne : https://revuecommune.fr/2022/09/19/...

Sites favoris Tous les sites

1 site référencé dans ce secteur

Brèves Toutes les brèves

Navigation

Annonces

  • (2002) Lenin (requiem), texte de B. Brecht, musique de H. Eisler

    Un film
    Sur une musique de Hans Eisler, le requiem Lenin, écrit sur commande du PCUS pour le 20ème anniversaire de la mort de Illytch, mais jamais joué en URSS... avec un texte de Bertold Brecht, et des images d’hier et aujourd’hui de ces luttes de classes qui font l’histoire encore et toujours...

  • (2009) Déclaration de Malakoff

    Le 21 mars 2009, 155 militants, de 29 départements réunis à Malakoff signataires du texte alternatif du 34ème congrès « Faire vivre et renforcer le PCF, une exigence de notre temps ». lire la déclaration complète et les signataires

  • (2011) Communistes de cœur, de raison et de combat !

    La déclaration complète

    Les résultats de la consultation des 16, 17 et 18 juin sont maintenant connus. Les enjeux sont importants et il nous faut donc les examiner pour en tirer les enseignements qui nous seront utiles pour l’avenir.

    Un peu plus d’un tiers des adhérents a participé à cette consultation, soit une participation en hausse par rapport aux précédents votes, dans un contexte de baisse des cotisants.
    ... lire la suite

  • (2016) 37eme congrès du PCF

    Texte nr 3, Unir les communistes, le défi renouvelé du PCF et son résumé.

    Signé par 626 communistes de 66 départements, dont 15 départements avec plus de 10 signataires, présenté au 37eme congrès du PCF comme base de discussion. Il a obtenu 3.755 voix à la consultation interne pour le choix de la base commune (sur 24.376 exprimés).