Beaucoup d’évolutions fondamentales marquent le travail du parti depuis 2018.
Roussel met en lumière, à plusieurs reprises, l’aggravation des inégalités : la précarité, le coût de la vie, les salaires insuffisants, les retraités sous le seuil de pauvreté, les licenciements ou suppressions d’emplois dans les services publiques. C’est la confirmation du rôle central du rapport capital / travail, et de la lutte de classe pour analyser la société.
Mais en ne soulevant pas la question de l’utilité humaine de la production en concomitance avec l’exploitation capitaliste, il ne justifie pas l’appropriation des richesses produites par ceux qui les produisent.
L’espérance indispensable reste impossible.
A titre d’observation, examinons aujourd’hui, la Chine qui, dans son contexte spécifique, travaille cette question fondamentale. Elle associe deux fondamentaux :
– l’utilité du marché pour produire de la plus-value et la place de la lutte de classe,
– l’intérêt d’un Etat fort pour la répartir en imposant les objectifs sociaux du socialisme,
C’est la volonté, à partir d’un travail de tous, face aux mutations incontournables des forces productives avec l’informatique d’abord et l’IA maintenant, qui pousse l’avance sociale. La Chine s’interroge : comment conserver un développement conjoint des forces productives et des rapports de production afin de poursuivre un développement de « haute qualité » (Xi Jipping) ; loin de la « concurrence libre et non faussée » européenne dans le seul but de domination du marché.
Toutes questions qui doivent interpeler un communiste français : Quelle organisation de lutte de classe tant dans ses objectifs que dans sa réalité d’intervention, dans ce bouleversement des rapports de production à la traine face à l’explosion des forces productives ? Quel travail militant au plus près de l’exploitation de la force de travail ?
2. Rupture avec le libéralisme
Fabien Roussel plaide pour une transformation profonde : relocalisations, nationalisations, planification économique écologique, augmentation générale des salaires, indexation sur l’inflation, restauration de l’impôt sur la fortune, etc.
Rompre avec le libéralisme, c’est rompre avec les fondements d’appropriation et d’accumulation du capital. C’est rompre avec une concurrence généralisée assise sur cette accumulation.
Rupture impossible sans inclure la démarche dans une réflexion globale concernant la répartition des richesses, leur régulation et mode de redistribution : l’héritage, central dans la transmission du capital, est ignoré au profit d’un impôt sur la fortune bien moins juste et rentable (confondant fortune héritée, acquise et rémunération d’un investissement en force de travail personnel..). Pour mémoire la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 stipule que les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Cet article premier affirme que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». En d’autres termes, aucun privilège ou inégalité ne doit être attribué par la naissance.
De même en présentant le « travail » comme seule nécessité en soi, Roussel et le parti ne tendent-ils pas une perche à l’idéologie bourgeoise en masquant avec elle la réalité de l’aliénation et de la surexploitation ?
Là où Marx démontre que l’émancipation du travail passe par l’abolition du salariat et la socialisation des moyens de production, Roussel légitime, en creux, le système en valorisant l’emploi dans sa forme actuelle, sans afficher qu’il situe son discours dans une perspective de rupture.
De même en mettant en avant une « fierté de classe moyenne » intégrée à la nation, Roussel ne prend-t-il pas le risque de pousser la lutte de classe vers une lutte sociologique, symbolique et consensuelle, neutralisant ainsi la conflictualité fondamentale entre prolétariat et bourgeoisie ?
Par ailleurs, le carcan de l’Europe, fondamentalement et institutionnellement néo-libérale et concurrentielle, reste ignoré. De même que les interventions plus que probables de cette Europe sur une France retournant ses orientations vers la satisfaction des besoins avec une part de la plus value (valeur ajoutée). (Grèce, Portugal…)
Ces questions méritent attention, car elles constituent le cœur d’un choix réformisme/socialisme
3. Internationalisme et anti-impérialisme
Roussel ne limite pas sa critique à la France : il parle à juste titre des peuples soumis par la guerre, du conflit israélo-palestinien, etc. d’une espérance de nouvel ordre mondial avec les BRICS. La solidarité internationale, le droit des peuples à l’autodétermination sont invoqués mais pourtant persiste une tendance à faire de l’éthno-centrisme en transposant les valeurs universalistes bourgeoises dans universalisme cosmopolite, ignorant les différences de processus historiques et les contradictions nationales. Pire, en faisant une intervention moralisatrice sur les systèmes démocratiques ou non, justifiant une attitude neo coloniale.
L’internationalisme convoqué, reste fondé sur des prises de position dans le cadre diplomatique traditionnel : reconnaissance d’État, flottille sous mandat ONU, etc…. Son discours ne pousse pas vers une perspective de solidarité internationale révolutionnaire, ni vers une critique de l’impérialisme dans sa racine capitaliste : le système même de production et d’appropriation internationale
Cet internationalisme indispensable pour un marxiste-léniniste a pour fondement l’internationalisme de la lutte et de la fraternité de classe. Mais pour dépasser cet obstacle, il y aurait besoin d’une reconnaissance et d’une réflexion concernant les errements récents sur l’Ukraine ou la Palestine pour retrouver le rôle historique tenu depuis 68 ans sur cette question.
Tout cela induit l’absence d’explication de la cohérence de l’intervention des impérialismes contre les travailleurs hormis celle, juste mais insuffisante, d’un impératif concurrentiel. Une analyse globale de la stratégie de ceux-ci pour lutter contre le déclin de leur taux de plus-value est oubliée…L’explication fondamentale du risque de guerre de classe, pour casser du capital mort et vivant et relancer les productions n’est pas exprimé. Cela au profit d’une bataille humaniste pour la Paix, indispensable mais insuffisante pour nourrir un combat véritable.
4. Il appelle à la mobilisation concrète
Roussel ne se limite pas aux mots : il invite à la mobilisation – grèves, rassemblements, manifestation, notamment le 18 septembre. Il engage les citoyens à s’investir pour la défense et la promotion de leurs intérêts de classe. C’est une dimension essentielle : sans action de masse il n’y aura aucun processus de rupture possible pour imposer, dans les lieux de production et de services, les mesures attendues .
Pourtant, si son discours appelle à des ruptures, celles-ci restent essentiellement dans un cadre institutionnel et électoral, voire parlementaire.
Roussel parle d’« alterner le courant » ou d’un « pacte pour la France », mais sans jamais poser la question du renversement réel du pouvoir bourgeois, de la « dictature » par le prolétariat, de la stratégie visant la révolution.
Il omet ainsi d’exprimer cette dimension du socialisme qui implique obligatoirement le prolétariat pour être l’acteur central. La démarche n’implique hélas aucune invitation de ce type en alertant les travailleurs sur l’indispensable rétorsion de la bourgeoisie pour l’obliger à respecter les lois nouvelles.
De ce point de vue, on reste dans une posture de réformisme social démocrate plutôt que révolutionnaire.
5. Le rôle de l’État
Marx et Lénine enseignent que l’État est un instrument de classe, de domination. Le discours de Roussel veut un « État stratège », fort pour nationaliser, pour intervenir fortement. Ce qui est juste.
Mais il ne pose pas, comme je viens de la dire, au prolétariat la question du chemin de domination sur le capital et donc quel renversement de domination de l’Etat ?
Ce qui dans le prolongement pose également clairement la question des outils démocratiques qui permettront en suite de parvenir à la « disparition de l’Etat » par sa dilution dans une citoyenneté généralisée ?
L’enjeu reste le contrôle démocratique par le prolétariat lui-même - non en son nom - afin d’éviter que des élites bureaucratiques ou les fonctionnaires de l’État se substituent aux travailleurs. Le projet démocratique reste à mettre en perspective et induirait un travail en matérialiste historique des expériences de socialismes présentes et passées.
Comment mettre en œuvre les réformes fiscales, les nationalisations, face à l’incontournable « guerre de classe » qui sera menée par la bourgeoisie et les forces du capital ? Quelle rétorsion démocratique pour imposer un autre objectif à l’utilisation de la plus-value ? quelle démocratie ouvrière ?
Quelle gestion populaire ? Questions majeures quant au rôle prévu du prolétariat.
En outre, si la question de l’Etat est convoquée, celle de la nation n’est évoquée que subrepticement, dans une tentative de réinscrire le PCF dans le paysage politique.
Elle est exprimée par une rhétorique centrée sur la « fierté nationale », la « valeur travail » et la défense d’un mode de vie populaire. S’il rencontre un certain écho médiatique, il s’écarte toutefois profondément de l’héritage marxiste-léniniste et des fondements de l’analyse matérialiste dialectique. Et singulièrement du concept de nation liée à un contrat social avant tout.
Ces positionnements insuffisants ou flous en restent finalement à une convocation d’un imaginaire partiel de socialisme d’État, avec un rôle actif de l’État pour protéger les travailleurs, pour freiner l’emprise du capital financier mais sans jamais le situer dans un processus démocratique nouveau et global.
6. Accord/compromis avec d’autres forces de gauche
Roussel lance un appel à l’unité de la gauche, à rassembler PS, écologistes, etc. C’est un choix stratégique qui pose question :
1- Est-ce que le PCF le pose dans le cadre d’une stratégie électoraliste d’accès au changement, dans une immédiateté du cadre des institutions bourgeoises ce qui implique une sorte de nouveau programme unifiant, commun ?
2- Ou bien s’inscrit-il dans une démarche de renversement jumelant les luttes de classe et leur traduction dans les urnes ce qui implique des accords circonstanciels à chaque temps électoral fonction du niveau des exigences du prolétariat ?
La démocratie bourgeoise, intimement liée à la possession des médias par la bourgeoisie impérialiste, n’est pas clairement analysée comme outils du combat de classe poussant à shunter les rapports de forces de classe. Notre parti reste dans le flou sur cette question des alliances.
Avec un PCF trop faible les revendications peuvent être édulcorées, les compromis entraînant des reculs loin des mobilisations et des revendications. Cet aspect essentiel reste un secret d’appareil qui ne clarifie pas ce que le PCF est prêt à concéder, ni où il trace la ligne rouge. Marxistes-léninistes, nous devons faire la clarté sur les intérêts de classe : jusqu’à quel point accepter des alliances sans compromission sur les revendications fondamentales ? Comment lier défense des revendications portées par les luttes et accords électoraux sans dilution électoraliste ?
Globalement le discours de Roussel est utile, en réelle évolution sur les précédents, mobilisateur, capable de rassembler et d’inspirer une partie du peuple. Il pose des revendications justes, crée des ponts, pointe bien les contradictions du capitalisme, et rappelle des principes essentiels (répartition, justice, solidarité).
Mais, du point de vue marxiste-léniniste, il reste encore très en deçà d’une perspective révolutionnaire complète :
– Il manque une théorie explicite du pouvoir, de l’État, comme instrument de la classe dirigeante, et de la nécessité de la démocratie populaire.
– Il faudrait plus de clarté sur la stratégie : non pas seulement des réformes, mais la manière de transformer radicalement le rapport de force, de construire une organisation ouvrière indépendante du capital, etc.
– Les alliances doivent être examinées à l’aune de la lutte de classe : qui représente quoi ? quel compromis est acceptable, ? et quelles lignes rouges ?
– La dimension internationale doit aller au-delà de la solidarité symbolique : lutte concrète contre les traités, contre les mécanismes impérialistes de domination, confrontation avec le capitalisme global.
Si le PCF veut réellement rompre avec le capitalisme et jouer un rôle transformateur majeur, il lui faut non seulement revendiquer, mais construire les organes de la révolution sociale en renforçant les comités d’entreprise, agissant pour des syndicats de base revigorés, des coopératives, conseils ouvriers, organisation de la jeunesse et des femmes, éducation politique….et pour forger des outils d’analyse théoriques de ses cadres ?
Pour un marxiste-léniniste, son discours porte la trace d’une adaptation à l’ordre établi tout en voulant constituer une voie d’émancipation, conduisant à un discours sur la bordure risquant de neutraliser la radicalité nécessaire à la libération du prolétariat.
MAIS LE PCF MONTRE UNE INDÉCISION SUR SON CHOIX FONDAMENTAL DE PERSPECTIVE.
Cette contradiction, est particulièrement flagrante, au moment où, dans le PCF, une part de ses dirigeants expriment une admiration de l’Eurocommunisme de Berlinguer, fondé sur une lecture idéaliste de Gramsci (Cf mon post sur Gramsci), la même que Mélenchon.
L’échec de Berlinguer confirme la thèse marxiste-léniniste : sans rupture révolutionnaire, toute tentative de compromis se transforme en intégration du mouvement ouvrier dans l’ordre bourgeois. Gramsci lui-même ne prônait pas l’abandon de la révolution ; mais son approfondissement stratégique. Berlinguer, en absolutisant l’hégémonie culturelle au détriment de la conquête par la lutte de classe du pouvoir d’État, a ouvert la voie au désarmement idéologique et politique du prolétariat italien. Le préalable dont parle Gramsci est une construction dans la lutte de classe d’une nouvelle hégémonie culturelle. https://www.facebook.com/share/p/1A3qTksZuA/?mibextid=wwXIfr
Cette relecture réformiste, poussée à son extrême, fonde le discours mélenchonien d’intersectionnalité des luttes » loin de la lutte de classe ; et devient outil de divisions infinies dans la droite ligne des dérives de la période Hue jusqu’au 38e congrès.
Le discours de Fabien ROUSSEL, refonde l’action communiste sur la lutte de classe. Il faut certainement lire dans ces divergences, les causes d’un sentiment d’avancée en crabe de l’engagement du parti et l’inaboutissement actuel de sa stratégie comme de son programme ou de son organisation. L’hésitation et l’indécision théorique fondent l’incertitude et un frein à l’engagement.
Pour finir, il est certain qu’en constante évolution, la réflexion du PCF s’affirme dans tous les domaines : Plan d’investissement dans la ré-industrialisation du pays, Projet de Sécurité emploi-formation, Projet Empreinte 2050 concernant une écologie de la gestion économique… ce qui constitue autant de point d’appuis à une intervention idéologique et concrète des militants communistes. Mais cela ne saurait suffire, tant la question centrale de l’espérance globale indispensable, donnant de la cohérence à l’engagement, celle d’un socialisme anti capitaliste reste manquante.