Lettre d’Afrique Un point de vue sur les élections, le Front de gauche et le PCF

, par  Ivan Lavallée , popularité : 3%

Cher(e) camarade,

Tout d’abord un grand salut à tous les camarades qui ont tant fait et tant donné dans ces deux campagnes avec un résultat dû à un scrutin de voleurs qui met le PCF dans une situation difficile avec seulement 13 députés Front de Gauche, mais qui le rend incontournable pour les combats à venir.

Ce petit texte sans aucune acrimonie ni reproche à quiconque sinon à nous tous. Je voudrais revenir "à chaud" sur ces quelques mois qui ont rythmé les campagnes électorales présidentielle et législative. Il nous revient en tant que communistes de faire la critique de notre action et d’en souligner les points faibles afin de pallier nos difficultés pour les batailles à venir.

Beaucoup a déjà été, et sera, dit sur l’iniquité de ce type de scrutin qui est fait pour la bipolarisation de la vie politique, en particulier depuis la "réforme Jospin" de 2007 qui a été faite pour qu’il n’y ait plus qu’un seul parti à gauche, le PS. Il faut bien reconnaître que cette réforme est efficace. En fait, elle permet d’amplifier considérablement la victoire électorale du camp (et parfois du clan) de celui qui a gagné la présidentielle.

Notons au passage que tel n’était pas l’intention de celui qui a institué l’élection présidentielle au suffrage universel, Charles De Gaulle. Il était contre ce qu’il appelait avec un certain mépris "le régime des partis" et considérait l’élection présidentielle comme "un contrat entre un homme et un peuple", et c’est fondamentalement pourquoi les deux élections étaient découplées et de durées telles qu’elles ne pouvaient jamais avoir lieu en même temps pour des raisons purement arithmétiques puisque l’une se produisait, sauf accident, tous les sept ans (présidentielle), et l’autre tous les cinq (législative).

Mais mon propos ici est tout autre. Tout d’abord il faut bien dire que le nombre de voix et de pourcentage recueillis par le Front de Gauche à la présidentielle va bien au-delà de ce qu’il fut en 2002 qui a marqué le décrochage électoral du Parti à la présidentielle – moins d’un million de voix, 960.000 exactement –. La campagne de terrain ayant été essentiellement menée par les militants communistes, cette élection a eu le mérite de remettre le PCF et son discours "au centre du jeu" et de remobiliser le Parti.

On notera toutefois que les conditions dans lesquelles s’est faite la désignation du candidat Jean-Luc Mélenchon ne sont pas un modèle de fonctionnement démocratique et a laissé des traces dans l’attitude de camarades. Il nous faudra sans aucun doute revenir sur le fonctionnement du Parti et ses statuts.

Un discours gauchiste

La façon dont a dérivé la campagne présidentielle, notamment dans sa dernière semaine de 1er tour, puis la campagne législative a des relents gauchistes. En effet, la focalisation de la campagne sur Marine Le Pen et la stigmatisation du FN se sont traduits par une stigmatisation des électeurs du FN, ce qui n’était pas de nature à les faire changer d’avis, au contraire.

Lorsqu’on veut noyer un poisson, il faut vider le bocal. Là en l’occurrence, la lutte contre les thèmes fascisants du FN passait d’abord par une lutte contre le FN et pas contre MLP, et surtout la lutte aurait du porter sur les revendications des dits électeurs et ne pas se cacher derrière son doigt à propos de problèmes qu’on nie, comme le ressenti de l’immigration en période de crise aigüe et de chômage de masse [1].

Si on regarde de près l’électorat de MLP du premier tour de 2012, on constate un recul dans les banlieues ouvrières des grandes villes, là où le PCF a commencé à réinvestir, avec par contre une avancée notable dans la France rurale (un gain de 950.000 voix par rapport à 2002 !), ceux qui sont en déshérence, qui ne viennent plus aux réunions de parents d’élèves, qui n’ont plus de boulot ou si, un boulot pour lequel il faut partir à 5h 30 le matin et rentrer à 20h le soir parce qu’on ne peut pas se loger en ville, trop cher ; payés les traites de la maison et le carburant, les mômes sont à la ricorée le 20 du mois le soir, les cantines ne sont pas payées. Contrairement à ce que je lis ici où là, ceux là, les immigrés, ils s’en foutent complètement, d’ailleurs ce peut être Saïd ou Dos Santos qui sont dans cette situation. Ce qui compte pour eux, c’est de foutre un coup de pied dans la fourmilière (les "élites", le "tous pourris"), ils n’adhèrent pas aux thèses du FN, ils s’en foutent et ne les connaissent même pas, ils ne savent pour la plupart même pas ce qu’est un programme, ils sont isolés, plus de relations sociales, bientôt plus non plus dans la famille, enfermés dans le smartphone ou avec chacun sa télévision. Il faut à ce sujet noter la difficulté de la bataille idéologique. Sur une journée de 24h, on dort 8h, on travaille 8h et en moyenne on passe 4h devant la télévision, reste plus grand-chose pour faire passer notre message.

C’est bientôt le lumpen de Arturo Ui, nous sommes dans les années 30 ; dans la France rurale. On ne se rend pas compte me semble-t‐il du niveau ras des pâquerettes (et encore), l’illettrisme y est quasi généralisé, c’est la réapparition des écrivains publics, de l’instituteur qui fait les papiers pour les uns et les autres, ils savent à peine lire, ils déchiffrent. C’est à eux qu’il nous faut trouver le moyen de parler, et au‐delà du parler, leur montrer des solutions immédiates aux problèmes les plus criants. Il faut bien dire que la campagne de Mélenchon n’était pas dirigée vers eux, ceux là se sont sentis stigmatisés. Mélenchon s’est adressé, avec un certain succès, à la frange des ex‐militants déçus, des dispersés, de cette frange de la petite bourgeoisie, de ce qu’il est convenu d’appeler "classes moyennes" qui ont conscience de la gravité de la crise et rejettent plus ou moins le capitalisme mais qui sont sous emprise de l’idéologie dominante, d’abord et avant tout anti-communistes.

Il visait aussi des électeurs du PS, le PG étant obnubilé par un anti-PS quasi maladif. Le point positif a été comme écrit plus haut de remettre le Parti en ordre de bataille et de pouvoir s’adresser à ces catégories là sans qu’il y ait rejet systématique. Il faut aussi remarquer que le relatif bon résultat du FG au premier tour de la présidentielle est un résultat du FG, pas du PCF en tant que tel, il faudra bien y réfléchir pour la suite des événements.

Un programme social-démocrate

"Partage des richesses" ou "l’humain d’abord" ne sont que des slogans de campagne, ils ne sauraient constituer un programme. Le "programme partagé", qui soit dit entre nous n’a été que très peu discuté dans le Parti et est tout au plus une trame de programme, est un programme d’aménagement du système capitaliste tel qu’il existe actuellement, et est en deçà du programme que pourrait, que devrait, annoncer le PCF. Mais quand bien même le PCF avancerait un programme, en l’état des choses, si celui-ci n’est pas un programme de rupture avec le capitalisme, il ne peut-être qu’un programme d’aménagement, et donc un programme social-démocrate s’il n’est pas sous-tendu par un projet de société dégageant l’horizon historique, une utopie en considérant qu’est utopique ce qui n’a pas été encore réalisé et non ce qui n’est pas réalisable. La nasse dans laquelle nous sommes, fait qu’il n’y a pas de possibilité de rupture du système capitaliste en France seule, le problème avait déjà été abordé en d’autres temps par Lénine s’agissant de pays pouvant construire seul le socialisme. Mais les temps et la donne ont changé, même si ce n’est pas simple.

Le nombrilisme européen du PCF donne des œillères. Il nous faut avoir une pensée géostratégique ; il se passe des choses en Amérique du Sud, en Asie, comment intégrer tout cela dans une réflexion stratégique ? Je vous écris depuis Dakar, au milieu d’un bouillon de culture politique, le monde est en mouvement, pour le pire ou le meilleur, ça dépend de nous aussi. Je sens ici battre le cœur du monde et les interrogations fusent, les voies se cherchent.

De plus, les nuages s’amoncellent sur la paix du monde, un conflit nucléaire généralisé dont le spectre s’était éloigné redevient possible suite aux manigances impérialistes autour de la Libye et la Syrie, je n’en veux pour preuve que le discours de V. Poutine le 9 mai jour, pour les russes de la commémoration de la victoire de l’Union Soviétique sur le nazisme. Vladimir Poutine a insisté sur la nécessité pour la Russie de se tenir prête à un nouveau sacrifice. Le discours de Poutine du 9 mai est clairement à sens multiples : discours commémoratif mais aussi avertissement à peine voilé, réaffirmation des droits moraux du peuple russe à résister aux agressions et engagement solennel devant les anciens combattants de tout faire pour que la Russie ne soit plus attaquée [2].

Bien sûr ce qui est sous-entendu c’est la situation internationale actuelle. C’est là une aune à laquelle juger du réengagement de F. Hollande à rester dans l’OTAN...

On ne lâche rien

Tendance gauchisante et dérive sociale-démocrate vont ensemble comme on sait. Il nous faudra donc, si cette analyse est pertinente, voir comment pallier à ces travers qui ont de tous temps guetté le mouvement révolutionnaire, communiste en particulier.

Cher(e)s camarades, je ne suis pas parmi vous en ces moments de réflexion à chaud, retenu en Afrique pour mon travail, je veux vous dire "ne lâchons rien" et surtout pas le Parti, "La seule richesse du prolétariat, c’est son organisation". Gardons nous bien de nous compromettre avec un parti social démocrate dont l’un des objectifs majeur est de nous éliminer de la vie politique.

Le PS est englué dans la crise du capitalisme, il n’en possède pas les clés. Il conviendra de revenir sur cette analyse, pour l’infirmer si nécessaire, la conforter, nuancer et enrichir sinon en vue du congrès.

Ivan Lavallée

[1Qu’on me comprenne bien, ce ressenti n’existe que parce qu’il y a crise, c’est donc sur la sortie de cette crise qu’il nous faut focaliser notre discours, pas sur l’immigration en tant que telle, mais il ne faut pas nier le problème et accepter de l’évoquer.

[2A ce sujet, l’agenda deV. Poutine est significatif : 10 mai, visite du complexe militaro-industriel russe ; 14‐15 mai, rencontre informelle avec les chefs d’États de l’OTSC ; 18 mai, visite de l’institut de recherche de défense Cyclone ; 25 mai, revue des sous-marins nucléaires ; 30 mai, réunion des chefs de la défense ; 31 mai, réunion du conseil russe de sécurité ; 4‐7 juin, visite en Chine et réunion du sommet de l’OCS ; 7 juin, visite au Kazakhstan durant le tir du missile TOPOL.

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