« La bête à deux dos » et « l’internationalisme aujourd’hui », analyse d’un débat

, par  Jean-Claude Delaunay , popularité : 3%

Réponse de Jean-Claude Delaunay aux interventions faites sous son texte « Il n’y aura pas de France Heureuse dans un Monde Malheureux ».

Il m’a semblé que la discussion de mon texte « Il n’y aura pas de France Heureuse dans un Monde Malheureux » diffusé le 29 janvier 2022 sur le site Faire Vivre le PCF, pouvait être close et rebondir sur les deux ou trois points importants qu’elle soulève. Je vais d’abord résumer les interventions que sa lecture a suscitées. Je dirai ensuite quelles sont les indications que j’en tire.

I - Les interventions

J’ai compté 9 intervenants dans cette discussion, certains étant intervenus plusieurs fois.

1) Pierre Alain Millet, qui fut le 1er, souligne que la formule « Pas de France Heureuse dans un Monde Malheureux » est bonne et pourrait être reprise par Roussel. Après avoir critiqué les attaques verbales, sévères selon lui, exprimées par Bernard Gilleron (que je salue au passage), il déclare que Roussel pourrait « se démarquer plus du discours dominant ». Puis il s’oriente vers une action consistant « à refuser la guerre et à agir pour la paix ».

Je crois pouvoir résumer sa pensée en disant que pour lui, l’acceptation par Roussel de la notion de « génocide des Ouighours par les autorités chinoises » n’est pas très importante. Il y a un contexte et, dans ce contexte, à chaque jour suffit sa peine. Occupons-nous, dit en substance Pierre-Alain, de ce qu’il y a derrière l’accusation de génocide, à savoir la guerre, et faisons progresser dans l’actuelle campagne, l’idée selon laquelle il faut lutter contre la guerre et donc pour la paix. Mais ne nous polarisons pas sur la Chine. Dans une deuxième intervention, il fait part de la position des sénateurs communistes sur le conflit opposant l’Union européenne et la Russie. Elles vont dans son sens puisque les sénateurs « appuieront toute reprise du dialogue avec l’Ukraine et la Russie ».

2) Le deuxième intervenant a été Juan. Je peux me tromper mais il me semble que, via son blog, Danielle Bleitrach a parlé de jeunes communistes courageux, combatifs et intelligents, dans le sud de la France, en relation avec elle. Il me semble que parmi ces jeunes communistes, il y avait un dénommé Juan. Peu importe. Il y a sans doute plusieurs Juan dans le PCF, et Juan est peut-être membre du PRCF (son allusion à Léon Landini).

Quoiqu’il en soit, Juan est intervenu 3 fois dans cette discussion. La première fois pour dire que les attaques contre la Chine n’avaient rien de surprenant. « Il y a bel et bien une campagne anti-Chine qui ne cesse de se développer en France, oui ou non ? ». La deuxième fois est une discussion dans la discussion, avec CN46400. Je vais y revenir. La troisième fois pour dire sa réprobation de la subversion séparatiste de certains Ouighours. Il prend l’exemple des Bretons qui, dit-il, ont été brutalisés parce qu’ils étaient pauvres. Mais, ajoute-t-il, « Est-ce que les Français voudraient que les Bretons soient séparés de la France ? ». Ce que j’ai retenu des interventions de Juan est son constat et sa critique de l’idéologie antichinoise en France. En même temps, il me dit : « Je ne comprends pas très bien votre texte ». J’en déduis que ce que j’ai écrit est, pour lui et sans doute pour d’autres, « à côté de la plaque ».

3) Le troisième intervenant fut CN46400. Je crois qu’il s’agit de Claude Nastorg. Tout en s’adressant à Juan, il prend ouvertement le contrepied de mon texte. « Je suis, écrit-il, en campagne pour Roussel. J’ai lu l’excellent livre de Vivas. Mais je ne veux pas que notre campagne soit détournée des problèmes franco-français pour se perdre dans les divers marécages plus ou moins otanisés ». Concernant les positions de Fabien Roussel relatives au génocide des Ouighours, CN46400 le dédouane à 100% de la critique sévère que je lui adresse dans mon texte. En effet, il ajoute : « Comme moi, Roussel est contre tous les génocides reconnus... Il sera contre le génocide du Xinjiang si cela est démontré. Je roule pour Roussel et contre l’OTAN ». Je résume avec mes propres termes : « Le génocide des Ouighours, c’est une diversion pour nous éloigner de l’essentiel, les problèmes franco-français. Quant à Roussel, il est contre tous les génocides. Ce qu’il a dit, dans son intervention du 24/01, c’est une position de principe et non une attaque antichinoise ».

4) Le quatrième intervenant fut Pedro. Il sort de la question du génocide et introduit, selon moi, un élément nouveau. Il rappelle tout d’abord les déclarations de campagne de Roussel et les résume de la manière suivante : « Du vieux avec un langage et une "position gaullienne" ». Il donne ensuite son avis sur ce que signifie « rompre avec le passé », l’un des leitmotiv de Roussel. Selon Pedro, rompre avec le passé devrait vouloir dire « en finir avec la subordination du PCF au Parti Socialiste ». Enfin, il s’interroge sur les effets de la candidature de Roussel. Je crois que son jugement est plutôt péjoratif. Il écrit : « La candidature de Roussel travaille pour continuer sa propre politique. On peut le comprendre pour sa coterie. Mais est-ce une politique pouvant reconstruire le PCF ? ».

Ce que j’ai trouvé intéressant, dans cette intervention, est la double référence suivante : 1) un registre électoral. Le PCF doit éviter d’être subordonné au Parti Socialiste, 2) un registre d’organisation. Tout cela va-t-il permettre la reconstruction du PCF ?

5) Le cinquième intervenant fut Gilles Mercier. « Voter Fabien Roussel, écrit-il, oui, mais pour faire quoi ? Développer le mouvement des luttes ou ressourcer la Social-démocratie ? ». Il aborde ensuite les points suivants : 1) L’affrontement USA/Chine-Russie, 2) La soumission très ancienne de la Social-démocratie à l’Impérialisme américain, 3) Les contradictions USA/UE. Il conclut en disant : « L’unité ne peut se faire en mettant les problèmes sous la table, non merci, nous avons déjà donné ».

6) Vient ensuite une discussion entre Juan et CN46400. J’y ai fait déjà allusion. CN46400 reprécise son idée majeure dans cette discussion : « Il serait idiot de sacrifier une campagne présidentielle qui s’annonce exceptionnelle pour "un génocide fictif" dans une région reculée de la Chine ». Les Chinois n’ont pas besoin de nous pour régler tout ça. Nous, nous avons suffisamment à faire en France.

7) Le septième intervenant fut JEVOTEROUSSEL. Ce dernier, qui s’affiche manifestement comme un supporter de FR, note la contradiction suivante : 1) Fabien Roussel serait, selon lui, « trop timide pour soutenir la Chine ». Mais, poursuit-il, 2) il faut reconnaître que « sa prestation de ce matin a été exceptionnelle et va lui faire gagner des voix ».

8) C’est alors que, grâce à CN46400, la discussion a rebondi en introduisant un nouveau sujet : l’internationalisme prolétarien. La thèse est claire. « Qu’est-ce que l’internationalisme, se demande-t-il ? ». Après un survol historique qui ne manque pas de hardiesse, il en arrive à Staline : « Staline demanda et obtint la solidarité automatique de tous les PC avec toute la politique de l’URSS, tant interne qu’externe... Cela a plombé les PC les plus proches de l’URSS, dont le nôtre ». Il faut donc tenir compte de cette leçon que nous a donnée l’Histoire. « Tous les PC, dont le rôle est surtout de conduire leur politique chez eux, en fonction des intérêts de leur peuple, (doivent laisser) le PCC en faire autant en Chine ». Et il ajoute, en revenant aux Ouighours, « Les Chinois n’ont pas besoin du PCF pour régler ce problème auquel en succédera automatiquement un autre ». Je résume cette position de la manière suivante : 1) l’internationalisme prolétarien est un concept de nature politique. 2) C’est le concept d’une « solidarité socialiste ». 3) La Chine n’a pas besoin de cette solidarité. 4) Occupons nous de ce qui est pour nous prioritaire en même temps que notre responsabilité, le peuple de France, les travailleurs de ce pays.

9) Xuan fut le huitième intervenant. Il développe une analyse de l’internationalisme prolétarien en prenant le contrepied de celle développée par CN46400. « Les Français se préoccupent peu de ce qui se passe à l’extérieur. Mais l’Internationalisme prolétarien n’est pas une vue de l’esprit. Il se fonde sur les intérêts bien compris de notre peuple... Nous ne vivons pas dans un bocal ». Puis Xuan se demande quelle peut être la signification des campagnes antichinoises actuelles, en France. Ces campagnes, explique-t-il, ne peuvent avoir pour but de défendre l’industrie française. Si l’industrie française va mal, il faut s’en prendre au Capital monopoliste dans ce pays et non aux chinois. Ces derniers, selon lui, n’ont jamais cherché à porter atteinte à cette industrie. Il en veut pour preuve que « La Chine n’a jamais interdit à la France de fabriquer un vaccin contre le covid. Elle lui a envoyé le génotype dès la première semaine de janvier 2020 ».

En réalité, ce que les ennemis de la Chine attaquent, c’est l’idée et l’exemple du socialisme dont elle est la matérialisation. On peut déduire du propos de Xuan que, si Fabien Roussel parle de la Chine comme il le fait, c’est aussi parce qu’il ignore ce qu’est le socialisme chinois et qu’il n’a qu’une bien minime idée de ce que le socialisme pourrait être en France. « Soutenir la Chine, écrit Xuan, c’est aussi défendre la voie du socialisme dans notre pays ».

10) Le 9ème intervenant fut Bernard Sarton, pour lequel « le PCC mène une très bonne politique économique et sociale, y compris chez les Ouighours... Le PCF doit renouer avec un internationalisme intelligent... la rencontre entre les partis est nécessaire... Pour moi, écrit Bernard Sarton, Roussel doit revoir ses classiques en relisant bien Marx et Lénine sur l’impérialisme... ». Il suggère que l’Humanité ait un correspondant permanent en Chine pour que les lecteurs de ce quotidien soient mieux informés de ce qui se passe réellement dans ce pays.

II - Que déduire de ces opinions et commentaires ?

L’analyse de cette discussion me conduit à la trouver non seulement intéressante mais instructive. J’en ai déduit trois grandes indications, ou remarques ou points chauds de discussion.

- Fabien Roussel

Je vais rappeler, de manière précise, la pensée de Roussel sur le rapport entre le gouvernement chinois et les Ouighours. D’abord dans la France Heureuse, il écrit : « Que les choses soient claires : lorsqu’il y a des atteintes aux droits, aux libertés et à la dignité humaine, nous les dénonçons toujours avec force, quel que soit le pays qui s’en rend coupable. C’est ce que nous avons dit aux autorités chinoises à propos du sort réservé aux Ouighours » (p.159).

Ce que Fabien Roussel reproche ensuite, dans ce livre, à la Commission européenne (son document du 12 mars 2019) est l’hypocrisie, selon lui, consistant à dénoncer la Chine tout en délocalisant dans ce pays et en faisant du business avec ses entreprises. « Pourquoi multiplier avec elle les échanges commerciaux ? Pourquoi lui vendre nos grandes infrastructures ? Ports et aéroports compris ? Pourquoi lui ouvrir les portes de nos marchés stratégiques ?... Dans un tel contexte, à quoi riment les rodomontades des dirigeants européens... La lutte contre le dumping social, fiscal ou environnemental exige bien plus qu’une simple opposition de façade » (p.159).

Ses déclarations du 24 janvier dernier reproduisent ce schéma. Les voici.

« D’abord, je condamne avec fermeté les persécutions, les atteintes aux droits de l’Homme, bien sûr dans le monde, mais là-bas, en Chine... contre le peuple Ouighour. Nous sommes de ceux qui disent que quand on lutte contre le terrorisme... on n’assimile pas un peuple, une religion, avec les terroristes... Nous disons que c’est intolérable, inadmissible de le faire aussi en Chine... Mais pour que cela ait du poids, de la valeur, de la force, il nous faut une enquête internationale, sous l’égide de l’ONU, qui nous permette de mettre des sanctions, de convoquer des responsables, de pouvoir les arrêter... Que fait la France aujourd’hui ?... Je l’ai déjà dit, moi, l’hypocrisie qui consiste à dire que c’est un génocide là-bas (puis à) négocier des contrats avec les autorités chinoises, pour vendre nos ports, nos aéroports, délocaliser nos usines, c’est honteux ».

A mon avis, CN46400 devrait relire soigneusement cette déclaration du 24 janvier. Elle reproduit ce que Roussel a déjà signé dans la France Heureuse. Fabien Roussel souhaite que l’ONU intervienne, non pas pour nous dire s’il y a ou non génocide, mais pour donner de la force aux sanctions à venir. Il est, dès à présent, convaincu de ce qu’il avance, il n’a pas besoin d’une enquête de l’ONU pour savoir. L’enquête de l’ONU c’est pour respecter la forme, pour donner de la force aux sanctions, car quant au fond, sa religion est faite. C’est ce qu’il leur a dit, aux chinois, quand il leur a rendu visite (p.159).

Certes, dans sa déclaration de janvier 2022, il n’utilise pas le terme de génocide comme l’ont fait la quasi-totalité des députés, Jean-Paul Dufrègne compris. Mais quand même, il n’en est pas loin. Car, selon lui, c’est tout un peuple qui est opprimé, et c’est « intolérable, inadmissible ». Ses droits les plus élémentaires, et d’abord celui de la croyance religieuse, sont bafoués. Je ne pense pas déformer la pensée de Roussel en la résumant de la manière suivante : « Gouvernements de la France et de la Chine, même combat ».

Ces deux « Déroulède » de l’Impérialisme américain que sont Bernard Kouchner et Bernard-Henri Lévy, ont toujours été, eux aussi, à la pointe du combat visant à dénoncer les atteintes aux droits de l’Homme, que ce soit en Irak, en Lybie, en Yougoslavie, en Syrie, en Afghanistan, etc... aujourd’hui en Russie et en Chine.

J’ai bien peur que Fabien Roussel n’ait jamais entendu parler des ravages engendrés par « la domination idéologique » à l’époque de l’impérialisme, car si tel était le cas, il serait infiniment plus prudent sur cette question. Il éviterait de hurler avec les loups. Il éviterait de brandir le drapeau des Droits de l’Homme, un drapeau passablement taché de sang. Il considérerait qu’aux Etats-Unis, on compte aujourd’hui plus d’un million de morts en raison de la pandémie, alors qu’en Chine, pour une population 5 fois plus nombreuse, on en compte environ 10.000, c’est à dire 100 fois moins. Il éviterait d’être, sur les questions de « l’invasion économique chinoise » et des pertes de production et d’emplois qui en résulteraient, le véhicule d’une propagande aux accents tout simplement lepénistes. Bref, il serait prudent, quelles que soient par ailleurs ses convictions. Il ne l’a pas été. Je suis désolé de dire à CN46400, que ce n’est pas la bonne méthode que de vouloir excuser à tout prix, ce qui est « une faute politique ».

Et puis, Fabien Roussel devrait considérer qu’il existe aussi, en France, un certain nombre de personnes, et même des communistes, considérant que la Chine n’est pas une quantité négligeable et qu’elle devrait davantage être soutenue par les communistes français en raison de son régime, socialiste. C’est ce que, dans le débat qui a eu lieu sur mon texte, disent notamment, Juan, JevoteRoussel, Xuan et Bernard Sarton.

Cela étant dit, cette conviction rencontre une conviction contraire extrêmement forte, que ce soit chez des communistes ou dans la population. Or la Chine ne serait pas le problème principal. Donc, quelle importance, et pourquoi se battre sur ce thème qui est loin d’être décisif pour la France et les Français, dans le contexte actuel ? Fabien Roussel est lui-même le produit de son époque. Il en partage certains des préjugés. Cela n’est toutefois pas l’essentiel. L’essentiel est que, malgré tout, il se batte bien et il le fait. Je rangerais Pam et CN46400 sous cette bannière, même si ces deux camarades ont entre eux de fortes nuances.

Quelles réflexions avancer sur ce point ? Faut-il baisser le rideau ou poursuivre ? Telles sont les questions que je me pose.

- La bête à deux dos

La deuxième grande indication de ce débat est selon moi relative à la dynamique de la campagne en cours. Au départ, en ce début de l’année 2021, l’objectif que les communistes de ce pays pouvaient raisonnablement se donner, avec la candidature de Fabien Roussel, était de remettre le PCF en état de marche. Et c’est, semble-t-il, ce que l’on observe. Cela dit, dans le contexte politique de déliquescence à peu près complète de ce que l’on a appelé « la gauche », la candidature communiste peut apparaître à certains électeurs comme étant un rayon de soleil. La campagne de Fabien Roussel ne repose pas, ou pas encore, sur une population à deux composantes. Mais on peut envisager qu’elle tende vers cette double composition. Il y aurait en quelque sorte, la composante présidentielle (première population, les résultats du combat pour la remise en marche du PCF) et la composante législative (deuxième population, les rapports du PCF et « des autres »), ces deux élections étant d’ailleurs organiquement liées.

La campagne de Roussel tendrait alors à fonctionner comme la dynamique simultanée et croissante de deux composantes, ayant chacune sa dynamique propre. Elle deviendrait « une bête à deux dos ». Tout le problème, pour les communistes, serait alors de maîtriser cette créature complexe, contradictoire, faite d’unité et d’opposition entre les deux pôles que sont le PCF, d’une part, et son extérieur démocratique, ce que j’ai appelé « les autres », d’autre part. Leur problème serait que l’unité se fasse entre les deux dos, mais pas au détriment du dos communiste. Dans ce cas, il s’agirait de savoir plus précisément comment le candidat communiste se positionne sur plus de problèmes qu’il ne l’a fait jusqu’à ce jour.

Il me semble que telle est la question que se posent Pedro et Mercier. Fabien Roussel, mais pour faire quoi ?

Oui, mais alors, dans cette hypothèse, serait-il possible de laisser Fabien Roussel seul maître de sa campagne, sous l’excuse de son succès mobilisateur actuel ? Serait-il possible de lui laisser la bride entièrement libre, comme cela s’est passé à propos du « génocide ouighour » ?

Dans son intervention, Pedro a rappelé les objectifs généraux poursuivis par l’intermédiaire de Fabien Roussel et de la campagne pour l’élection présidentielle. Ces objectifs n’ont pas changé. Mais les conditions de déroulement de la campagne étant modifiées par rapport à ce qu’elles étaient en son début, serait-il inconvenant de considérer que les conditions de son fonctionnement devraient être revisitées ? Faudrait-il continuer comme jusqu’à présent ? La campagne est ce qu’elle est et l’on verra plus tard, dans un hypothétique Congrès, à régler les problèmes en suspens ? Ou conviendrait-il d’assurer dès à présent, grâce aux instances du Parti communiste, un meilleur contrôle collectif de son déroulement ?

Cette deuxième branche de l’alternative ne correspondrait pas, à mon avis, à un changement très contraignant. Ce serait pourtant un changement réel. Si je puis m’autoriser une comparaison, je prendrais celle de l’appareil dentaire que portent aujourd’hui nombre de jeunes gens et de jeunes filles pour éviter d’avoir des « dents de lapin ». Les dentistes ne resserrent pas les appareils d’un seul coup. Ils procèdent en douceur. Chaque individu a des limites. Fabien Roussel ne pourrait que se réjouir d’avoir ce soutien. Le PCF n’appartient pas à Roussel pas plus qu’à Ian Brossat ou à Guillaume Roubaud-Quashie.

Voici, à mon avis, une autre grande question prolongeant les interrogations précédentes : peut-être faudrait-il que, désormais, Roussel et ses directeurs de campagne visitent régulièrement un dentiste ?

- L’internationalisme prolétarien

En réalité, bien qu’il ne soit apparu qu’à la fin de la discussion, le véritable sujet de ce débat, celui qui unifie les commentaires que mon texte a suscités et les réunit à mon texte lui-même, me semble être celui de l’internationalisme prolétarien, de la définition que l’on en donne, et son corolaire, le socialisme, dans les conditions de notre époque. Pour éviter de spéculer sur ce point, je vais partir de la discussion.

Au fond, prétendent les uns, on peut sans doute critiquer ce que Fabien Roussel a dit du « génocide des Ouighours », mais il ne faut pas se polariser sur la Chine. Je crois que Claude Nastorg n’est pas loin de penser ainsi, bien qu’ayant en permanence minimisé la portée des paroles de Roussel sur ce « génocide » idéologique et otanisé, cherchant de la sorte à l’excuser. Pierre-Alain Millet raisonne de manière selon moi différente même si son comportement ressemble à celui de CN, en visant à éviter à tout prix l’affrontement avec Roussel et en tendant à « désiniser » les problèmes sous-jacents pour en montrer concrètement le contenu potentiel réel, la guerre. La justification de fond de ce comportement tient, selon CN, à la nature de l’impérialisme et à ce que l’Histoire nous aurait appris.

L’internationalisme serait un phénomène de nature politique. Ce serait l’organisation de la solidarité autour du « socialisme le plus puissant » faisant pendant à l’organisation de la solidarité au sein de l’impérialisme, autour de « l’impérialisme le plus puissant ». Mais de même qu’existent des contradictions inter-impérialistes, il existerait des contradictions inter-socialistes. Ce qui est indéniable. L’Histoire nous aurait appris combien l’organisation des socialismes existants et des Partis communistes autour du Socialisme le plus puissant était une organisation fragile et pleine de dangers, en raison même de son contexte, un impérialisme encore puissant.

L’autre explication de l’impérialisme serait la suivante. L’internationalisme prolétarien serait aujourd’hui de nature non seulement politique. Il serait aussi de nature économique. Si les capitalistes ont mondialisé leurs capitaux productifs et marchands, et simultanément ont commencé à démolir les classes ouvrières et les appareils productifs des nations, ce n’est pas parce qu’ils sont méchants. C’est parce que les forces productives, dans le cadre des rapports capitalistes privés, leur commandent d’agir ainsi.

Les pays socialistes, lorsqu’ils deviennent modernes, sont eux aussi porteurs de forces productives extrêmement puissantes. Par conséquent, lorsque les communistes se battent en France pour mettre en place une société nouvelle, cela veut dire qu’ils se battent pour mettre en place une société dont les forces productives seront extrêmement puissantes. Peuvent-ils espérer que leur combat va consister à rapatrier les appareils productifs puis à rester bien au chaud dans les quatre coins de leur hexagone ?

Poser la question, c’est y répondre. Mais non, disent alors ces camarades, nous allons exporter. Ah bon, et vous croyez que nous allons être les seuls à vouloir exporter ? Vous n’avez pas pensé que l’un des facteurs décisifs actuels de l’affaiblissement de l’impérialisme, c’est que tous les pays sous développés veulent se développer ? L’époque de l’internationalisme de nature exclusivement politique est révolue. Nous sommes entrés dans une époque nouvelle, dans laquelle l’internationalisme sera politique et économique. Nous devons donc imaginer des relations internationales nouvelles et des modes de fonctionnement de ces relations qui tendent vers l’apaisement des conflits et non vers la guerre, comme c’est encore le cas aujourd’hui. Qui dit relations internationales nouvelles dit également relations entre des formes nouvelles de production et de consommation dans les nations.

Le développement contemporain des forces productives pousse au socialisme partout, y compris en France. Peut-être devrions-nous y penser davantage ? Entre pays socialistes, les conflits, qui existeront soyons en certains, ne seront quand même pas de même nature, de même profondeur, de même intensité, de même violence qu’aujourd’hui. Ils seront réglables pacifiquement. Nous ne pouvons avoir en tête, sauf à nous comporter comme des robots répétant le passé, de construire une société nouvelle dans un bocal, sous le prétexte que nous devrions construire des choses « à la française ».

Avec Fabien Roussel et les gens qui l’entourent, tout se passe comme si les communistes de ce pays voulaient un beau navire... dans une bouteille. Roussel peut être « bon en com », mais ce n’est pas suffisant, et même, d’une certaine manière, ce pourrait être une redoutable illusion.

Je crois que j’en ai dit assez. Mon souci est seulement d’amorcer dès à présent une discussion interne, au sein de la campagne, discussion que je crois nécessaire si l’on veut parler réellement, sans les tromper, à celles et à ceux auxquels nous nous adressons. Cette discussion peut contribuer à trouver les moyens de faire évoluer "le cours des choses", sans difficultés, sans torsions, de façon quasiment naturelle, pour prolonger et amplifier le combat en cours.

III - En guise de conclusion momentanée

Telles sont les remarques que je tire du modeste débat ayant pris forme autour de mon texte initial. Je n’ai pas pris en compte dans le présent texte, la toute dernière intervention (Hubert Hervé). J’indique ici que je la trouve également remarquable et que j’en partage entièrement le contenu. Indépendamment du site de Vénissieux, où Pam l’a reçu et diffusé, ce texte initial a été pour moi l’occasion tant de soutiens que de remarques peu amènes. « Ce mec se prend-il pour Lénine ? ». Ou bien : « Delaunay, son texte est stupide ». Ce n’est pas grave. La politique unit et sépare tout à la fois. Je fais ce que je peux dans des conditions données, ne pouvant me rendre en France à la nage, tous les matins, pour monter dans les étages et expliquer notre politique. Je me prends pour ce que je suis, un individu dans un ensemble. Et, parodiant Malraux, je dirai qu’un individu ne vaut rien mais que rien ne vaut un individu. C’est la seule raison pour laquelle je me force à dire ce que je crois devoir dire tout en sachant que cela ne va pas forcément accroître le nombre de mes amis. Mais sait-on jamais ? Et, de toute façon, il faut avoir le courage de ses opinions.

C’est aussi ce que je pense de Roussel et pour Roussel. C’est un individu. Et rien ne vaut l’individu Roussel. Il fait preuve de qualités qu’il faut soutenir. Comme l’exprimait récemment André Chassaigne : « Roussel est un député de terrain, qui est dans la vraie vie. Il n’a pas une approche idéologique et intellectuelle. Il part du concret » [1].

Mais Roussel ne vaut rien. Le fait qu’il n’ait pas une approche idéologique de « la vraie vie » le rend d’autant perméable aux assauts de l’idéologie dominante. Si lui-même ne vaut rien, ce qui vaut est la population de celles et de ceux dont il est le porte-parole momentané. Mais c’est aussi l’intellectuel collectif en même temps que l’acteur collectif que devrait être le PCF. Il faudra bien que ce dernier redevienne l‘un et l’autre pour que l’on puisse conclure qu’il est reconstruit et que l’on puisse contribuer aux combats populaires de la manière la plus efficace et la plus scientifique possible.

[1« Quand un député communiste met les pieds dans le plat mais ne dit pas tout », entretien avec André Chassaigne par Valérie Pfeiffer (Le Point), reproduit dans le blog de Jean Lévy, "Ҫa n’empêche pas Nicolas", 21 Janvier 2022.

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    Texte nr 3, Unir les communistes, le défi renouvelé du PCF et son résumé.

    Signé par 626 communistes de 66 départements, dont 15 départements avec plus de 10 signataires, présenté au 37eme congrès du PCF comme base de discussion. Il a obtenu 3.755 voix à la consultation interne pour le choix de la base commune (sur 24.376 exprimés).