Staline, Histoire et critique d’une légende noire...
Le socialisme du Goulag ! commentaires de Jean-Jacques Marie

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par Jean Jacques Marie

A propos de « Staline, Histoire et critique d’une légende noire » de Domenico Losurdo, traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio, éditions Aden, Bruxelles, 532 pages, 30 euros.

A cœur vaillant rien d’impossible, si l’on en croit les scouts. Domenico Losurdo dément cette mâle devise. Cœur vaillant il l’est sans aucun doute pour tenter de réhabiliter Staline. Mais l’inanité d’une telle entreprise, dont l’ambition est sans doute démesurée, saute vite aux yeux.

Vade retro, Khrouchtchev !

Il vitupère le rapport prononcé par Khrouchtchev contre certains crimes de Staline lors d’une ultime séance à huis clos du XXème congrès du PCUS en février 1956. Il en déforme d’abord la portée. A l’en croire, ce rapport serait un « réquisitoire qui se propose de liquider Staline sous tous ses aspects ». Or Khrouchtchev affirme d’emblée : “ Le but du présent rapport n’est pas de procéder à une critique approfondie de la vie de Staline et de ses activités. Sur les mérites de Staline suffisamment de livres, d’opuscules et d’études ont été écrits durant sa vie. Le rôle de Staline dans la préparation et l’exécution de la guerre civile, ainsi que dans la lutte pour l’édification du socialisme dans notre pays est universellement connu. Chacun connaît cela parfaitement.” Et pour qui n’aurait pas compris il ajoute : ”Le Parti a mené un dur combat contre les trotskistes, les droitiers et les nationalistes bourgeois (…) Là Staline a joué un rôle positif”. Khrouchtchev n’a donc rien à dire sur les procès de Moscou, dont Domenico Losurdo reprend nombre d’inventions présentées par lui comme autant de vérités. Merci donc à Staline pour la liquidation des opposants de toute nuance ! Khrouchtchev précise en effet “ Staline avait toujours tenu compte de l’opinion de la collectivité avant le XVIème congrès ” qui se tint en janvier 1934. Jusque là Staline a donc été un excellent dirigeant communiste. Staline ne devient mauvais que lorsqu’il commence à liquider ses propres partisans à partir de 1934. Losurdo gomme cette précision pour mettre sur le même plan Khrouchtchev et Trotsky.

Direction collective contre “culte de la personnalité”

Je dis Khrouchtchev mais Domenico Losurdo semble ignorer (ou dissimule) que Khrouchtchev n’est en réalité pas l’auteur du dit rapport. Ce dernier a été rédigé par Piotr Pospelov, sur la base des travaux d’une commission du Praesidium du comité central dirigée par lui. Ce Pospelov avait été le principal rédacteur de la biographie officielle de Staline publiée au lendemain de la guerre et longtemps rédacteur en chef de la Pravda. Un bon et authentique stalinien donc. Khrouchtchev s’est contenté d’ajouter au texte de Pospelov quelques saillies de son cru comme le détail (inventé et grotesque) selon lequel Staline aurait dirigé les opérations militaires de la seconde guerre mondiale sur un globe terrestre. Deux ou trois plaisanteries du même acabit ne modifient qu’à la marge la nature et la portée d’un rapport produit collectif d’une commission formée de partisans de Staline.

Ces staliniens ont un seul souci traduit par le reproche de “culte de la personnalité” adressé à Staline. Son sens très simple échappe complètement –malgré l’aide de Hegel- à Losurdo. Il signifie que le pouvoir est maintenant entre les mains, non du Guide suprême et Père des peuples, mais du Comité central que Staline n’avait convoqué que quatre fois de 1941 à sa mort en 1953. C’est ce que Khrouchtchev avait promis au Comité central lors de sa réunion de juin 1953 pour juger Beria. Et c’est ce que les membres du comité central réduits au silence les treize dernières années de la domination de Staline veulent entendre " Maintenant nous aurons une direction collective (…) Il faut convoquer régulièrement les plenums du comité central." Le rapport lu par Khrouchtchev au nom du Praesidium du comité central est l’expression de cette volonté collective.

La déportation des peuples …”une carence de bon sens” !

Les arguments de Losurdo se résument en général à un schéma simple : tous les Etats, tous les gouvernements font la même chose ! Alors que reprocher à Staline ? Il cite ainsi le passage où le rapport Khrouchtchev dénonce les déportations de certains peuples en 1943-44 : « Non seulement un marxiste-léniniste,mais tout homme de bon sens ne peut comprendre comment il est possible de tenir des nations entières responsables d’activité inamicale, y compris les femmes, les enfants, les vieillards, les communistes et les komsomols (la jeunesse communiste) au point de recourir contre elles à la répression massive et de les condamner à la misère et à la souffrance en raison d’actes hostiles perpétrés par des individus ou des groupes d’individus ».

Khrouchtchev énumérait seulement cinq peuples déportés sur la douzaine qui subirent ce sort et que Losurdo -qui ne lui reproche nullement ce choix sélectif- se garde bien d’énumérer. Losurdo évoque en quelques mots « l’horreur de la punition collective », mais, une fois faite cette concession humanitaire à une tragédie qui vit périr en moyenne un quart des déportés -au premier chef vieillards et enfants - au cours de leur interminable transfert , il ajoute cyniquement « Cette pratique caractérise la Seconde guerre de trente ans [de la première guerre mondiale aux lendemains de la seconde, nda, JJ Marie] à commencer par la Russie tsariste qui, bien qu’alliée à l’Occident libéral, connaît au cours du premier conflit mondial “une vague de déportation” de “dimensions inconnues en Europe ( surtout d’origine juive ou germanique) ». Il évoque ensuite l’expulsion des Hans du Tibet par l’ultraréactionnaire Dalai Lama qui flirta un moment avec les nazis, puis l’internement dans des camps de tous les citoyens américains d’origine japonaise par le président américain démocrate Roosevelt en 1942. Donc conclut benoîtement notre philosophe italien : « si elle n’était pas distribuée de façon égale la carence de “bon sens” était bien répandue chez les leaders politiques du XXème siècle ». Et passez muscade !

Donc dans la patrie triomphante du socialisme (car pour Losurdo le socialisme s’est épanoui en URSS) et qui a réalisé l’unité des peuples il est normal que l’on utilise les mêmes procédés que les chefs des pays capitalistes ou un obscurantiste féodal et même que le Tsar Nicolas II. Ce dernier, en 1915, en réponse à l’avance allemande, fit effectivement, déplacer vers l’Est un demi million de juifs, soupçonnés officieusement d’espionnage au profit des Allemands. Mais la référence justificatrice est malencontreuse, car si barbare que fut ce transfert, il fit beaucoup moins de morts que celui des coréens soviétiques en 1937 (en l’absence de toute guerre) qualifiés collectivement d’espions potentiels au compte du Japon… dont ils avaient fui la terreur que le Japon déchaînait dans leur pays, ou que celui des Tatares de Crimée, des Kalmouks, des Tchétchènes et des Ingouches en 1944. Ajoutons que la déportation de ces deux derniers peuples est l’une des causes de la tragédie que vit leur région depuis près de vingt ans. L’héritage de Staline fait couler le sang encore aujourd’hui.

Losurdo utilise la même argumentation lorsqu’il évoque le Goulag en faisant défiler toutes les horreurs concentrationnaires des pays coloniaux…

Un héritier des procès de Moscou.

Losurdo reprend à son compte les falsifications des procès de Moscou, mais sans se référer directement à ces derniers tant la source est polluée. Il affirme ainsi, par exemple : en 1918 « Lénine, accusé ou soupçonné de trahison semble être la cible d’un projet, si vague fût-il, de coup d’Etat envisagé par Boukharine ».Ce projet fabriqué par le procureur Vychinski lors du troisième procès de Moscou de mars 1938 est ici présenté d’abord comme hypothétique, avant de devenir une certitude par un coup de baguette magique : « Pour déjouer la paix de Brest-Litovsk, qu’il avait vécue comme une capitulation devant l’impérialisme allemand et une trahison de l’internationalisme prolétarien, Boukharine cultive un instant l’idée d’une sorte de coup d’Etat, visant au moins pour quelque temps à écarter du pouvoir celui qui jusque là était le leader indiscutable des bolcheviques » (référence : supra 2.2… c’est-à-dire la phrase précédente, l’invention se servant à elle-même de preuve !). Pensant sans doute qu’une fable plusieurs fois répétée accède par là même au statut de vérité, il écrit plus loin : « Nous avons vu Boukharine à l’occasion du traité de Brest-Litovsk caresser un instant le projet d’une sorte de coup d’Etat contre Lénine, à qui il reproche de vouloir transformer le “parti en un tas de fumier” ». En réalité nous n’avons rien vu du tout, sinon les pirouettes de Losurdo.

Pourquoi Losurdo qui multiplie les références à n’importe qui y compris à Sir Montefiore, promu du statut de romancier à celui d’historien ou au romancier Feuchtwanger que Staline fit venir exalter le deuxième procès de Moscou en échange de la publication de ses oeuvres en URSS et du paiement d’honoraires juteux, n’en donne aucune à cette invention de Vychinski ? C’est que la vérité est fort simple : pendant le discours de Lénine au Comité exécutif des soviets du 23 février 1918 sur le traité de Brest-Litovsk, le Socialiste-Révolutionnaire (S-R) de gauche Kamkov - dont le parti était encore alors au gouvernement – s’approche des “communistes de gauche” Piatakov et Boukharine hostiles à la signature, et leur demande ce qui se passera s’ils ont la majorité dans le parti contre la paix de Brest-Litovsk. A son avis, leur dit-il, "dans ce cas-là Lénine s’en ira et vous et nous nous devrons installer un nouveau Conseil des commissaires du peuple" que Piatakov pourrait présider. Les deux hommes n’y voient qu’une plaisanterie. Quelques jours plus tard, le S-R de gauche Prochian suggère à Radek qu’au lieu d’écrire des résolutions interminables les communistes de gauche feraient mieux d’arrêter Lénine vingt-quatre heures, de déclarer la guerre aux Allemands puis de réélire à l’unanimité Lénine président du gouvernement, car, dit-il, contraint de réagir à l’offensive allemande, "tout en nous insultant nous et vous, Lénine mènera néanmoins une guerre défensive mieux que n’importe qui". Six mois plus tard Prochian meurt. Radek répète alors sa phrase à Lénine, qui éclate de rire.

Au début de décembre 1923, en pleine campagne de l’Opposition de gauche pour la démocratisation du parti , Boukharine, alors allié de Staline contre elle, transforme pour les stigmatiser ces anecdotes en propositions sérieuses que les "communistes de gauche" de l’époque auraient, affirme-t-il malgré les dénégations de tous les intéressés, discutées. L’Opposition, conclut-il, fait donc le jeu des ennemis du parti. Zinoviev s’indigne : les communistes de gauche ont alors dissimulé ces propositions ignobles au Comité central qui ne l’apprend que six ans plus tard ! Staline va plus loin : certains opposants de 1923 étaient déjà, selon lui, des membres potentiels du prétendu gouvernement anti-léniniste de 1918. Boukharine paiera de sa vie ce trafic politicien de la mémoire. Au troisième procès de Moscou, en mars 1938, le procureur Vychinski, utilisant ses déclarations démagogiques de 1923, l’accusera d’avoir négocié avec les S-R de gauche le renversement et l’arrestation de Lénine. Boukharine sera condamné à mort.

Ignorantus,ignoranta ,ignorantum…

Domenico Losurdo ne connaît pas l’histoire sur laquelle il brosse des commentaires ornés parfois de références à Hegel qui n’y peut mais. Il qualifie ainsi de « dirigeant menchevique » le chef du gouvernement provisoire de 1917 Alexandre Kerenski. Or Kerenski, proche des socialistes-révolutionnaires, ne fut jamais menchevique de sa vie… Evoquant l’assassinat de Serge Kirov le 1er décembre 1934 à Leningrad, il écrit « Au départ les enquêtes des autorités se tournent vers les Gardes blanches » (p. 102) .Les autorités ont eu une étrange façon de se tourner vers eux. Dès le lendemain du meurtre Staline fait fusiller une centaine de gardes blancs… déjà en prison et que nul n’interroge avant puisqu’ils ne pouvaient de leur cellule organiser le moindre attentat.

Voulant confirmer la perfidie de Trotsky, il affirme plus loin « Lénine voit déjà peser sur la Russie soviétique un péril bonapartiste et exprime ses préoccupations même au sujet de Trotski » (p 127). L’absence de référence, là encore, cache un trucage : en 1924, l’année de la mort de Lénine, Gorki, alors en Italie, publie Lénine et le paysan russe où il ne cite que des phrases élogieuses de Lénine sur Trotsky. Six ans plus tard, en URSS, Gorki réédite son livre et y ajoute une phrase prêtée à Lénine ainsi revenu d’outre-tombe six ans après sa mort pour exprimer une crainte bien tardive sur les ambitions bonapartistes imaginaires de Trotsky. Plus stupéfiant encore, il évoque à maintes reprises une prétendue « conspiration dirigée par Trotsky » et confirme cette fable reprise (sans qu’il le dise) des procès de Moscou … en citant Curzio Malaparte. Or aucun historien n’a jamais considéré Malaparte comme une source autre que littéraire. Qui ira citer « Kaput » dans une Histoire de la seconde guerre mondiale ? Ecrivain de talent, il ne considérait l’histoire que comme une servante de la littérature et fabulait à qui mieux mieux.
Ah le bon Goulag !

Il faut bien s’arrêter un moment dans le trop facile démontage des fantaisies de Losurdo. Mais l’on ne saurait passer sous silence ses divagations sur le Goulag. Certes il souligne à bon droit que le Goulag stalinien n’est pas globalement le camp d’extermination que furent les camps nazis destinés aux Juifs. Cela dit, on ne peut lire sans surprise l’affirmation que « aux tentatives de réaliser dans la “totalité” du pays la “démocratie soviétique”,”le démocratisme socialiste” et même “un socialisme sans la dictature du prolétariat” [comme si le prolétariat opprimé exerçait alors la moindre dictature !] correspondent les tentatives de rétablir dans le Goulag la “légalité socialiste” ou la “légalité révolutionnaire” ».

Enfin Losurdo, trouvant dans le Goulag “une préoccupation pédagogique”, s’extasie : « le détenu du Goulag est “un camarade” potentiel obligé de participer dans des conditions particulièrement dures à l’effort productif de tout le pays ». Particulièrement dures, certes mais le mot “camarade” même très potentiel n’a pas de prix. Et, Losurdo nous le jure, « jusqu’en 1937 les gardes appelaient le prisonnier “camarade”. Et d’ailleurs la réclusion dans le camp de concentration n’exclut pas la possibilité de promotion sociale ». Quel ascenseur social ce socialisme du goulag !

Jean-Jacques Marie

(Texte reçu par M-A Patrizio via M. Barbe, le 21 février 2011)

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