Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’université de Rennes-I et vice-présidente de l’Association française de droit constitutionnel, donne son analyse juridique de l’apparition de la « règle d’or » inspirée par l’Allemagne, dans la politique française.
Le Figaro - En quoi la règle d’or bouscule-t-elle la vie politique française ?
Anne-Marie Le Pourhiet - Jusqu’ici, les institutions européennes se bornaient à recommander le respect de l’équilibre budgétaire à Paris. Désormais, des sanctions sont prévues contre la France en cas de manquement à cette obligation. En outre, un pays membre pourra saisir la Cour de justice de l’Union européenne pour faire condamner notre pays si la politique budgétaire de celui-ci est laxiste. L’objet du traité est d’obliger les États à incorporer la discipline budgétaire déjà pratiquée par l’Allemagne.
Le Figaro - Est-ce vraiment l’extension du « modèle allemand » à ses voisins ?
Anne-Marie Le Pourhiet - Sans aucun doute. Les Allemands ont l’habitude de faire figurer dans leur Constitution des normes très détaillées.
La Cour constitutionnelle de Karlsruhe veille à leur respect par le gouvernement et le Parlement. Et la France, aujourd’hui, est invitée à renforcer elle aussi son arsenal normatif pour le rendre plus contraignant. L’expression de « règle d’or » - qui ne figure naturellement pas dans le traité mais s’est imposée dans le langage courant - le dit assez.
Si cette règle figurait dans un simple décret, on la tiendrait pour du vulgaire fer-blanc sans valeur. Un décret, en effet, peut être modifié facilement. Mais si on inscrit cette règle dans la Constitution, censée être stable et s’imposer à tous, le métal dont elle est faite ne peut être que de l’or.
Le Figaro - Est-ce une rupture dans la tradition constitutionnelle française ?
Anne-Marie Le Pourhiet - Ce qui est nouveau, c’est d’envisager de graver dans le marbre de la Constitution ce qui devrait relever d’une simple volonté politique. On fait de la « règle d’or » la clé de voûte d’un mécanisme coercitif sous menace de sanction. Comme si les gouvernements successifs doutaient d’eux-mêmes et de leur détermination (ndlr : là notre analyse diverge fondamentalement...). Le risque existe aussi de s’étouffer sous un carcan normatif. On crée un mille-feuille juridique.
De surcroît, cette situation va conduire le Conseil constitutionnel à porter une appréciation sur l’opportunité des choix budgétaires de l’exécutif et du Parlement.
Propos recueillis par Guillaume Perrault